Rares sont aujourd’hui les projets de recherches, les programmes de formations, les thématiques de colloques, les sommaires de publications, les guides pédagogiques, les recommandations ministérielles, les évaluations des enseignants où l’innovation n’est mise en exergue. Si on peut s’en réjouir à première vue, cette obsession ou plutôt cette injonction à l’innovation devrait tout de même susciter quelques questions. D’abord, est-ce parce que le mot et le concept de progrès sont devenus presque tabous que ceux d’innovation, moins compromettants et exigeants, ont pris leur place dans les esprits et les classes ? Sans espoir de faire mieux, se contenterait-on de faire (un peu) différemment ? Le seul changement, pourvu qu’il se répète, suffirait-il à stimuler l’enseignement et l’apprentissage, peu importe ses tenants et aboutissants, à l’instar du fonctionnement de la mode ? Est-ce parce que l’on estime au contraire que les méthodes actuelles sont parfaites ou inéluctables, qu’après les révolutions de la génération précédente, l’histoire de la didactique est maintenant achevée et qu’il ne reste donc plus qu’à proposer des variations à partir de principes qu’on ne pourrait plus remettre en cause ? Par ailleurs, pourquoi les innovations pédagogiques sont-elles essentiellement technologiques comme si le numérique avait complètement phagocyté la didactique et l’école ? Est-ce qu’aussi cette exigence à innover à tout prix ne place pas les enseignants, qui ne se sont pourtant jamais privé de prendre de tout temps des initiatives, devant une paradoxale double-contrainte qui serait au contraire inhibante ? Et devant une responsabilité personnelle qui incombe pourtant au système socio-éducatif ? Bref, quels enjeux et quels risques pour l’enseignement (des langues et des cultures) d’adopter la devise « Innovate or perish » du nouveau Darwinisme ? Enfin, au-delà de ces innovations plébiscitées, n’y-a-t-il pas des mutations plus profondes et importantes à préparer ou à susciter en enseignement des langues étrangères en vue du jour prochain où leur pratique quotidienne, privée comme professionnelle, sera complètement prise en charge par l’Intelligence artificielle ? En faveur d’une didactique plus humaniste, peut-être?