Le virage numérique

sous contrôle ou sur les chapeaux de roues ?

25 au 27 septembre 2019 - Lancy

Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites, nos médias, nos projets noyés dans la société du spectacle. Je vois nos institutions luire d’un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprennent qu’elles sont mortes depuis longtemps déjà.

Il faut changer de raison. Le seul acte intellectuel authentique, c'est l'invention.

Michel Serre, Petite Poucette, Le Pommier, 2012, pp. 22 et 45

Buts du séminaire

1. Réfléchir à la place et au rôle du numérique dans l’école publique en lien avec l’évolution des générations.

2. Définir et discuter des conditions cadres pour que la mutation vers le numérique puisse se déployer de manière concrète et durable.

3. Partager des pratiques permettant d’accompagner les enseignant·e·s et les équipes de direction dans un projet d’école qui prend mieux en compte le numérique.

Pour commencer

Faut-il désormais organiser nos séminaires de manière virtuelle ? Non, nous avons aujourd’hui et nous aurons encore longtemps de très bonnes et belles raisons de nous rencontrer, de partager nos expériences et nos savoirs, de vivre le temps de l’échange. Mais nous pourrions aussi les prolonger, les organiser, les mutualiser. Nos écrans seraient les fenêtres nous permettant de mieux voir ensemble l’avenir…

Alors est-il indispensable de prendre le virage du numérique ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Mais la réponse peut différer et sa fonction première étant de nous interroger, nous ne devons pas confondre vitesse et précipitation. Le haut débit du meilleur réseau ne doit pas nous mettre dans l’urgence irréfléchie de l’innovation. La métaphore de la conduite s’impose et irrémédiablement le ou la chef·fe d’établissement doit apprendre à négocier ce virage, ou plutôt ces virages, avec son équipe pédagogique. Le paysage défile, les routes et les carrefours s’imposent à nous dans le flux continu des nouvelles technologies. Aujourd’hui, il vaudrait donc mieux prendre le volant à deux mains, tout comme notre courage.

Le séminaire de la CLACESO de septembre 2019 a pour ambition de participer à cette réflexion sur la place et le rôle du numérique à l’école. En tant que dirigeant·e, il s’agit d’user de notre influence pour que les conditions cadres de nos institutions permettent de viser la concrétisation des projets, certes, mais aussi leur durabilité et leur adaptabilité aux besoins de la génération actuelle de nos élèves. L’école doit leur apprendre à penser le monde complexe dans lequel nous sommes et cet enjeu est de taille. Oui, la pensée computationnelle, même si la consonance de ce mot peut nous paraître encore étrange, a véritablement sa place à l’école. Michel Serre, dans sa Petite Poucette, nous dit que les enfants habitent le virtuel, qu’« ils ne connaissent, ni n’intègrent, ni ne synthétisent comme nous. Ils n’ont plus la même tête. » [1] Même si cela reste à prouver, il est raisonnable de vivre le changement comme une opportunité…

Vous avez dit "virage numérique" ? Et pourquoi pas rivage, mariage… ou marivaudage numérique, tant que ce n'est pas ravaudage voire ravage numérique ! Vous avez bien lu : virage et non mirage ou, peut-être même, miracle numérique…

De longue date, d'aucuns ont cru bon opposer littéraire à scientifique ; dans certains cursus, certaines structures, un choix doit être fait, encore et toujours, entre le latin – ou le grec – et les sciences, comme si les humanités, l'humanisme était opposé à la technique, à la technologie, comme s'ils étaient opposés, incompatibles, et donc concurrents, rivaux !

Aujourd'hui, il est proposé, dans l'Alma Mater lausannoise notamment, un master, une maîtrise universitaire en humanités numériques, qui l'eût cru il y a peu de temps encore ? Tel le mariage de la carpe… et du latin ? Une union en forme d'oxymore ? Et dans le concept d'"alphabétisation numérique", n'y a-t-il pas une forme d'amalgame, de rapprochement incongru entre les chiffres et les lettres ? À l'heure où l'alphabet sert aussi à désigner les générations successives – X, Y, Z –, l'homo numericus, ou digitalis, serait-il une résurgence du patrimoine au service de la modernité ?

Peu importent la génération, le cursus et le tempérament, chacun s'accordera sur le fait que la complémentarité et la diversité des personnalités, des parcours – des curricula ! – et des acquis font la richesse d'un groupe, d'une équipe… de direction, par exemple. Tout ce que le numérique apporte et apportera à l'école et à l'éducation au sens large ne pourra que l'enrichir, développer les compétences et les savoir-faire, certes, mais ne compensera en rien, n'exclura en rien la contribution, tout aussi précieuse, des atouts et vertus en matière de posture, de savoir-être que représente une promotion de la culture humaniste, indépendamment de l'apprentissage d'une langue mère – et n'y voyez pas d'allusion à la carte mère ! Mais cela est une autre histoire…

Emboîtons donc résolument le pas à cet apport de la modernité, de la technologie, incomputournable, dans ce qu'il a de plus précieux, l'ouverture vers un monde déjà si présent, omniprésent, même si, sans doute, à découvrir encore et encore, avec toutefois cet adage – oxymorique – en tête : festina lente, hâte-toi lentement, dans cet univers, tourbillonnant, où tout, toujours, va si vite, et remettons-nous en à l'immortel Jean de la Fontaine pour affirmer que ce n'est pas une "gageure" que d'aller, sur ce terrain, "son train de sénateur" … déterminé !

À chacune et chacun des participants, nous souhaitons un très riche et très plaisant séminaire.

Pierre-Etienne Gschwind et Patrick Houlmann


ainsi que le comité d’organisation :

Alain Basset, Philippe Cornaz, Ariane Denonfoux, Elena Fernandez, Stylianos Meintassis, Jérôme Metral, Bernard Riedweg, Deborah Wenger


[1] Michel Serre, Petite Poucette, Le Pommier, 2012, p. 13