Dans la littérature, un relatif consensus existe autour de l’idée que l’évaluation est cruciale en éducation (Crahay, 1999). Si son but premier est de prendre des informations à différents moments de l’apprentissage pour mesurer les acquis des élèves, elle permet pour un enseignant dans une perspective de « processus qualité » de disposer d’informations pour faire évoluer les dispositifs qu’il met en oeuvre au quotidien. Cette prise de recul est importante dans la mesure où le dispositif est souvent réutilisé et remis en oeuvre au fil du temps. Elle permet de dépasser la logique de "nous croyons" et d'aboutir à de nouvelles connaissances sur l'apprentissage...nous permettant de dire "nous savons". Cette logique induit que la recherche soit adossée aux pratiques pédagogiques comme l'est la pratique médicale. En référence à la typologie de Van Der Maeren (1997), cette articulation revêt clairement un enjeu pragmatique avec la recherche de solutions fonctionnelles pour l’apprentissage et peut être associée à la recherche appliquée. Evaluer un dispositif peut également concerner le chercheur en éducation dans la perspective de contribuer à une meilleure connaissance des conditions d’apprentissage et ainsi produire de nouveaux savoirs. Ce type d’approche concerne alors davantage la recherche fondamentale. Le cours "évaluation dans les dispositifs techno-pédagogique" s'oriente davantage vers une logique de recherche appliquée. Il a pour objet de mettre en évidence les différents questionnements possibles pour un chercheur et pour un enseignant autour des effets d’un dispositif d’apprentissage dans un contexte donné. Dans les deux perspectives, la recherche reste toujours une tentative de réponse instrumentée à une question ou à plusieurs questions qu'on estime pertinente(s) (Reuter, 2017). Dans le cadre de ce cours, ce questionnement portera sur les environnements numériques pour l'apprentissage humain.
Avant de décrire ces propositions méthodologiques, il nous semble pertinent de préciser tout d’abord le concept d’environnement d’apprentissage. Pour Lebrun (2005), il peut se définir comme un ensemble cohérent constitué de ressources, de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but pédagogique qui consiste pour quelqu’un à apprendre quelque chose de nouveau. Cet apprentissage concerne le développement d’une compétence. La mise en place d’un environnement de formation demande donc de faire des choix pour scénariser l’apprentissage et pour l’encadrer (Dillenbourg, 2012).
Dans le processus de scénarisation, il importe dans un premier temps d’analyser et de structurer le contenu à maîtriser. Il convient ensuite de déterminer quelles tâches seront proposées aux apprenants au travers du dispositif de formation en lien avec les compétences que l’on souhaite voir maîtriser par les apprenants (Strijbos, 2004). L’importance de la tâche renvoie à l’idée que la connaissance est toujours le résultat d’une reconstruction par l’individu qui apprend (Depover & Marchand, 2002).
L’apport des ressources renvoie à l’idée que les connaissances sont disponibles à la fois chez l’individu qui apprend et dans l’environnement proche de celui-ci. Différents outils sont ainsi susceptibles de supporter l’individu dans son traitement d’une situation d’apprentissage. Les outils distribués dans l’environnement d’apprentissage peuvent être à la fois langagiers, cognitifs, physiques ou numériques. Dans le champ de l’intelligence distribué, Perkins (1995) met en avant au travers du principe « d’individu-plus » que l’apprenant peut adopter la démarche d’un expert. Lorsque ce dernier est confronté à une tâche complexe, il n’agit, en effet, jamais seul : « C’est entouré de tous ses outils que l’ « individu-plus » affronte la situation et parvient à résoudre le problème. » (Perkins, 1995, p. 58).
Si l’on se réfère aux propositions de Bloom (1979) et au modèle de Slavin (1995), la gestion du temps est cruciale dans la mise en oeuvre d’apprentissage. On peut évidemment observer des résultats très différents chez les apprenants en fonction du temps alloué aux apprentissages. Cette gestion peut concerner la durée, mais également la manière de distribuer les apprentissages dans le temps (Temperman, 2013). L’organisation du groupe fait plutôt référence à la manière de gérer le groupe dans le dispositif de formation. Pour Dillenbourg & Jermann (2012), on peut envisager différentes formes de groupement dans le temps (travail individuel, travail en groupe, travail en groupe plénier, ...). Pour chaque type de groupement, il y a évidemment des choix à opérer. Dans le cas d’un travail collaboratif, les modalités de constitution des groupes peuvent être évidemment très différentes au fil du temps (voir figure ci-dessous). Dans cette schématisation, la variable "distance vs présence" peut être également considérée.
Les recherches qui évaluent l'impact des technologies tendent à montrer que l'investissement en technologie par un système éducatif n'entraîne pas forcément de bénéfices pour les élèves en termes d'apprentissage. Selon le rapport, intitulé "Students, Computers and Learning: Making The Connection", montre ainsi que les pays qui ont considérablement investi dans les technologies de l'information et de la communication (TIC) dans l'éducation n'ont enregistré "aucune amélioration notable" de leurs résultats aux évaluations PISA de compréhension de l'écrit, de mathématiques et de sciences (Pisa, 2015). La principale raison est que l'apport technologique est souvent mobilisé selon des protocoles anciens. L'intégration technologique n'est pas forcément synonyme d'innovation qui consiste à faire quelque chose différemment et mieux à l’aide de la connaissance dont on dispose à un moment donné. Si l'efficacité d'un système éducatif passait par l'usage d'outils, cela se saurait ! Si l'innovation est censée avoir un impact sur l'activité humaine au moins égal à la solution précédente, on l'évalue en réalité trop rarement. Morozov (2014) nomme ce comportement le solutionnisme c-à-d apporter des solutions à des problèmes qui ne se posent pas.
Une innovation dans un contexte d'éducation peut passer par l'application du modèle TPAK (Technology, Pedagogy & Knowledge) de Mishra & Koehler (2013). Celui-ci met en évidence que la plus-value des technologies réside dans l'interaction de trois facteurs-clefs : Un choix d'outils pertinents, des pratiques pédagogiques qui font la différence et l'analyse du contenu ciblé. Trois idées interagissent dans ce modèle : des outils peuvent faciliter des pratiques pédagogiques efficaces, des pratiques pédagogiques efficaces facilitent le développement de compétences et des outils peuvent soutenir le développement de compétences. L'enjeu pour l'enseignant réside dans la conception et la mise en place de tâches significatives qui jouent sur ces trois leviers complémentaires. Dans son intervention, André Tricot abonde dans ce sens.
Pour guider l'application de démarches pédagogiques innovantes et efficaces, l'enseignant-concepteur peut s'appuyer sur les méta-analyses de Hattie (2009). Cet auteur a analysé des milliers d'expériences en utilisant le principe de taille de l'effet en comparant des groupes dans différents contextes ayant bénéficié d'une démarche pédagogique innovante à des groupes témoins. D'un point de vue statistique, la taille de l'effet correspond à la différence standardisée des moyennes des groupes expérimentaux et des groupes contrôles divisée par l’écart-type de l’ensemble de l’échantillon (Hattie, 2009). Un d de 1 signifie que 84 % des participants du groupe expérimental sera au-dessus du participant ayant la moyenne dans le groupe-contrôle. Il y a également 76 % de chances qu’un participant pris au hasard dans le groupe expérimental aura un résultat supérieur à un participant pris au hasard dans le groupe-contrôle. Ce site développé par un chercheur suédois propose une simulation pour mieux comprendre ce principe statistique. Sur la base de cette technique, Hattie met en évidence différents principes qui ont des effets remarquables sur l'apprentissage. Si vous souhaitez en savoir plus sur ces principes, vous pouvez découvrir la conférence de Hattie ici et ici. Depuis la première publication de sa méga-analyse (synthèse de plus de 100 méta-analyses) en 2009, Hattie met à jour sur ce site une échelle interactive reprenant les principes pédagogiques classés en fonction de leur taille d'effet. Vous pouvez découvrir cette approche dans ce Mooc proposé par le service de pédagogie générale et des médias éducatifs.
Chi & Willie (2014) proposent de catégoriser le niveau d'engagement des élèves dans l'apprentissage :
• Passif : l’élève reçoit l’information et est focalisé sur les explications données
• Actif : l’élève manipule des objets, opère des sélections. On le voit être en activité
• Constructif : l’élève génère des hypothèses, découvre par lui-même
• Interactif : plusieurs élèves collaborent, confrontent leurs hypothèses/découvertes
A l'aide de différentes expériences, ils observent que le dernier niveau est le plus efficace mais se révèle plus chronophage (et donc moins efficient). Ils mettent également en évidence que ce dernier niveau peut entraîner moins d'effets pour les élèves ayant un faible niveau au départ.
Concernant les outils, on peut invoquer tout d'abord le modèle de Mayer qui à partir d'une série d'expérimentations contrôlées met en avant que l'apprentissage est de meilleure qualité quand l'élève peut s'appuyer de manière complémentaire sur la mémoire visuelle et la mémoire auditive (double canal). Les outils multimédia offrent cette possibilité. Il met toutefois en avant que l'usage articulé des différentes mémoires est modulé par différents principes ergonomiques qui peuvent faire la différence en termes de performances dans la mesure où ils impactent directement la charge cognitive en mémoire de travail. Pour en savoir plus sur ce modèle fondamental en éducation, vous pouvez visionner ce podcast. En termes de formation, il est important que l'enseignant dispose d'une formation à l'usage des outils et qu'il soit conscient qu'il existe différents niveaux d'intégration comme le suggère le modèle SAMR proposé par Puentedura. On peut estimer que les outils constituent des supports facilitateurs permettant aux élèves d'atteindre un niveau de connaissance supérieur à celui qu'il possède (Zone Proximale de développement).
Il est évident que l'apport des technologies enrichi par des pratiques pédagogiques innovantes a pour objectif de développer des compétences et de maîtriser un contenu pour les apprenants. Il n'y a aucun intérêt à utiliser la technologie pour la technologie. Toute la difficulté pour les enseignants est probablement que les référentiels et les programmes ne documentent pas à l'heure actuelle ces usages précis. Les compétences disciplinaires et transversales n'intègrent que peu ou pas la dimension "outils" dans leur formulation. Cette intégration est en lien avec l'idée d'intelligence distribuée proposée par Perkins (1995) et qui postule que "L'individu, contrairement aux idées courantes, n'agit pas seul et sa connaissance ne se réduit pas à ce qui se trouve dans sa tête. Perkins (1995) suggère en effet que même l'expert, face à une tâche ardue, n'agit pas seul, mais en individu plus, c-à-d en utilisant des outils de son environnement et son entourage social" n'est pas encore adopté par la communauté éducative. Ce principe rejoint celui d'hypothèse d'accès équivalent (Crahay, 2007) qui met en avant que le siège de conservation d'une connaissance, que ce soit la mémoire ou un support écrit par exemple, n'a pas d'importance en soi. C'est la facilité d'accès à l'information qui est bien plus cruciale. Des informations se prêtent d'ailleurs mieux à être enregistrées dans un carnet de notes, sur internet,…que dans la mémoire individuelle. L'important actuellement est de pouvoir externaliser les savoirs afin de faciliter le partage des connaissances de manière universelle via les nouveaux médias disponibles sur Internet.