Textes de préparation au Carême
LE JEÛNE
Par Saint Tikhon de Zadonsk
Il y a un jeûne corporel, il y a aussi un jeûne de l’âme :
- le jeûne corporel, c’est lorsque le ventre s’abstient de nourriture et de boisson,
- le jeûne de l’âme, c’est lorsque l’âme s’abstient des mauvaises pensées, des actes et des paroles.
Un jeûneur parfait est celui qui s’abstient de la débauche, de l’adultère et de toute impureté.
Un jeûneur parfait est celui qui se retient de la colère, de la fureur, de la méchanceté et de la vengeance.
Un jeûneur parfait est celui qui a imposé l’abstinence à sa langue et qui la retient des paroles vaines, des niaiseries, des obscénités, du mensonge et de toute médisance.
Un jeûneur parfait est celui qui retient ses mains du vol, du rapt, du pillage et son cœur du désir d’autrui.
En un mot : le bon jeûneur est celui qui s’éloigne de tout mal.
Tu vois, ô chrétien, quel est le jeûne de l’âme ! Le jeûne corporel est utile, il sert à mettre à mort les passions, mais le jeûne de l’âme est absolument nécessaire, que sans lui, le jeûne corporel n’est plus rien.
Nombreux jeûnent corporellement, mais non dans l’âme.
Nombreux jeûnent s’abstenant de nourriture et de boisson, mais ne s’abstiennent pas des mauvaises pensées et paroles, et quel bien en tirent-ils ?
Nombreux jeûnent deux ou trois jours et même davantage, mais ne veulent pas s’abstenir de la colère, des mauvaises pensées et de la vengeance.
Nombreux s’abstiennent du vin, de la viande et du poisson, mais avec la langue mordent les hommes qui leur sont semblables et quel bien en tirent-ils ?
Il existe certains qui, souvent, ne touchent pas à la nourriture avec les mains, mais les étendent sur la corruption, le rapt et le pillage des biens d’autrui, et quel bien en tirent-ils ?
Le véritable et vrai jeûne est l’abstention de tout mal. Donc, ô chrétien, si tu veux que le jeûne te soit profitable, alors, en jeûnant corporellement, jeûne dans l’âme et jeûne toujours. Comme tu imposes un jeûne à ton ventre, imposes-le à tes mauvaises pensées et tes fantaisies.
Que ton intellect jeûne de vaines pensées,
que ta mémoire jeûne de rancune,
que ta volonté jeûne de mauvais vouloir,
que tes yeux jeûnent de mauvaises visions : « Détourne tes yeux pour qu’ils ne voient pas la vanité » (Ps.118/37),
que tes oreilles jeûnent des mauvaises chansons et des chuchotements, de calomnies,
que ta langue jeûne de la calomnie, du jugement, des blasphèmes, du mensonge, des flatteries, des obscénités et de diverses paroles vaines et corrompues,
que tes mains jeûnent du rapt de biens d’autrui,
que tes pieds jeûnent d’aller accomplir de mauvaises actions : « Détourne-toi du mal et fais le bien » (Ps.33/15).
C’est cela le jeûne, ô chrétien, que Dieu exige de nous. Repens-toi donc et abstiens-toi de toute parole, d’acte ou de pensées méchantes, apprends toutes les vertus et ainsi, devant Dieu, tu jeûneras toujours.
Source : http://www.orthodoxievco.net/ecrits/peres/tikhon/jeune.pdf (extrait du Trésor spirituel)
ISAïE 58, 2-12
02 Ils viennent me consulter jour après jour, ils veulent connaître mes chemins. Comme une nation qui pratiquerait la justice et n’abandonnerait pas le droit de son Dieu, ils me demandent des ordonnances justes, ils voudraient que Dieu soit proche :
03 « Quand nous jeûnons, pourquoi ne le vois-tu pas ? Quand nous faisons pénitence, pourquoi ne le sais-tu pas ? » Oui, mais le jour où vous jeûnez, vous savez bien faire vos affaires, et vous traitez durement ceux qui peinent pour vous.
04 Votre jeûne se passe en disputes et querelles, en coups de poing sauvages. Ce n’est pas en jeûnant comme vous le faites aujourd’hui que vous ferez entendre là-haut votre voix.
05 Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ?
06 Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ?
07 N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?
08 Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche.
09 Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,
10 Si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi.
11 Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien irrigué, comme une source où les eaux ne manquent jamais.
12 Tu rebâtiras les ruines anciennes, tu restaureras les fondations séculaires. On t’appellera : « Celui qui répare les brèches », « Celui qui remet en service les chemins ».
L'entrée dans le Grand Carême
Par P. Lev Gillet
Le lundi qui suit le dimanche de l’abstinence de laitages est le premier jour du Grand
Carême proprement dit. Nous voici donc entrés dans cette suite de quarante jours qui
nous préparent au temps de la Passion et au temps de Pâques. Avant de nous engager
dans le détail de ces semaines de Carême, il n’est pas inutile de considérer quelques
caractéristiques générales du Grand Carême.
La première de ces caractéristiques est évidemment le jeûne. Nous ne pouvons pas
ignorer ou traiter à la légère la question du jeûne alimentaire, à laquelle nous
consacrons une note spéciale.
Les Pères de l’Église et la conscience collective des fidèles ont parfaitement discerné
la valeur spirituelle, la valeur à la fois pénitentielle et purificatrice, de l’abstention de
certains aliments. Ce serait, cependant, une grave erreur de faire seulement consister le
jeûne du Carême dans l’observance de cette abstention. Le jeûne du corps doit
s’accompagner d’un autre jeûne. La discipline de l’Église des premiers siècles prescrivait
pendant le Grand Carême, la continence conjugale ; elle interdisait la participation aux
festins et l’assistance aux spectacles.
Cette discipline a pu s’affaiblir et ne pas se présenter aujourd’hui aux fidèles avec la
même rigueur qu’au temps des Pères. Elle demeure cependant une indication précieuse
de l’esprit, de l’intention de l’Église.
Cette intention est certainement que nous exercions, pendant le Carême, un contrôle
plus strict de nos pensées, de nos paroles, de nos actes, et que nous concentrions notre
attention sur la personne et les exigences du Sauveur.
L’aumône est aussi l’une des formes d’observance du Carême que les Pères ont le plus
recommandée. Le jeûne agréable à Dieu est un « tout » dont nous ne devons pas scinder
les aspects intérieurs et les aspects extérieurs, mais où les premiers sont les plus
importants.
Une deuxième caractéristique de Grand Carême consiste dans certaines particularités
rituelles dont nous dirons maintenant quelques mots.
C’est tout d’abord la récitation des « Grandes Complies ». Nous savons que l’office de
Complies, (en latin Completorium, « ce qui complète » ; en grec Apodeipnon, « ce qui
vient après le souper »), est le dernier des offices du jour. Les complies ordinaires, ou «
petites complies », constituent un office assez court. Mais, les lundis, mardis, mercredis
et jeudis du Grand Carême, elles sont remplacées par les « Grandes Complies », une
assez longue lecture de psaumes et de tropaires parmi lesquels nous remarquerons une
prière biblique étendue, la prière de pénitence de Manassé, roi de Juda.
D’autre part, la liturgie célébrée le dimanche, pendant le Grand Carême, n’est plus la
liturgie habituelle dite de saint Jean Chrysostome. C’est la liturgie attribuée à saint
Basile, archevêque de Néo-Césarée au IVe siècle. Cette liturgie est plus longue que celle
de saint Jean Chrysostome et le texte en est parfois assez différent. Elle a, dans certains
passages, une saveur archaïque et émouvante, par exemple lorsqu’elle prie pour ceux de
nos frères qui sont dans la maison de César et pour ceux qui sont condamnés aux durs
travaux dans les mines (pensons aux camps de concentration de notre époque).
Le mercredi et le vendredi, pendant le Grand Carême, nous célébrons la liturgie dite «
des Présanctifiés », c’est-à-dire des saints dons consacrés d’avance. Ce n’est pas une
liturgie eucharistique proprement dite, puisqu’elle ne comporte pas de consécration.
C’est un service de communion au cours duquel les prêtres et fidèles communient avec
les éléments eucharistiques qui ont été consacrés durant la dernière liturgie de saint
Basile ou de saint Jean Chrysostome et qui ont été réservés depuis lors. La liturgie des
Présanctifiés s’ajoute aux vêpres. C’est pourquoi, en principe, on devrait la célébrer le
soir. Elle comporte certains psaumes, certaines lectures bibliques particulières, et
certaines prières empruntées à la liturgie de saint Jean Chrysostome. Cette dernière est
célébrée chaque samedi.
Le vendredi après-midi, durant le Grand Carême nous récitons ou nous chantons
l’hymne dite « Acathiste ». C’est un long poème de louange à la Très Sainte Vierge et
Mère de Dieu. Il comprend vingt-quatre strophes disposées selon un ordre alphabétique
et divisées en quatre fragments. Ces fragments sont lus l’un après l’autre - un fragment
chaque vendredi - au cours des quatre premiers vendredis du Carême. Le cinquième
vendredi, on lit l’Acathiste tout entier.
Le Grand Canon » de saint André de Crète est lu intégralement le mercredi soir de la
première semaine de Carême. C’est une énorme composition comprenant deux cent
cinquante strophes. Elles sont réparties en neuf séries d’odes. Ces poèmes expriment les
aspirations de l’âme coupable et pénitente ; elles opposent à la fragilité humaine la
bonté et la miséricorde de Dieu.
Il faut enfin – et peut-être surtout – mentionner l’admirable prière attribuée à saint
Ephrem. Là il ne s’agit plus de la poésie et de la rhétorique qui ne sont pas absentes des
compositions dont nous venons de parler. Nous sommes maintenant devant un pur élan
de l’âme, court, sobre, chaleureux. Cette prière, accompagnée de prostrations, est dite
pour la première fois le soir du dimanche qui précède immédiatement le Carême (l’office
du soir appartient déjà au lundi, premier jour du Carême). On la répète dans la plupart
des offices du Carême, notamment au cours de la liturgie des Présanctifiés.
La prière de saint Ephrem est généralement connue des fidèles orthodoxes. Nous en
rappellerons cependant le texte :
« Seigneur et Maître de ma vie,
délivre-moi de l'esprit d'oisiveté, d'abattement,
de domination et de vaines paroles.
Donne à ton indigne serviteur,
l'esprit de pureté, d’humilité, de patience et d'amour.
Oui, Seigneur roi, donne-moi de voir mes fautes
et de ne pas juger mon frère,
car Tu es béni pour les siècles des siècles. Amen. »**
Cette prière résume tout l’essentiel de la vie spirituelle.
Un chrétien qui la répéterait constamment, qui s’en nourrirait pendant le Carême
serait à la plus simple et à la meilleure école. Quelqu’un même qui se bornerait à répéter
et à méditer ces mots « Seigneur et Maître de ma vie », entrerait profondément dans la
réalité des rapports entre Dieu et l’âme, l’âme et son Dieu.
* Source :
Moine de l’Église d’Orient L’An de Grâce du Seigneur tome II, Éditions An-Nour pp 21-24.
** Note :
Selon l'usage des différentes juridictions et paroisses cette traduction française varie. La
substance reste la même.