Recueil de poèmes compilés par Bertrand Petit
Illustrés par Keiko Yokoyama
Ô combien j'aurais pleuré ma vie
Si seulement je ne savais pas
Que je suis déjà mort
Ota Dokan
Ce recueil de poèmes se distingue par la thématique choisie pour les rassembler : la mort prochaine de leurs auteurs.
En effet, ces courts poèmes ne sont pas des Haïku mais des Jiseiku (« Quitter ce monde - poème ») que les samouraïs mettaient un point d'honneur à rédiger quand ils sentaient la mort arriver ou avaient la certitude de son imminence : condamnation à mort, Seppuku, blessure fatale, maladie ou même vieillesse.
Si les samouraïs de l'époque Sengoku étaient confrontés au combat, à la guerre et à la mort dès leur plus jeune âge, il ne faut pas oublier que cette éducation martiale austère allait de paire avec une éducation artistique, religieuse et culturelle : calligraphie, histoire, bouddhisme zen, confucianisme et poésie...
Cet idéal d'homme accompli qu'est le guerrier-poète, on le retrouve souvent énoncé dans les différents traités qui sont parvenus jusqu'à nous (on parle de Bunbu ryodo : « la double voie de la littérature et de la guerre»), et on constate, en parcourant ce recueil, l'extrême sensibilité dont pouvaient faire preuve ces farouches combattants arrivés au crépuscule de leur existence.
Ces textes nous renseignent bien sur l'imaginaire et les croyances des guerriers japonais : il y est évidemment question de vacuité et de fleurs de cerisier, mais ces lieux communs qu'on associe facilement à la culture nipponne sont transcendés par la beauté, la simplicité et la force des mots choisis par leurs auteurs. Brillance, pureté et puissance... ces quelques lignes jetées sur le papier dans un dernier souffle ne sont pas sans rappeler les qualités de l'objet fétiche qui les a accompagnés toute leur vie : le katana.
Chaque poème est accompagné de l'âge auquel l'auteur l'a écrit ainsi que d'une notice biographique pour les plus connus d'entre eux. Une calligraphie illustre chacun des textes et l'encre sur la page blanche semble parfois une giclée de sang sur un paravent.