Gabriella Giubilaro est une enseignante très avancée d'Italie (Florence). Elle a commencé à étudier avec la famille Iyengar en 1983.
Traduction Jean-Michel Kuhry
“Nous avons la chance d’avoir eu Guruji (Ndt B.K.S. Iyengar) dans notre vie, maintenant nous devons rester honnêtes fidèles à ce que nous avons appris et continuer d'enseigner. Nous devons poursuivre avec conscience et cœur. Le débutant a l'esprit ouvert, il y a une certaine fraicheur. Avec le temps, nous devons être attentifs à ne pas devenir rigides mentalement. La rigidité du mental est un gros problème. Le Yoga Iyengar développe cette notion que tout peut changer. « Pour Guruji les règles n’étaient pas fixes, il était flexible. Ceci est la liberté. » (Abhijata Iyengar, 7 décembre 2016)
L’an passé j’ai eu la chance de participer à un intensif d’Abhijata Iyengar, la petite fille de notre bien aimé Guruji.
Abhijata est une enseignante exceptionnelle, elle a hérité de du savoir de son grand père, de sa tante Geetaji et de son oncle Prashantji. Il y a de la fraicheur dans son enseignement, elle a la capacité de condenser ce qu’elle a appris mais également de moderniser l’enseignement de ces grands enseignants, que beaucoup d’entre nous ont eu la chance de côtoyer.
Geetaji a toujours expliqué qu’à travers la pratique du Yoga il est important de comprendre l’intelligence du corps et la relation avec le cerveau et le mental. Quand le yoga n’est qu’une série d’instructions à mémoriser et appliquer, alors nous perdons l’intelligence. Une pratique mécanique n’aide pas à la transformation.
Comme je l’explique parfois dans mes classes, la pratique du yoga n’est pas une liste de courses : pain, betteraves, potiron, sel, sucre...
C’est pourquoi lorsque nous pratiquons ou enseignons avec une liste : tournez le pied droit vers l’intérieur, le pied gauche vers l’extérieur, pressez l’extérieur du pied droit, tournez la cuisse gauche vers l’extérieur,…. C’est la liste de course.
Et si un enseignant répète cette liste avec le même ton de voix du début jusqu’à la fin, l’élève arrête d’écouter.
Il n’y a pas qu’une seule manière de pratiquer un asana, il n’y a pas de règle écrite pour l’exécution d’un asana : ce serait la fin du yoga. Ceci est être mécanique. Quand la pratique devient mécanique elle perd son intelligence.
Il n’y a pas qu’une seule manière de pratiquer un asana, il n’y a pas qu’une seule manière de l’enseigner. Être mécanique, la règle fixe est l’opposé du yoga. Le yoga c’est chercher, étudier, essayer : c’est l’éducation du mental.
L’enseignement (comme la pratique) doit être frais, spécifique à la personne, au moment, au lieu et au temps.
Guruji se référait à cela quand il disait. « Soyez dans le présent, pas dans la mémoire du passé ou dans le futur. Le mental doit être dans le présent, dans le moment. Le corps et le mental sont différents tous les jours, à chaque instant et c’est ce que nous devons apprendre à observer. La réaction du corps, la réaction du mental change sans arrêt et nous devons enseigner cela, nous devons guider le pratiquant vers l’observation.
La beauté de l’enseignement de Guruji était lié au fait qu’il avait la capacité de conduire chacun sur le merveilleux chemin de l’exploration et à chaque fois le voyage était différent. Même quand Guruji était plus âgé et que sa mobilité était réduite, mais pas ses facultés d’introspection, ni sa capacité d’apporter nouveauté et fraicheur, d’apporter une coloration nouvelle à chaque cours mais aussi à chaque moment du cours. Il savait nous surprendre, nous guider vers l’introspection, il savait comment amener l’attention dans les endroits les plus cachés de nous-mêmes.
Il n’y avait pas de règle fixe, Guruji avait un esprit frais et flexible chaque jour. Malheureusement, beaucoup de ses élèves n’ont intégré qu’une partie de son enseignement, établissant des règles fixes pour chaque asana (comment les pratiquer et comment les enseigner) : c’est ainsi que le yoga est devenu une liste de courses. Nous ne devrions pas apprendre par cœur les actions des asana, mais nous devrions comprendre les réactions du corps, du souffle et du mental à chaque mouvement et chaque action. L’on ne peut pas dire, ceci est juste, ceci est faux, mais plutôt comprendre la raison qui nous fait faire cela d’une manière ou d’une autre.
Que se passe-t-il si nous sautons en inspirant ou en expirant ? Que se passe-t-il si nous entrons en Uttanasana avec une inspiration ou une expiration ? Ou quelle est la différence du mental quand Virabhadrasana III est pratiqué avec la tête levée et le regard vers l’avant en comparaison du regard vers le sol, le tête en ligne ? Que gagne-t-on, que perd-on ?
Quelle est la différence entre Bharadvajasana et Parivrtta Trikonasana quand on lève le bras pour tourner ou quand on élargit la poitrine sans lever le bras ? Quand est-ce mieux de le pratiquer d’une manière ou de l’autre ? Quelle différence pour un élève de yoga débutant ou mature ? Quand un élève mature a la clarté des différents aspects, il ou elle réussit à comprendre la flexibilité du mental, comment adapter sa pratique jour après jour, personne après personne, il ou elle réussit à vivre dans le présent. La rigidité mentale signifie vivre sans arrêt dans le passé. La rigidité mentale détruit le Yoga.
“Nous ressentons le besoin de définir qui est un élève avancé : ce n’est pas le nombre d’années ou le nombre d’heures de pratique (il est évident que nous devons pratiquer) ou le certificat, mais plutôt qui est toujours nouveau, qui a la sensibilité tous les jours, à tous les instants, dans toutes les facettes de sa vie, sur le tapis et en dehors du tapis » (Abhijata Iyengar 3 Décembre 2016)
« Asana ce n’est pas seulement étirer le corps, c’est une expression de l’intelligence de chacun. Quand le mental est conscient des bras, de la poitrine, du bassin, sans zones d’ombre ou oubliées, alors l’asana exprime notre intelligence. L’asana doit évoluer à tel point que l’intelligence touche chaque angle du corps. Alors seulement vous pouvez être satisfaits. La satisfaction doit venir d’elle-même. Telle une fleur qui fleurit quand le temps est venu, de la même manière grâce à une pratique assidue, révérencieuse et ininterrompue, la satisfaction viendra d’elle-même ». (Abhijata 3 Décembre 2016)