Le haïku constitue certainement la plus proche mesure du silence. Sonore ou visuel, il est cet appel d’air qui habite le vide, le remplit de la force d'un immense potentiel.
Souffle premier…
N'oublions pas que le mot « poésie » vient du grec "poiein" c’est-à-dire " faire", "créer".
Voilà bien le propre du calligraphe qui, "d’un seul souffle, un seul trait" reproduit à chaque fois l'acte démiurge. Toute calligraphie est en soi un prolongement du premier trait horizontal représentant le Tao : celui du chiffre un, qui sépare le non-manifesté du manifesté, le visible de l'invisible…
L'art subtil du haïku constitue quant à lui une épiphanie, il s'agit d’épingler par ses seuls sens un instant simple de la vie quotidienne et de le restituer sous l’angle le plus insolite qui soit. Car la vie malgré ses répétitions reste inédite.
Chez Aline Palau Gazé, le sens premier, le plus présent, est bien sûr celui de la vue, regard du peintre, apparaissant en aplats de couleur et jaillissements d'encre tant dans la composition de ses poèmes que dans la fulgurance d'une "peinture calligraphique" l'accompagnant :
Turquoise d'octobre
Le héron cendré cisaille
Les champs barbelés
Mais les autres sens fonctionnent parfois comme par synesthésie, venant compléter la vision, l’élargir :
Fenouils hérissés
Coquilles en chapelet~
L'odeur de la pluie
Les 4 saisons dans leurs tonalités principales fourmillent de tâches et d'images vagabondes.
Entre silence et trop plein de couleurs, il s'agit de saisir la juste sensation, celle qui vous prend et vous emporte, d'un sens à l'autre, d'une portion d'année à la suivante.
Rien ne change : impermanence des saisons, tout bascule : fugacité et fragilité de l’être.
Tout le reste n'est que souffle, il suffit de le capter…
Hélène PHUNG - Nattages, La Pierre, Février 2016 -
Automne, argent, turquoise et sépia :
le ciel de septembre
lueur argent sur l’étang –
un duvet de cygne
nacrée de lumière
nuit de claire transparence -
cri d’engoulevent
lumière sur soie
la plume glisse sur l’eau –
le fil de la vie
mer blanche de lune
bois le petit lait du ciel –
efface les rides
turquoise d’octobre –
le héron cendré cisaille
les champs barbelés
matin bleu d’octobre –
la rosée sur les roseaux
au bout de l’onglée
aigrette en finesse
glisse sur le taureau noir –
amours impossibles
horizon turquoise –
l’alouette supervise
l’envol des assiettes
plongeon azuré
piqué éclaire l’eau trouble –
un martin-pêcheur
pluie de novembre –
grenouille aux yeux d’or
tire les fils du soleil
les couleurs vous fuient
vieux ceps tordus épuisés –
novembre en sépia
Hiver, noir, rouge et bleu
l’arbre dégarni
un tapis d’or pour linceul –
semences stériles
sous le sapin noir
comme un affront à l’hiver
brille la jonquille
en son habit noir
il affûte ses bourgeons
le bel amandier
horizon profond –
lumières et plumes rouges
nagent glissent volent
le ciel de garance –
en menace sur l’étang
la plainte du vent
flamants flamboyants
sur les rides glissent –
une haie d’aigrettes
le froid ralentit
la sève se raréfie –
une attente bleue
hurlements du vent
sur la crinière des arbres –
la réponse des chiens
partout de la boue
douceur grise puanteur –
le chant des oiseaux
Printemps, violet, vert et or
violette anémone
première couleur fleurie –
le bleu se réchauffe
un ciel de mars tout violet
réveil sur les toits -
tu cueilles l’instant
doux jardin d’hiver –
lierre et ibiscus
mêlent leur réalité
rameau malmené
par la froide Tramontane –
l’amandier en pleurs
de vert épanoui
sous la pluie l’amandier chante –
un frisson passe
au milieu du ciel
un baiser dans la grisaille –
l’herbe pour rêver
paon à la sauvette
éclair vert sur la barrière –
la route à côté
immobilité
des yeux dorés aux aguets –
un plouf dans l’étang
morceau de soleil
comme une balançoire –
pavot tout froncé
lumière dorée
au-dessus des épis roses –
ballet d’hirondelles
Eté, rose, orange et ocre
juin le mois des fleurs –
la nôtre en attente pousse
dans un ventre rond
coussin d’églantines
percé de froissements d’ailes –
un nid bien caché
couples de saison-
chaque scabieuse son zygène
le long du chemin
velours de la peau
sur les formes rebondies –
l’abricot fondant
deux safrans volettent
dans la chaleur étouffante
un air de fraîcheur
bouches grand-ouvert
les capucines en chœur
boivent la chaleur
chemin de montagne –
au vent balayant la brume
des chevaux paisibles
champ de papillons
ondoyant dans la chaleur –
perte d’équilibre
vol des pipistrelles
sur les paupières du ciel –
un lever de lune