DOCUMENT 1 : Image du corps dans la philosophie orientale : le yoga
Dans le cadre de l’ECJS (Education civique, juridique et sociale), la Terminale ES3 a été amenée à s’interroger sur les différentes pratiques et représentations culturelles du corps : si le modelage du corps humain apparaît comme infiniment varié - l’homme se spécifie, en effet, par le fait qu’il ne laisse pas son corps à l’état "naturel", qu’il l’éduque, le transforme, le décore voire le mutile -, qu’en est-il de cette pratique, très éloignée des modèles de l’éducation physique occidentale : le yoga ?
Les élèves ont souhaité rencontrer un professeur de yoga. Ce fut chose faite, le mardi 4 février 2003, grâce à Catherine MENARD, diplômée de l’Ecole Normale de Yoga de Sèvres qui enseigne le yoga, entre autres, à POISSY (cours municipaux au service social du 3ème âge - formation à la relaxation des élèves infirmières de l’hôpital de Poissy).
Présentation théorique du Yoga
Catherine Ménard a d’abord témoigné de son parcours personnel. Enseignante depuis 27ans, elle pratique le yoga depuis l’âge de 14 ans :
"J’aimais la pratique du sport, dit-elle, mais je sentais bien qu’elle ne correspondait pas à mes attentes personnelles. J’ai commencé à m’intéresser à un certain nombre de pratiques et notamment le yoga. Cela a abouti à ce que très rapidement, à 18 ans, je fasse une formation d’enseignant de yoga. Ce parcours est une chance que je me suis donnée et je ne le regrette pas. N’oubliez-pas : être motivé par quelque chose et tout faire pour la réaliser, c’est une chance que l’on se donne". Puis Catherine Ménard a parlé du yoga.
Le yoga : d’abord une pratique spirituelle
Il faut savoir que traditionnellement, dans son pays d’origine, l’Inde, le yoga est une pratique spirituelle. Une pratique spirituelle, non pas dans le sens où nous l’entendons c’est-à-dire quelque chose de complètement éthéré, désincarné, mais une pratique qui cherche à harmoniser l’être humain, qui l’aide à retrouver son unité. Cela veut dire que l’on essaie de mettre en réunion tous les aspects de notre être, aussi bien par le corps que par l’esprit.
Cet accord passe par une prise de conscience de ce que nous sommes (qui suis-je ? Comment je fonctionne ?). Très souvent, sans nous en rendre compte, nous sommes "menés" par notre mental. Nous croyons être libres mais nous ne le sommes pas toujours. Notre mental nous joue des tours : par exemple, il y a les conditions de culture, de famille, de système de pensée. Le yoga va nous apprendre à prendre conscience de toutes ces influences intellectuelles, affectives et sentimentales. Par exemple, quand nous aimons quelqu’un très fort, il n’y a que cela qui compte, nous ne voyons qu’une facette de la réalité. En yoga nous disons une facette du "diamant".
A partir de cette idée que nous sommes "menés", nous allons essayer de retrouver notre liberté intérieure, de nous retrouver indépendamment de ce que nous pouvons vivre à l’extérieur, indépendamment des évènements qui parfois peuvent être très douloureux. Cette voie qu’est le yoga nous apprend non pas l’indifférence mais une forme de distance, de façon à être moins altéré par ce qui se passe, de façon à amarrer en nous ce bonheur que nous recherchons tous. Prenons la métaphore de l’ascension d’une montagne : nous avons envie de monter au sommet d’une montagne parce que nous avons envie d’abord d’être grisé et puis nous avons envie de voir tout ce qui se passe autour. Nous avons alors accès à quelque chose qui nous laisse une expérience bienheureuse, une expérience d’union.
Union, mais avec quoi ? C’est un état où l’on se retrouve SOI en entier et pas seulement une partie de nous-même. C’est aussi un état où nous retrouvons notre dimension universelle. Vous savez peut-être qu’il y a des êtres qui dans certaines de ces pratiques vont se mettre à proximité de la nature, près d’une source, d’une rivière, d’une montagne. Dans toutes ces voies de développement personnel, nous sommes parties intégrante de l’univers, comme une plante, un papillon. A partir de là nous sommes amenés à respecter l’univers, à nous respecter, à respecter en nous ce rayonnement.
Le corps - le souffle - l’énergie
Comme je vous le disais tout à l’heure, il y a souvent une méconnaissance du yoga au niveau pratique. Lorsque l’on voit des postures compliquées, on croit que c’est la réalisation physique qui est visée. Or dans la pratique yogique nous considérons le corps comme un moyen, un véhicule qui nous permet d’accéder à des états de conscience et en particulier à un état de conscience tranquille.
Pour vous permettre de mieux distinguer les choses, je dirais en simplifiant un peu que le yoga est une voie spirituelle et que le hatha yoga en est la part la plus physique. Mais pas "physique" dans le sens réducteur : certains pensent en voyant les postures que le yoga est "physique", mais ce n’est pas du tout cela. La posture est comme l’ultime manifestation d’un rayonnement. Ce n’est plus quelque chose de matériel. D’ailleurs nous apprenons en yoga à ne pas nous attacher à notre corps. Nous faisons tout pour le maintenir en bonne santé, pour le maintenir "rayonnant" pourrions-nous dire, mais comme il fait partie d’un tout, il retourne à l’univers. Une part de nous, la plus subtile, est considérée comme devant perdurer.
Il y a dans notre pratique des exercices dits énergétiques. Nous allons travailler sur le souffle. Le souffle est très important. Le souffle, on le retrouve dans toutes les grandes philosophies et particulièrement les philosophies grecques, par exemple celles de Platon et d’Aristote. Cette notion de souffle ne renvoie pas seulement à de l’air qui passerait en nous : il est transmetteur d’énergie. Le souffle, c’est de la vie à l’état pur. Par le souffle, nous nous retrouvons, nous retrouvons l’état de vie. Quand vous expérimenterez tout à l’heure la séquence de relaxation, vous pourrez retrouver le contact avec ce flux de vie.
Pour cela il faut beaucoup répéter. Il faut souvent taper à la porte avant que la porte ne s’ouvre. Le yoga est une école de patience alors que nous, en Occident, nous voulons aller vite, nous voulons tout, tout de suite. Et là, c’est tout l’opposé, c’est une école de la patience. Dans cette "philosophie" du yoga, si tant est que nous puissions l’appeler philosophie, nous n’avons pas la même notion du temps : en yoga, ce qui compte, c’est l’instant présent. En Occident, il faut "profiter" de l’instant présent. L’expression n’est pas anodine : cela veut dire qu’il faut se dépêcher parce qu’à un moment donné il y aura une échéance. En yoga, c’est le contraire. On ne voit pas du tout les choses comme ayant un début, un milieu et une fin. Il faut être dans l’instant présent pour retrouver la signification pure de la vie, de ce lien à ce que nous sommes, de ce lien à l’univers, indépendamment de ce que nous faisons.
J’aimerais revenir à cette notion d’énergie. La plupart du temps, nous méconnaissons le fonctionnement de notre corps. En Occident, nous avons décrit le fonctionnement mécanique, anatomique, physiologique du corps. Cette connaissance occidentale est intéressante ; elle a amené des applications médicales tout à fait utiles. Mais cette connaissance serait à relier à la connaissance orientale du corps qui amène à considérer l’énergie. En yoga, nous considérons qu’il y a plusieurs couches du corps, non pas des corps que nous pouvons palper mais des corps qui seraient comme des couches successives de niveaux d’énergie. Et ces niveaux d’énergie transparaissent à travers déjà ce que l’on voit, ce que l’on palpe. Cela nous amène à retrouver dans notre corps des zones, des parcours, des carrefours d’énergie. Une fois que l’on a accès à ces parcours d’énergie, on peut développer l’activité d’énergie. Ce qui va nous permettre d’être en meilleure santé et surtout de pouvoir mieux nous orienter vers ce qui nous intéresse, d’être moins dispersés, de nous laisser moins absorber par le mental.
Dans ce genre de démarche, nous ne recherchons pas du tout la performance. Ce qui nous intéresse, c’est se retrouver soi. Chacun pratique selon ses possibilités et selon ses besoins. C’est une expérience intérieure, totalement personnelle. On n’a pas à la comparer à celle de l’autre. On ne se soucie pas du regard des autres, on s’observe : par exemple, nous pouvons constater à un moment donné notre absence de concentration. En yoga nous travaillons la concentration. Qu’est-ce que "se concentrer" ? Ce mot a souvent une connotation négative parce qu’il fait penser aux exercices scolaires. Certains n’apprécient peut-être pas ce mot ici. Mais en yoga la concentration n’a pas un sens intellectuel. Il s’agit de déposer le mental (celui qui me fait penser : "un tel m’a dit cela", "tout à l’heure, je vais faire cela", "je ne me sens pas bien"), pour rassembler toutes les forces en moi de développement, pour pouvoir être au mieux, pour pouvoir m’épanouir, retrouver mes capacités à avancer. Se concentrer c’est revenir à son centre intérieur. Nous pouvons nous imaginer comme un jardin intérieur : il s’agit de ne pas se laisser influencer par les sollicitations extérieures, essayer le plus possible d’être nous-mêmes.
Discussion
Discussion après la conférence et un cours de pratique
TES3 :Ce qui m’a frappé dans votre exposé et dans la pratique c’est "l’élévation" comme si vous privilégiiez le rapport avec le ciel.
C.M. :L’être humain est entre ciel et terre. Il faut aussi s’ancrer dans la terre. Nous avons perdu ce contact à la terre et à la nature que certains peuples ont gardé. A travers la pratique du yoga nous essayons de retrouver ce lien parce que c’est équilibrant. Cela nous permet aussi de nous dépasser, de dépasser nos petits problèmes. Il faut savoir se dégager du nombrilisme pour s’ouvrir. Nous avons à nous ouvrir à nous-mêmes, à toutes nos possibilités créatrices. Tant que nous sommes embourbés dans des problèmes personnels, nous avons tendance à étouffer les forces qui sont en nous.
TES3 :Ces zones d’énergie quelles sont-elles et comment a-t-on pu les établir ?
C.M. :Nous avons des points d’énergie sous le nombril, en arrière du pubis, au niveau du périnée, du cœur, à la base du cou, entre les sourcils, au sommet du crâne. Tout ce que nous savons en yoga relève d’une connaissance ancestrale, passée de maître à disciple. Ce ne sont pas des connaissances élaborées dans un laboratoire comme en Occident. Elles se sont faites par l’intériorisation et la méditation, à force d’un travail sur soi. Quand on fait un travail sur soi, on retrouve des choses par nous-mêmes d’où cet avantage voire cette nécessité de connaître c’est-à-dire de donner naissance à quelque chose. Ce qui est intéressant c’est aussi d’apprendre par soi-même. Ce que nous apprend cette voie du yoga, c’est à redécouvrir une connaissance qui est déjà là en nous, aussi bien sur un plan physique que sur un plan mental. Par exemple, on peut repérer une zone d’énergie par le souffle : si l’on expire complètement au niveau du ventre, on constate une sensation de chaleur sous le nombril. Cette expérience ne vient pas comme cela. Il faut répéter l’expérience, il y a des barrières à faire sauter.
TES3 :Est-ce que vous pratiquez parfois avec un fond musical ? Par exemple dans ma pratique de relaxation, j’arrive mieux à me détendre si j’ai un fond musical.
C.M. :Il faut bien différencier la pratique du yoga avec des pratiques très intéressantes au demeurant comme la relaxation. C’est très bien de se relaxer avec de la musique mais ce n’est pas du yoga. Le yoga, c’est se retrouver. Or si on met de la musique cela occasionne des états un peu rêveurs. En yoga, il ne s’agit pas d’aller dans ses rêves au contraire il faut revenir dans une réalité qui est là mais qui est difficile à aborder. Dans un premier temps, il faut se retrouver dépouillé de tout ce que le mental a tendance à nous bombarder. Nous sommes conditionnés par toutes sortes de choses. Par exemple, certains d’entre vous ont ri à un moment de la pratique. Pourquoi avez-vous ri ? C’est parce que vous avez des pensées qui vous sont venues, des sollicitations dues à des conditionnements. Pourquoi pleurons-nous aussi ? C’est parce que nous nous laissons submerger par notre affect. Ce que je vous ai proposé, mais je sais que c’est difficile, c’est tenter de lâcher toutes ces sollicitations ( par exemple quand je me dis que l’autre est à côté de moi, il bouge et cela me fait rire).
TES3 :Avez-vous fait votre formation en Inde ?
C.M. :Non, en France. C’est une idée erronée de croire que pour être enseignant il faut être allé en Inde. Ce n’est pas forcément en Inde qu’il y a le meilleur enseignement. J’ai fait l’Ecole Normale de Yoga, j’ai fait l’Ecole du Soleil d’or et après d’autres formations auprès de maîtres qui étaient en France. J’ai connu la merveilleuse époque où les maîtres indiens venaient en France.
TES3 :J’ai eu des problèmes de concentration. Est-ce que certaines personnes sont plus douées que d’autres ?
C.M. :Certaines personnes ont plus de facilités que d’autres à l’intériorisation. Vous le remarquez vous-mêmes avec vos copains, copines : certains sont plus tournés vers l’extérieur, d’autres sont plus tranquilles, tournés vers eux-mêmes. Mais tout le monde peut y arriver en pratiquant, en travaillant.
TES3 :Est-ce que cela vous a apporté quelque chose de meilleur ?
C.M. :Cela m’a beaucoup apporté. C’est avant tout une voie d’épanouissement et cela m’a apporté un accès à un bonheur intérieur qui n’est pas lié comme je vous l’ai dit tout à l’heure au bonheur extérieur. Dans nos sociétés on nous raconte beaucoup que pour être heureux il faut avoir une certaine réalisation en dehors de laquelle on ne réussit pas sa vie. Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille et si l’on n’est pas armé, si l’on n’a pas de force intérieure, une détermination à être orienté favorablement, on se laisse très très vite démonter par tout ce qui peut nous arriver. Tous les jours je me dis que j’ai bien de la chance d’avoir fait ce parcours.
TES3 :Pourquoi joint-on les mains pour saluer en fin de pratique ?
C.M. :On salue une connaissance qui se transmet de maître à disciple et puis c’est un signe de respect.
TES3 :N’y a-t-il pas une connotation religieuse ?
C.M. :Ce n’est pas une religion. Ce que je vous ai fait pratiquer peut être pratiqué par tout pratiquant de toutes les religions. Pour vous la religion c’est se saluer ?
TES3 :Non mais même dans ce que vous dîtes par moments j’ai l’impression d’avoir affaire à une religion.
C.M. :Je vous ai dit : c’est une voie spirituelle. Mais cela ne veut pas dire une religion. Vous confondez voie spirituelle et religion. Vous pouvez très bien si vous êtes chrétien, musulman, juif, utiliser le yoga pour votre religion.
TES3 :N’y a-t-il pas de représentation religieuse dans le yoga ?
C.M. :Il ne faut pas confondre le yoga et l’hindouisme même si parfois on trouve des formes yogiques anciennes qui se trouvent liées à l’hindouisme. Mais par exemple les déités de l’hindouisme sont plutôt à interpréter comme des forces que comme des entités. Mais le yoga n’est pas une religion.
TES3 :C’est comme un art de vivre ?
C.M. :C’est une voie de développement personnel. Celui qui n’a pas de religion, celui qui est athée va trouver une source de bien-être, peut-être une réponse à certaines questions. Celui qui a une religion, cela va être une aide. Religion ou pas religion cela n’a aucune espèce d’importance. Ce n’est pas parce que l’on se salue que l’on pratique une religion. On peut penser aussi que le geste de joindre les mains correspond à la symbolique de la réunion : on harmonise et renoue le lien avec soi et avec le monde.
TES3 :C’est comme dans les arts martiaux, on se salue mais ce n’est pas un signe de croyance religieuse.
C.M. :C’est une spiritualité laïque. On ne vous a pas du tout parlé de Dieu. Je vous ai parlé de vous retrouver vous. A la limite vous pouvez considérer que le fait de vous retrouver vous, c’est comme votre religion si vous le voulez… Le terme de religion signifie "se relier". On l’oublie trop souvent. Souvenez-vous, en début de séance, je vous ai parlé d’influences : les religions -je les mets toutes sur le même pied d’égalité- nous influencent. Elles ont tendance à nous cloisonner. Et bien nous avons à retrouver l’état de lien à nous, à l’être humain, à l’univers indépendamment des religions. C’est une affaire personnelle mais nous avons à retrouver ce qui peut nous relier à nos racines intérieures et à l’univers. Cela, c’est la plus belle religion, ça relie tout le monde. Ce que je souhaite pour vous ce n’est pas que vous pratiquiez le yoga- cela m’est égal- c’est que vous reteniez cette dimension : réaliser un travail sur soi est toujours bénéfique. Cela déborde à la limite le cadre du yoga. Il y a par exemple aussi des sports solitaires comme l’escalade qui nécessitent cette expérience avec soi-même, cette rencontre que l’on a parfois tendance à occulter au profit de la réussite. De toute manière ce que nous ne voulons pas voir dans l’instant présent nous sera renvoyé tôt ou tard comme un boomerang.
TES3 :Et on ne peut pas le trouver sans faire de yoga ?
C.M. :Mais pourquoi pas ? A vous de trouver !
Rapporteur de la séance : Maïté LOISEAU, professeur de philosophie.