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Soeurs d’eau.

Comment être face au néant ? Comment créer le supplément d’infini ? Comment échapper au poids de la mort, la seule vérité immuable de ce que l’on appelle paradoxalement la vie ? L’écrivain Louis-Ferdinand Céline aimait les danseuses, Damien Bassez se plaît à peindre des baigneuses. Danseuses et baigneuses incarnent une forme de légèreté au monde, une harmonie, une dynamique et une esthétique du corps, une vitalité qui chasse - certes provisoirement - la pesanteur d’une existence marquée par la conscience de l’inéluctable. Le corps promis à la déperdition des profondeurs organiques semble durablement en sursis chez la danseuse et chez la baigneuse. Si naître c’est commencer à mourir, le corps féminin peut être considéré à la fois comme la matrice du désespoir absolu mais aussi comme une ligne de fuite, une échappée belle, une rupture dans la marche vers les ténèbres. Qui est donc cette baigneuse au regard hypnotique qui nous fixe de manière aussi intense ? Est-ce une allégorie de la mort qui nous rappelle l’absence d’échappatoire ? Est-ce une incarnation du désir de vie et de mouvement ? Elle est une image projetée sur la toile de ce combat permanent entre les pulsions de vie et ce mal de vivre engendré par le compte à rebours funeste. Eros versus Thanatos. Elle se détache sur un bleu nuit, le bleu du voyage au bout de la nuit, pas tout à fait noir mais déjà marqué par l’obscurité. Dans son « atelier nuit » Damien Bassez donne forme à l’angoisse universelle. Ce tableau tient à la fois de la gravure de mode et de la charogne de Baudelaire. Oui ! Telle vous serez, ô la reine des grâces… Il y a en effet chez Damien Bassez une volonté de mêler esthétisme et nihilisme, de séduire et d’inquiéter celui qui prend le temps de s’immerger dans son univers en trompe l’oeil. Pour Damien Bassez la toile est un piège empreint de gravité; ses baigneuses sont, à l’instar des Sirènes de L’Odyssée, liées à la mort; elles nous entraînent bien loin des apparences vers une île bordée d’un rivage tout blanchi d’ossements et de débris humains, dont les chairs se corrompent. Le chant silencieux des baigneuses est tout aussi terrifiant que celui des Sirènes. On peut choisir de se boucher les oreilles, de fermer les yeux, de rester solidement attaché au mât des illusions, voire même de resserrer les liens, les baigneuses de Damien Bassez nous invitent littéralement à regarder la mort en face pour entrer dans la sagesse des Vanités, et ce sans aucun cynisme. Memento mori. Les coulures de peinture qui parsèment la toile sont, à cet égard, autant de craquelures qui témoignent de l’extrême fragilité du vernis social dont chacun se pare pour masquer la vacuité de toute prétention à parader. La vérité de ce monde c’est la mort.


Jean-Paul Briastre