Les températures stationnant autour de 31/32°C au Tadla, les sorties à vélo peuvent reprendre avec sérieux et méthode ; une sorte d’inspection - j’en ai déjà parlé – rigoureuse de ce qui se passe dans la campagne. L’eau reste une préoccupation. Dimanche, en partant vers le Haut-Atlas, nous vîmes le lac du barrage Ahmed el-Hansali, on est très loin d’un remplissage satisfaisant ; le lac semble plus étendu qu’il y a quelques mois mais le déficit semble important ; en l’absence de données officielles tout cela reste très subjectif. À Kasba-Tadla, les restrictions restent en vigueur (hammams et stations de lavage de voitures fermés deux jours par semaine ; arrosage des espaces verts avec de l’eau souvent pompée dans l’Oum er-Rbia) et durant les dernières semaines la pression d’eau d’eau aux robinets fut diminuée – une technique basique d’économie d’eau.
Lundi 22 septembre 2025. Le soleil tape assez fort mais je décide d’aller pédaler voir l’oued en aval de Kasba-Tadla. Traversée du Pont Portugais et du canal de dérivation, vides tous les deux ; odeurs d’égouts. Rude montée sur la petite route pour arriver au plateau sec. Chemins habituels, cailloux et poussières, oliviers irrigués bien garnis. Descente vers les ouvrages du canal en direction du gué d’Aït Moussatine. Rassemblement important de cigognes rive droite de l’oued, présence de grues cendrées et d’échassiers genre ibis. Oum er-Rbia vide, vert, recouvert d’un film d’algues, eutrophisation avancée, agonisant, saturé de pollution, bloqué en amont aux barrages Ahmed el-Hansali et Aït Messaoud. La beauté du paysage ne me fait pas oublier cette agonie. Je traverse à pied l’Oum er-Rbia pour revenir par la piste rive droite jusqu’au confluent de l’Oued Kaykat, lui aussi recouvert d’algues. Je rentre à la maison dans un mélange de joie et de tristesse.
© Copyleft Q.T. 23 septembre 2025
Il est toujours agréable de découvrir que quelques touristes s’égarent intentionnellement au Tadla. Ils sont souvent de passage, s’arrêtent pour une nuit, ne visitent pas la casbah, ne montent pas au Monument, ne vont pas voir le lit vide de l’Oum er-Rbia au Pont Portugais. Un voyage d’une superficialité désolante. On passe, on fait quelques clichés qui nourrissent un site Internet, on s’extasie devant un lever de soleil, - existe-t-il un seul endroit au Monde où le lever de soleil est accablant ? -, on parle de cigognes sans savoir qu’elles résident à l’année au Tadla et qu’elles ne connaîtront jamais l’Alsace - cliché indestructible -, on ne voit ni la sécheresse, ni les paysan.nes s’éreintant, juste des D+ (dénivelé positif) et l’absence de tee-shirts à manches longues, etc. On remarquera le matériel transporté sur les bicyclettes, que de kilos inutiles, des sièges pliants, des casques, des cyclistes sérieux. Certaines photographies du voyage semblent être prises d’un drone, à moins que le nom du site « polarsteps » …
Nous voyons régulièrement des cyclistes marocains ou étrangers, parfois seul, sur les routes du Moyen-Atlas, on espère que leur regard est autre que celui d’Antoine Mandet.
Extraits de ce voyage marocain à bicyclette de 30 jours entre Tanger-Med et Essaouira avec traversée de l’Atlas au niveau d’Imilchil, 1 689 kilomètres à vélo, un maximum de D+. Bel exploit avec l’aide de la gentillesse éternelle des Marocain.es. (source, https://www.polarsteps.com/AntoineMandet/7001603-le-maroc-a-velo/60302717-kasba-tadla) (copie du texte sans modification)
Kasba Tadla - 26 avril 2023 - 39°
Aujourd'hui été incontestablement la journée la plus chaude depuis le début de notre voyage ! L'absence d'ombre n'a pas aidé à me protéger du soleil. Je prévoirai des manches longues amples la prochaine fois pour me protéger du soleil ! Difficile de la voir sur la dernière photo mais j'ai assisté à plusieurs grandes tornades de poussière. Certaines montent à des dizaines de mètres de hauteur (voir deuxième photo). Une fois les filles retrouvées à la sortie de leur bus, nous décidons de prendre un hôtel. Il fait toujours 40° à 17h. Nous rechargeons les batteries, faisons nos lessives et préparons nos affaires pour attaquer le Haut Atlas demain !
Naour - 27 avril 2023 - 32°
À température exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Nous décidons de commencer à pédaler vers 6h30 pour profiter de la fraîcheur matinale. Le lever de soleil est splendide. Je n'en ai pas encore parlé dans ce carnet de voyage mais nous croisons très régulièrement depuis quelques jours des cigognes. Les mêmes que l'on retrouve à Strasbourg ! Avec le changement climatique, elles retardent de plus en plus leur migration. Fascinant d'imaginer le nombre de kilomètres qu'elles parcourent sans gps pour revenir en Alsace. Pour les prochains jours, nous organisons nos étapes en fonction du dénivelé positif et non du nombre de kilomètres. Nous décidons de viser un peu plus de 1000 m de D+ par jour pour que l'expérience reste un plaisir pour tous. Nous devons également prendre en compte la chaleur pour organiser nos étapes. Pédaler entre 11h et 16h est difficile. Olga continue sa convalescence en nous suivant en auto-stop. Pas simple parfois d'être prise avec son vélo et ses sacoches. L'hospitalité et la gentillesse des marocains lui permettent de trouver assez rapidement des camionnettes ou des fourgons. Elle fait tout de même les descentes avec nous !
Pour les photographies accompagnant ces deux jours, je laisse le soin au lecteur.rice de reconnaître les lieux.
© Copyleft Q.T. 31 juillet 2025
C’est en revenant d’Aghbala, le mercredi 12 mars 2025 que je vis une fraction du chantier du barrage dit Taghzirt sur l’oued Derna. J’avais lu l’information en 2021, puis oublié. Le barrage s’édifie à proximité de Bou Noual là où Ahmed el Hansali commença son périple meurtrier le 09 mai 1951 en tuant un moghazani. À « Bou Noual » la rivière Derna n’est pas bien large et son débit guère impressionnant malgré les précipitations abondantes (neige et pluies) de début mars.
À BENI MELLAL, UN GRAND BARRAGE DÉDIÉ EN PARTIE À L'IRRIGATION
Extraits d’un article paru le 25 juillet 2021, modifié le 26 juillet 2021, par Kenza Khalta et Mehdi Ouazzani Touhami (source, MEDIAS24, https://medias24.com/?p-1079879) (captures d’écran puis reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
Le ministère de l'Équipement vient de lancer les marchés pour la réalisation de trois grands barrages. Il s’agit du barrage sur Oued Lakhdar, dans la province d’Azilal, du barrage Taghzirt dans la province de Beni Mellal, et du barrage Kheng Grou, dans la province de Figuig, totalisant un investissement d’un peu plus de 3 milliards de dirhams (3 016 474 704 dirhams). Ces structures font partie des cinq chantiers de grands barrages, dont le lancement des travaux était prévu durant l'année en cours, pour une enveloppe budgétaire globale estimée à 4,8 milliards de dirhams. Le barrage Taghzirt sera, quant à lui, construit sur l'Oued Derna (un des affluents l'oued d'Oum Errabiaa), au niveau de la commune Naour, dans la province de Beni Mellal, région Beni Mellal - Khénifra. La ville la plus proche de cette structure sera celle d'El Ksiba. Ce barrage, avec une retenue estimée à 83 millions de m3, sera dédié à l'irrigation du périmètre du Dir et à la production de l'énergie hydroélectrique. Notons que le Dir signifie « ceinture », selon le HCP. Sur les versants du Haut Atlas, on désigne sous ce terme une zone de basses et moyennes collines et de cônes de déjection qui opèrent la transition entre la haute montagne calcaire et la plaine. Les sols y sont relativement riches. Des sources karstiques au débit régulier et abondant y jaillissent. L'espace est judicieusement réparti entre petits périmètres irrigués par un système traditionnel de seguias, champs non irrigués, surfaces boisées et terrains de parcours. Le Dir de Béni Mellal commence à partir de Foum El Ancer jusqu'à Afourer. Il reçoit l’eau de l'Atlas, soit par l'intermédiaire de sources, ou par épanchement de la nappe du jurassique sous les alluvions. La construction de ce barrage nécessitera un budget de 998,7 millions de dirhams (998 690 976,00 dirhams), selon les estimations du ministère. Le délai global de la réalisation de ce marché est fixé à 60 mois. L'ouverture des plis aura lieu le 6 septembre prochain. Cet appel d'offres a été précédé par un autre, relatif à « l'exécution des plans et états parcellaires par levées au sol pour l'expropriation des terrains nécessaires » à sa réalisation.
LES TRAVAUX DE CONSTRUCTION DU BARRAGE TAGHZIRT BIENTÔT LANCÉS 19 Août 2021 (source, lematin.ma)
L’ouverture des plis relative à l’appel d’offres concernant la construction du barrage Taghzirt, dans la province de Béni Mellal, est programmée pour la première quinzaine du mois de septembre prochain, selon la Direction du ministère de l’Équipement de Béni Mellal. Le barrage de Taghzirt sera construit sur le fleuve « Derna », un des affluents du fleuve Oum Errabia, au niveau de la commune Naour dans la province de Béni Mellal. Il fait partie des cinq grands barrages programmés par les autorités publiques au titre de 2021. Ce barrage, avec une retenue estimée à 83 millions de m³, sera dédié à l’irrigation et à la production de l’énergie hydroélectrique, en plus de l’alimentation de la province en eau potable. Sa construction nécessitera un budget de l’ordre de 1 milliard de dirhams et le délai global de sa réalisation est fixé à 60 mois. Par ailleurs, les travaux de construction de 5 grands barrages devront être lancés cette année. Il s’agit du barrage sur Oued Lakhdar dans la province d’Azilal, du barrage Taghzirt dans la province de Beni Mellal, du barrage Kheng Grou dans la province de Figuig, du barrage Tamri dans la préfecture d’Agadir Ida-Outanane, ainsi que la surélévation du barrage d’Imfout dans la province de Settat. Face à un contexte hydrologique caractérisé par l’irrégularité et dans un souci de relever des défis liés au développement social et économique du pays, Feu Sa Majesté Hassan II avait initié, dès 1967, la politique de construction des grands barrages avec pour objectif principal la sécurité alimentaire et la garantie de l’approvisionnement en eau potable des populations. Ce qui fut un tournant décisif dans la politique nationale de l’eau. Grâce à cette politique éclairée, le Maroc possède aujourd’hui un patrimoine hydraulique important qui constitue un levier pour l’économie du pays.
PROVINCE DE BÉNI MELLAL : LE CHANTIER DU BARRAGE TAGHZIRT ATTEINT UN TAUX DE RÉALISATION DE 10 % par Hajar Kharroubi le 03/10/2024 (source, le360ma, https://fr.le360.ma/economie/province-de-beni-mellal-le-chantier-du-barrage-taghzirt-atteint-un-taux-de-realisation-de-10_6GWK7L3SYRC4HEZEMCT5DROKCM/)
Aperçu des travaux de construction du barrage Taghzirt, dans de la province de Béni Mellal. Le chantier du barrage Taghzirt, relevant de la province de Béni Mellal, a vu son taux de réalisation atteindre les 10 %. Sa livraison est prévue pour septembre 2027. Avec 10 % des travaux déjà réalisés, la construction du barrage de Taghzirt, dans la province de Béni Mellal, avance à un rythme soutenu. L’ouvrage, qui a nécessité une enveloppe budgétaire de 1,35 milliard de dirhams, disposera d’une capacité de stockage de 85 millions de mètres cubes (m3). Son chantier devrait s’achever en septembre 2027, avec trois mois d’avance sur le calendrier initial, selon les dernières informations communiquées par la plateforme Maa Dialna, affiliée au ministère de l’Équipement et de l’Eau. Le barrage de Taghzirt, dont les travaux ont été lancés en août 2022, sera une infrastructure vitale pour la région. Situé sur l’Oued Derna, un affluent de l’Oum Er-Rbia, il répondra aux besoins croissants en eau d’irrigation pour le périmètre du Dir et produira également de l’énergie hydroélectrique. D’une hauteur de 95 mètres, sa structure en béton est en cours de construction, les travaux de compactage battant leur plein. Le projet s’inscrit dans une vision à long terme de gestion durable des ressources en eau du Maroc. Il participera non seulement à l’irrigation agricole, mais jouera aussi un rôle crucial dans l’approvisionnement en eau potable pour les villes et communes environnantes, telles qu’El Ksiba, la localité la plus proche du barrage. La région Béni Mellal - Khénifra connaît un développement accéléré de ses infrastructures hydrauliques, notamment avec la construction d’un barrage sur Oued Lakhdar, au niveau de la commune d’Aït Majden, de la province d’Azilal. D’une capacité de 151,62 millions de m3, l’ouvrage servira à renforcer le transfert d’eau de l’Oum Er-Rbia vers le Haouz, à alimenter la province en eau potable et d’irrigation en plus de contribuer à la protection contre les inondations et de produire de l’énergie électrique.
Commentaires : la seule question qui vaille, quel sera le taux de remplissage du barrage Taghzirt ? On notera les explications géomorphologiques de l’article de MEDIAS24.
© Copyleft Q.T. 15 mars 2025
Cela fait déjà un sacré bout de temps que les cigognes demeurent au Tadla, elles y trouvent dans la campagne proche de quoi se nourrir toute l’année, elles ont donc arrêté de faire le voyage classique Alsace – Maroc et retour ; l’irrigation forcenée avec ses pertes importantes sanctuarise leur nourriture. Elles semblent supporter les chaleurs estivales torrides du Tadla. En ville elles nichent sur les minarets mais aussi sur les antennes des relais téléphoniques ; dans la campagne on les voit aussi sur les cheminées des vieilles fermes coloniales. Chaque soir, un peu avant le maghreb, elles reviennent de la campagne où elles passent la journée en rasant notre terrasse, un spectacle dont on ne se lasse pas ; nos petits-enfants en vacances au Tadla demandaient chaque soir de monter sur la terrasse pour les voir. Ceci étant écrit, il est toujours salutaire de confronter ses propres observations à celles des autres. Je n’avais pas spécialement envie de rédiger quelque chose sur les cigognes mais une brève de 1954 m’indiqua un chemin.
La Vigie Marocaine, 30 mars 1954 (Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
Venant de Strasbourg - Une cigogne baguée est venue mourir dans le Tadla
KASBA-TADLA, 30 mars (Correspondant Particulier). Hier matin, alors qu'ils se rendaient à leur travail, des ouvriers agricoles ont découvert, dans un champ de la région, le cadavre d'une cigogne. Grand fut leur étonnement de voir à l'une des pattes de celle-ci une bague avec des inscriptions. L'ayant portée à leur employeur, celui-ci a bien voulu nous en faire part et nous montrer l'objet. La bague portait, gravée, l'inscription suivante : INFORM - PELARGONIA - STRASBOURG - G 59. La cigogne ne porte aucune trace de blessure.
Chacun.e se rappelle, la limonade « la Cigogne » et l’éditeur de carte cartes postales « Éditions La Cigogne »
(source, https://fr.wikipedia.org/, consulté le 08 janvier 2025 copie du texte avec quelques modifications)
La Cigogne, est un soda marocain au goût de citron, crée en 1929 par la Brasserie Glacière Internationale. En 1929, durant l'ère coloniale, la Brasserie Glacière Internationale lance une gamme de boissons non-alcoolisées, elle était de base spécialisée dans la bière à destination des colons français, l'objectif était d'attirer une clientèle marocaine (musulmans). « La Cigogne » jouit d'un succès dans toutes les couches de la société marocaine et devient une icône dans chaque foyer, avec quatre usines d'embouteillage dans le pays, une à Casablanca, une à Fès, une à Marrakech et la dernière à Tanger. En 1937, la BGI (devenu Brasseries du Maroc entre temps) crée un nouveau dépôt à Kénitra, où ils stockent des agrumes (principalement des oranges) venus du Gharb, avec ses derniers, va être confectionné la célèbre boisson « Judor » qui, tout comme sa grande sœur, va conquérir le marché marocain. Dans les années 1970, ces boissons tiendront tête aux géants Pepsi et Coca-Cola. Parallèlement à ce succès, une loi sur la « Marocanisation » des sociétés va obliger la BGI à quitter le Maroc et alors une nouvelle société, la SNI, va profiter pour récupérer les parts de l'entreprise sortante en 1974. Ils vont créer encore de nouvelles boissons, tel que « Youki » et « Gil », qui connaîtront un succès similaire à « La Cigogne » et « Judor ». Avec le début de la mondialisation au Maroc, la marque va commencer à chuter peu à peu, et les boissons sont retirées du marché et en 1997, la production est officiellement terminée même si les commandes continuaient à affluer. En juin 2024, la Société des Boissons du Maroc, filiale marocaine du Groupe Castel, annonce un retour de « La Cigogne » pour juillet 2024, avec des conditionnements en bouteilles et en canettes comme avant son retrait du marché. Elle fait finalement son retour le 1er octobre dans les rayons marocains.
(source TELQUEL, https://telquel.ma/2015/10/01/les-cigognes-blanches-vont-disparaitre-du-maroc_1464810) Le 01 octobre 2015 par Pauline Chambost. Certains s'inquiètent de l’arrêt de la migration hivernale des cigognes d’Europe vers l'Afrique. Cela veut-il dire que l’on ne verra plus le grand échassier au Maroc ?
Dans son édition du 27 septembre, l’hebdomadaire français le Journal du Dimanche écrit : « Après s’être arrêté au Maroc, puis au Portugal ou en Espagne, l’élégant échassier reste maintenant en France où, ces dernières années, plus d’un millier d'individus ont hiverné ». À y croire, les cigognes blanches tendent donc à disparaître du Maroc. Alarmiste ? Un peu, à en croire Brahim Bakass, Président du Groupe d’ornithologie du Maroc (Gomac). Lui préfère parler d’« une petite tendance à la sédentarisation », nous rappelant que 30 000 couples de cigognes traversent quand même Gibraltar chaque année. « Certaines restent au Portugal ou en Alsace où il fait de moins en moins froid, mais ce n’est pas significatif par rapport au nombre de cigognes qui continuent de partir », estime-t-il. Ces oiseaux de passage sont des cigognes adultes, qui quittent l’Europe aux mois de septembre et octobre pour passer l’hiver en Afrique de l’Ouest, Mauritanie et Sénégal principalement, qu’elles quittent à partir de mars. D’autres, plus nombreuses, passent par le détroit du Bosphore pour aller au Moyen-Orient. C’est qu’elles utilisent les courants chauds pour les soutenir sur de longues distances. Or, ils ne se forment qu’au-dessus des terres, donc ces oiseaux franchissent la mer là où elle est la plus étroite. « On les reconnaît à leur vol plané. Leur migration n’est pas vraiment liée à un problème de température, mais plutôt à un problème de nourriture. Au Maroc, elles se nourrissent souvent dans les décharges, où elles trouvent des rongeurs », nous explique ce passionné d’ornithologie. On les trouve partout où il y a de la nourriture par exemple à Larache, où elles se reposent quelques jours en profitant des sardines. Aussi, certaines restent hiverner au Maroc et ne descendent pas plus au Sud. L’an dernier, environ 2 000 ont ainsi été comptabilisées rien que dans la périphérie proche de Marrakech. Les plus jeunes restent en Afrique jusqu’à leurs trois ans environ, âge durant lequel leurs hormones les poussent à se reproduire, en Europe. Par ailleurs, les plus âgées préfèrent hiverner en Europe parce que la migration « est une épreuve difficile », la traversée du Sahara notamment.
Des cigognes 100 % Marocaines. Aussi, à ces cigognes blanches européennes s’ajoutent les cigognes blanches marocaines. Elles sont observables dans la région de Marrakech ou vers Kénitra. « Si vous voyez une cigogne entre fin mai et fin août, c'est forcément une 100 % Marocaine », nous raconte Brahim Bakass. La disparition d’autres espèces inquiète davantage cet ornithologue : l’ibis chauve (dont la dernière colonie à l’état sauvage se trouve au Maroc dans la région d’Agadir), dont il ne reste que 600 couples dans le monde, qui souffre de l’impact humain, l’outarde houbara, espèce de dinde africaine victime de la chasse, le turnix d’Andalousie, présent seulement dans la région d’El Jadida, mais menacé par l’activité agricole ou de manière générale les rapaces, comme le gypaète barbu, un énorme vautour dont on recense seulement une dizaine de couples au Maroc aujourd’hui. Le réchauffement climatique et l’activité humaine polluent et détériorent leur habitat naturel.
(source, https://www.laverite.ma/migrations-des-cigognes-blanches-au-maroc-les-cigognes-ne-font-plus-le-printemps/) 25 janvier 2024 Selon plusieurs observateurs marocains, le pourcentage de cigognes blanches qui venaient nicher au Maroc a baissé de 63 pour cent en quelques décennies. Un indicateur majeur des changements climatiques qui ont touché le territoire marocain. L’image d’Épinal des deux cigognes qui portent un bébé dans ses langes n’est pas prête de quitter l’imaginaire des enfants marocains. Il y aura toujours des cigognes nichées sur les hauteurs, au pic des minarets, sur les poteaux électrique, les pylônes haute tension et d’autres endroits en hauteur, égayant l’atmosphère de leurs coups de bec aux sonorités bien spécifiques. On verra toujours des cigognes, mais de moins en moins. Car les chiffres avancés par l’association marocaine de défense des cigognes, Aprocib, présidée par Abderrahmane Chemlali, sont alarmants. Plus de 63 pour cent de ces échassiers ne viennent plus sur le sol marocain.
Une baisse notée entre 1973 et 2005 et dont les tendances se confirment davantage ces 20 dernières années. En cause selon l’association, les changements climatiques, mais aussi le braconnage. Les spécialistes avancent aussi la thèse des dépotoirs à ciel ouvert où pullulent les sacs en plastique qui, une fois ingérés par les cigognes, les étouffent et elles en meurent. À la lumière de ces nouvelles données, les cigognes qui venaient d’Espagne pour nicher en Mauritanie ou au Sénégal avec de longues escales au Maroc, deviennent de plus en plus rares.
Le mauvais sort ! Les réalités du terrain sont simples : le Maroc est un pays sec. La nappe phréatique, comme on le sait, s’appauvrit d’année en année. La désertification gagne du terrain et une large partie du territoire marocain est désertique. Les cigognes se rabattent sur les décharges publiques et mangent ce qu’elles trouvent. Impossible pour elles, comme l’avancent les responsables de l’association de défense des cigognes, de pourvoir aux besoin de leurs petits qui s’élèvent à plus de 140 kilos de viande. Ceci pour les 70 premiers jours après la naissance des cigogneaux. Inutile de préciser que c’est là une quantité impossible à amasser et que les charognes ne courent pas les poubelles. Restent donc les détritus, les nourritures décomposées des décharges. Et là les risques sont importants pour les échassiers. Il faut aussi parler de cette légende urbaine qui voudrait que la viande des cigognes soit un bon remède contre le diabète. Plusieurs braconniers se sont spécialisés dans ce créneau en piégeant des cigognes et vendant leur chair à des prix assez important. Certains avancent le chiffre de 200 dhs le kilo. Il faut dire que la légende court et que les malades sont prêts à débourser pourvu que cela marche.
L’oiseau presque sacré. Pourtant au Maroc, la cigogne est un oiseau très aimé. Il est aussi protégé et presque sacré. Comme dans de nombreux pays africains, la cigogne est un oiseau porte-bonheur. La légende populaire nous apprend que la cigogne serait un imam. C’est aussi un saint homme qui serait habillé de deux burnous, en noir et blanc et qu’il veille sur les gens et les protège. Le mythe nous dit que ce saint homme a un jour manqué d’eau pour ses ablutions. Il a alors recours au petit lait pour se laver et faire sa prière. Mais le petit lait est béni dans cette région du Sahara marocain. Il est aussi rare et c’est un péché de le consommer de cette manière. Le saint homme est alors métamorphosé en oiseau. Et il est expédié au Maroc pour trouver la rédemption. Certains voient dans le fait que les cigognes nichent sur les minarets des mosquées un signe de piété et de sacralité. Mais aussi bien les mythes et les légendes ne peuvent rien face aux changements climatiques. Les cigognes sont touchées de plein fouet par la montée des chaleurs, la sécheresse et le manque d’eau. Et quand l’homme s’en mêle, c’est généralement mauvais signe.
Quelques chiffres. 24 000 couples étaient recensés avant la seconde guerre mondiale, leur nombre est passé à 12 000 en 1940, puis à 13 500 en 1973, pour s’effondrer à 5 000 couples en 1995. Le recensement de 2015 risque d’être plus alarmant.
(source, https://www.comptoirdesvoyages.fr/blog-voyage/maroc/ou-voir-les-cigognes-au-maroc/mar) Laurie Arnauné, 18 mars 2024. Pays d’émigration, le Maroc n’en demeure pas moins une terre d’accueil pour de nombreux oiseaux migrateurs. C'est le cas des cigognes européennes, qui s'envolent vers les terres chaudes et clémentes de l'Afrique dès la fin du mois d'août. Certaines prendront leurs quartiers d’hiver au Maghreb, où les attendent déjà leurs cousines africaines. Focus sur trois lieux où vous pourrez les observer lors d'un séjour au Maroc.
Le Chellah à Rabat. Les cigognes vouent une fidélité absolue à la capitale du Maroc. Elles y sont comme chez elle, sur les minarets des mosquées comme les murailles crénelées des remparts historiques. Elles investissent même sur les antennes-relais, où elles n’hésitent pas à exposer leurs œufs aux ondes électromagnétiques de Maroc Telecom.
Mais s’il y a un lieu où vous risquez de tomber nez-à-nez avec des cigognes, c'est bien le Chellah. Avec leur plumage blanc et leurs rémiges noires, les majestueux échassiers envahissent les berges de l’oued Bou Regreg. Elles s’y adonnent à leur activité favorite : la pêche. Elles rejoignent ensuite leurs nids perchés sur le site archéologique du Chellah, qui surplombe la vallée du fleuve Bou Regreg. Si vous comptez le visiter, préparez-vous à un concerto de caquètements*. À l’approche du crépuscule, les coups des becs saccadés et rythmés redoublent d’intensité, comme pour rendre grâce à ce moment d’éternité. Et, tandis que le ciel rougeoie, on finit par se demander si ces cigognes n’auraient pas des origines gnawa (communauté réputée au Maroc pour ses chants religieux, ndlr).
Le palais El Badi à Marrakech. Vous les pensiez débordées par une livraison de nouveau-nés en Alsace ? Que nenni ! Elles se sont fait la malle sous le soleil de Marrakech et coulent des jours heureux dans l’enceinte du palais Badi. Haut perchées sur les murailles saadiennes du XVIe, elles peuplent les ruines d’un palais considéré en son temps comme le plus majestueux du Royaume. Une façon, peut-être, de rendre hommage à l’histoire oubliée de l'édifice, pillé en son temps pour enrichir la cité impériale de Meknès voulue par Moulay Ismaïl. À moins que les cigognes ne se réservent simplement des places de choix pour claquer du bec à l’occasion du Marrakech du Rire, organisé dans l’enceinte du palais … Qui sait ? En attendant, elles vous offrent de jolis prétextes de photos et de découvertes.
La kasbah des cigognes à Ouarzazate. Voici un lieu dont le nom est loin d'être usurpé. La kasbah des cigognes est située à deux kilomètres de Ouarzazate, dans le Sud marocain. Cette ancienne propriété des Glaoua, jadis appelée kasbah Tamesla, n’est plus habitée que par de majestueux migrants volatiles. Installés face aux vergers, les murs d’enceinte en pisé offrent une place de choix à leurs nids de branchages. Les colonies de cigognes y scrutent les eaux paisibles de l’oued avant d'y pêcher dans de grandes envolées. Si la forteresse n’est plus qu’un champ de ruines, son site, lui, est idéal pour les contemplatifs. Asseyez-vous, écoutez, levez les yeux et retenez l’instant… Les échassiers vous montrent les lumières de Ouarzazate qui scintillent au loin, dans la magie du crépuscule.
Chassé-croisé dans les airs marocains. Elles seraient 100 000 cigognes originaires d’Europe à emprunter chaque année le détroit de Gibraltar dès la fin du mois d’août. Objectif du voyage ? Atteindre le soleil de la Mauritanie et du Sénégal. Les cigognes originaires du Maroc migrent au même moment de l’année. Mais de nombreuses cigognes se sédentarisent … Un peu de soleil et de nourriture et elles interrompent leur migration pour se poser au Portugal, en Espagne, et bien sûr ... au Maroc.
* Une cigogne claquette, craquette ou glottore (cigogneau) mais ne caquette pas [note de Q.T.]
Commentaires : si l’article de Telquel et un peu celui de La Vérité (le titre n’annonce rien de bon, qui peut dire aujourd’hui qu’il détient, révèle la Vérité?) apportent quelques informations, pistes, bref présentent de l’intérêt, le « post » de Laurie Arnauné, bien placé dans les résultats de recherches Google, est affligeant comme tout ce qui traînent sur ce type de sites, qui visent à remplacer les guides papiers. Laurie Arnauné enfile les clichés, n’a rien vu du Maroc, « Pays d’émigration » dont on comprend mal la présence au début du « post » et son lien avec les cigognes, mais les millions de touristes iront dans les lieux cités surtout au Palais el Badi – les touristes ne connaissent quasiment que Marrakech, devenue la première porte d’entrée au Maroc ; avant d’accueillir irrésistible Marrakech du Rire de Jamel Debouzze accueillait le Festival National des Arts Populaires du Maroc.
Photographies, ici
© Copyleft Q.T. 19 janvier 2025
Dans la page intitulée « LA VIGIE DES JEUNES », on découvre l’épisode 12 du Tour du Maroc par deux enfants. La Vigie Marocaine du 27 octobre 1954, (Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
LE TOUR DU MAROC PAR DEUX ENFANTS – CHAPITRE 12
LES PONTS DE KASBA-TADLA La route de Boujad à Kasba-Tadla est presque droite. Seul, un grand virage, qui parait interminable, brise la monotonie du tracé. Vraiment, le paysage est très beau. Maintenant, les montagnes du Moyen-Atlas sont très proches. Elles ne sont pas assez hautes pour avoir de la neige toute l'année. Cependant, quelques uns de leurs sommets bleus sont déjà tachés par ci, par là, dans des recoins qui échappent aux rayons du soleil. Le Moyen-Atlas ressemble aux montagnes de Savoie, près du lac Léman, dit M. Perret.
- Ou encore aux monts du Jura, dit Monique, qui se souvient de ses voyages en France.
- On dirait que la route est barrée par la montagne. Où irons nous ? demande Jean-Pierre. Vers le Sud ou vers le Nord ?
- Nous allons d’abord à Kasba-Tadla, répond Mustapha, puisque c’est là que je m’arrête. C'est une petite ville, qui est la capitale de la région du Tadla, dit M. Perret. Elle doit son nom à un château-fort que le sultan Moulay-Ismail fit construire au XVIIme siècle.
- Est-ce qu’il habitait dans cette kasba ? demande Mustapha
- Non, elle lui servait de point de résidence momentanée lorsqu’il parcourait son empire. Il en a fait construire d’autres, un peu partout, afin de voyager en toute sûreté.
- Que craignait-il donc ? Ne voyageait-il pas dans son pays ? Demanda Jean-Pierre.
- Il craignait d’être attaqué par des tribus qui ne reconnaissaient pas son autorité. Toute l'histoire du Maroc est pleine de guerres civiles, et les kasbas, crois-moi, rendaient de grands services aux sultans ».
Avant d'arriver à Kasba-Tadla on aperçoit un monument très haut qui domine le plateau. Il a été construit pour honorer les soldats qui sont morts il y a quarante ans, pendant les combats du Tadla.
« Il y avait donc encore des guerres civiles au Maroc ? demanda Jean-Pierre.
- Les Berbères du Tadla ne voulaient pas se soumettre au sultan, et les troupes françaises ont dû vaincre leur résistance. Ces Berbères étaient des hommes courageux et loyaux. Après avoir fait leur soumission, ils sont devenus les amis de la France, et la région, pour la première fois dans l’histoire du Maroc, a été complètement pacifiée.
- Quel est ce fleuve qui sépare la ville de la montagne ? demande Jean-Pierre.
- C'est l’Oum er Rebia, l’un des plus grand fleuve du Maroc, répond Mustapha. Ma carte m’a dit qu’il se jette dans l’Océan Atlantique près d’Azemmour, à 80 kilomètres au Sud de Casablanca.
Deux ponts permettent de franchir l’Oum er Rebia à Kasba-Tadla. L’un est moderne, et l’autre est ancien. Il faut choisir entre l’un et l'autre. M. Perret, qui prend soin des ressorts de sa voiture choisit le pont moderne. Kasba-Tadla est une petite ville bâtie sur quelques collinettes, et l’on peut s’y perdre facilement, comme dans toutes les petites villes. Monique admire les vêtements des femmes berbères, leurs longs manteaux et leurs visages dévoilés. Des hommes vont et viennent, les uns à pied, les autres à cheval. Ils ont une sacoche en bandoulière, et un poignard brille parfois sous leur burnous. Mais Jean-Pierre sait qu'ils sont des amis, son papa le lui à dit. Il les observe en souriant et les Marocains, qui aiment les enfants, regardent les voyageurs en souriant aussi.
Commentaires : le regard de deux enfants, Monique et Jean-Pierre, européens, mais alors qui est Mustapha ? Quel rôle joue Mustapha ? Celui de caution morale, du petit indigène scolarisé par la France ? En 1954 Kasba-Tadla déjà endormie, une petite ville où l’on se perd, je pensais qu’on se perdait dans les grandes villes. Fin octobre 1954, il avait neigé sur le Moyen-Atlas même si ne restaient que des lambeaux de manteau neigeux ; on notera la comparaison constante entre les paysages marocains de montagnes avec ceux d’Europe, le Jura et la Savoie ici, sans les verts pâturages de ces contrées plus septentrionales connus par les deux enfants. On remarquera aussi dans le dernier paragraphe les clichés qui déboulent.
© Copyleft Q.T. 14 janvier 2025
source, La Vigie Marocaine du 29 décembre 1951 (Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
UN NOUVEAU TRONÇON DE ROUTE « RAPIDE » RELIE FQUIH-BEN SALAH À BENI-MELLAL.
Ce tronçon, qui franchit l'Oum-er-R’bia sur un magnifique pont de 88 mètres, permettra de gagner 30 kilomètres entre Casablanca et Beni-Mellal quand la route atteindra Khouribga. C’est un fait bien digne d’être souligné : au cours du dernier Conseil du gouvernement, les rapporteurs particuliers - le Français et le Marocain - ont rendu hommage à l'administration des Travaux Publics, à son directeur, M. Girard, et à ses techniciens, pour l’œuvre admirable qu’ils accomplissent. Et si, au cours des débats qui suivirent, quelques délégués adressèrent des critiques à cette administration, c’est uniquement parce que les crédits qui lui sont affectés ne permettent pas d’entreprendre simultanément tous les travaux exigés par le développement prodigieux de ce pays. De plus, le public n’est guère informé de la lourde tâche qui incombe aux Travaux Publics et c’est à peine s’il apprend, lors des inaugurations ou des mises en service, que tel grand ouvrage vient d'être mené à bonne fin … C’est ainsi qu’un tronçon de route reliant Fquih-ben-Salah à Beni-Mellal, sur la route qui doit relier ce centre à Khouribga, vient d’être mis en service sans que le public ait été au courant de cette réalisation.
Le champ d'action des djicheurs est devenu un verger de Pomone [Dans la mythologie romaine, les fruits avaient leur déesse : Pomone, nymphe étrusque des fruits et des vergers ; note de Q.T.]
L’idée directrice qui présida à la conception de ce tronçon de route, naquit de la nécessité de relier Beni-Mellal à Casablanca par la voie la plus rapide et la plus directe. L’immense plaine de Beni-Amir et des Beni-Moussa où, il y a quelque vingt ans, les djicheurs chleuhs exerçaient leurs coups de main et rapines, est aujourd'hui une région où le miracle de l’eau a transformé une maigre économie pastorale en de riches spéculations agricoles. Là où ne poussaient que touffes de palmiers nains et buissons acérés de lentisques, on voit s'étendre de vertes luzernières aux rendements prodigieux, d’immenses cultures cotonnières et ces interminables vergers de Pomone que constituent les orangeraies aux fruits d’or et les alignements en quinconces d’abricotiers s'allongeant à perte de vue … À peine les travaux de dérivation de l’Oum-er-R’bia ont-ils porté leurs fruits que l’on s’occupe de répandre sur une autre partie de la plaine encore plus vaste, les eaux d'irrigation de l’oued El-Abid.
Le nouvel itinéraire fera gagner 30 km. aux usagers
Ce sont de nouvelles et prodigieuses richesses qui vont sortir sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares d’excellentes terres, auxquelles ne manquaient que l’eau et le travail des hommes. Et, tandis que les Services de l’Hydraulique s’attachaient à retenir et à canaliser l'eau, ceux des Travaux Publics estimaient que la logique la plus rationnelle exigeait qu’on se préoccupe d'évacuer ces futures productions en dotant cette contrée d’artères directes permettant des transports rapides et économiques vers les grands centres de consommation et le port de Casablanca, tête de ligne de l’exportation. C’est ainsi que les Travaux Publics ont été amenés à construire le tronçon de route Fquih-ben-Salah - Beni-Mellal. L’itinéraire choisi ramène le trajet Khouribga - Oued-Zem - Beni-Mellal de 232 à 202 kilomètres, réduisant ainsi de 30 kilomètres l'ancien itinéraire. Si l’on a procédé en premier lieu à la construction du tronçon Fquih-ben-Salah - Beni-Mellal, c’est par suite de la nécessité d’assurer dans le laps de temps le plus court, une liaison normale susceptible de répondre aux besoins du trafic lourd d'approvisionnement et d'équipement des gigantesques chantiers de barrages et autres ouvrages hydroélectriques du vaste système Bin-el-Ouidane - Afourer.
Un ouvrage d'art qui honore la technique française
Le nouveau tronçon, dont les premiers travaux remontent à 1948, vient d'être terminé. Il relie par une chaussée empierrée et bitumée de six mètres de largeur et deux grandes lignes droites ayant respectivement seize et dix-huit kilomètres, la route n° 22 de Rabat au Tadla à la route n° 24 de Fès à Marrakech, entre Fquih-ben-Salah et Beni-Mellal. Au point de jonction de ces deux grandes lignes droites, la nouvelle route franchit l’Oum-er-R’bia au lieu-dit « Mechra-ed-Dahk » sur un pont en béton en béton armé. Cet ouvrage a 88 mètres de long, répartis en trois travées de vingt-quatre mètres et deux avant-becs de 8 mètres aux extrémités. Le tablier est du type tubulaire à travées solidaires reposant sur deux piles. Le pont supporte une chaussée de six mètres de large et deux trottoirs de 0,75 mètre chacun. Il permet le passage de véhicules pouvant atteindre un poids de 100 tonnes. Enfin, ajoutons que le niveau de la chaussée du pont est à 4,14 mètres au-dessus du niveau des plus hautes eaux du fleuve. Cet ouvrage d'art se caractérise, en outre, par la légèreté de ses lignes, l’élancement des piles en rivière et la minceur de son tablier s’intègre on ne peut plus harmonieusement dans le cadre majestueux de la vallée de l'Oum-er-R’bia. Est-il besoin d’ajouter qu'il honore la technique française ? Il nous est agréable d’être les premiers à signaler cette splendide réalisation confiée à M. l’ingénieur Clos, de la Circonscription sud des Travaux Publics, lequel, avec l’aide de plusieurs entreprises privées, vient de doter nos grandes régions agricoles du Sud d’une nouvelle route qui se classe parmi les plus « rapides » du Maroc.
Raymond LAURIAC.
Commentaires : un des dogmes de la « modernité » est la vitesse, le raccourci géographique ; ne nions pas que les français réalisèrent au Maroc des infrastructures, routes, ponts, tunnels, etc., de qualité exceptionnelle qui résistent remarquablement bien ; ne nions pas également que ces réalisations qui honorent la technique française n’étaient pas toutes destinées aux populations locales, que l’économique servait de guide, voire de seul guide, au colonisateur, aux colons.
© Copyleft Q.T. 22 octobre 2024
source, La Vigie Marocaine du 30 août 1937 (Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
KASBAH - TADLA --- LES SPORTS DANS LE TADLA --- UN TOUR D'HORIZON
Kasbah-Tadla. Tous les ans, à l’entrée du mois de septembre, il est toujours intéressant de faire un tour d’horizon sur les différentes sociétés sportives locales. C’est en effet, durant ce mois de septembre que prennent fin les sports nautiques d’été pour céder la place aux jeux violents d’hiver. D’ailleurs, les amateurs de la balle de cuir sont déjà tenus en éveil par le championnat professionnel de France qui a commencé depuis le 22 août. Bientôt nos nageurs trouveront l’eau de la piscine de Beni-Mellal et même celle de l'Oum-er-Rebia trop froides pour accueillir leurs ébats et, à regret, rangeront dans l’armoire jusqu’aux prochaines chaleurs, slips et maillots de bains. Ainsi prendra fin la saison nautique, laissant à tous le grand espoir de la possibilité qu’ils auront l’an prochain de se livrer à leur sport favori dans une piscine tadlaouie.
Chez nos boulistes, la saison n'aura pas de peine à se terminer, pour une bonne raison, c’est qu’elle n’a pas commencé. Où est donc passée cette belle vitalité qui animait, il y a deux ans, « La Boule Tadlaouie » et que nous prenions plaisir à louer et à montrer en exemple aux autres groupements locaux. Encore l’année dernière, plusieurs challenges et coupes furent disputés sur notre boulodrome, une quadrette alla à Rabat défendre les couleurs de la société aux championnats du Maroc. Mais cette année, rien ne fut organisé et très rares furent les boulistes qui allèrent, le soir, de temps en temps, faire une partie. Le pique-nique annuel de cette société, réunion en plein air devenue légendaire, fut même oublié ... c’est désolant.
Dans quelques jours nos joueurs de football rechausseront leurs chaussures à crampons et cette ouverture de la saison de football à Kasbah-Tadla nous laisse rêveur. Nous en sommes, en effet, depuis plusieurs années, toujours à la même place. Au point de vue administratif rien n’a été fait au sein du Sporting, depuis des années. pour donner à cette société la place qu’elle devrait occuper dans le football marocain. Il nous semble pourtant qu'il ne faudrait pas grand-chose pour donner à ce groupement la vie dont il a besoin. D’abord l’affiliation à la 3° F.A. ; c'est une chose qui depuis longtemps devrait être faite, cela permettrait au Sporting de pouvoir participer aux championnats du Maroc en promotion. Nous sommes sûrs de la bonne place qu’occuperait notre onze tadlaoui dans cette compétition. Car ce ne sont pas les éléments qui manquent pour former dans notre région une très bonne équipe de championnats.
N’oublions pas, en effet, que nous avons en garnison un bataillon de légion qui pourrait renforcer singulièrement le Sporting. Nous n’avons qu’à prendre exemple sur le S.A.M. qui est parvenu au faîte du football marocain, grâce aux légionnaires qui jouent dans son équipe première. Seulement, les années se suivent et se ressemblent d’une étrange façon dans notre société de football. Au début de la saison tout va bien ; tout le monde est prêt à fournir les plus grands efforts et à donner le meilleur de soi-même pour la bonne marche du club, mais cela n’est qu’un feu de paille et sitôt le dernier match joué, il n'est plus question de quoi que ce soit ; c’est justement à ce moment-là qu’un comité doit fournir le plus gros travail : l’aménagement du terrain, le renouvellement des bureaux, la préparation de la saison à venir, sont les plus gros soucis des membres d’une société de football. À cette époque-là, que fait-on à Kasbah-Tadla ? … Rien. C’est pourquoi la saison de football qui va s'ouvrir nous laisse rêveur.
Passons, si vous le voulez bien au tennis. Là encore, peu de progrès ou même pas du tout ; cette année le tennis tadlaoui a perdu deux de ses meilleurs membres : le capitaine Dayon de la R.T.O.K.T. et Bayes, du T.C.K.T. Voilà deux unités qu'il sera difficile, sinon impossible de remplacer. Ne ménageant ni leur temps ni leur peine, ces deux joueurs, aussi bien sur les courts qu’au sein des dirigeants des deux sociétés locales, avaient fait du très beau travail pour le tennis tadlaoui. Leur départ reste une très lourde perte pour nos deux clubs qui, depuis, font preuve d'une apathie des plus désolantes. Cette situation est vraiment pénible, d’autant plus que, depuis trois ans, nos deux sociétés de tennis faisaient preuve du plus bel esprit sportif. Elles avaient réussi à mettre sur pied plusieurs compétitions annuelles qui amenaient dans nos murs les meilleures raquettes du Maroc. C’était là la meilleure propagande pour le tennis de notre région, mais pour arriver à la bonne fin, il fallait persévérer encore pendant plusieurs années. La nonchalance qui règne actuellement au T. C.K.T. et à la R.T.O.K.T. nous porte à croire que les efforts de ces dernières années vont probablement rester sans lendemain. Et voilà encore un sport qui semble appelé à subir le même sort que ses confrères tadlaouis.
À dessein, nous avons gardé pour la fin l’AGKT, seule société sportive du Tadla qui ne cesse de progresser. Ce groupement, le benjamin de notre centre, au lieu de marquer le pas que lui donnent en exemple ses aînés, est allé de l’avant et, en deux années, est parvenu à être le club le plus prospère de la région. Un long bravo pour l’AGKT qui mérite les plus vives félicitations. Mais toute médaille a son revers et nous sommes obligé de reconnaître que l’immense travail fourni depuis vingt-quatre mois par ce groupement, représente le labeur d’une seule personne, nous avons nommé M. Totier que nous sommes heureux de féliciter pour les résultats magnifiques qu’il a obtenus de ses gymnastes. Et là encore, tout comme au football, nous restons rêveur devant cette question : que deviendrait l’AGKT si un jour M. Totier, son moniteur général, ne pouvait plus s’occuper d'elle ?
Et voilà où en sont nos sociétés sportives, après plusieurs années d’efforts ; nous ne devons pas avoir peur de regarder la vérité en face ; si nos clubs n’ont pas suivi une marche rétrograde, ils n’ont pas non plus suivi la marche ascendante ; se sont contentés de marquer le pas en attendant le pire. Ce pire ne doit pas venir et c’est à nous, Tadlaouis, de l’en empêcher. D’abord, nous devons chercher d’où vient le mal : au premier plan nous serions tentés d'incriminer la population de cette apathie pour toutes les questions qui touchent le sport, et pourtant cette population, ces commerçants qui semblent des plus nonchalants, nous ont donné, cette année, une preuve éclatante de leur amour pour le sport. Nous voulons parler des efforts considérables de tous les Tadlaouis pour le passage du Tour Cycliste du Maroc dans notre cité. Si l’on exclut l’arrivée du Tour à Casablanca, l’étape de Tadla fut l’étape reine de la grande course. Le hasard fit qu’à Paris nous rencontrâmes la majeure partie des journalistes du Tour ; ils nous firent promettre de les rappeler aux bons souvenirs de ceux qui les y ont si bien reçus.
Voilà qui prouve que les questions sportives ne laissent pas indifférente la population de Kasbah-Tadla. Trop de sociétés sportives et partant de là, trop de bureaux à former pour que, dans un petit centre comme le nôtre on trouve assez de personnes compétentes pour constituer ces différents comités. Et, fatalement, pour combler trop de places, on commet l’erreur profonde de mettre à la tête des clubs des personnes qui ont bien de la bonne volonté mais qui ne peuvent pas donner tête à tout. Voilà, à notre humble avis le mal dont souffrent nos différents groupements sportifs. À cela il y a un remède ... Quel est le malade qui guérit s’il n'est pas soigné ? … Aucun, n’est-ce pas ? Et pourtant, bien souvent, il suffit de peu de chose. Si, par exemple au lieu d’avoir à Kasbah-Tadla cinq ou six sociétés pratiquant chacune un sport, il n’y en avait qu’une, les bonnes volontés réparties en ce moment dans les divers groupements feraient alors un bloc d’autant plus fort qu’il serait seul. Un comité directeur, aidé par autant de sous-comités qu’il y aurait de sports pratiqués, pourrait sans plus de peine que les différents comités actuels, animer d'une belle vitalité toutes les sections composant le club. Alors, peut-être pourrait-on remédier à l’état de choses actuel, navrant à constater, si l'on songe que partout ailleurs les sports en général et le football en particulier prennent chaque jour une extension plus grande.
Commentaires : une longue série de reproches sur la gestion des clubs sportifs de Kasba-Tadla, avec une phrase prémonitoire finale sur le football dont on se demande où s’arrêtera son extension marocaine. Chaque dimanche, voire également le samedi, des groupes de femmes en tenue de sport, « survêtement musulman, sweat-shirt islamique, etc. » selon la terminologie commerciale sévissant sur Internet, bouteille d’eau à la main, papotant ou dissertant, effectuent d’une marche rapide le tour de Tadla, franchissant les deux ponts et frôlant le Monument ; des hommes aussi courent souvent le long des routes s’échappant de l’agglomération ; les terrains de football en synthétique ou terre battue de la ville semblent fréquentés 24 heures sur 24 par des garçons essentiellement de l’enfance à au-delà de l’adolescence, soit au sein de clubs, soit entre potes ; à Beni-Mellal, quasiment face au magasin Marjane, des filles s’entraînent aussi à ce sport qui semble vecteur de tant d’espoirs, le football.
© Copyleft Q.T. 22 décembre 2024
Entre le 07 et le 14 août 1952, La Vigie Marocaine consacra une série d’articles, intitulée Visages du Tadla écrite par leur envoyé spécial Robert Hantzberg.(Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
14 août 1952 VISAGES DU TADLA VII - Celle que l’on n'attendait pas : l’eau a retardé de huit mois les travaux en envahissant la galerie des Ait-Ouarda. Une galerie, c'est un coup de dés. Nous sommes dans le bureau de M. Fougerolle, ingénieur représentant l’Énergie Électrique du Maroc pour les travaux d’Afourer et de la galerie Aït-Ouarda – Afourer. Par là, l’eau descendra jusqu’à la plaine où l’attendront les turbines d’Afourer. Autour du bureau, la cité s’est développée harmonieusement, s’intégrant par son architecture au paysage. La couleur des maisons c’est le rouge, celui même de Marrakech. Inattendus seulement sont les arbres qui, de toutes parts, marquent la présence conjuguée de l’homme et de l’eau : 15 000 pieds mis en terre avec le concours des Eaux et Forêts et qui dépassent maintenant 10 mètres ! Mais l’eau, avant de faire pousser les arbres, constitue un problème, Un coup de dés, certes, mais il fut tout d’abord malheureux.
Les hommes blessés, l’inondation menaçante
M. Fougerolle évoque maintenant avec le sourire cette nuit du 8 octobre 1950 où il fut tiré de son lit par une voix qui s’affolait dans le téléphone. C’était l’eau que les ouvriers perçant la roche au marteau pneumatique avaient brusquement rencontrée : jaillissant sous une pression de 15 à 18 kilos de pression au centimètre carré, l’eau projetait à plusieurs mètres les hommes et leur matériel. On relevait des blessés et l’eau montait rapidement dans la galerie. La situation était grave. Grave mais non pas désespérée, car, quelles que soient les difficultés rencontrées, les techniciens savent bien qu’en cette matière il est peu de problèmes d’insolubles. Il y faut simplement du temps et de l’argent : le temps, c’est huit mois de retard, on le sait maintenant. L’argent ? On en reparlera quand seront terminées les longues additions. L’accident s’était produit au kilomètre 2,550, en partant de l'entrée intermédiaire de Talaat N’Tadout d’où l’on a percé vers Afourer sur 757 mètres seulement et vers la rencontre des équipes qui sont parties d’Ait-Ouarda. On s’attendait à avoir de l’eau, car les études géologiques préliminaires avaient laissé supposer qu'au point de passage des marnes et argiles noires et rouges à la dolomie principale on pouvait trouver de l’eau. Dans quelles conditions exactement ? C’était le mystère chaque jour attendu avec un peu plus d’inquiétude. On essaya d'abord de passer en force. Il fallut bientôt renoncer à cette méthode devant l’importance des débits enregistrés qui dépassaient 200 litres-seconde. Les hommes trempés de la tête aux pieds luttaient en vain contre le flot. Les minces avancements obtenus n’amenaient pas l’assèchement des jaillissements et la montagne semblait vraiment intarissable. Les consultations furent demandées un peu partout, jusqu’aux États-Unis, où les plus grands techniciens américains furent amenés à donner leur avis. On se trouvait manifestement en présence d’un phénomène qui ne pourrait être jugulé que par des méthodes hardies. C'est sur place, dans la galerie elle-même, qu'on nous invite à en juger les résultats.
Le royaume des eaux
Un tracteur nous attend à l'entrée de Talaat N’Tanout pour nous conduire jusqu’à l’avancement, c’est-à-dire au km 3,847, si la circulation le permet, car la voie unique est fort encombrée, nous aurons l’occasion de nous en rendre compte. Il faut tout d'abord revêtir l’uniforme du fond qui rappelle bizarrement celui du pêcheur breton et du mineur de Lens : le casque pour protéger la tête, le ciré et les bottes pour se protéger de l’eau. L’air de la galerie est saturé à 100 pour 100 d'humidité, c’est dire que, malgré la chaleur qui règne dans le Tadla, l’on s'enfonce sans plaisir dans cette atmosphère gluante qu’épaissit encore l’échappement des tracteurs. Le conducteur, un sifflet aux lèvres, écarte des voies les ouvriers qui remontent vers le jour. Nous fonçons dans une nuit que troue avec peine la lumière du phare. Bientôt nous traversons la zone d’où, en flots serrés, l’eau s'échappe des drains fichés dans la voûte. De toute part c’est un jaillissement qu’on ne peut éviter qu’avec peine et beaucoup d’attention. C’est là que les hommes ont si longtemps peiné : perpendiculaires à la galerie principale, des galeries à petites sections ont été creusées, sortes de galeries-laboratoires qui ont permis d’étudier le problème de l’eau sous tous ses aspects, de faire des mesures de pression, d’éprouver la résistance de la roche. Aujourd’hui on les a refermées, mais on en distingue l’entrée qui subsiste comme un témoin de cette période difficile. Car cette période est finie, depuis le 21 juin dernier exactement. date à laquelle on a retrouvé la roche saine.
Des méthodes hardies
Mais comment s’est effectuée cette percée sous le déluge incessant qui noyait tout, hommes et matériel, sous un débit qui, en 13 minutes, suffisait à submerger la galerie en cas d’arrêt des pompes ? Après bien des tâtonnements, les ingénieurs de l’Énergie Électrique et ceux de l’entreprise, travaillant en étroite liaison, ont réussi à mettre au point la méthode dite des « auréoles » qui a donné les meilleurs résultats. À l’aide de sondeuses on perça à travers la roche bourrée d’eau des trous de cent mètres de long qui entouraient l'axe principal de la galerie à creuser. Dans ces trous on injectait sous une pression atteignant 100 kilos un mélange particulièrement étudié d’eau et de ciment. Le ciment très fluide arrivait à boucher les vides et la roche ayant été reconstituée dans son intégralité, en une sorte de monolithe, on avançait comme pour un avancement normal, pendant 95 mètres, laissant seulement 5 mètres de protection avant d'atteindre l’eau de nouveau. On faisait de nouvelles injections sur 100 mètres, on avançait de 95 mètres et l’on recommençait. On injecta jusqu’à 2 600 kilos de ciment par mètre linéaire de galerie et jamais moins de 500 kilos. Mais le résultat était là : on passait. À mesure que la progression s’effectuait, les méthodes mises au point sur place se perfectionnaient et, de huit trous d'injection on arrivait progressivement à se contenter de trois trous en rapprochant insensiblement l’axe de l’injection de celui de la galerie, alors qu’au début le ciment était injecté sous un angle assez large par rapport à la galerie elle-même afin d’épaissir la protection de ciment sur le pourtour. L’origine de cette eau ? Les pluies qu’accumulent 300 kilomètres carrés de montagne et qui se rassemblent dans une vaste cuvette imperméable que le tracé de la galerie traversait.
Les hommes de l'avancement
Nous faufilant entre les trains de wagonnets qui font sans arrêt la navette pour apporter les agrégats nécessaires au béton qui s’effectue sur place, ou pour évacuer les déblais de l’avancement, nous atteignons, dans la zone désormais sèche, le point d’avancement du tunnel. Trois équipes se relaient en permanence jour et nuit pour faire avancer cette galerie. La moyenne est de six mètres par jour, mais actuellement on a largement dépassé cette cadence. Au mur des traces noirâtres : de la houille, dont on trouve depuis quelques mètres des traces de plus en plus nombreuses. La pelle qui s’avance après les coups de mines grignote le tas de remblai et déverse sa charge sur un tapis roulant. Le déblai tombe dans les wagonnets qui, le plein fait, repartent vers la sortie, se faufilant, entre les trains qui descendent, par un jeu compliqué d’aiguillages. Le vacarme des outils, le coup de fouet de l’air comprimé qui claque aux oreilles, le grondement des souffleries assomment le profane que je suis, mais les ouvriers semblent parfaitement à l’aise, et j'en vois qui réussissent à bavarder aussi paisiblement que s’ils étaient verre de thé en main sous la khaïma.
Je n’insisterai pas sur les travaux classiques qui accompagnent l’avancement : la fabrication du ciment sur place, car il n’est pas question de l’acheminement depuis l’extérieur pour le revêtement des galeries, la mise en place du radier qui ferme le cercle parfait de 4 m 50 de diamètre, la pose des cercles d’acier rond noyés dans le ciment pour renforcer la galerie dans certains passages difficiles. Descendons vers le jour, suivant les gaines qui évacuent l’eau et apportent l’air aux hommes de l’avancement, pour retrouver, en bas un complément d’information sur les travaux qui se poursuivent à l’extérieur.
Bin-el-Ouidane « turbinera » avant Afourer
Nous ne sommes pas montés à Ait-Ouarda, à l’autre entrée de la galerie. De ce côté on a déjà dépassé les trois kilomètres et aucun incident notable n’a entravé l’avancement des travaux. Il reste 3 000 mètres encore pour que les deux équipes se rejoignent et du côté d’Afourer on a avancé de 270 mètres le mois dernier. Mais à l’extérieur on ne s’endort pas non plus. Le gros œuvre de l’usine d'Afourer est fort avancé, une partie du matériel est en place, on commence à édifier l'armature des postes de transformation 150 000 volts, 60 000 volts et 22 000 volts. Les deux tubes de la conduite forcée sont partiellement installés, mais les soudeurs ont dû renoncer à leur travail pendant l’été, car les températures qui régnaient à l’intérieur de ces tuyaux d'acier de 2 m 60 de diamètre où s’effectuait la soudure interdisaient tout travail. La longueur des deux conduites aboutissant aux deux groupes est de 565 mètres pour une chute de 230 mètres. Une conduite de décharge de 1 m 50 de diamètre assure en outre la restitution à l'irrigation du débit de 24 m3/seconde en cas d’avarie d'un groupe ou d’une conduite. Bref, on s’efforce par tous les moyens de rattraper le retard provoqué par l’afflux d'eau. De toute façon, il semble bien que le programme initial devra être révisé et que la mise en service de l’usine de Bin-el-Ouidane précédera celle d’Afourer, contrairement aux premières prévisions. De toute façon, c’est un beau travail qui s'effectue en bordure de cette plaine assoiffée et, le jour où les deux équipes du tunnel se retrouveront, mettant fin à la partie la plus difficile des travaux - encore chargée d’aléas, cependant - c’est une bouteille bien méritée que boiront, suivant l’usage, tous les responsables de cette grandiose affaire, que nous ne pouvons citer tous mais parmi lesquels nous avons plaisir à nommer, autour de M. Fougerolle, qui nous a réservé un accueil sympathique et à qui nous devons les minutieuses explications dont nous avons extrait cet article, MM. Pecoux, ingénieur de l’Énergie, notre guide dans la galerie, M. Ichters, conducteur principal de travaux, M. Huerre, directeur des travaux de l'entreprise Fougerolle chargée de l’exécution de cette tâche difficile, MM. Granié et Arnaud, qui ont attaqué la tête d’Aït-Ouarda, M. Hoizey, que nous avons surpris à l’avancement, M. Pronost, qui suit avec l’attention d'un entraîneur pour son poulain, les progrès de l’avancement, et bien d’autres encore dont les noms mériteraient d'être connus et retenus.
Commentaires : Hommage à une réalisation pleine de prouesses techniques, aux ingénieurs et techniciens, mais comme toujours les anonymes ouvriers, quelle que soit leur nationalité, qui effectuèrent ces travaux dans des conditions pénibles sont oubliés, dans un silence grinçant et de mauvaise qualité (Robert Linhart, L’établi, Éditions de minuit, 1978/1981). Je ne connais pas de chantiers de cette ampleur sans morts, combien expirèrent pour cette réalisation ? Où sont-ils enterrés ?
En plus des trois photographies accompagnant cet article, je joins une photographie du pont de Bin el-Ouidane publiée en 1937.
© Copyleft Q.T. 29 juillet 2023
Entre le 07 et le 14 août 1952, La Vigie Marocaine consacra une série d’articles, intitulée Visages du Tadla écrite par leur envoyé spécial Robert Hantzberg.(Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
REMARQUE : il semble, qu’à l’impression, différents paragraphes du papier de Robert Hantzberg se soient mélangés, je propose ici un texte « cohérent » mais incertain – voir dans les photographies, l’article d’origine.
13 août 1952 VISAGES DU TADLA VI - Une remarquable utilisation de l'eau : le « complexe » de l'oued El Abid. Je n’ai pourtant pas, je vous assure, l’ancienneté qui me donnerait la moindre chance au titre de « vieux Marocain ». Pourtant, dans cette étroite vallée de l'oued el Abid, peuplée comme une de nos riches vallées alpines aujourd’hui, je n’avais rencontré lors de mon premier voyage dans cette région, que le vol des perdrix troublées de temps à autre par les passages des moutons conduits par des pasteurs maigres, cuits aux feux des étés de la montagne. Dans ces premières vallées du Haut-Atlas, des Français qui ressemblaient encore davantage à des explorateurs qu’à des ingénieurs, m’avaient dit en désignant le verrou de Bin-el-Ouidane : c’est là que sera le barrage. Aujourd’hui, six ans après le barrage est là, fermant de ses 135 mètres de béton cette gorge étroite qui avait depuis longtemps tenté les prospecteurs de l’Énergie électrique. Autour de lui, une cité est née, une vie s’est organisée, des rues se sont tracées. En bas, sous le col d’Imin lskha, au pied de la montagne, une autre cité a vu le jour : Afourer. En tout, un millier d’Européens et 4 000 Marocains, montagnards des environs pour la plus grande part, vivent l’exaltante aventure qui modifie les traits de la montagne millénaire.
Un bref retour en arrière
En 1923, les Français s’installent à Ouaouizert, à 7 kilomètres de Bin-el-Ouidane. La même année, des officiers des Affaires indigènes en tournée repèrent le verrou calcaire de Bin-el-Ouidane et signalent le site qui leur semble parfaitement convenir pour la construction d’un barrage. En 1927, un groupe de géologues, MM. Neltner (nous n’avons pas pu éclaircir s’il s'agit de celui qui donna son nom au plus haut refuge du Maroc), Termier, Picard et Despujols, qui représentent les Ponts et Chaussées ou le service des Mines. visitent les lieux. En 1932 et 1933, une brigade composée de géomètres des Travaux publics et de l’Énergie électrique, fait des levés et quelques sondages préliminaires. En 1937, la brigade d’études est reformée. Entre 1938 et 1941, l’affaire est mise en sommeil. En 1942, la brigade d'études s’organise : en 1943, 1944 et 1945, quelques constructions préliminaires sont édifiées à Bin-el-Ouidane. En 1945, l’entreprise Fougerolles attaque. En 1946, le gros du personnel arrive et tous les moyens sont mis en œuvre. Signalons qu’une grande partie des géologues qui constituèrent l’équipe de 1927 participera prochainement à un congrès de géologie qui doit se tenir à Alger et qu’une visite des chantiers dont ils composèrent le détachement précurseur, sera organisée à leur intention. La route qui conduit à Afourer est barrée par un passage à niveau et un écriteau précise qu'il s'agit là d'une route de service. Rappel nécessaire au touriste éventuel qui doit savoir que ce pays-est encore celui du travail avant tout. Bientôt, sans doute, la route sera ouverte largement vers Bin-el-Ouidane, passera sur la crête même du barrage, offrant à l’automobiliste l’un des circuits touristiques les plus beaux du Maroc. D’Afourer à Bin, comme on dit là haut, la route s’étire en lacets sur 25 kilomètres : le 3 janvier 1949, le dernier mètre carré de goudron était coulé. Le gros effort porta d'abord sur la route car il fallait tout apporter de la plaine au chantier : le premier sac de ciment, la première boite de clous, le moindre morceau de planche. Là haut, c’était encore la montagne des hommes ; le monde des machines s'arrêtait au bord de la plaine.
Un programme gigantesque
On connaît déjà, pour en avoir souvent parlé, le plan d'ensemble de ce que l'on appelle le « complexe » de l'oued el Abid. Ce qu'on n’a peut-être pas assez souligné, c’est le degré d’utilisation de l'eau auquel est arrivé, servi par la nature, cet insecte ingénieux qu’est l’homme : l'eau sera turbinée une première fois à Bin-el-Ouidane, elle sera accumulée de nouveau au barrage d’Aït-Ouarda pour traverser la montagne dans un souterrain qui s’ouvre, par des conduites forcées, sur une autre usine située au pied de la montagne. L’eau de l’oued el Abid aura donc déjà donné deux fois de l’électricité avant d’arriver à la plaine, mais ses bienfaits ne s’arrêteront pas là. Elle sera répartie ensuite dans les canaux d’irrigation, à la sortie d’Afourer, fertilisera la plaine des Beni-Moussa qui n’attend plus qu’elle, retrouvera l'Oum-er-Rebia pour le surplus d’irrigation, sera turbinée à Im-Fout, Daourat et Si-Saïd-Machou, et pour finir sa carrière en beauté viendra couler dans votre verre où elle améliore déjà considérablement la qualité de l’Oum-er-Rebia dont la haute teneur en sels divers se trouve ainsi fortement abaissée en raison de la bonne qualité de l’eau de l’oued el Abid, eau des cimes qui a ses titres de noblesse. Ce cercle bénéfique qui se boucle dans votre robinet, c'est à Bin-el-Ouidane que nous en avons vu le départ.
Dans deux mois, mise en eau de Bin-el-Ouidane
Voici quelques mois, les diplomates sud-américains à l'ONU exprimaient leur admiration devant le travail qu'on leur présentait. Il ne s'agissait certes pas des étonnements courtois qu'il convient de manifester dans certaines occasions mais véritablement d'une stupéfaction dont l'intensité ni la sincérité ne pouvaient être mises en doute. Les ingénieurs ni les ouvriers n'ont fait des couronnes qui leur furent tressées de molles litières pour sommeiller à la fraîcheur des montagnes : depuis le passage des Sud-Américains, l’affaire a été menée rondement et l’on annonce, pour fin octobre début novembre, la mise en eau du barrage. Une des galeries de dérivation percée pour permettre l'évacuation de l’oued pendant des crues maxima de 600 mètres-seconde vient d'être fermée. Le barrage est monté par plots, c’est-à-dire par masses de béton accolées l'une à l'autre : sept plots sur treize sont déjà montés jusqu'au sommet, les cinq autres ont presque atteint le couronnement de l’ouvrage. En janvier 1953, on l’affirme, le barrage de Bin-el-Ouidane sera terminé, celui d’Aït-Ouarda également. On a commencé le démontage de la couverture du concasseur primaire : c’est déjà un repli de matériel qui s'annonce ; quant au matériel électrique proprement dit, il commence également à arriver. D’après les renseignements que nous avons obtenus à Afourer, le premier groupe de l’usine turbinera fin 1953. En tout, compte tenu de la régulation du débit de l’Oum-er-Rebia en aval, 600 millions de kWh, pour l'année : 150 millions à Bin-el-Ouidane, 350 millions à Afourer et 100 millions dus à la régularisation du débit sur les usines d’aval. Sans compter l'irrigation !
Un lac de haute montagne
Les populations se disposent à quitter leur vallée que l’eau va recouvrir, et, en bas on achève la construction des trois villages qui vont les accueillir. On l’a dit déjà, le paysage de ces premières vallées du Haut-Atlas royaume du calcaire clair que barre, d'un trait sinistre, le coup de sabre noirâtre des gorges de l’Ahansal, va se trouver considérablement modifié par la naissance d’un lac de vallée dont la superficie, on le sait déjà, dépasser celle du lac d’Annecy avec 3 760 hectares. Ce qu’on n’a pas dit, c’est que les rives du futur lac (déjà indiqué par les cartes qui sortent actuellement des presses de l’Institut national géographique !) seront soumises à une forte évaporation. Les hautes températures enregistrées le jour dans cette région, le faible degré hygrométrique de l’air, favoriseront une évaporation considérable qui améliorera sans doute davantage les conditions de vie locale que le coup d'œil que l'on aura sur les rives où l'on estime que la zone de « marnage », c'est-à-dire de terrain marécageux plus ou moins desséché, pourra atteindre 40 mètres de dénivellation. Que les futurs hôteliers du lac de Bin-el-Ouidane s'entourent donc de toutes les précautions avant de creuser les fondations des constructions que certains ont déjà en tête, Ceci dit, le site devenant convenablement boisé, les accès faciles, une station de tourisme pourrait sans doute se développer rapidement sur les berges du lac où toutes les distractions qu'apportent l'eau et la montagne et qui ont fait le succès d'Annecy, pourront être offertes dans un avenir encore imprévisible.
Commentaires : Toujours le même optimisme « le surplus d’irrigation » qui aujourd’hui et depuis déjà un moment a disparu, surplus qui devait être turbiné plus en aval après son déversement dans l’Oum er-Rbia avant d’être utilisé par les casablancais.es ; optimisme teinté de réalisme « les rives du futur lac seront soumises à une forte évaporation » dont les conséquences sont très visibles aujourd’hui. Le volume de la retenue, initialement de 1,5 milliard de m³ est aujourd’hui affiché à 1,2155 milliard de m³, soit une réduction de presque 19 %, conséquence de l’envasement ? L’absence de pluie, les températures élevées (nouvel épisode caniculaire au Tadla – 46°C prévu à Beni-Mellal – entre le 30 juillet et le 02 août 2024) font que le lac du barrage de Bin el-Ouidane rétrécit de jour en jour, son taux de remplissage est de 4,81 % au 28 juillet 2024.
« La route qui conduit à Afourer est barrée par un passage à niveau et un écriteau précise qu'il s'agit là d'une route de service. Rappel nécessaire au touriste éventuel qui doit savoir que ce pays-est encore celui du travail avant tout. Bientôt, sans doute, la route sera ouverte largement vers Bin-el-Ouidane, passera sur la crête même du barrage, offrant à l’automobiliste l’un des circuits touristiques les plus beaux du Maroc. » étonnant remarque en août 1952, alors qu’en mai 1951, cette route semblait accessible facilement, au moment où le tueur du Tadla y tua 4 personnes.
Ci-dessous, photographie de l’article ainsi que celle l’accompagnant.
© Copyleft Q.T. 29 juillet 2024
Entre le 07 et le 14 août 1952, La Vigie Marocaine consacra une série d’articles, intitulée Visages du Tadla écrite par leur envoyé spécial Robert Hantzberg.(Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
12 août 1952 VISAGES DU TADLA V - D’un ancien désert l'eau en quelques années a fait des Beni Amir, Beni Moussa une des plus riches régions du Maroc Au commencement était le bled. impénétrable, couvert de jujubiers dont seuls quelques rares exemplaires subsistent encore autour des marabouts. Puis cette végétation désolée fut, elle-même, grillée par les étés, rongée par les vents desséchants : le souffle brûlant du sud nivela tout et ce fut l'immense plaine sur l’horizon limité seulement, aujourd’hui, par la poussière des tracteurs au travail. Nous sommes dans les Beni-Amir – Beni-Moussa, l’ancien « petit Sahara » des vieux grimoires qu’une volonté tenace est en train de transformer en Californie. Les 50 à l'ombre ne sont pas rares l’été, ni les moins 4 l’hiver. En bref, c’était un enfer de chaleur ou de froid où la faim était, en surplus, la compagne familière. Entre 1935 et 1950, soit 17 récoltes de céréales, la seule culture possible, 5 ont été nulles, 4 ont remboursé la semence seulement, 5 ont été médiocres avec des rendements de 4 ou 5, 2 ont été moyennes avec un rendement de 8, une seule a été bonne avec un rendement supérieur à 15. Voilà le pays. Quels sont les hommes ? D’anciens Bédouins nomades, pasteurs, guerriers et pillards du temps où la guerre et le pillage étaient à la fois la ressource et la plaie du pays. Cantonnés dans cette plaine supérieure de l’Oum-er-Rebia où nous sommes, non loin de Beni-Mellal, ils vivotaient misérablement, en exil, payant depuis de longues générations le désordre de leurs ancêtres. Les hommes valides s’en allaient vers les villes, le mouton restait l’essentiel des ressources : mais lui-même était soumis à des hécatombes effrayantes : 296 000 bêtes tombaient en 1935, 121 700 en 1939 et, en 1946 encore, 86 000.
Rendre confiance
La première tâche, ce n’était pas sans doute d’amener l’eau voisine de l’Oum-er-Rebia, mais de rendre confiance aux hommes, de les tirer de leur torpeur ancestrale, de lever l’espèce de malédiction qu’ils croyaient voir peser sur eux. Mais l’eau vint avant la confiance. On connaît déjà, dans son ensemble, l’œuvre de l’Office de l’Irrigation aux Beni-Amir - Beni-Moussa et nous n’avons pas l’intention de rentrer dans le détail de ce qui se fait là-bas, dans un silence que trouble seul, parfois, le bruit des grandes polémiques que cette tâche grandiose à fait naître. Le 5 décembre 1941, un dahir créait l’Office, mais, déjà, en 1934, l’Oum-er-Rebia, barré à Kasba-Tadla, envoyait l’eau à 24 kilomètres de là, à Kasba-Zidania, où une petite usine hydro-électrique et l’irrigation commençante se partageaient le flot. En 1938, on se met sérieusement au travail et 8 kilomètres de canal principal irriguent déjà 400 hectares. Aujourd’hui, dans l’ancien « petit Sahara », ces 400 hectares ont l’aspect du bocage normand et des bovins aux flancs rebondis parcourent d’épais pâturages. En 1939, nouveau canal secondaire et 2 000 hectares d'irrigation. C’est la guerre, mais dès 1941, la création de l’Office permet la poursuite des travaux à un rythme accéléré et l’on arrive bientôt à proximité de la route Fqih-ben-Salah - Oued-Zem où les anciens canaux en terre sont remplacés par des demi-buses en ciment, évitant les pertes d’eau et les remontées de la nappe phréatique, À l’heure actuelle, plus de 30 000 hectares ont été mis en valeur. Fqih-ben-Salah pousse de mois en mois, les comptes des fellahs s'arrondissent et ceux qu’il fallait punir voilà cinq ans parce qu’ils refusaient l’eau, sont aujourd’hui sanctionnés parce qu'ils la volent.
Des terres de 20 mètres d'épaisseur
Quand le plein de l’irrigation sera fait avec le système actuel, 40 000 hectares auront été rendus à la vie et l’eau aura fertilisé des terres végétales dont l’épaisseur atteint parfois 20 mètres et que seuls, pâturaient de maigres troupeaux de moutons. Cela, c’est le présent, un présent qu’ont eu à juger les journalistes égyptiens conviés l’an dernier à visiter le Maroc. M. Meddi ben Barka, un des leaders nationalistes marocains, interrogé publiquement sur les résultats qu’il lui, était donné de voir, ne put que dire : « Je reconnais qu’ici, au moins, la France a bien travaillé. » Oublions la restriction volontaire qu’exprimait la phrase de M. Ben Barka et sur laquelle nous n’avons pas l’intention de discuter pour enregistrer avec plaisir la reconnaissance de l’œuvre évidente réalisée par l’Office d’Irrigation sous la présidence de M. Tallec. Mais il y a l'avenir. Dès que l’usine d’Afourer et le barrage d’Aït-Ouarda, dans la montagne, seront achevés (et la durée des travaux prévus peut s'exprimer en mois maintenant) les eaux de l’oued el Abid se déverseront dans la plaine qu’elles enserreront dans un réseau finement tracé de canaux principaux, secondaires et tertiaires. Déjà ces travaux sont activement menés. Une usine a été spécialement créée à Sidi-Aïssa pour la construction des tuyaux d'irrigation. Au centre de gravité de la région à irriguer, cette usine, qui rassemble près de 400 ouvriers, peut produire 1 000 mètres de tuyaux par jour. Construite en un an et demi, l’usine se complète d’une coquette cité destinée au personnel de maîtrise.
Un million de mètres cubes de terrassements
Les entreprises chargées de la construction des canaux principaux au départ d’Afourer ont mis en œuvre des moyens mécaniques extrêmement importants. On imagine fort bien la nécessité de ces mises en œuvre puisque le volume total des terrassements atteint un million de mètres cubes et celui du béton nécessaire au revêtement, 70 000 mètres cubes. Un canal Est, long de 43 kilomètres, d’Afourer à Kasba-Zidania, desservira 30 000 hectares : il complétera la dotation en eau des Beni-Amir et améliorera la qualité de l’eau de l’Oum-er-Rebia dont la haute salinité interdit certaines cultures. Un canal Ouest longera le pied de l’Atlas, desservant 31 000 hectares et par une tranche parallèle situés à mi-distance de l’Oum-er-Rebia et de la montagne alimentera une superficie de 29 000 hectares. Un canal dirigé plein nord rejoindra directement l’Oum-er-Rebia distant de 15 kilomètres et, enfin, à la demande du général Juin, examinant lui-même les travaux sur place alors qu’il était Résident général, en 1949, une prolongation du canal ouest permettra d’irriguer par la suite une vingtaine de milliers d’hectares dans la région d’El-Kelaa des Shrarna. « Nous avons réussi dans les Beni-Amir où la terre est moins riche que dans les Beni-Moussa, avec l’eau de l’Oum-er-Rebia, de moins bonne qualité. Pourquoi n’irions-nous pas au devant d’une réussite sur des terres excellentes avec une eau de toute première qualité », dit-on à l’Office quand l’oued el Abid nous alimentera ?
Une réussite incontestable
Ne nous attardons pas sur les conséquences humaines de la réussite que constitue à ce jour l’expérience de l’irrigation dans les Beni-Amir - Beni-Moussa. Chacun les imaginera de lui-même : standard de vie amélioré, état sanitaire en constant progrès, cellule familiale soudée par l’attachement à la terre, remembrement de la propriété, élargissement des activités, etc. On sait que le coton a trouvé une terre d’élection dans les périmètres irrigués où les qualités et les rendements atteignent le niveau des plus belles productions, celles de la basse vallée du Nil ; en 1951, on avait planté 290 000 oliviers, 56 000 abricotiers, 61 000 figuiers, 55 000 amandiers et même de nombreux plants de vigne, nouveaux venus, qui prennent leur place avec assurance. Non seulement les surfaces, mais encore les rendements augmentent sous la direction des fermes-pilotes dont les moniteurs, des Européens le plus souvent, gardent les pas hésitants des fellahs encore peu familiers avec les techniques de l’irrigation. Les erreurs du début - quelle expérience n'en compte pas ? - ont été redressées : l’eau est utilisée plus judicieusement, la lutte antipaludique est à l’ordre du jour, les méthodes culturales sont simplifiées au maximum : un labour préparatoire sur irrigation massive destinée à ameublir le terrain et un labour léger sur lequel le grain est semé à la volée. Enfin, on s’efforce de faire varier au maximum les cultures, compte tenu des différents besoins des marchés. La commercialisation des produits récoltés doit se faire, évidemment de façon à amortir dans les meilleures conditions le financement annuel de leur exploitation. Ces richesses, qu’on ramasse en se baissant (mais en se baissant souvent et bien bas, car les travaux de la terre restent pénibles), c'est l’eau qui les apporte, l’eau qui, avant d'arriver à la plaine, sera durement travaillée dans les puissants engrenages d’un « complexe », comme on dit, sans égal au Maroc et que nous allons étudier dès demain.
Commentaires : Il est impossible de nier le progrès en terme de « bien-être humain », voire les propos de Mehdi ben Barka, apporté par la réalisation de ces canaux d’irrigation, comme il est impossible de nier que les cultures implantées dans le but de faire de la région une Californie marocaine, sans océan, ne sont pas que des cultures pour assurer les besoins alimentaires des populations marocaines, mais surtout des cultures d’exportation, du capitalisme agricole basique.
Photographies, ici ; des photographies identiques apparaissent avec une légende différente sur le site d'origine, https://basedoc.diplomatie.gouv.fr/ ; ne pas se fier aux dates du type 01/01/1950 ou 1952 qui ne sont probablement pas exactes. Ci-dessous, les deux photographies qui accompagnaient l’article de La Vigie Marocaine.
© Copyleft Q.T. 26 juillet 2024
Entre le 07 et le 14 août 1952, La Vigie Marocaine consacra une série d’articles, intitulée Visages du Tadla écrite par leur envoyé spécial Robert Hantzberg.(Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
10 août 1952 VISAGES DU TADLA IV - À son tour après un long sommeil Beni-Mellal connaît le « boom » des grandes villes marocaines. Au pied de la montagne, noyé dans la verdure qui lui vient de la source dont le débit semble éternel, voici Beni-Mellal. L'activité est si grande malgré la chaleur de cette matinée finissante qu'il faut se frayer le chemin à coups d'un klaxon qui n'émeut d'ailleurs pas une population apparemment tout entière répartie sur la chaussée. « Beni-Mellal a ses titres de noblesse, nous dira tout à l'heure M. Tallec, chef du territoire, et j'ai une foi entière dans son avenir. Il y a ici 16 000 habitants marocains, 3 000 israélites et 700 européens, mais le mouvement démographique général nous laisse prévoir une importante augmentation dans les années qui viennent ».
Le siège du territoire domine la ville d'une vaste terrasse qu'enjolivent les fleurs. En bas, c'est le fouillis verdoyant des oliviers que le vent blanchit par moments, plus loin, la ville sur laquelle plane le cri des maçons nullement découragés par l'heure terrible où le soleil semble fondre et couler sur les épaules des ouvriers. M. Tallec, qui réunit les doubles fonctions de chef du territoire et de directeur de l'Office d'Irrigation, a de bonnes raisons pour croire en l'avenir de Beni-Mellal. Ces raisons, il nous les expose d'une voix nette, au débit pressé et assuré, sortant de sa mémoire, comme d'un classeur bien tenu, les arguments nombreux qu'il tient en réserve : « Nous sommes au décrochement de deux mondes, le monde berbère de la montagne, les Arabes des plaines. Traditionnellement, Beni-Mellal est un centre d'échange important. Mais tracez autour de Beni-Mellal un cercle de 200 kilomètres, vous ne trouverez nulle part la grande ville qui est le centre des autres régions du Maroc. Ce rôle est dévolu à Beni-Mellal, je n'en doute pas, et mes projets paraîtront bien osés, mais nous avons de solides raisons de croire qu'une cité de l'importance de Meknès [ ??? ; note de Q.T.] viendra occuper une place de premier rang dans les villes marocaines. L'eau, celle que nous avons et celle que nous attendons, en enrichissant la région, nous permet de ne pas douter de notre avenir ».
La spéculation montre son nez
La meilleure preuve du démarrage d'une région, c'est la spéculation sur les terrains qui la donne. En quelques mois, des terrains dont personne ne voulait à 100 francs le mètre s'arrachent à 1 000 et 1 500 francs.
Les capitalistes sont venus, chéquier en main, flairant la bonne affaire, et, le 12 mai 1951, la Résidence générale consacrait officiellement l'intérêt que l'on témoignait çà et là pour Beni-Mellal en publiant un arrêté viziriel prévoyant et réglementant l'extension de la cité. Aux 32 hectares de la ville marocaine actuelle, s'ajouteront 60 hectares d'extension. Une ville européenne va être créée de toutes pièces sur 50 hectares. Le tout s'inscrit évidemment dans un plan d'urbanisme harmonieusement dessiné par les services de M. Ecochard qui mise lui aussi sur l'extension de Beni-Mellal : les bâtiments publics dont l'emplacement a déjà été arrêté sur une terre que commencent à gratter les tracteurs, couvriront 4 hectares environ : on trouvera une poste, des services de police, des écoles, une perception. Pour tout dire, on se prépare à fabriquer entièrement une ville, car, jusqu'à présent, les Européens de Beni-Mellal logeaient dans le désordre, plus pittoresque qu'harmonieux, de la vieille cité dont la prise était annoncée le 16 avril 1913 (c'était hier) dans les termes suivants par la « Vigie Marocaine » : « Le 10 avril, la colonne Mangin quittait Kasba-Tadla à 11 heures du matin et se portait sur Kasba-Zidania où des rassemblements avaient été signalés. Le 11 avril, à 5 heures du matin, le colonel Mangin se porte sur Beni-Mellal. Il atteint l'oued Derna après avoir dispersé quelques rassemblements, et, dans une action rapide et brusque, arrive dès huit heures en face de Beni-Mellal. À 11 heures, l'assaut de le colonne est donné, la colonne occupe le village qui est détruit en partie ». C'était hier, mais c'était la guerre. Aujourd'hui, les oliviers qui ont vu le baroud donnent les fruits gras, une des richesses de cette magnifique cité que les 1 500 litres-seconde de l'Aïn-Asserdoun ont, depuis longtemps, arraché à la stérilité.
Les premiers bâtisseurs sont là
Nous avons traversé les jardins fleuris de S.E. le Pacha de Beni-Mellal, un de nos amis et sympathique joueur de boules, Si Ahmed Ben Boujmaa, pour gagner plus commodément les chantiers où, sans attendre, les particuliers Marocains confiants dans l'essor de Beni-Mellal inscrivent en pisé et en cèdre leur certitude d'une belle réussite collective. Toute cette partie de la ville marocaine n'est qu'un vaste chantier et, de la terrasse d'une maison en construction fleurant bon le cèdre, nous avons pu mesurer l'étendue de l'effort réalisé ici. Cet effort, on nous en donnera une autre preuve en nous contant l'histoire de ces prospecteurs spécialisés dans la recherche du palmier nain, matière première du crin végétal, qui doivent s'éloigner chaque jour davantage de la plaine pour gagner le montagne, Des accords tacites avaient été établis entre les exploitants pour le partage des zones de travail, mais a raréfaction de ces zones fait naître des conflits qu'il n'est pas commode d'arbitrer et c'est dans la montagne que se retrouvent, au coude-à-coude, les anciens exploitants de la plaine.
Une nouveauté législative
La région est actuellement le siège d'une expérience dont nous tenons à parler, bien qu'elle puisse faire l'objet d'interprétations tout à fait opposées, et, dans tous les cas, malveillantes. On a dit parfois que la colonisation française n'avait pas sa part dans les investissements considérables que représente la mise en valeur par l'irrigation des 150 000 hectares des Beni-Amir-Beni-Moussa. On à dit également - et c'était d'ailleurs que venaient les voix, on l'imagine - que les coûteuses réalisations de l'Office d'irrigation ne s'adressaient pas aux Marocains dans toute la mesure souhaitable. Compte tenu de ces opinions divergentes, il apparaît qu'on peut interpréter avec malignité la récente et première application du dahir de 1951 sur la propriété collective, application qui concerne 6 400 hectares des Beni-Moussa : 3 200 hectares ont été attribués à une cinquantaine de colons qui valorisent personnellement par divers travaux d'équipement les 3 200 hectares qui restent attachés aux terres collectives. Les colons paient bien entendu, une soulte et la terre collective reste propriété entière des Marocains qui, grâce à la mise en valeur, s'en partagent la jouissance. Cet exemple de partage qui a été admis très volontiers par les parties en présence profite à chacun, soulage le gouvernement de son effort et, pour tout dire, donne un exemple d'une collaboration dont on aimerait constater plus fréquemment les résultats.
Commentaires : « L'eau, celle que nous avons et celle que nous attendons, en enrichissant la région, nous permet de ne pas douter de notre avenir. », hier comme aujourd’hui les certitudes même les plus aléatoires servent de carburant inépuisable aux politiques qui ne doutent de rien surtout pas de leur importance, de leur valeur, des explications erronées qu’ils et elles formulent pour la marche du Monde, pas le leur, celui des autres.
© Copyleft Q.T. 23 juillet 2024
Entre le 07 et le 14 août 1952, La Vigie Marocaine consacra une série d’articles, intitulée Visages du Tadla écrite par leur envoyé spécial Robert Hantzberg.(Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
09 août 1952 VISAGES DU TADLA III - Nombreux, actifs et courageux, voici les Grecs du Tadla venus dans les fourgons des colonnes. SOMMES-NOUS encore à Kasba-Tadla ? Dans cette petite ville dont toutes les rues se coupent à angle droit - comme à Turin, elle aussi dessinée par des militaires - les enseignes vous envoient dans l'œil des noms aux orthographes insolites : voici Erotokritos, Vounatsos, Xinos, Sawas, Takoorian, Kehayas, Gregorian, Moktaropoulos et bien d'autres que j'oublie. Est-ce encore le Maroc ou le Péloponnèse ? Et, au détour de la rue, allons-nous rencontrer les artilleurs du 64me, les tirailleurs du 6me ou de charmants evzones [Les evzones a été le nom de plusieurs régiments et bataillons d'élite d'infanterie légère de l'armée grecque ; note de Q.T.] en coquette fustanelle ? [Jupe courte, descendant jusqu'aux genoux, plissée et très évasée, qui fait partie du costume masculin traditionnel grec et albanais ; note de Q.T.] Nous n'avons pourtant pas quitté le Maroc mais nous sommes un peu en Grèce, dans l'antique et troublante île de Lesbos, devenue Mytilène [Mytilène est la capitale de Lesbos ; note de Q.T.]. En effet, c'est de l'île, que chantèrent après bien d'autres Pierre Louys et Baudelaire que nous sont venus, dans les fourgons des armées de la pacification, ces commerçants tout d'abord modestes mais fort courageux qui amassèrent sou par sou des fortunes rebondies. Ce n'est pas parce qu'ils venaient de Mytilène que ces commerçants n'y virent que du bleu : fort avisés, ils se rendirent rapidement compte des possibilités que leur offrait la situation, et, aujourd'hui, fortune faite et fort satisfaits, on les retrouve dans la peau bien remplie de commerçants prospères ou de colons habiles.
Le robinet aux souvenirs
M. Sawas est un vieux Tadlaoui : il est même le plus vieux des Tadlaouis puisqu'il débarque, avec sa pacotille, en 1913. Il venait de Boujad après de rudes aventures et, arrivant sur la colline qui domine le centre que les Marocains venaient de quitter, vit sur l'horizon une longue ligne blanche : ce n'était pas la neige, ni la grêle, ni la gelée blanche, et le jeune Sawas se frotta les yeux un bon moment avant de découvrir la vérité : cette neige était constituée par des dizaines de milliers de moutons que les populations en fuite devant les colonnes poussaient devant elles. Bientôt, du reste, elles les abandonnèrent sur place ainsi que des milliers de quintaux de céréales. Nous sommes dans l'arrière-boutique d'une sympathique maison, on a débouché une bonne bouteille bien fraîche, et, le geste ample, l'œil allumé, M. Sawas, qui est également président de la Communauté hellénique du Maroc, ouvre en grand le robinet aux souvenirs. « De 1913 à 14, j'ai vécu sous la guitoune, puis, jusqu'en 1921, sous une baraque de tôles et de planches. La première maison de Kasba-Tadla fut la mienne, construite en 1921. Il n'y avait pas un arbre dans tout le secteur, où plutôt, si, il y avait un seul arbre, un palmier, mort voici quelques années seulement. On attendait le soir pour dîner au clair de lune et si on se risquait à allumer une lampe, les Chleuhs faisaient de la dentelle dans votre tôle à coups de fusil.
- Et les affaires ?
- Les débuts avaient été difficiles, mais on se débrouillait. Je faisais venir des carottes de Marseille : quatre jours de Marseille à Casablanca en bateau, sept jours de Casablanca à Kasba-Tadla à dos de chameau !
« On buvait l'eau de l'Oum-er-Rebia que j'allais chercher avec un bourricot que je chargeais de quatre vieux bidons de pétrole.
- Vous êtes content de suivre la colonne ? me demanda un jour le colonel Mangin.
- Oui, mon colonel.
- Qu'est-ce que vous risquez ?
- Tout, mon colonel, mais je suis venu pour faire fortune. Je réussirai ou je serai tué. »
Le voyage en Amérique ...
Il faut vous dire, précise M. Sawas, que le métier n'était pas sans risque : à l'époque, il fallait un bataillon pour aller de Boujad à Kasba-Tadla, et moi je m'embarquais seul avec ma camelote et mes deux chameaux.
- Comment avez-vous eu l'idée de venir au Maroc ?
- C'est une longue histoire. J'étais en Égypte et, à mon tour, je me pris à rêver de l'Amérique. À Port-Saïd, je prends un bateau allemand qui fait escale à Marseille et à Tanger où je devais attendre un autre bâtiment. Me voici donc à Tanger. Rien à y faire, en attendant un problématique bateau, je descends vers Casablanca. Après de longues discussions, je trouve un hôtel où l'on me reçoit pour deux francs par jour, tout compris. L'hôtel, c'était un long dortoir aux couchettes séparées par une tenture. Il y avait trois hôtels en tout, le premier me demandait 2 francs 50, le deuxième 2 francs 25. J'ai l'idée de suivre les colonnes, avec cinquante Napoléons serrés dans ma bourse, je risque quelques investissements et me voilà parti. Je trouve la colonne Mangin qui avançait vers Marrakech avec difficulté, harcelée par les dissidents largement approvisionnés en munitions allemandes qui arrivaient comme des sardines en boîtes métalliques. Nous passons. Je reviens vers Casablanca par Safi et Mazagan avec le colonne Pelletier, et j'arrive à Casablanca avec 1 200 francs de bénéfice. C'était la belle vie ! J'avais loué quatre chameaux dont deux étaient en permanence sur la route. Le bateau pour l'Amérique était là, mais je décidai de rester et d'essayer de rejoindre la colonne Mangin qui s'attaquait alors à la pacification du Tadla. J'achète un cheval et j'arrive à temps pour servir des carottes au général Mangin à Kasba-Tadla. C'est alors que je suis devenu le premier Tadlaoui, m'installant après le départ des colonnes et devenant colon par la suite.
- Et la Grèce ?
- La Grèce est mon pays, je l'aime et ne l'oublie pas, mais j'ai aujourd'hui 64 ans, mes biens sont ici, mes enfants aussi : c'est au Maroc que je mourrai.
Disons tout de suite qu'il n'en est pas encore question, car M. Sawas fait preuve d'une forme excellente et dirige avec beaucoup d'autorité et de compétence, avec son fils, ingénieur agricole, un très beau domaine que nous avons traversé. Maintenant que les carottes sont cuites et que l'oseille est récoltée, M. Sawas fait du blé.
Mariages par correspondance
Quand le général Guillaume visita récemment le Tadla, il rappela le temps où il se trouvait jeune capitaine, au P.C. du général de Loustal, et demanda des nouvelles de deux Grecs, dont il avait gardé le souvenir. L'un était M. Sawas, l'autre M. Vounatsos, qui se trouvaient tous deux en concurrence sérieuse. J'ai rencontré également M. Vounatsos qui règne aujourd'hui sur un bazar où rien ne semble manquer. Lui aussi est devenu « Marocain », lui aussi quoique Grec, finira ses jours au Maroc, si Dieu le veut. Lui aussi vient de Mytilène, s'est marié, a des enfants ; à la maison, on parle grec mais les enfants portent déjà de nombreuses marques de l'influence du pays.
- Comment se marie-t-on chez vous ? On me dit que vous faites venir de jeunes Grecques et que vous les épousez, parfois sans les connaître ?
- Ce n'est pas exactement ça. Nous les connaissons souvent par l'intermédiaire de nos familles, parfois nous allons nous marier en Grèce et parfois, aussi, on nous envoie des photos, des documents qui nous permettent de bien connaître notre fiancée.
Il s'agit, quand même, on le voit, d'une sorte de mariage par correspondance dans de nombreux cas, mais qui donne de bons résultats à en juger par l'intensité de la vie familiale grecque et le respect des traditions auxquelles les Grecs de Kasba-Tadla restent attachés. Cela est tellement vrai qu'il ne viendra pas à l'idée à une jeune Grecque née au Maroc de rechercher un fiancé qui ne soit pas de sa nationalité.
« J'ai failli être enlevé »
- Parlez-nous des coups durs que vous avez connus ?
- Pas plus que les autres : en 1924 à Beni-Mellal, nous avons failli être enlevés dans notre baraque par des dissidents qui avaient creusé un petit trou dans le mur, en silence, et qui se disposaient à se saisir de mon frère et de moi-même quand le chien donna l'alerte. Il était temps : la moitié du corps d'un Chleuh était déjà engagée dans le trou. En 1932 encore, j'ai reçu des coups de feu sur la route d'Arbala, après Ksiba. Ce fut la dernière alerte sérieuse. Pour le reste, c'était la routine habituelle. Nous remplacions l'intendance dans les postes avancés, vendant de la cotonnade, du sucre, du vin, tout ce qui n'entrait pas dans les vivres gratuits de l'intendance. Évidemment, il y avait des risques. Mais, en ce temps, on ne s'arrêtait guère devant le danger.
Les enfants grecs de la pacification ne parlaient pas de poudre et de balles, mais de boutons et d'épingles. Mais leur comportement n'en fut pas moins courageux et cette enquête dans le Tadla nous en a donné la preuve.
Nous allons quitter Tadla pour Beni-Mellal, non sans avoir bu un dernier verre dans l'un des treize cafés de l'endroit où les Européens, y compris femmes et enfants, sont à peine 1 000, reste des souvenirs, du temps où l'eau était mauvaise, la troupe nombreuse et assoiffée. Mais on nous dit que, la chaleur aidant, les bistrots tadlaouis continuent de faire de bonnes affaires.
Commentaires : Le rêve américain d'un Grec s'échoue au Tadla. On voit encore entre Kasba-Tadla et Ighram Laalam, un marchand ambulant avec sa charette, passant de hameaux en maisons isolées, vendre les objets made in RPC de sa quincaillerie ambulante, il n'est pas grec. Quelle coïncidence, M. Sawas est originaire de Lesbos ; Lesbos porte d'entrée de la forteresse Europe pour des milliers de migrant.e.s en quête d'un monde meilleur, paisible et accessoirement pourvoyeur d'un peu de richesses pour vivre décemment. Existe-t-il des écrits narrant cette migration grecque quittant l'azur et la mer de Lesbos pour l'ocre et la poussière du Tadla ? On remarquera l'humour caustique de l'auteur ainsi que la justification à peine voilée de la présence de nombreux débits de boissons à Kasba-Tadla ; aujourd'hui le chiffre de treize, pour les cafés, est allègrement dépassé. Dans la légende de photographie agrémentant l’article, on relève « Moha ou Saïd qui devait abandonner des munitions, son étendard et … sa correspondance », où est cette correspondance si elle existe ?
Sur le forum, https://solyanidjar.superforum.fr/, consulté le 18 décembre 2022, on trouve une liste de Grecs installés à Kasba-Tadla, dans une publication en date du 26 juillet 2006 signée Tarzan (copie d'écran puis reconnaissance OCR avec corrections manuelles)
LA VILLE DE KASBA-TADLA, La « ville grecque du Maroc ».
Jamais autant de grecs, dans une petite ville :
LEONDARIS Elias, Brasserie Hôtel Restaurant de la République
VOUNATSOS , Alimentation Générale, Vins et Liqueurs
SAWAS Théodore, Alimentation, Café, Hôtel, Restaurant « LES ALLIES »
GREGORIOU Costa
DIAGORAS Georges, Comptoir de Représentation du Tadla.
KAHAYAS Grégoire, Alimentation
KHERAMIDAS Théodore, Mécanographe
LEONDARIS Ihas, Colon
MOKTAROPOULOS Mme Vve, Coiffeuse
STATELIS Panayotis
VANVADELIS Gabriel, Hôtel de Bretagne
VOUNATSOS Miltiadis, Café du Centre
XINOS Georges, Brasserie de la Victoire
Tarzan
Commentaires : très belle liste qui demande confirmation, car le même auteur, semble-t-il, nous raconta quelques boniments sur le forum Dafina (page la ville Kasba-Tadla), à propos du tueur du Tadla et posta sur le même forum (page 5 de La ville Kasba-Tadla, en date 07 avril 2009) des pages de l'annuaire téléphonique du Maroc de 1955 où on lit :
SAWAS (Théodore), Colon
Hôtel-Café-Restaurant des Alliés (Costa Grégoriou ou Grégariou, propriétaire)
Hôtel Café Restaurant de la République (Tokvorian Jean, propriétaire)
Hôtel Terminus, Propriétaire Constantin Grégorian
Costantin Grégoriou ou Grégariou, Cours-Lyautey
Kehayas (Grégoire), Alimentation, rue Gaston-Plateau
Enfin y-a-t-il un lien même ténu entre patronyme et nationalité ? Qui peut préjuger de la nationalité de Bruno-Nassim Aboudrar, professeur d'esthétique à la Sorbonne, auteur du remarquable « Comment le voile est devenu musulman » (Flammarion 2014) ?
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Entre le 07 et le 14 août 1952, La Vigie Marocaine consacra une série d’articles, intitulée Visages du Tadla écrite par leur envoyé spécial Robert Hantzberg.(Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
08 août 1952 VISAGES DU TADLA II - C'est la route qui fait la richesse et grâce à la percée vers le Tafilalet, Kasba-Tadla doit retrouver sa vigueur passée
On se surveille de près dans le coin, et même, je vous l'ai laissé entendre, on se jalouse un brin. En effet, cette région du Maroc voit son intérêt se répartir en plusieurs centres qui sont tous plus ou moins candidats à la suprématie économique et administrative. En venant de Casablanca, on trouve d'abord Oued-Zem. Oued-Zem, c'est le terminus de la ligne de chemin de fer et les mauvaises langues de Boujad, un peu plus loin, vous disent que si le chemin de fer ne vient pas jusqu'à eux, les gens d'Oued-Zem y sont pour quelque chose. À Boujad, à 22 kilomètres de là, on met en avant que l'on constitue l'un des centres marocains les plus importants de la région et que l'enseignement y connaît, notamment, un succès considérable. Cherche-t-on à tordre le cou à la légende du « boujadi » plus riche de douros que de malice, qu'Allah a mis sur terre avec une choukara [grand sac en cuir à rabat porté en bandoulière par les hommes et servant de bourse ou de portefeuille ; note de Q.T.] rebondie pour le plaisir des mauvais garçons de la place de France ou de la place des Alliés à Casablanca ? Toujours est-il que les maîtres sont nombreux à Boujad, leurs élèves chaque année plus savants et que l'on commence à prétendre à jouer un rôle très important, compte tenu surtout de l'importance du souk à bestiaux, l'un des plus importants du Maroc, et de la richesse agricole de la région.
Une menace pour Kasba-Tadla
- Et puis, disent les Boujadis, un jour nous aurons peut-être notre route, sinon notre chemin de fer.
- Mais vous l'avez déjà votre route ?
- Oui, celle qui passe à Kasba-Tadla (là, légère nuance de mépris dans la voix), mais nous pensons que pour aller à Khenifra la véritable route est celle qui passera un jour (si l'on nous écoute) par Sidi-Lamine et qui permettra de couper par le tracé d'une piste actuellement mauvaise mais qui n'attend que d'être améliorée.
Je préfère vous dire que la perspective de voir un jour la liaison Casablanca-Khenifra éviter Kasba-Tadla grâce à la bretelle suggérée à Boujad n'est pas accueillie avec chaleur à Kasba-Tadla dont l'essentiel du trafic vient précisément du passage entre Casablanca, Khouribga. Oued-Zem, Boujad et Khenifra. Ces cousins voisins, opposés par des intérêts divers, constituent décidément une sorte de famille des Atrides qu'unissent simplement les liens inévitables de parenté mais que divisent toutes autres considérations. Kasba-Tadla, menacée sous son flanc droit du point de vue des communications, doit également se garder très sérieusement à gauche où, de plus en plus, l'axe de la région semble être la route Beni-Mellal, Fqih-ben-Salah, Oued-Zem, vers Casablanca, qui traverse le cœur des périmètres irrigués et qui, draine tout le commerce dont cette région, de plus en plus prospère, est le siège ou l’occasion.
Qui défendra Kasba-Tadla ?
Les Tadlaouis se défendent comme de beaux diables et avancent en ordre dispersé, il faut bien le dire, des arguments qui ne sont pas sans valeur. C'est ainsi qu'on déplore très fort que, sur le plan du Conseil du Gouvernement, Kasba-Tadla doive faire entendre bien faiblement sa voix par des porte-parole de Khouribga qui sont fort éloignés de leurs préoccupations et qui, selon eux, ne sont « pas dans la course ».
On semble donc chercher à Kasba-Tadla les hommes - il en existe - qui seront à même de prendre sérieusement en main les intérêts de leur centre.
Pourtant, sur un horizon que nous avons peint de couleurs trop sombres peut-être, une éclaircie vient d'apparaître. En effet, le général Juin, voici quelques années, s'était vivement préoccupé de l'amélioration de la route 24, la fameuse route Meknès-Marrakech par Azrou, Khenifra et le pied de la montagne. Quelques travaux d'élargissement avaient été entrepris alors puis abandonnés. Du côté de Marrakech, on travaille très fort en ce moment à l'amélioration de la route dite « américaine » dont il n'est pas besoin de souligner l'intérêt économique et touristique puisqu'elle longe exactement le pied de l'Atlas pendant une grande partie de son tracé.
Une nouvelle route du Tafilalet
Mais, en outre, un autre motif de satisfaction verse un peu de baume au cœur meurtri des Tadlaouis. On sait que, pour atteindre le Tafilalet et la vallée du Ziz, incomparable circuit touristique et grand attrait du Sud marocain, les automobilistes de Casablanca, de Mazagan doivent paradoxalement se diriger vers le nord pour atteindre Meknès et Azrou d'où la descente s'amorce vers le Ziz. Même pour les habitants de la région de Marrakech qui veulent éviter de difficiles parcours de piste, l'itinéraire du Tafilalet passe fréquemment par Azrou. Le projet qui sourit tant aux Tadlaouis et qui leur amènera incontestablement un grand mouvement touristique prévoit donc la création d'une route qui, après Kasba-Tadla, empruntera en partie la route de Khenifra avant de s'enfoncer dans la montagne vers Kebbab pour atteindre la haute Moulouya avant Midelt.
On passera l'an prochain
Le stade des projets est largement dépassé puisque, du côté de la Moulouya, 27 kilomètres ont été déjà tracés et que ce tronçon sera achevé dans trois mois au maximum. Côté Kebbab, 25 kilomètres de travaux sont en cours, 45 kilomètres restent encore à faire mais, de toute façon, on nous a assuré que, dès l'an prochain, les véhicules qui vont dans le Tafilalet ne seront plus contraints de remonter jusqu'à Azrou pour atteindre leur destination.
C'est évidemment pour Kasba-Tadla une excellente fiche de consolation car le commerce local qui est l'âme de la résistance à l'engourdissement menaçant ne pourra que gagner à cette nouvelle ouverture de route qui placera la ville au terme tout indiqué d'une première étape au départ de Casablanca. Quelques miettes de cette belle machine à dollars et à sterlings qu'est le tourisme au Maroc pourront alors être ramassées par les Tadlaouis, sans parler des escales moins élégantes mais tout aussi rémunératrices des transporteurs qui approvisionnent seuls les différents centres du Ziz et du Tafilalet et qui, dans la plupart des cas, auront intérêt à emprunter l'itinéraire du Tadla.
Telles sont, rapidement évoquées, les perspectives nouvelles qui s'offrent au pays et dont celui-ci ne manquera pas de tirer profit.
C'est la grâce qu'il faut sincèrement lui souhaiter si l'on ne veut, dans un avenir d'homme et pas davantage, voir sombrer dans l'oubli une région dont la seule richesse - importante celle-là et nullement , contestée - vient actuellement de la terre.
Commentaires : Force est de constater que 72 ans plus tard, la ville de Kasba-Tadla, ne bénéficie plus des quelques miettes de la belle machine à fric qu’est le tourisme au Maroc. La route historique entre Marrakech et Meknès via Khenifra, passait par Sidi-Lamine et restait rive droite l’Oum er-Rbia. Les colonnes parties de Kasba-Tadla et qui ravitaillaient Khenifra passaient également par Sidi Lamine.
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Entre le 07 et le 14 août 1952, La Vigie Marocaine consacra une série d’articles, intitulée Visages du Tadla écrite par leur envoyé spécial Robert Hantzberg.(Source, gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
07 août 1952 VISAGES DU TADLA I - Menacée par la concurrence de Béni-Mellal, Kasba-Tadla regarde avec inquiétude vers l'avenir qui l'attend
Le ciel étant clément, les prévisions météorologiques optimistes, j’ai pris la route du Tadla. Tadla signifie la gerbe de blé, mais les gens du cru désignent leur pays, l’été, d’un nom chargé de promesses moins amènes. « Nous sommes, disent-ils, le four crématoire du Maroc ». Et ils exagèrent à peine ces braves gens qui mijotent dans leur jus depuis avril jusqu'en septembre et qui, cette année, avec des 40 à l'ombre, bénissent le ciel de sa clémence.
Dès qu’on s'éloigne de Casablanca, on retrouve le rude été marocain, et à quelques kilomètres de la côte seulement, les soudeurs du pipe-line de Nouaceur se protègent avec des ombrelles comme les baigneuses à Deauville au temps des lorgnons et du duc de Morny. L’histoire du Tadla est étroitement liée à celle de la pacification et c’est sur la vaste plaine qui tremblote de chaleur jusqu’à l’horizon, au pied même de la montagne hostile et inconnue, que le général de Loustal avait établi à Kasba-Tadla son poste de commandement. Autour du P.C., une ville de guitounes et de baraques s’était bientôt édifiée avant que vinssent les premiers maçons. Mais l’essor de Kasba-Tadla se trouva bientôt freiné et, à Tadla, comme on dit là-bas, on lorgne avec inquiétude du côté de Beni-Mellal, en pleine prospérité et, semble-t-il, davantage chargée de promesses.
Les deux Tadla
Il y a, en effet, deux Tadla comme il y a deux testaments : l’ancien et le nouveau. L’ancien, c'est celui des colonnes du général de Loustal, celui dont Kasba-Tadla, qui est resté camp militaire, fut le centre. La pacification l’illustra, les armes lui donnèrent prospérité et, il faut bien le dire, la tranquillité de la paix revenue le remit en sommeil.
L’autre Tadla, le nouveau, c'est celui des tâches pacifiques de la mise en valeur : non loin de là, les périmètres d’irrigation des Beni-Amir et des Beni-Moussa commencent à couvrir la plaine, autrefois stérile, des damiers colorés qui sont le signe de la richesse de cette terre à laquelle seule l'eau manquait. Beni-Mellal, nouveau centre administratif du territoire, connaît à son tour le « boom » qui marqua, ces dernières années, le sort de la plupart des villes marocaines, et cette soudaine prospérité n’est pas sans inquiéter sérieusement Kasba-Tadla riche de souvenirs davantage que d’espérances. Le coup le plus sévère pour Kasba-Tadla fut, évidemment, dans les années récentes, le déplacement vers Beni-Mellal du siège du territoire en 1948, déplacement que rendait nécessaire la mise en valeur d’une vaste région grâce à l'irrigation par l’Oum er Rebia et les eaux de l’Oued el Abid d’Afourer, en même temps que la coordination sur le plan administratif des travaux gigantesques entrepris à Bin el Ouidane, Aït Ouarda et Afourer, travaux destinés à la production d’énergie hydro-électrique mais étroitement liés eux aussi aux projets du périmètre d’irrigation en cours de constitution dans la plaine. Fquih ben Salah devait profiter de cette mise en valeur au même titre que Beni-Mellal. Kasba-Tadla, plus excentrique, se trouvait à l’écart de ce développement que connaît la région. Tel est, dans son ensemble, le problème de la concurrence que connaît soudainement Kasba-Tadla dont la paix tranquille n’est troublée par moments que par les éclats des musiques des unités encore en garnison dans ce qui fut la capitale militaire du Tadla et le centre de la pacification de cette région.
Pas de crise du logement
Une preuve du fait que Kasba-Tadla reste à l’écart de l’essor que connaissent d'autres villes du Maroc (et notamment ses voisines) c’est que le problème du logement ne s’y pose pratiquement pas ; la spéculation sur les terrains est modérée, on n’y trouve pas de bidonville, le prix des loyers est honnête et une chambre m’a coûté 275 francs dans un des hôtels du coin !
Moulay Ismaël, en construisant la kasbah qui lui permettait de contrôler, au passage de l’Oum er Rebia, les mouvements des turbulents Berbères au débouché de la montagne, avait déjà donné à la ville la vocation que découvrit tout naturellement par la suite le général de Loustal. C'est ce que comprennent fort bien aujourd'hui les Tadlaoui qui se rappellent les temps agités mais prospères de la pacification qui permirent la constitution de fortunes solides dont le commerce local porte encore de très beaux restes. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Il y a environ un millier d’Européens à Kasba-Tadla, en pleine saison, c’est-à-dire l’hiver. Les quelques Européens qui restent encore, bravant l’été, on les retrouve à la piscine d’une élégance inattendue dans ce petit centre où un excellent restaurant sert, en plein air, le soir, au son d'une musique alanguie comme l’air qu’on respire, un public clairsemé.
La terre et l'eau
C’est là que la fraîcheur relative des fins de soirée aidant, Kasba-Tadla vous fait ses confidences par la bouche de quelques-uns de ses fils :
- Si l’eau donne la prospérité à Beni-Mellal et aux périmètres d’irrigation voisins, nous pouvons, nous aussi, trouver la fortune. Nos terres sont très riches et ce n’est pas pour rien que Tadla veut dire la gerbe de blé. Depuis les temps reculés de l’ancien Moghreb, nous sommes connus pour la qualité de nos blés. Nous avons également un lotissement maraîcher, l’un des plus beaux du Maroc. Et nous avons aussi de l’eau.
- De l’eau, en dehors de celle de l’Oum er Rebia ?
- Certes, ce que les Marocains appellent le « dir », c’est-à-dire le poitrail, le bord de la montagne laisse couler l’eau. Dans les Beni-Madan, une vingtaine de colons ont 216 litres-seconde à leur disposition. On pourrait, du reste, mieux utiliser cette fortune liquide par l’utilisation de seguias bétonnées, le forage de nouveaux puits. Cette région n’était pas sans eau et les cartes portent encore le tracé de marais asséchés depuis peu d'années et dont les anciens ont conservé le souvenir. En travaillant ferme, avec un peu d’aide et pas mal d’argent, nous aussi nous pouvons bien faire.
- Combien êtes-vous dans le coin ?
- Je vous répondrai hectares : les Marocains labourent de 25 à 28 000 hectares dans l’annexe de Kasba-Tadla et les colons 10 à 12 000 hectares dont 1 000 à 1 500 labourés en association avec des Marocains.
Deux mondes en présence
- Les terres collectives sont-elles nombreuses ?
- Assez, oui. Nous sommes ici à la limite de deux mondes : celui des montagnards berbères, celui de la plaine arabe dont le premier centre de peuplement est Boujad, ville entièrement arabe. Les Berbères possèdent la plus grande partie des terres et la djemaa loue assez volontiers les terres collectives à des sociétés françaises ou à des particuliers. Les bénéfices résultant de cette location sont consignés à Rabat, portés régulièrement au crédit de la collectivité qui les utilise pour forer des puits, acheter des béliers reproducteurs ou tout autre usage à bénéfice uniquement collectif. Ces méthodes donnent de bons résultats et améliorent considérablement le niveau de vie des Marocains tout en facilitant la mise en valeur dans son ensemble.
- La coexistence de ces deux mondes, le berbère et l’arabe, avec leurs usages différents et leur législations particulières doivent donner lieu à d’inextricables chicaya ?
- Les affaires ne sont pas toujours commodes. Celle de l’enfant endormi est une illustration frappante de ces difficultés à juger. Imaginez qu’un montagnard berbère répudie sa femme arabe après cinq ans de mariage, celle-ci ne lui ayant pas donné l’enfant qu’il en attendait. Cinq ans plus tard, la femme revient en pays arabe, s’y remarie. Allah lui donne enfin le fils qu'elle souhaitait depuis dix ans. Rien n’empêche, selon le droit coutumier berbère, son premier mari de revendiquer l’enfant « endormi » selon lui dans le sein de sa mère depuis 10 ans. En général, ces sortes d’affaires se terminent par le versement au père « à posteriori » d’une indemnité variable. À signaler que la réciproque est parfaitement valable et que l’affaire peut se présenter de la même façon en évoquant non plus le droit coutumier berbère, mais le chraa, c'est-à-dire le droit écrit arabe.
- Ces joyeusetés de prétoire, si l’on peut dire, suffisent-elles au bonheur des Tadlaoui ?
- Hélas, non, m’a répondu mon interlocuteur. Pour que nos soirées soient agréables en toutes saisons, pour que nous puissions accueillir dignement les conférenciers qui trouvent le chemin de notre ville, pour recevoir les troupes de théâtres et les quelques amuseurs qui nous font défaut, il nous faudrait une salle des fêtes.
- La voici demandée. Les services compétents entendront-ils votre voix ?
(À suivre) Robert HANTZBERG.
Commentaires : Un colon tadlaoui rencontré par Robert Hantzberg évoque l’existence de marais ; effectivement des cartes anciennes signalent ces marais : la feuille OUED-ZEM au 1/250 000 °, carte américaine de 1956 (source, https://maps.lib.utexas.edu/maps/ams/north_africa/), mentionne de tels espaces humides rive gauche de l’oued Zemkil du côté de Ighram Laalam, comme une autre carte américaine de 1942 au 1/200 000 °, feuille Kasba-Tadla West copie d’une carte française de 1932, lieu-dit Merdja ; une autre de 1890, itinéraire de Meknas à Marrakech, juin - octobre 1890 [Document cartographique imprimé], levé et dessiné par le capitaine d'artillerie soussigné, A. Thomas, Marrakech, 20 novembre 1890 (source, https://bibliotheque-numerique.chambery.fr/) [à regarder sur leur site où la résolution est excellente], indique au Nord de Kasba-Tadla la présence de marais, à Kef el Hallouf ainsi que la présence d’une « seguia importante » entre Beni Mellal et Dar Ould Zidouh, et de nombreux silos. Robert Hantzberg, analyse parfaitement bien le mouvement de bascule entre Kasba-Tadla et Beni Mellal, à la fin de la « guerre de Pacification ». Aujourd’hui tout ce qu’il écrit reste d’actualité, Beni Mellal explose et s’active, Kasba-Tadla dort et attend. On notera la température agréable à Kasba-Tadla en ce mois d’août 1952, seulement 40°C. Un film marocain de 2004, de Yasmine Kassari, l’Enfant endormi, évoque ce mythe de l’endormissement fœtal.
© Copyleft Q.T. 03 juillet 2024
Ce qui dure est ce que l’on fait durer.
Le Mercredi 29 Juillet 2020, le journal l’Opinion – version en ligne – proposait un article sur la ville de Kasba-Tadla, avec un « t » terminal à Kasba (voir photographie récente au rond-point Sud de la ville, là où trône le « I LOVE KASBA TADLA » - love étant symbolisé par un cœur rouge gros comme ça). La ville semblait chercher son avenir en regardant son passé – j’écris comme Macron –, elle semble encore malheureusement le chercher, car en quatre années rien n’a bougé ou alors pas dans la direction souhaitée.
Kasbat Tadla : À la recherche du lustre d’antan
Riche de son patrimoine architectural et civilisationnel, la ville puise dans son histoire en quête d’une réhabilitation dans le cadre d’un développement intégré. Les composantes du legs civilisationnel de la ville de Kasbat Tadla, riche et diversifié, reposent sur trois pôles principaux, représentés par la « Kasbah ismaélienne » construite en 1687 par le Sultan Moulay Ismail sur la rive droite d’Oued Oum Er Rbia, et qui a été longtemps considérée comme le noyau de la ville, ayant marqué les annales de l’histoire richissime du Maroc ; « l’ancienne médina » qui avait rassemblé depuis des siècles musulmans et juifs autour d’un vivre ensemble exemplaire et si singulier et qui comprenait plusieurs Zaouia, mosquées, souks, des espaces pour l’artisanat traditionnel, ainsi que pour le « patrimoine colonial » contemporain avec ses institutions et manifestations civilisées et modernes.
Si de nombreuses sources historiques indiquent que Kasbat Tadla a vu, lors de l’époque médiévale, la succession de plusieurs dynasties, commençant par les Idrissides, les Almoravides, les Almohades et les Mérinides, ainsi que les dynasties Wattassides et Saâdiennes, jusqu’à la Dynastie Alaouite Chérifienne, les lumières vont briller de mille feux durant le règne du Sultan Moulay Ismail, qui avait donné à la Kasbah son lustre d’antan dans le sens où, elle est devenue une base militaire dédiée à la protection de l’ensemble de la région.
Pendant la période de protectorat, Kasbat Tadla va connaître une importante organisation urbaine de son domaine initiée par les autorités coloniales qui ont entamé une urbanisation à grande échelle de la ville qui avait pris une forme moderne. Le Conservateur régional du patrimoine de la région Béni Mellal - Khénifra, Mohamed Choukri, a expliqué qu’avec l’occupation du Maroc par les Français, une vaste zone a été créée à l’Est de la Kasbah ismaélienne qui a formé ce qu’on appelle la nouvelle ville aux caractéristiques architecturales et urbaines « coloniales », et qui comprend de nouvelles institutions sociales et économiques y compris l’église, les écoles, les théâtres, les cinémas, la poste, des cafés, des restaurants et des hôtels, en plus d’un groupe de places et de parcs ...
Pour sa part, M. Al Hassan El Omari, président de la commission des finances au sein du Conseil régional, a souligné la nécessité de renforcer le développement en réhabilitant la ville pour réaliser un décollage économique et social qui bénéficiera à ses habitants, citant les interventions du conseil dans ce cadre, comme la signature de nombreux accords pour la mise à niveau des structures architecturales de la ville. Il a cité à titre d’exemple l’accord signé entre le conseil de la région et le ministère de la Culture pour la réhabilitation de la Kasbah ismaélienne d’un montant de 10 millions de DH, l’accord pour la réhabilitation des abords d’Oum Errabia près de la Kasbah pour renforcer l’attractivité touristique de la ville, l’accord relatif à la réhabilitation de l’avenue principale de la ville (Avenue 20 Août) d’une valeur de 45 millions de DH avec une contribution de 33 millions de DH du Conseil élu de la région, en plus d’un accord de réhabilitation d’un quartier fragilisé d’une valeur de 263 millions de DH avec une contribution du conseil d’environ 25 millions de DH.
Commentaires : « les théâtres », « les cinémas », on aimerait leur nom, leur localisation dans ce que l’on appelle ici « El Cantirat ». La casbah a été partiellement réhabilitée en 2009/2010 (mur et tours de l’enceinte longeant le Boulevard Ahmed el-Hansali), depuis rien sauf des destructions de quelques logements modernes dans la casbah ; on constate de nombreux éboulements : murs et tours de l’enceinte, toiture de plusieurs bâtiments de Dar el-Maghzen, etc. ; il est de plus en plus dangereux de s’aventurer dans certains édifices tant toitures et murs sont fragilisés ; le chantier de réhabilitation s’annonce himalayen, à moins de tout raser ; les rares tadlaouis que je croise lors de mes visites à la casbah sont désolés de l’état de délabrement de ce patrimoine historique. Rien n’a été commencé sur les bords de l’Oum er-Rbia exceptées des plantations d’arbres au milieu des ordures ; le quartier fragilisé n’étant pas cité, on ne peut émettre que des hypothèses farfelues ou se fier à la rumeur. Je reste pantois à chaque fois que je lis « institutions et manifestations civilisées et modernes ».
La photographie accompagnant l’article est prise juste en amont du barrage, au pied du redan que l’on voit dévalant la pente de la casbah en hauteur, vers l’Oum er-Rbia.
Photographies, ici ; noter l’état de dégradation de l’enceinte de la casbah, s’amplifiant avec le temps ; noter également la technique de rénovation mise en œuvre en 2009/2010 (briques en pisé ou enduit en pisé selon les endroits, puis ciment) ; dès les premières pluies l’humidité stagna à la base des murs et tours réhabilités et amorça son travail d’altération, la gravité et le temps prirent le relais, irrémédiablement.
© Copyleft Q.T. 25 mai 2024
Découvert, par hasard sur Internet, une leçon de français de CE1, sur l’Afrique avec comme support une petite fille, Leïla, de Beni-Mellal. Éditeur inconnu.
À la découverte de l'Afrique (page 128)
Bonjour, je m’appelle Leïla et j'habite à Béni Mellal, au Maroc.
Le Maroc est un pays situé au nord de l'Afrique, au bord de l’océan Atlantique et de la mer Méditerranée. Béni Mellal est située au centre du Maroc, au pied du mont Tassemit. Le mont Tassemit est appelé « le mont du froid » car il est recouvert de neige dès le mois de novembre.
Vocabulaire :
* une source : un endroit où l’eau sort de la terre.
* des plantations : endroits où sont plantés de nombreux arbres, pour récolter leurs fruits.
* les souks : les marchés.
* un massif montagneux : une chaîne de montagnes.
Au Maroc, avec Leïla (page 129)
Autour de la ville de Béni Mellal, il y a de belles sources *, et des plantations * d’orangers et d'oliviers. Mon père cultive des oliviers. À l'automne nous ramassons les olives vertes, noires ou violettes. Ensuite elles sont vendues sur les souks*, ou pour faire de l'huile.
Une ville au pied des montagnes
Près de Béni Mellal, il y a un massif montagneux*, le Moyen Atlas. Dans ces montagnes on trouve des lacs et de grandes forêts. En hiver, les plus hauts sommets sont recouverts de neige, comme le mont Tassemit.
Compréhension : Où habite Leïla ? Qu'est-ce que l'on cultive près de la ville de Leïla ?
Expression orale : D'après ce que tu viens de Lire, qu'est-ce qui t'attire le plus au Maroc ?
Expression écrite : Imagine que tu dois expliquer à Leïla où tu habites. Écris quelques phrases pour présenter ta ville et ton pays.
Commentaires : Les photographies des deux pages du livre de l’élève proviennent probablement de banques d’images ; celle avec des montagnes enneigées suggère que nous sommes en présence du Mont Tassemit alors que nous sommes ailleurs dans l’Atlas, certainement dans le Haut-Atlas. Rien n’indique que les autres photographies aient été prises au Tadla. Imaginons un instant une petite fille de CE1, en France, une petite Leïla dont la famille vient de Beni-Mellal, confrontée à ce Tassemit faux, que dirait-elle à l’enseignant.e ?
© Copyleft Q.T. 10 mai 2024
La Science et la vie, 01 août 1954 (source, retronews.fr)(captures d’écran puis reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
L'IRRIGATION DE LA PLAINE DU TADLA, à la faveur d'une révolution agraire porte le progrès au cœur du Maroc
Il fallut triompher de bien des préjugés avant d'obtenir que l'odeur de terre mouillée évoque, pour le paysan marocain, autre chose que le trou d'eau saumâtre, où hommes et animaux avaient l'habitude d'étancher leur soif. L'exemple du Tadla démontre à tous les « fellahs » qu'elle signifie fécondité et récoltes assurées.
La plus extraordinaire révolution du Maroc s'accomplit en secret dans les campagnes. Elle opère dans les esprits, en les convertissant au progrès. Il s'agit de faire accepter les méthodes de culture modernes par des populations dont le fatalisme confine à l’indifférence. On transforme le paysan semi-nomade en agriculteur irrigant ; on lui fait admettre la pratique de l'assolement, on obtient qu'il se soumette à une discipline collective. Bref, on change un nomade du Moyen Age en un fermier du XXe siècle. Prodigieuse transformation, certes, mais que facilitent plusieurs facteurs. Et d'abord, ce fatalisme indigène : il faut savoir que chez ces cultivateurs, c'est moins de l’indifférence qu'une résignation, une soumission au climat, d'ailleurs encouragée par l'islam. Des siècles d’incertitude du lendemain ont brisé les réactions du paysan marocain. Remédier à la sécheresse et vous porterez à son fatalisme un coup extrêmement sérieux. C’est ce que l’on est en train de faire et de réussir.
Deux fois et demie plus de bouches à nourrir
De toute façon, le Maroc devait accroître ses récoltes. Il compte aujourd’hui deux fois et demie plus d’habitants qu'en 1912, à l’époque de Lyautey. La population augmente d'environ 150 000 individus par an. Certes, le « plein » n'est pas encore fait et le problème de l’alimentation est loin de se poser avec la même acuité qu’en Égypte. Pourtant, à la suite de la désastreuse récolte de 1945, il fallut acheter à l’étranger quelques 10 millions de quintaux de céréales. Une nouvelle disette serait beaucoup plus cruelle encore. Aussi s’emploie-t-on au développement de toutes les possibilités agricoles qui, là-bas, dépendent en premier lieu de l’irrigation. Un débit de un litre d'eau à la seconde. c'est la vie assurée pour trois familles. Avec le débit moyen de 300 mètres cubes à la seconde dont dispose le Maroc, ce sera prés d'un million de familles, soit 5 à 6 millions d'individus qui pourront vivre.
L'exploitation est encore trop souvent archaïque
Jusqu'à présent, la courbe « en dents de scie » de la production céréalière traduit, comme c'est le cas de tous les pays méditerranéens, des périodes de vaches maigres et de vaches grasses : crises en 1926, 1930, 1935, 1937 - récoltes excédentaires en 1939, 1940, 1941, 1942 - chute brusque en 1945 où des malheureux mouraient de faim dans les rues (récolte : moins de 5 millions de quintaux). De cette irrégularité on ne peut plus incriminer les sauterelles : on dispose aujourd'hui contre elles de moyens importants et efficaces. Une explication plus valable, c'est que trop d’exploitations agricoles restent patriarcales : on se sert du vieil araire encore tiré par la zouja, cet attelage à deux qui souvent associe un âne et un chameau. Quant aux semences, nulle sélection : le grain pousse comme Allah le veut et les rendements ne dépassent pas 6 quintaux à l'hectare pour l'orge et le blé dur, bases de l'alimentation. Si la récolte est très mauvaise, il ne reste d'autre ressource au paysan, au fellah, que d'emprunter à l'usurier. Quant au métayer, au khammès, qui apporte son attelage et assume une part des frais d’exploitation, il n'a droit qu'au quart ou au cinquième de la récole. Ces méthodes archaïques persistent dans les nombreux endroits que n'a pas touché l'essor des S.M.P. (Secteurs de Modernisation du Paysannat). Liées à la nécessité de laisser les terres en jachère durant 2 ans, elles expliquent que de vastes étendues soient insuffisamment productives. Toutefois elles ont eu longtemps l'excuse d'avoir été imposées par le régime capricieux des pluies. C'est en effet surtout à celui-ci qu'il faut, en définitive, imputer l'irrégularité du volume des récoltes.
En culture sèche : une récolte tous les deux ou trois ans
Le total annuel des précipitations ne signifie pas grand-chose : Meknès reçoit plus d'eau que Paris (624 mm contre 550), la quantité toutefois diminue beaucoup à mesure qu'on descend vers le Sud : Casablanca 396 mm, Marrakech 285, Agadir 187. Mais ce qui compte surtout, c'est la régularité du régime des pluies : régularité de la répartition dans l'année, aussi bien que d'une année à l'autre. L'été extraordinairement sec qui caractérise le climat méditerranéen sévit partout en Afrique du Nord (les pluies estivales entrent pour 5 % dans le total annuel à Agadir, pour 4 % à Casablanca). Juillet voit tomber 5 mm d'eau dans l'Atlas (Bekrit), 2,5 mm à Meknès, 0,8 mm à Marrakech, 0,1 mm à Casablanca. Partout, lorsque les pluies tombent, c'est sous forme de violentes averses, d'un profit douteux pour le sol assoiffé. Quant aux variations d'une année à l'autre, elles sont énormes : Meknès reçut en 1941 : 900 mm d'eau mais en 1945, 200, seulement ! Dans ces conditions, on ne s'étonne plus de la faiblesse des rendements et du peu d'étendue des surfaces cultivées, là où l'eau manque parfois. Les Marocains appellent bled bour toute région où l'on ne peut compter sur l'eau que de façon intermittente ; ils l'opposent au bled seguia, ou zone irriguée. Autrement dit, culture sèche (dry farming) et irrigation sont au Maroc les deux méthodes en honneur. Les résultats sont fort différents. La culture sèche n'est qu'un pis-aller. Il s'agit de conserver au sol la maigre humidité qui suffit aux céréales. Pour cela, des labours répétés entravent l'évaporation en brisant le réseau des conduits capillaires et des crevasses qui se forme dans la terre laissée à elle-même. D'autre part, en détruisant la végétation naturelle, ils procurent l'économie de l'eau qu'elle consommerait. On se contente d'une récolte tous les deux ou trois ans, car les pluies de l'année seraient insuffisantes. On retrouve cette méthode, depuis longtemps en honneur sur les rives méditerranéennes, mais plus ou moins modernisée dans toutes les régions insuffisamment arrosées du globe, des plaines du Far-West au Turkestan, de l'Australie intérieure au Moyen-Orient
Un million d'hectares récupérables
Depuis très longtemps, la technique indigène a su, partout où c'était facile, capter les eaux courantes ou infiltrées pour les dériver vers les champs : rhettaras ou galeries couvertes (afin de restreindre l'évaporation) canalisent l'eau de nappes peu profondes ; ouggoug (barrages de dérivation) et tragraout (barrages de retenue) permettent d'utiliser l'eau des oueds issus de la montagne, ou des grosses résurgences situées au pied des escarpements calcaires. Ainsi s'est formée toute une frange irriguée de véritables oasis de piedmont, le « dir » - littéralement « poitrail » vivant - de la montagne. Tels sont le Sous, sur le versant méridional du Haut-Atlas, et le Haouz de Marrakech, sur son versant septentrional : jardins, vergers, olivettes s'étalent dans la plaine. Dans ces deux régions, où le total annuel des pluies est inférieur à 300 et parfois 200 mm, la culture bour est pratiquement impossible. Là où le bled seguia s'arrête, commencent les terrains de pacage des troupeaux de chèvres et de moutons. La colonisation française, apportant les moyens de la technique moderne, a en quelques années beaucoup étendu la surface des périmètres irrigués. On ne se contentait plus de capter les eaux disponibles en été : on retenait une partie des eaux de crue hivernale pour les restituer durant les mois d'aridité. Dans ce sens, depuis 1930, un gros effort a été fait : six zones « de première urgence » sont en cours d'aménagement. [voir tableau A] Il faut ajouter à ce tableau les innombrables ouvrages de petite hydraulique construits par le génie rural : rectification du tracé des eaux, bétonnage des canaux, bains parasiticides, etc. On arrive en tout au débit actuellement utilisé de 55 m3/seconde sur une capacité totale utilisable d'environ 3003m/s, ce qui correspond à une superficie théoriquement récupérable supérieure à 1 million d'hectares. Les travaux en cours - et notamment ceux de la région du Tadla - doivent permettre de porter de 200 000 à 600 000 ha la surface des zones irriguées (dont 400 000 ha en irrigation continue, contre 80 000 actuellement). En trente ans déjà les cultures maraîchères ont passé de 5 000 à 50 000 ha, le nombre d'arbres plantés de 8 millions à 40 millions. Mais les cultures vivrières, céréales et légumineuses, gardent le premier rang ici comme ailleurs. Le souci dominant, c'est de nourrir la population qui augmente toujours. Il va de pair avec la préoccupation de fournir aux villes l'électricité dont elles ont besoin. Deux raisons donc pour que les grands barrages soient rentables.
La plaine du Tadla : une terre fertile mais calcinée
C'est dans le Tadla que le recours aux méthodes modernes, avec toutes les innovations qu'elles entraînent et les problèmes qu'elles impliquent, revêt le caractère d'une véritable « révolution agraire » Cette plaine, comme sa voisine la plaine des Srarhna, occupe l'emplacement d'un lac de l'époque tertiaire qui se trouvait dans une dépression et que les alluvions des rivières ont comblé. Le sol est l'un des plus riches du Maroc. Des 230 000 ha environ de sa superficie plus de la moitié sont des terres de très bonne qualité, convenant à une culture intensive. Pourtant le Tadla, en raison de l'insuffisance des pluies, reste un demi-désert ; avec le Haouz de Marrakech, c'est la région la plus sèche du Maroc atlantique (200 à 300 mm d'eau par an). L'anticyclone estival, générateur de sécheresse, y séjourne plus longtemps que dans le Nord, les chaleurs y sont effroyables : la station de Dariould-Zidouh y a enregistré les plus hautes températures de tout le Maroc, avec plus de 50°C (nous sommes loin des 42°9 enregistrés à Montpellier un jour de juillet 1904 et qui constituent le record de France !). Aussi, est-ce au Tadla que se trouvait le mieux représenté le paysage caractéristique du bled, brousse calcinée par le soleil, avec à peine quelques palmiers nains (doum) et des jujubiers. Là, une rare population, estimée à 110 000 âmes, se répartissant essentiellement entre les deux tribus semi-nomades des Beni-Amir et des Beni-Moussa, régulièrement décimées par les famines, vivait d'un maigre élevage d'ovins et de récoltes problématiques d'orge et de blé dur (une récolte sûre une année sur six) ; décevante loterie agricole.
500 millions de kWh et 150 000 ha
Or le fleuve permanent le plus puissant d'Afrique du Nord, l'Oum-er-Rbia, et son affluent, l'El-Abid, coulent en étrangers, entre les berges encaissées de cette plaine qu'ils ont contribué à former. Situation paradoxale qui avait déjà frappé Charles de Foucauld, à la fin du siècle dernier. Un premier essai d'irrigation fut réalisé en 1937 : le barrage de dérivation de Kasba-Tadla permit la mise en valeur de milliers d'hectares sur la rive droite de l'Oum-er-Rbia (par le siphon de Kasba-Zidania). En 1941, un « Office autonome des Beni-Amir - Beni-Moussa » reçut la charge d'administrer le périmètre irrigable, aussi bien au point de vue technique que social. Il fallait d'abord récupérer les eaux de fuite des barrages (barrages de Bin-el-Ouidane et Aït-Ouarda) qui, par un tunnel de 11 km à travers la montagne du Tazerkount, alimentent l'usine d'Afourer. Le débit constant assuré aux canaux d'irrigation devait être de 46 m3/seconde, permettant d'irriguer 150 000 ha ainsi répartis : Beni-Amir (rive droite de l'Oum-er-Rbia), 40 000 ha ; Beni-Moussa (rive gauche de l'Oum-er-Rbia), 80 000 ha ; Plaine des Srarhnas, 30 000 ha. Il est à noter qu'en dehors des canaux principaux dont le revêtement en béton sera fait sur place, tous les canaux distributeurs sont préfabriqués et portés sur appuis en béton. Ainsi, l'eau turbinée qui produira dès 1955 plus de 500 millions de kWh (autant que le barrage de Chastang récemment terminé sur la Dordogne), alimentant Casablanca, Fès et Oujda en électricité, servira à l'enrichissement systématique d'immensités jusque là désespérément arides.
Une nouvelle Californie
Au point de vue humain, il fallait éviter la spéculation sur les terres appelées à bénéficier de l'irrigation et, d'autre part, il fallait éduquer des tribus qui se montraient parfois hostiles. Le premier point fut réglé par le dahir de 1938 qui interdit l'achat des terres dans le périmètre du Tadla par des étrangers aux tribus intéressées. Les petits propriétaires marocains furent ainsi protégés contre leur propre inexpérience et l'on évita de voir une masse de fellahs déracinés, ayant vendu leur maigre portion de steppe pour une bouchée de pain, aller grossir le prolétariat urbain des « bidonvilles ». Le second point, l'éducation du paysan, fut mené à bien dans le « périmètre-témoin » déjà irrigué des Beni-Amir de l'Est. Dix-neuf secteurs de 1 000 ha furent progressivement délimités, avec chacun à leur tête un moniteur français chargé de conseiller les paysans sur le plan technique : distribution de l'eau, recherche d'assolements, d'engrais, prêt de semences, d'outils, etc. Des groupes mobiles de motoculture rayonnent depuis 1945 dans les divers secteurs. Enfin, l'Office exploite plusieurs fermes modèles, analogues dans leur rôle d'éducatrices aux sovkhozes soviétiques. On y obtient des rendements élevés. Restaient les deux questions des terres collectives et du remembrement. Celui-ci, en cours dans le Tadla, regroupe en propriétés de dimensions rationnelles le puzzle existant.
Les propriétés s'aligneront le long de grands axes, coupés perpendiculairement par les canaux d'irrigation et les bandes cultivées. Il s'agit en effet, après l'avoir préservée, d'assurer à la petite propriété le bénéfice de la motoculture moderne. Quant aux terres collectives, inaliénables en droit musulman, l'Office passa d'abord (en 1947) un contrat de location avec les tribus, s'engageant à restituer, dans un délai de vingt ans, les terres concédées, avec toutes les améliorations apportées. Ainsi sont nées quatre entreprises dans les Beni-Amir : une pépinière de 100 ha, une association de culture et d'élevage (1 000 ha), une association laitière et une ferme de culture intensive (Sidi-Moussa).
Mais un nouveau stade fut franchi : le dahir de 1951 autorisa, dans certaines conditions, l'aliénation des terres collectives. Les acquéreurs qui prennent l'engagement de résider en permanence sur leurs terres s'engagent à procéder à leurs frais au défrichement, sous-solage et nettoyage d'une superficie égale à celle dont ils ont obtenu la jouissance, au profit des collectivités indigènes, qui la répartiraient entre les fellahs de la tribu. Ils s'engagent, en outre, à payer aux fellahs de quoi acheter un équipement de labour. Ainsi, avec des milliers d'hectares de terres mortes, l'association franco-marocaine fait une « nouvelle Californie »
Les maisons neuves remplacent les tentes d'étoffe
Les résultats déjà obtenus dans le périmètre des Beni-Amir font bien augurer de ce que sera l'œuvre dans l'ensemble du Tadla. De 3 000 ha en 1941, la superficie irriguée est passée à 15 000 en 1945 et à 25 000 en 1952.
Les rendements en céréales, de 3 quintaux en moyenne à l'hectare dans la zone non irriguée, passent ici à 14 et, en certains cas, à plus de 20. Le coton, sur lequel on compte beaucoup, à rendu, en 1951, 14 quintaux à l'hectare d'un coton à longues fibres, comparable à celui d’Égypte. Cultures maraîchères, plantes à parfum (menthe poivrée, géranium), luzernières s'étendent avec d'excellents résultats. Parmi les arbres fruitiers plantés depuis dix ans, on compte 500 000 oliviers, 250 000 grenadiers, amandiers, figuiers et abricotiers et 160 000 plants de vigne. On ne perd pas de vue la question des arbres coupe-vent, eucalyptus et cyprès, destinés à limiter l'érosion éolienne et à protéger les cultures. L'élevage bovin tend à remplacer de plus en plus les races locales, d'un médiocre rapport, par des bêtes de race zaër pure, en attendant d'y substituer la race tarentaise. Quant aux ovins, il a fallu momentanément interdire leur pacage afin de protéger les jeunes arbustes, mais un bel avenir est quand même réservé à leur élevage selon des méthodes évidemment plus rationnelles. La mise en valeur de la plaine entière s'inspirera des enseignements recueillis dans la zone des Beni-Amir. En se gardant bien de la monoculture, dont les dangers économiques sont considérables, on prévoit, pour 1957, qu'on produira : 9 000 tonnes d'abricots, 11 000 tonnes de figues, 1 500 tonnes d'olives et 1 200 tonnes d'amandes. La commercialisation de ces récoltes demandant à être prévue dans le détail, des conserveries, des huileries, des installations de séchage sous diverses formules et des coopératives sont à l'étude. Sur le plan social, enrichissement certain chez les bénéficiaires de l'irrigation ; on le constate aux achats de bétail, aux maisons neuves qui remplacent les tentes d'étoffe, les moualas de branchages et les mechtas de torchis, à l'amélioration de la nourriture et du vêtement, etc. Chez les Beni-Amir, il existe aujourd'hui neuf écoles fréquentées par 1 300 élèves ; il n'y en avait aucune en 1941. L'agglomération de Fquih-ben-Salah, inexistante cette même année, abrite 8 000 habitants, dont 500 Européens. Elle possède ferme-école et infirmerie moderne avec bloc-opératoire.
Une véritable entreprise de civilisation
Sur le plan psychologique enfin, cette révolution agraire a entraîné une transformation complète des esprits. Une tradition d'infortune et de soumission aveugle au cours naturel des choses, expression de la volonté divine, avait enseigné aux fellahs à se résigner docilement à la fatalité. Une sagesse tout empirique se dégageait de cette résignation islamique, fondée sur le mépris d'un labeur réputé stérile. Aujourd'hui, le fellah, surpris de la productivité de la terre, et constatant que sa culture peut l'enrichir, réclame l'eau nourricière. La révolution s'étend à sa façon de concevoir les choses, à sa hiérarchie des valeurs, bref à tout son « genre de vie », déjà très transformé. C'est là l'aspect le plus original de l'œuvre entreprise au Tadla ; au-delà de l'exploitation de richesses abandonnées, elle éduque l'homme et lui donne les moyens de vivre de sa terre, à laquelle il se sentira désormais attaché. La stabilité de la population rurale est ainsi sauvegardée et, par là même, en partie, l'équilibre humain du jeune Maroc. Cette entreprise de civilisation doit servir d'exemple, non seulement pour les zones des Doukkala et des Triffas, qu'on envisage d’irriguer, mais pour tous les fellahs du Maroc.
Paul Wagret
TADLA, PLAINE DE POLYCULTURE ET D'ÉLEVAGE
Le coton à longues fibres du Tadla peut rivaliser avec les meilleurs cotons d’Égypte. Ce sera l'une de ses principales ressources, mais de nombreuses autres s'y ajouteront : arbres fruitiers, cultures maraîchères, céréales, dont le rendement atteint déjà 20 quintaux à l'hectare, plantes à parfum, luzernières, vignes, etc. De nombreuses installations de séchage, stockage et de mise en conserve sont prévues pour les abricots, figues, amandes, etc., ainsi que des huileries pour les oléagineux. L’élevage des bovins est en pleine évolution, peu à peu des races plus pures vont remplacer les races locales : celui des ovins subit une éclipse, qu'on espère passagère, par suite de la nécessité de protéger les arbustes.
Commentaires : Des faits, des réalisations connus et décrits de nombreuses fois mais ici ce qui semble important pour Paul Wagret est l’aspect « entreprise de civilisation » mis en avant, pourtant ... Diên Biên Phu, 07 mai 1954. 70 ans après cet article, le Tadla retourne peut-être tout doucement à son état « ante-civilisationnel », faute d’eau. Combien de semaines de pluies faudra-t-il pour que les barrages du bassin de l’Oum er-Rbia se retrouvent pleins, pour que les printemps soient de nouveaux doux et verts, eux qui sont devenus caniculaires et ocres ?
Photographies, ici
© Copyleft Q.T. 02 mai 2024
MAROC – MONDE du vendredi 27 novembre 1953 (Source, gallica.bnf.fr / BnF) (reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)
BENI-MELLAL, OASIS ET CENTRE ÉCONOMICO-SOCIAL DE LA RÉGION ATLAS-TADLA
En nous rendant à Bin-el-Ouidane, ce fameux barrage d'où jaillira bientôt l'abondance pour de vastes contrées du Maroc, nous avons fait halte dans cette oasis magnifique que, dans la vilaine désertique du Tadla, représente Beni-Mellal, pittoresque village accroché au flanc de la montagne dans un nid de luxuriante verdure. Si, laissant derrière soi les rues populeuses du quartier marocain on s'élance avec la route entre les oliviers qui de toute part enserrent la ville pour aller admirer cette vieille kasbah qui, voici quelques années, fut restaurée par M. Ecorcheville sans nulle atteinte à sen harmonie, comment ne pas se laisser charmer par la douceur de ces lieux humides qu'emplissent, parmi la touffeur d'une verdure aux mille nuances, des rumeurs de cascades ? Au loin, la plaine, ses violets et ses bleus intenses ...
Afflux de population dans la Région de Beni-Mellal
Mais à cause des travaux importants qui s'effectuent actuellement à Bin-el-Ouidane, Aït-Ouarda et Afourer, Beni-Mellal n'est plus aujourd'hui uniquement un village pittoresque. Il est devenu la véritable capitale de toute une région qui est appelée à jouer un rôle particulièrement important dans le Maroc de demain. De partout, des Arabes et des Berbères y affluent à la recherche du travail. Les quartiers indigènes sont déjà surpeuplés et, ici comme ailleurs, l'administration aura à s'occuper de l'épineux problème du logement. Mais ce que nous ignorions et ce que nous avons appris à Beni-Mellal, c'est que la construction des barrages a attiré et continue à attirer une très nombreuse population européenne. De France, d'Algérie, d'Espagne, d'Italie, des hommes et des familles sont venus y chercher du travail. On en compte à l'heure actuelle environ 5 000. Beaucoup certes habitent dans les cités provisoires construites à proximité des barrages, mais très nombreux sont aussi ceux qui se sont fixés à Beni-Mellal. Est-il nécessaire de souligner combien tous ces gens se trouvent ici dépaysés ? Qu'on s'efforce seulement d'imaginer ces femmes de petits ouvriers de France, arrachées à leur banlieue de grande ville, à leur « meublé», pour venir atterrir du jour au lendemain dans une maison du bled, souvent de style marocain où, tout en payant certainement un loyer très élevé, mais parce qu'elles pourront prendre comme domestique une femme du pays, s'imagineront avoir complètement changé de vie ... Les enfants sont, eux aussi, soumis au même complet bouleversement. S'adapter… C'est évidemment beaucoup plus facile à dire qu'à réussir. Et dans bien des cas, c'est la détresse, la déception, l'amertume, quand ce n'est pas le foyer brisé, car l'homme, employé au barrage ou à l'une ou l'autre des entreprises annexes, ne rentre chez lui la plupart du temps qu'à la fin de la semaine … Et que deviendront ces milliers de « déracinés » une fois le gros des travaux achevé ? C'est la question angoissante qui se pose à l'heure où déjà on commence à licencier du personnel ...
La terre a pris de la valeur
La terre à Beni-Mellal et dans les environs ne coûtait à peu près rien naguère. Privée d'eau, elle était dans l'ensemble à peine cultivable et le colon européen l'aurait dédaignée. Mais dès que jailliront les eaux de Bin-el-Ouidane, le désert reverdira … C'est ce qui explique la spéculation effrénée dont, depuis deux ou trois ans, ces terres sont l'objet. Des sociétés et des particuliers achètent aux autochtones des lopins de terre, les groupent et les défrichent. D'importantes entreprises de défrichement se sont installées à Beni-Mellal et ont déjà presque fini de rendre irrigables ces milliers d'hectares. Qui s'étonnera dans ces conditions que les prix des terres se soient décuplés en très de temps. Les fellahs, même si la plupart d'entre eux ne sont pas encore à même d'évaluer les bienfaits de l'irrigation à venir, ne s'en rendent pas moins bien compte de la convoitise dont leurs terres sont aujourd'hui l'objet et, tout naturellement, ils en profitent … Afin de protéger les propriétaires indigènes de leur propre ignorance et pour les mettre à l'abri des spéculations, l'Administration a été amenée à faire prendre en juillet 1938, et à titre strictement provisoire, un dahir interdisant l'achat de terres dans le périmètre irrigué, par tout étranger à la tribu. Ce dahir a été abrogé dernièrement. Mais on a pu ainsi éviter que les populations rurales du Tadla, qui sans cela eussent été rapidement dépossédées à bas prix de leur patrimoine, n'aillent grossir le prolétariat urbain. À l'heure actuelle, la propriété, dans le périmètre irrigué sur la rive droite, se répartit comme suit :
- Terres individuelles appartenant aux fellahs : 20 250 hectares ;
- Terres collectives : 1 200 hectares ;
- Domaines de l’État : 350 hectares ;
- Patrimoine de l'Office : 2 200 hectares ;
- Terres de colonisation : 3 000 hectares.
L'aspect social n’est pas à négliger
Mais en passant à Beni-Mellal, comment ne pas aller visiter le magnifique centre social que l'Entraide franco-marocaine a lancé, voici quatre ans, dans le pays. Sous la dynamique et très généreuse direction de Mlle Jacoliot, une magnifique œuvre d'amitié franco-marocaine a été réalisée. Mlle Jacoliot elle-même s'occupe tout particulièrement des écoles de Beni-Mellal et de la région (dépistage de maladies, isolement des jeunes tuberculeux, orientation vers les préventoriums, etc.). En outre, Mlle Jacoliot a entrepris de venir en aide à ces innombrables foyers de transplantés auxquels nous avons fait allusion. Elle connaît bien le pays : elle peut les conseiller, les guider, leur indiquer les démarches à faire et dans quel sens il convient de les faire. Et surtout elle leur apporte le réconfort de sa présence, de sa compréhension. Un peu de chaleur humaine ... N'est-ce pas là le sens profond de toute véritable entraide ? Sa collaboratrice, Mme Audebert, dirige le dispensaire où, tous les jours, elle donne des soins à plusieurs centaines de personnes. Certaines viennent de très loin, font parfois dix, vingt kilomètres pour venir chercher une guérison, souvent improbable malheureusement, parce que le mal est déjà trop avancé … Mais ce qui se fait, se fait. Grâce à ces deux femmes courageuses et dévouées, même dans le domaine médical et social, Beni-Mellal représente pour le moment un véritable centre pour la région. De l'irrigation naîtront un jour prochain, avec les cultures nouvelles, les villages, les centres administratifs, les écoles et les infirmeries qui les accompagnent.
Maguy MORTIER.
Commentaires : J’avais déjà compris que l’édification du barrage de Bin el-Ouidane fut le point de bascule pour Kasba-Tadla, le moment du déplacement du centre de gravité du Tadla, le temps de l’endormissement tadlaoui débutait. Maguy Mortier affiche une magnifique candeur. Quand je pense aux pauvres familles européennes déracinées qui affluèrent à Beni-Mellal, me revient en tête le mouvement inverse de travailleurs nord-africains seuls, trimant, rentrant le soir dans leur gourbi de cartons et de tôles dans un bidonville français. Certes Mlle Jacoliot et Mme Audebert s’occupent des indigènes et les soignent, que Dieu les bénisse pour leur dévouement, mais ne négligent pas les pauvres déracinés européens. On notera aussi la candeur, liée à l’époque, face aux bienfaits, à la richesse qui découlera de toute cette région irriguée. Merci à la Bibliothèque nationale de France de nous faire revivre ces heures glorieuses du progrès technique et social.
© Copyleft Q.T. 29 avril 2024
extraits de MICHEL BAROIN, Les secrets d'une influence par Jean-Michel BLANQUER (Librairie Plon 1992) (visibilité partielle sur gallica.bnf.fr (https//gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33348160/f9.vertical) ou ici (https://excerpts.numilog.com/books/9782259024938.pdf) ou sur https://books.google.fr/)
pages 30 à 33 du chapitre 2 intitulé, Sciences po + modèle paternel = Police
L'été 1951 promet des réjouissances plus exotiques que d'ordinaire. Michel a décidé en effet de joindre l'utile à l'agréable. Il a proposé à l'un de ses professeurs, spécialiste du Maghreb, Charles-André Julien, de rédiger sous sa direction un mémoire sur « Le nationalisme marocain ». Deux cousines qui habitent le protectorat français sont prêtes à le recevoir et le jeune Baroin affirme qu'il pourra recueillir sur place des renseignements de première main. Le projet est accepté et voilà notre Morvandiau qui traverse pour la première fois la Méditerranée.
Le coup de foudre pour la terre et les hommes d'Afrique du Nord fut instantané. Il apprécia tout de suite ce pays écrasé sous le soleil où les habitants ont gardé les manières et les allures de leurs origines paysannes. De ses premières impressions, il tire une certitude immédiate : le Maroc, c'est déjà l'Orient. Pour s'en convaincre, «il n'est que d'entendre dans le calme du jour qui point (...) résonner la complainte monotone du Muezzin appelant les fidèles à la prière » (1).
En vertu d'une hospitalité que, dans ces régions, les Européens ont su apprendre des Arabes, il est accueilli comme un prince par ses cousines. Elles lui font découvrir un Maroc méconnu où les paysages déserts succèdent aux foules grouillantes des villes.
Rapidement, Michel commence à recueillir des données pour son travail. La situation politique, il la connaît quelque peu pour l'avoir étudiée avant son voyage. Sur place, ses observations viennent confirmer l'opinion qu'il s'était formé : la France est en train de perdre le Maroc parce que aucune politique moderne n'est véritablement entreprise pour partager les pouvoirs et donner à chacun un rôle et une dignité.
Comme un membre de sa famille travaille dans la police, il le suit au cours de ses enquêtes. Il va dans le Tadla, au pied des monts du Moyen-Atlas où les premiers attentats sont commis. Il est reçu par le contrôleur civil de Kasba-Tadla. Il découvre des villages, comprend les intrigues qui se fomentent et les mouvements qui se développent; surtout, il discute beaucoup avec des interlocuteurs de rencontre, caïds, responsables nationalistes ou simples citoyens.
En participant à une enquête sur l'assassinat de deux instituteurs, il se rend compte, en parlant avec les Marocains, de l'importance de l'infiltration du parti démocrate de l'indépendance, du parti communiste et, surtout, de l'Istiglal. Ce mouvement s'appuyait en grande partie sur les zaouias, sortes de confréries religieuses qui l'intéressèrent beaucoup. N'avaient-elles pas en particulier pour principes « la discrétion absolue » et « la solidarité avec les frères » ?
Mais les partis et les clans importaient peu. Au-delà de tout ceci, l'évolution profonde du pays, la dissolution de ses liens avec la métropole, ne pouvaient lui échapper. Il en comprit la nature lorsqu'un Marocain lui déclara un jour : « Je ne suis pas particulièrement attaché à l'Istiqlal ou au PDI (2), mais je suis un bon musulman. »
La population du Maroc a déjà tiré un trait sur la France et Baroin s'en désole. D'abord parce qu'il aime cette terre et qu'il voudrait qu'elle garde des liens avec son pays. Ensuite, par patriotisme car c'est un peu de l'Empire français qui va encore s'évanouir ; par humanisme aussi car il pense que le Maroc n'est pas mûr pour l'indépendance et que, faute de cadres, il va passer d'une dépendance plutôt bienveillante à la dépendance plus dure d'une autre puissance. Enfin, justement, par souci stratégique, car il pense que les intérêts américains, espagnols et surtout soviétiques s'apprêtent à fondre sur cette proie sitôt qu'elle sera laissée à son sort.
Il repart donc en métropole le cœur mêlé de sensations chaudes et de froide amertume d'avoir vu de ses yeux tant de beautés et tant de gâchis.
Dès la rentrée, il s'attelle à la rédaction de son mémoire et y ordonne ses observations et impressions. Il rédige là en réalité un document étonnant qui, quarante ans plus tard, n'est pas dépourvu de saveur. Le récit s'éloigne quelque peu de la neutralité, du recul et du bon ton qui prévalent ordinairement rue Saint-Guillaume. La passion est à fleur de mot, avec une rage à peine contenue devant les occasions manquées et les incompréhensions mutuelles. Pour lui, l'indépendance est plus que probable mais, à trop court terme, elle est regrettable. C'est une position courageuse puisqu'il sait que son correcteur, ancien membre du cabinet de Léon Blum, est un partisan affirmé de l'indépendance immédiate.
Peut-être est-ce pour compenser les éventuelles conséquences de son opinion dissidente qu'il n'hésite pas au début du mémoire à sacrifier à la loi du genre en écrivant à propos d'émeutes survenus en 1937 : « M. Charles-André Julien relate cet événement dans son remarquable ouvrage l'Afrique du Nord en marche.» Deux ans de Sciences po lui ont donc tout de même appris ce qu'étaient déférence et diplomatie.
Quoi qu'il en soit, la spécificité de ce travail est qu'il s'apparente davantage à un rapport rendu à un supérieur pour lui indiquer des voies d'action qu'à un mémoire d'étudiant. On retrouve là un caractère très pragmatique, sans cesse préoccupé par les conséquences pratiques de ses vues théoriques.
Il y a aussi quelque chose d'un peu policier au long des quelque quatre-vingts pages du texte. Les acteurs en présence sont décrits avec force détails. Ainsi, les responsables de chaque parti sont examinés tant du point de vue de leur biographie que de leur caractère dans un style qui rappelle davantage une fiche de renseignements généraux qu'un devoir d'étudiant.
De plus, des vues stratégiques de bonne tenue sont exprimées avec le réalisme et la froideur d'un analyste des services de renseignements.
Finalement, la passion pour le sujet reprend ses droits et il conclut sur un vibrant plaidoyer en faveur d'une politique plus généreuse et plus ambitieuse car, ajoute-t-il, « ce n'est qu'ainsi par l'entente, l'amitié, en partant comme le faisait Pavie « à la conquête des cœurs » que l'on peut bâtir quelque chose de solide ».
Les deux traits majeurs de sa personnalité sont ici révélés, comme deux sabots qu'il utiliserait successivement pour mieux avancer. D'un côté, l'élan du cœur qu'aucune fausse pudeur ne vient voiler ; de l'autre, un hyperréalisme écartant toute rêverie et toute illusion.
Ce long travail enfin accompli, il a maintenant tout son temps pour se consacrer à son nouveau programme.
(1) Extrait du mémoire de Michel Baroin
(2) Parti démocrate de l'indépendance.
Commentaires :
- « les habitants ont gardé les manières et les allures de leurs origines paysannes », comme tous les Humains descendants de chasseurs-cueilleurs, une phrase de remplissage comme beaucoup d'autres dont on ne sait pas si elle relève de l'admiration ou du mépris ;
- « le Maroc, c'est déjà l'Orient. Pour s'en convaincre, - il n'est que d'entendre dans le calme du jour qui point (...) résonner la complainte monotone du Muezzin appelant les fidèles à la prière », Michel Baroin et Jean-Michel Blanquer associent Orient et Islam dans un raccourci inquiétant pour des intellectuels issus de Sciences Po ;
- « Il va dans le Tadla, au pied des monts du Moyen-Atlas où les premiers attentats sont commis », quels sont les attentats commis au Tadla ? La série de meurtres par le fou du Tadla entre le 09 mai et le 15 mai 1951 ?
- « En participant à une enquête sur l'assassinat de deux instituteurs, il se rend compte, en parlant avec les Marocains, de l'importance de l'infiltration du parti démocrate de l'indépendance, du parti communiste et, surtout, de l'Istiqlal. » ; il faut attendre quelques lignes pour comprendre le mot infiltration, « Je ne suis pas particulièrement attaché à l'Istiqlal ou au PDI, mais je suis un bon musulman. » ; les partis marocains sont infiltrés par la mouvance islamique ; « infiltration » ancienne que son professeur Charles-André Julien devait avoir déjà appréhendée, on est loin du scoop d'un étudiant ; « Le nationalisme marocain eut deux sources majeures d'inspiration au XXe siècle. La première passe par les mosquées, c'est l'idéologie salafiste (qui prône le retour aux sources de l'islam pour faire renaître le monde musulman jugé décadent), doctrine importée des réformistes religieux proche-orientaux comme Mohammed Abdou, et répandue au Maroc par le cheikh Abou Chouaïb Dukkali. À partir des années 1920, elle marque profondément les étudiants de la Quaraouiyne, comme Allal el Fassi ou Mokhtar el Soussi (Penseurs maghrébins, 1993). », Pierre Vermeren, Histoire du Maroc depuis l'indépendance, La Découverte, 2016 (disponible sur https://archive.org/) ;
- « La population du Maroc a déjà tiré un trait sur la France et Baroin s'en désole. D'abord parce qu'il aime cette terre et qu'il voudrait qu'elle garde des liens avec son pays. » Michel Baroin n'a pas 21 ans quand il séjourne au Maroc à l'été 1951 pour la première fois, guidé par des membres de sa famille, en saisit de suite la complexité, discute avec aisance avec les caïds et les fellahs, en tombe amoureux selon Blanquer, coup de foudre amoureux ou anticipation du coup d'après ; Baroin et Blanquer restent dans un universalisme issu d'une pensée refermée sur elle-même, centrée sur l'occident, avec un imaginaire colonisé par de multiples clichés dont ils sont incapables d'analyser la perversité redoutable sur le raisonnement le plus architecturé ; « L'universalisme, comme tous les « ismes », est une doctrine. Je l'identifie à cette notion selon laquelle une région du monde serait porteuse de l'universel. Aimé Césaire disait que « notre monde a besoin d'un universel riche (...) de tous les particuliers ». C'est-à-dire un universel qui ne soit pas dicté par un supposé centre du monde, mais un universel horizontal, tel que des cultures et des langues qui se rencontrent et convergent le produisent ensemble. » Souleymane Bachir Diagne (Le Monde du 02 avril 2022) ;
- « De plus, des vues stratégiques de bonne tenue sont exprimées avec le réalisme et la froideur d'un analyste des services de renseignements. », « un hyperréalisme écartant toute rêverie et toute illusion. », ainsi se trouve justifié le titre du chapitre 2 en forme d'équation énigmatique ;
- « deux sabots qu'il utiliserait successivement pour mieux avancer », on comprend mieux l'adhésion au en-même-temps macronien de Blanquer.
© Copyleft Q.T. 02 avril 2022 modifié le 11 août 2023
Ce n'est pas très compliqué d'écrire, disait Thomas Bernhard, il suffit d'incliner la tête et de laisser tomber tout ce qu'il y a dedans sur une feuille de papier. Emmanuel Carrère - Yoga (Éditions P.O.L., 2020)
Aucune envie d'écrire sur les chiens marocains qui par leurs aboiements nocturnes continuels polluent notre sommeil et puis je lus un livre de Fouad Laroui, Méditations marocaines (Éditions Zellige, 2018). Je n'apprécie pas trop cet auteur marocain, à la fois par le fond de ses livres qui se veulent un miroir de notre monde alors qu'ils shuntent l'essentiel et leur forme, une écriture facile et bâclée avec constamment une injonction à rire de formules ou de situations qui se veulent humoristiques, ironiques et qui, en réalité, sont assez pathétiques comme leur auteur. Je lus donc Méditations marocaines, recueils de chroniques parues sur le site 360ma : Site marocain indépendant d'information généraliste et de décryptage annonce Google aussi ironique dans sa présentation que Fouad Laroui veut l'être. J'en retins deux chroniques, une sur les chiens que je livre ici (texte photographié puis reconnaissance OCR avec corrections manuelles) et une autre sur le Sahara occidental qui montre l'égo surdimensionné de l'auteur.
Nos amies les bêtes
Quand j'étais petit, encore élève à l'école Charcot d'El Jadida - comme c'est loin, tout ça ... - j'assistais parfois, avec d'autres gamins tout aussi éberlués, à une sorte de western urbain : le plus fameux policier j'didi de l'Histoire, un certain Z..., faisait une tournée dans un camion appartenant à la commune. Dressé dans la benne, qui était rempli de sable, le fusil au poing, l'œil terrible, le Rambo des Doukkala tirait sur les chiens errants qui avaient le malheur de se trouver sur son passage. Un comparse moins gradé allait ensuite ramasser les cadavres des pauvres bêtes assassinées pour les jeter dans la benne - on comprend maintenant pourquoi elle était remplie de sable : c'était pour absorber le sang. Ne croyez pas que ledit Z... était une sorte de pervers cynophobe : il faisait tout simplement son boulot. C'est comme cela que la commune d'El Jadida réglait alors la question des chiens errants, susceptibles de propager la rage. (Un jour, Z... tomba gravement malade, victime d'une paralysie faciale. Les J'didis ne manquèrent pas de dire que c'était l'âme d'un chien qui se vengeait ainsi de lui - mais c'est une autre histoire.) Bref, je croyais ces temps révolus, mais voilà qu'on apprend, à l'occasion d'un fait divers horrible (cette pauvre bête martyrisée par des crétins adeptes de sorcellerie), que la gestion des animaux, si l'on ose dire, laisse encore à désirer chez nous. Nous ne sommes pas encore le plus beau chenil. Il paraît que certaines municipalité mettent du poison dans les jardins publics, ce qui n'est pas parce que ça peut toucher des animaux domestiques parfaitement sains, ou même des enfants. D'autres emmènent les chiens à la fourrière et les euthanasient, mais pas en douceur : avec un poison violent qui entraîne une terrible agonie. Il y a aussi des municipalités qui font des tournées exactement comme celle dont je fus témoin dans mon enfance. À Kh..., il y a quelques semaines, un brave homme a essayé de s'interposer, il s'est retrouvé devant le caïd qui lui a passé un savon. Quelle idée aussi d'avoir pitié des chiens errants ! Soyons clair (comme disait je ne sais plus qui) (2) : les villes et les communes ont raison de s'occuper du problème des chiens errants, qui peuvent attaquer les citoyens et propager la rage. Si elles ne le faisaient pas, on le leur reprocherait. Mais est-ce trop demander que cela se fasse avec un peu d'humanité, un minimum de compassion ? Il paraît que le niveau de civilisation d'un pays se juge par le sort qu'il fait aux handicapés. D'accord. Et si on y ajoutait : le sort qu'il fait aux animaux ?
2 : Allusion au ministre (de la Communication...) Mustapha Al-Khalfi qui, lors d'une interview à Europe 1, en février 2015, ne cessait de répéter : « J'ai été clair » alors qu'il n'avait en fait rien dit d'intelligible.
Commentaires : Brigitte Bardot n'aurait pas écrit plus mal. Le problème de ce type de défense de la cause animale reste son étroitesse d'esprit, réduisant le monde animal à ce qui dans l'évolution nous demeure proche, et excluant de fait le plus grand nombre et la plus grande masse (au sens physique du terme) des animaux : les invertébrés. Peu de gens réalisent des documentaires sur le ver de terre, grand laboureur, alors que sur YouTube prolifèrent des vidéos sur le sort des pauvres chiens errants marocains, qui en plus de japper toute la nuit, agressent et provoquent même la mort. On aimerait également avoir l'avis savant de Fouad Laroui, sur les élevages intensifs de poulets au Maroc, poulets qu'il retrouve dans son tajine concocté, peut-être par une petite bonne arrachée à sa famille contre une poignée de dirhams.
Il y eut un temps où en sortant du cinéma Chantecler, il suffisait d'un caillou pour éloigner les quelques chiens errants qui se disputaient un morceau à manger sur la décharge à ordures située dans un ravin en lisière de la ville, à l'Est (le ravin est toujours visible) ; la journée aucun chien. Puis vint le temps des chiens animaux de compagnie avec leurs déjections, comme en France. Aujourd'hui nous sommes dans le temps des chiens errants, agressifs qui toute la journée baguenaudent dans les jardins, tournent autour des containers à ordures et sortent leurs crocs à tou.tes les passant.es.
On nous vante la stérilisation comme alternative à l'abattage, certes, mais les vétérinaires marocains suffiront-ils pour effectuer cette tâche qui semble immense ? Dans un article paru le 29 septembre 2022 sur le site Maroc-hebdo-press, la maire de Casablanca révèle le chiffre dérisoire de 250 000 chiens ramassés annuellement dans sa ville ; on parle de 40 000 chiens à Tanger. Le décompte a-t-il été fait pour les campagnes ? Mais d'où viennent tous ces chiens ? On parle aussi de l'expérience turque : à Istanbul les chiens étiquette à l'oreille, stérilisés et recensés, n'aboient pas, on se pose dans un jardin en toute tranquillité (observation personnelle, juillet 2021).
Le 31 janvier 2022 j'écrivais sur le forum DAFINA, sur la page consacrée aux CHIENS DE GARDE AU MAROC :
Dans un livre de 1980, Les Marocains, Éditions Arthaud-voir vivre, Jean Delorme rapporte à la page 10 : A propos de voleurs, les résidents ne se fient pas uniquement à leur chien de garde. Les malandrins savent fort bien l'effrayer sans bruit. Il leur suffit de s'enduire de graisse de hyène ou de lion, qu'ils se procurent sur le souk. Les chiens craignent terriblement les odeurs caractéristiques de ces animaux sauvages, et vont se cacher en tremblant pendant que le cambrioleur opère ; ils n'aboient même pas. Dans le paragraphe suivant l'auteur évoque des amulettes comme une vertèbre humaine que l'on pouvait se procurer sur les souks il y a une vingtaine d'années, soit dans les années 1960. Je vais regarder si par hasard ces produits, qui ont disparu des souks il y a fort longtemps, si jamais ils y étaient présents, sont disponibles sur Amazon ... Jean Delorme n'affabulait peut-être pas ; on observe dans des souks très reculés, comme celui de Tleta Beni Zrantel, des marchands qui proposent des « objets » improbables, dans des bocaux, à la vente.
Fouad Laroui incline probablement souvent la tête.
© Copyleft Q.T. 13 novembre 2022
Les mécanismes de mémoires orales apocryphes me fascinent. Emilio Sanchez Mediavilla - Une datcha dans le Golfe (Métailié, 2022)
L'occurrence Kasba-Tadla rentrée dans un moteur de recherche aboutit, entre autres, à Cholet, où existe un restaurant, « Kasba-Tadla ». Le propriétaire de ce restaurant, Mohamed Fakhiri, publie en 2021 un livre intitulé : Marocain de naissance, Français de cœur. Comme pour toute aventure littéraire locale, la presse régionale rencontre l'auteur. On ne nomme pas un restaurant Kasba-Tadla par hasard.
Site Internet de OUEST-FRANCE, Sylvain AMIOTTE. Publié le 15/11/2021 à 08h31
ENTRETIEN. Mohamed Fakhiri, doyen des restaurateurs à Cholet : « L'amour, secret de la réussite »
Il sert son couscous depuis 42 ans à Cholet (Maine-et-Loire). À 72 ans, le plus ancien restaurateur de la ville témoigne de son parcours d'immigré dans un livre intitulé Marocain de naissance, Français de cœur.
Mohamed Fakhiri, devant sa couscousserie Kasba Tadla (nom de la ville natale de son père) ouverte en 1979, se présente comme le doyen des restaurateurs à Cholet.
Doyen des restaurateurs à Cholet (Maine-et-Loire), à la tête de la couscousserie Kasba Tadla depuis 1979, Mohamed Fakhiri, 72 ans, témoigne de son parcours d'immigré dans un livre intitulé Marocain de naissance, Français de cœur. Entretien.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
C'était un besoin. Ce n'est pas commun de rester 42 ans au même endroit. J'ai servi des clients jusqu'à la 4e génération. La plupart ne savent pas vraiment qui je suis.
En me mettant à nu, ce livre est aussi une thérapie. J'y raconte la séparation avec mon pays, ma famille et mes amis, à l'aube de mes 20 ans. Plusieurs blessures aussi. Celle d'avoir été, bébé, arraché à mes parents, qui étaient très pauvres, par ma tante. J'ai vécu avec elle dans l'opulence, mais en manquant d'amour.
La blessure aussi d'avoir été forcé de quitter l'école à l'âge de 16 ans alors que j'adorais ça. La séparation avec ma femme, également, après 36 ans de vie commune, et avec mon fils adoptif Mehdi pendant plusieurs années.
Vous pensez que votre témoignage peut être utile ?
Cela peut aider certaines familles à ouvrir les yeux. Quand on veut donner de l'amour à un enfant, ce n'est pas avec de l'argent et des choses artificielles.
Pourquoi avez-vous quitté le Maroc en 1971, il y a 50 ans ?
J'étouffais intellectuellement. L'horizon était bouché. Je voyais mes parents pauvres et je voulais les aider, ainsi que mes deux frères et mes deux sœurs. C'était impossible en travaillant dans le privé, au Maroc, avec à peine 2,50 € par semaine. Il ne me restait qu'une seule porte : partir dans un pays dont je connaissais la langue.
Vous avez enchaîné les petits boulots dans la région avant d'ouvrir votre restaurant à Cholet en 1979. Comment vous êtes-vous lancé ?
En 1976, j'ai d'abord tout laissé tomber pour acheter un camion et vendre des frites. Un jour, à Jard-sur-Mer, un client m'a demandé un couscous. Je me déplaçais l'hiver sur les foires et les sorties de stades, l'été sur la côte. Les gens me suivaient pour mon couscous, car ils n'en trouvaient pas d'aussi bons ailleurs. Je me suis lancé, sans argent, sans rien. Le restaurant a démarré en flèche. Il n'y avait pas de couscousserie à Cholet. Et je suis le dernier, encore aujourd'hui !
Comment expliquez-vous cette longévité ?
Quand je suis parti du Maroc, j'avais la hargne. Les premières années, j'avais la bougeotte, car je me cherchais. Au bout de sept ans de restaurant, seul dans ma cuisine, j'ai compris : je cherchais ma liberté sans le savoir et je l'avais trouvée ici. Le sérieux, le travail, le respect des clients, tout cela a payé. Vous avez beau faire le meilleur couscous du monde, il faut une touche de tendresse pour durer. Je remercie mes clients pour ces 40 années d'amour.
Vous avez pu aider votre famille durant toutes ces années ?
Oui. Je pouvais dormir sur mes deux oreilles, car je savais que mes parents mangeaient à leur faim. C'était ma manière de leur rendre leur dignité. Dès ma deuxième année en France, je me suis battu pour que mon père, meunier, achète le moulin dans lequel il était salarié et ne soit ainsi plus exploité.
Je m'étais juré que mes frères et sœurs soient tous des travailleurs indépendants, et c'est le cas. Je suis un missionnaire infatigable. Ma mère disait qu'il ne fallait jamais envier les autres, mais avancer soi-même.
La famille, c'est le fil de votre vie ?
Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient. On ne peut pas vivre sans amour. C'est comme ça que l'on peut avancer dans la vie. Sinon on devient un passager sans âme. Je suis d'ailleurs en train d'écrire un deuxième livre, en forme de lettre à mes parents décédés. J'aimerais écrire leur testament, eux qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école.
« Marocain de naissance, Français de cœur », c'est le titre de votre livre. Que représente la France à vos yeux ?
Tout ce que je suis devenu, c'est grâce aux Français que j'ai rencontrés. Par exemple la personne, à Angers, qui m'avait permis de trouver un travail à mon arrivée, et d'avoir ainsi mes papiers pour rester légalement en France.
Que vous inspire la situation des migrants ?
Je suis outré en voyant tous ces gens qui s'échouent dans la Méditerranée et qui sont dévorés par les poissons. Pour moi, c'est un génocide. Et on reste impassible. Je propose que la France arrête de manger le poisson de Méditerranée, car il a le goût humain.
Il faut s'interroger : pourquoi ces gens-là quittent-ils leur pays jusqu'à en mourir ? Comme moi, ils voulaient partir pour aider leur famille. Je pense surtout à ceux qui restent et qui perdent la seule ressource qui pouvait améliorer leur sort. Aujourd'hui, tous les jeunes Marocains rêvent de partir.
Votre livre témoigne aussi de la mixité, vous qui avez fait votre vie à Cholet avec une Vendéenne...
La mixité est souvent niée, alors qu'elle est là, dans la rue. Il faut l'encourager, au lieu de l'incriminer. C'est la chance de la France. Si on arrête l'immigration, l'économie s'arrêtera. On ne le dit pas assez.
Comment souhaitez-vous partager votre livre ?
J'aimerais aller dans les lycées, les facs, les centres sociaux, pour témoigner et échanger. Je lance un appel.
Marocain de naissance, Français de cœur, en vente au Passage culturel, place Travot, à Cholet. 20 €. Contact : Mohamed Fakhiri, 06 86 88 05 65.
Une année sabbatique
« Retraité » depuis dix ans, Mohamed Fakhiri, 72 ans, a continué d'ouvrir son restaurant chaque hiver du vendredi soir au dimanche midi. Cette fois, il a décidé de prendre une année sabbatique. « Je veux partager mon livre et rendre visite à ma famille au Maroc que je n'ai pas vue pendant deux ans à cause du Covid, alors que j'y vais habituellement deux fois par an. »
Mais il le promet : il rouvrira le restaurant Kasba Tadla en octobre 2022. « Je reprendrai mon crayon éternel, la louche ! Quand je suis dans ma cuisine, je suis heureux. Et je le suis encore plus quand je vois les gens qui se régalent. »
Site Internet du Centre socioculturel LE VERGER
Rencontre avec Mohamed Fakhiri, auteur de « Marocain de naissance et Français de cœur » - le 8 Décembre 2021
Mohamed Fakhiri raconte son parcours entre le Maroc et la France : « Marocain de Naissance, Français de cœur », un livre singulier empreint de sincérité. Mohamed sera présent au Verger le MERCREDI 8 DÉCEMBRE 2021 de 15h à 18h pour échanger sur son livre.
Profitez d'un passage au relais lecture pour venir à la rencontre de Mohamed Fakhiri.
Regards par Michel Caillard, Journaliste.
Cela fait une quarantaine d'années que Mohamed Fakhiri tient l'excellente Couscousserie Kasba Tadsa. Autant dire que cet homme sympathique, souriant, est une célébrité à Cholet.
Quand je suis venu l'interviewer dans le cadre d'une enquête sur la construction du centre commercial des Arcades Rougé, il y a déjà longtemps, il ne m'a pas parlé de ses craintes de commerçant soucieux de son chiffre d'affaires, mais de poésie !
Mohamed, c'est tout ça : un homme surprenant, généreux, d'une extraordinaire curiosité intellectuelle....
Dans le livre de souvenirs qu'il va publier prochainement, il évoque sa jeunesse difficile, son déracinement, son arrivée tout jeune à Angers. Depuis, il a fait des tas de métiers, suivi des formations, fondé une famille, aidé ses parents, ses frères et sœurs restés au pays. Il a réellement « vécu mille vies ».
Avec la mère de ses enfants, il a créé, à Cholet, une association qui accueille des orphelins de la ville de Beni Mellal, au Maroc.
Aujourd'hui, à l'heure de la retraite, il souhaite que ses amis, ses anciens clients, découvrent sa vraie personnalité.
Le titre de son livre : « Marocain de naissance, Français de cœur ».
A réserver dans toutes les bonnes librairies !
Commentaires : Un parcours « exemplaire » d'immigré comme l'écrivent certain.es, surtout une prise de paroles volontaire rare.
Entretien de Mohamed Fakhiri avec une télévision locale, ici
© Copyleft Q.T. 02 décembre 2022