Le XIXème siècle

UNE PÉRIODE DIFFICILE


Sous le Consulat et l’Empire, les choses se gâtèrent entre le Département et la Ville de Nantes à propos du règlement des frais de « nettoiement » demandés par le Gouvernement.

Une lettre de PORTALIS, ministre de l’Intérieur, au Préfet de Nantes, en date du 10 brumaire, an 13 (1er novembre 1804), spécifiait que « les 1260 livres demandées pour ces frais de nettoiement, revenaient à la charge de la Commune et non au Département, puisque la Cathédrale venait d’être restituée au culte et laissée à la dite Commune ».

gravure de Christien NYSSENau dos de l'écusson portant la signature de F-H Clicquot


Ces travaux de « nettoiement » avaient été réalisés par Christien NYSSEN, « facteur d’orgue demeurant au Pouliguen, près Guérande », avant de s’installer cours Saint-Aubin à Angers. Il eut beaucoup de mal à rentrer dans ses frais.

Christien NYSSEN avait, du reste, déjà travaillé au Grand Orgue de la Cathédrale en 1784, sous la direction du « célèbre CLICOT ». Compagnon du grand facteur, il participa au montage de plusieurs grands instruments de la capitale : Saint-Sulpice, Saint-Merry.

Seul, dit-il, il construisit plusieurs orgues dans l’Ouest : Le Croisic, Bressuire, Le Ronceray, les Jacobins d’Angers.

A Nantes, on lui doit entre autres, le jeu de voix Humaine qui, à ses dires, serait « la plus belle voix humaine d’orgue qu’il y ait en France »

La tourmente passe et la Cathédrale rendue à sa destination, le Chapitre, toujours vigilant, songea à faire relever le Grand Orgue, qui désormais appartient à l’Etat.

En 1812, plusieurs facteurs furent pressentis. Un nantais, J-L CLASSING emporta le marché. Cependant, Christien NYSSEN revint à la charge, prétendant que le « Sieur CLASSING » n’était pas vraiment facteur d’orgues et pria le Ministre de l’Intérieur « de vouloir bien ordonner que le marché passé au Sieur CLASSING soit suspendu », que « l’entreprise » soit donnée à lui « auteur de l’orgue de Saint-Pierre de Nantes » …. afin que ce bel instrument soit « conservé et non dégradé ». (Lettre de Christien NYSSEN au Ministre de l’Intérieur – 13 juillet 1812).

Les choses en restèrent là.

En 1833, le Chapitre confia à nouveau le soin de relever l’instrument à un autre facteur nantais, d’origine bavaroise, GEIGER, qui ne fit qu’un travail incomplet.

En 1844, on demanda un devis à la maison DAUBLAINE-CALLINET de Paris. Sans résultat.

Puis, en 1846, on pressentit le successeur de CALLINET : DUCROQUET, sans plus de succès, malgré les instances de l’Evêque de Nantes auprès du Ministre des Cultes.

A la vérité, l’argent manquait. La Révolution avait dépouillé l’Eglise et ruiné les ressources de la Cathédrale.

Le Gouvernement, sollicité, se contentait de promettre.

Le 8 octobre 1849, un rapport sur l’orgue est minutieusement détaillé par M. HAMEL, délégué du Ministre des Cultes. C’était l’époque où l’on construisait le chœur de la Cathédrale resté inachevé

Vers 1850, l’organiste, M. MINARD, se fait plus pressant encore, ainsi qu’en témoigne sa lettre :

« L‘orgue n’a subi aucune réparation depuis 1780, aussi est-il dans un état déplorable, la soufflerie surtout est tellement défectueuse qu’elle ne donne plus le vent nécessaire, aussi les jeux d’anches ne parlent pas dans le dessus, et par compensation, les jeux de fonds ne disent rien dans les basses.

Les claviers sont de 1619, c’est dire dans quel état ils sont ; les touches noires enfoncent de plusieurs centimètres au dessous des touches blanches, ce qui est peu intéressant pour l’organiste ; les sommiers perdent le vent ; plusieurs jeux d’anches sont tellement usés qu’il devient impossible de s’en servir ; je cite comme tels, la voix humaine et le krumhorn.

Pour couronner le tout, les soufflets du positif étant plus détériorés que les autres, le positif reçoit moins de vent et n’est jamais d’accord avec le grand orgue.

Malgré cela, l’orgue produit encore un bel effet, les jeux du grand orgue ont une grande puissance dans le médium, la bombarde à la main est d’une qualité supérieure, on peut en dire autant de la trompette et du hautbois du positif. Il n’est pas douteux que, si cet instrument était bien réparé, il ne fut un des meilleurs de province.

Il est encore une chose qui mérite la faveur d’une réparation qui devient de plus en plus urgente, je veux parler du peu de solidité du buffet qui date de 1619, et qui surplombe de vingt centimètres.

Quoique les Bretons aient la réputation d’avoir la tête dure, ils seraient peu flattés, je pense, d’être un jour coiffés par l’orgue. »

atlante et sculptures du grand buffetphoto : JP Drapeau

LA RESTAURATION DE JOSEPH MERKLIN


Enfin, en 1866, le Chapitre se décide à désigner une commission composée de MM. BOURGAULT-DUCOUDRAY, compositeur nantais, Grand Prix de Rome, MARTINEAU, Maître de Chapelle et MINARD, organiste de la Cathédrale.

Cette commission ne voulant rien laisser au hasard, entrepris un voyage d’étude à Paris « dans le but d’y entendre et d’y examiner les principales orgues d’églises et d’y visiter les ateliers des plus habiles facteurs ». La commission visita Saint-Eustache, Saint-Eugène, Saint-Vincent de Paul, Sainte Clotilde en compagnie de CAVAILLE-COLL et de « Monsieur FRANCK » qui voulut bien présenter en outre l’orgue de Saint-Sulpice en l’absence de son titulaire LEFEBURE-WELY.

Ces messieurs de la commission visitèrent également en province les orgues de Rouen et de Rennes.

On mit en concurrence deux facteurs : MERKLIN-SCHUTZE, alors établi boulevard Montparnasse à Paris, et Aristide CAVAILLE-COLL, le facteur bien connu.

Le devis, très étudié et fort complet d’Aristide CAVAILLE-COLL envisageait une totale refonte de l’instrument. Celui de MERKLIN, plus modeste, modifiait peu le chef-d’œuvre de CLICQUOT, se proposant surtout d’améliorer l’alimentation très défectueuse.

Ces devis furent soumis à l’examen de deux organistes parisiens : Ambroise THOMAS et François BENOIST, ancien organiste de la Cathédrale et professeur d’orgue au Conservatoire de Paris.

Mais en dernier ressort, il revenait au Chapitre et au Conseil de Fabrique de la Cathédrale de décider du choix entre CAVAILLE-COLL et MERKLIN.

Or, les prix différaient sensiblement : CAVAILLE-COLL demandait 81125 francs et MERKLIN 74000 francs.

Au cours de sa séance du 21 octobre 1866, présidée par Monsieur l’Abbé RICHARD, le Conseil de Fabrique opta pour le devis de MERKLIN en raison de la « dépense inférieure au prix demandé par M. CAVAILLE-COLL ».

Le travail consista surtout à changer la soufflerie. Quant aux jeux, l’orgue de CLICQUOT était respecté dans son ensemble.

MERKLIN apporta cependant quelques modifications :

- au Positif, le plein-jeu était remplacé par un salicional de 8.

- au Grand Orgue, suppression du nasard et de la grosse tierce, ajout d’un violoncelle de 8.

- le Récit s’enrichissait d’un bourdon de 8.


Au demeurant, l’essentiel de l’orgue de CLICQUOT subsistait, malgré les regrettables suppressions du plein-jeu du Positif, du nasard et de la grosse-tierce du Grand Orgue. Il est certain que si le devis de CAVAILLE-COLL l’avait emporté, l’orgue de la Cathédrale aurait trouvé une unité d’harmonie sans doute remarquable, mais dans un tout autre esprit.

les chimères de la tourelle centralephoto : JP Drapeau