Textes divers

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Commentaire sur le Notre Père 

Par Saint Cyprien de Carthage

Thascius Cyprianus (Cyprien) naît au début du IIIe siècle, sans doute à Carthage, la ville la plus importante de l'Afrique du Nord. Sa famille n'est pas chrétienne et c'est seulement quand il a environ 35 ans qu'il est baptisé. Peu de temps après, le peuple de Carthage le choisit comme évêque. L'époque est particulièrement difficile : l'empereur romain Dèce a déclenché la première des grandes persécutions s'étendant à tout l'empire. A l'intérieur de l'Église aussi, l'unité est menacée (rivalités, divisions sur des questions de foi). Cyprien est confronté au schisme des donatistes qui refusaient le pardon à ceux qui avaient renié la foi pendant les persécutions. Il met toute son énergie à chercher la réconciliation, dans la vérité et la charité. L'unité est le but qu'il ne cesse de montrer.

Alors qu'il est obligé, pendant un temps, de vivre dans la clandestinité, il continue de diriger l'Église de Carthage. Le commentaire du Notre Père date de cette époque. On y retrouve les thèmes favoris de Cyprien, en particulier celui de l'unité : la discorde et l'inimitié empêchent la prière. Nous disons Notre Père parce que nous sommes un peuple uni.

Cyprien ira jusqu'au bout de son attachement au Christ, en obtenant la couronne de martyr. Sous la persécution de Valérien, il est arrêté et condamné à mort. De ses lèvres jaillirent les mots que nous prononçons au cours de la liturgie : « Rendons grâce à Dieu ». Il est décapité, le lendemain, le 14 septembre 258. Il est un des Pères de l'Église.

 


Notre Père qui es aux Cieux,

que Ton Nom soit sanctifié,

que Ton Règne arrive,

que Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel;

donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.

Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs.

Et ne nous soumets pas à l'épreuve, mais délivre-nous du Malin. Amen.

 

Avant tout, le professeur de la paix et maître de l'unité n'a pas voulu d'une prière individualiste et « privée-des-autres » afin que celui qui prie ne prie pas uniquement pour lui. Nous ne disons pas, en effet : « Mon Père qui es dans les cieux » ni « Mon pain, donne-le moi aujourd'hui. » Celui qui demande la remise d'une dette ne demande pas pour sa seule dette. Il ne prie pas non plus pour lui seul lorsqu'il s'agit de n'être pas conduit en tentation et d'être délivré du mal. Notre prière est publique et commune. Quand nous prions, nous ne prions pas pour un seul mais pour tout le peuple car tout le peuple ne fait qu'un. Le Dieu de la paix et le maître de la concorde qui nous enseigna l'unité a voulu qu'on prie un pour tous puisque lui-même nous a tous portés en un.

 

Les trois enfants dans la fournaise ont observé cette loi : une seule voix dans la prière et, de par l'unanime adhésion à l'Esprit, un seul cœur. La divine Écriture le déclare en vérité et, nous apprenant comment ces enfants prièrent, elle nous donne un exemple à imiter dans nos propres prières pour que nous puissions devenir ce qu'ils furent. Elle dit : « Alors ce trio chantait et bénissait le Seigneur comme d'une seule voix » (Dn 3, 51).

Ils s'exprimaient comme d'une seule voix et le Christ ne leur avait pas encore appris à prier. Leur priante parole fut persuasive et efficace, car une supplication pacifique, sans détour et spirituelle se concilie le Seigneur. Nous découvrons d'ailleurs qu'Apôtres et disciples ont prié de cette manière après l'ascension du Seigneur : « Tous étaient unanimes à persévérer dans la prière avec quelques femmes, Marie qui fut la Mère de Jésus et ses frères » (Ac 1, 14). Ils persévérèrent - unanimes - dans la prière, affirmant en même temps leur insistance à prier et la concorde de cette prière. Dieu qui donne un foyer aux cœurs unanimes n'admet dans la maison éternelle et divine que ceux dont la prière est faite d'un seul cœur.


Apôtres et disciples ont prié de cette manière après l'ascension du Seigneur : « Tous étaient unanimes à persévérer dans la prière avec quelques femmes, et Marie qui fut la Mère de Jésus, et ses frères » (Ac 1, 14). Ils persévérèrent - unanimes - dans la prière, affirmant en même temps leur insistance à prier et la concorde de cette prière. Dieu qui fait habiter dans sa maison ceux qui ont un seul cœur, n'admet dans sa maison éternelle et divine que ceux qui prient d'un seul cœur.

Tels sont, frères bien aimés, les mystères de la prière du Seigneur. Immensément grands, les voici assemblés en quelques paroles mais riches de toute la force spirituelle. Rien n'est omis et ce qui est épars dans nos prières est ici un condensé de l’enseignement divin.


NOTRE PÈRE QUI ES DANS LES CIEUX

L'homme nouveau, re-né, restitué à son Dieu par la grâce de ce Dieu, s'écrie d'emblée « Père » parce qu'il commence à être fils. « Il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il a donné pouvoir de devenir fils de Dieu, à ceux qui croient en son Nom » (Jn 1, 11-12). Celui donc qui a cru en Son Nom et qui a été fait fils de Dieu doit commencer par cette appellation : « Père ! » Ainsi rend-il grâces et se reconnaît-il fils de Dieu puisqu'il qualifie de Père - pour lui - Dieu qui est dans les cieux.

On affirme ainsi, dès les premiers mots, renoncer au père terrestre et charnel de sa naissance et reconnaître comme seul père Celui qu'on commence à avoir pour Père, Celui qui est dans les cieux. « Ceux qui disent à leur père et à leur mère : je ne te connais pas, et qui ignorent leurs enfants, ceux-là ont gardé Tes commandements et conservé Ton alliance » (Dt 33, 9).

De même, le Seigneur dans son Evangile ordonne que sur terre nous n'appelions personne père puisqu'il existe pour nous un seul Père qui est dans les cieux. Et au disciple qui faisait mention de son père mort, Il répondait : « Laisse les morts enterrer les morts » (Mt 8, 22). Il avait dit en effet, ce disciple, que son père était mort, alors qu'il est vivant le Père de ceux qui croient.


Frères bien-aimés, ne retenons pas seulement que nous appelons Père Celui qui est dans les cieux, ajoutons ce que nous joignons : NOTRE Père, c'est-à-dire Père de ceux qui croient, Père de ceux qui, sanctifiés par Lui et restaurés par la naissance à la grâce spirituelle, commencent à être fils de Dieu. (…)

Quelle miséricorde de la part du Seigneur, quelle abondance de bienveillance et de bonté à notre égard ! Il a voulu que nous nous tenions en présence de Dieu de manière à L'appeler Père et que nous soyons nommés fils comme le Christ est Fils de Dieu. Personne d'entre nous, en sa prière, n'aurait osé employer ce mot si Dieu lui-même ne nous avait pas poussés à prier ainsi.

Il nous faut savoir et ne pas oublier, Frères très chers, que nous devons agir en fils de Dieu, puisque nous nommons Dieu Père. Ainsi, de même que nous nous réjouissons au sujet de Dieu, notre Père, ce père sera-t-il dans la joie à notre sujet. Vivons comme des temples de Dieu afin qu'il soit patent que Dieu vit dans nos cœurs. Que notre activité ne soit pas étrangère à l'Esprit. Nous qui commençons à être spirituels et célestes, ne méditons et ne faisons rien qui ne soit spirituel. Le Seigneur Dieu lui-même a dit : « Ceux qui me glorifient, Je les glorifierai et qui me méprise est méprisé (I R 2, 30). De son côté, le bienheureux Apôtre Paul, dans son Epître, a affirmé : « Vous n'êtes pas à vous. Vous avez été achetés à grand prix. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps » (I Co 6, 19-20).


QUE TON NOM SOIT SANCTIFIÉ


Nous disons cela, non pas pour souhaiter à Dieu que son Nom soit sanctifié par nos prières, mais pour lui demander d'être sanctifié en nous. Du reste, par qui serait-il sanctifié, Celui qui est Lui-même le Sanctificateur ? Mais parce qu'Il a dit : « Soyez saints puisque Je suis Saint », nous lui demandons, nous autres sanctifiés par le Baptême, de persévérer dans ce que nous avons commencé d'être. Et cela nous le demandons chaque jour. Chaque jour, en effet, nous avons besoin de sanctification, parce que chaque jour nous péchons. Donc purifions-nous, en nous sanctifiant constamment de la tache de nos fautes. L'Apôtre parle de cette sanctification, donc de la bienveillance de Dieu lorsqu'il déclare : « Ni les fornicateurs, ni les serviteurs d'idoles, ni les adultères, ni les efféminés, ni les invertis, ni les voleurs, ni les faussaires, ni les ivrognes, ni les diffamateurs, ni ceux qui attirent au mal n'obtiendront le royaume de Dieu. Certes, tout cela vous l'avez été. Mais vous avez été lavés, justifiés, sanctifiés, par le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu » (I Co 6, 9-11). Il dit : par le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit de Dieu. Prions pour qu'une telle sanctification demeure en nous.

Le Seigneur, notre juge, demande sévèrement à celui qu'il vient de guérir et de vivifier de ne plus pécher de peur qu'il ne lui arrive quelque chose de pire. Ainsi nous, par d'incessantes prières, jour et nuit, demandons que notre sainteté et notre vie, puisées à la grâce de Dieu, nous les gardions par la protection de Dieu.


QUE TON RÈGNE ARRIVE


C'est pour nous que nous demandons la présence de ce règne comme nous avons demandé qu'en nous Son Nom soit sanctifié. Dieu, en effet, quand donc ne règne-t-Il pas ? Quand donc commence chez Lui ce qui a toujours existé et ne cessera jamais ? (En fait) nous demandons que vienne notre règne : le règne promis de Dieu ; le règne acquis par le Sang et la Passion du Christ. Oui, qu'après avoir servi le Christ sur terre, nous régnions un jour sous Sa majesté. C'est d'ailleurs ce que lui-même promet : « Venez, les bénis de mon Père, recevez le règne qui est prêt pour vous depuis l'origine du monde » (Mt 25, 34)

Frères très aimés, on peut à juste titre penser que le royaume de Dieu, c'est le Christ Lui-même. Ce Christ dont chaque jour nous désirons la venue, dont nous souhaitons que, bien vite, Il nous arrive. Il est Lui-même notre Résurrection puisque c'est en Lui que nous ressuscitons. Ainsi pouvons-nous Le considérer comme étant le Royaume de Dieu puisque nous devons régner en Lui.

De plus, nous avons raison de préciser que nous demandons le règne de Dieu, c'est-à-dire le royaume du ciel, car il y a un royaume terrestre. Mais celui qui a renoncé au monde est plus grand que les honneurs du monde, plus grand que le royaume de la terre. Et c'est pourquoi celui qui se consacre à Dieu et au Christ ne désire pas régner sur terre mais au ciel. Une prière incessante est nécessaire pour ne pas laisser échapper ce royaume, comme les Juifs le virent s'éloigner d'eux alors qu'il leur était promis : « Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux. Les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. Là il y aura pleurs et grincements de dents » (Mt 8, 11-12). Ce passage montre qu'autrefois les Juifs étaient fils du royaume pour autant qu'ils demeuraient fils de Dieu. Lorsque cessa à leur égard la paternité de Dieu, le royaume aussi disparut. C'est pourquoi nous, les Chrétiens, qui avons commencé à appeler Dieu Père, nous prions pour que Son règne nous arrive.


QUE TA VOLONTÉ SE FASSE SUR LA TERRE COMME AU CIEL


Il n'est certes pas besoin de cette prière pour permettre à Dieu d'accomplir ce qu'Il veut ! Si nous le disons, c'est pour que nous puissions faire, nous, la volonté de Dieu. Qui pourrait empêcher que Dieu fasse ce qu'Il veut ? Mais parce que le démon empêche notre âme et notre action de se plier à Dieu, nous demandons dans notre prière que se fasse en nous la volonté de Dieu. Et pour que la volonté de Dieu en nous se fasse, il faut que Dieu le veuille, c'est-à dire qu'il nous prête secours et protection. Personne, en effet, n'est fort de ses propres forces : c'est sur le pardon et la miséricorde qu'on s'appuie. D'ailleurs le Seigneur, dévoilant la faiblesse de l'homme qu'il portait, S'écrie : « Père, s'il est possible que ce calice s'éloigne de moi » (Mt 26, 39). Puis, donnant l'exemple à ses disciples pour qu'ils ne fassent pas leur volonté mais celle de Dieu, Il ajoute : « Cependant, non pas ce que Je veux mais ce que Tu veux, Toi » (Mt 26, 39). En un autre endroit, Il dit : « Je ne suis pas descendu du ciel pour faire ma volonté mais la volonté de Celui qui m'a envoyé » (Jn 6, 32).

Si le Fils obéit pour faire la volonté du Père, à plus forte raison le serviteur pour faire la volonté de son maître ! Dans sa lettre, Jean nous instruit de cette volonté et nous demande de l'accomplir : « N'aimez pas le monde ni ce qui est en lui. Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est pas en lui, car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition terrestre ; toutes choses qui ne viennent pas du Père mais de la concupiscence du monde. Et le monde passera et sa concupiscence avec lui ; celui qui fera la volonté de Dieu demeurera éternellement comme Dieu demeure éternellement » (I Jn 2, 15-17). Qui veut demeurer éternellement doit faire la volonté de Celui qui est éternel : Dieu.

La volonté de Dieu, c'est ce que le Christ a fait et enseigné : l’humilité dans la conduite, la fermeté dans la foi, la modération dans les paroles, la justice dans les actes, la miséricorde dans les oeuvres, la rectitude dans les mœurs ; savoir ne pas faire de tort et pouvoir supporter le tort qu'on nous fait ; avec ses frères, rester en paix, être de tout cœur l'ami de Dieu : aimer en Lui le Père et craindre en Lui le Dieu ; ne rien préférer au Christ puisqu'Il n'a rien préféré à nous ; s’attacher inébranlablement à son amour ; se tenir à sa croix avec force et confiance. Et quand il faut lutter pour l'honneur de son Nom, montrer :

dans la parole qui Le « confesse », la constance ;

devant le tribunal qui nous presse, la confiance ;

dans la mort qui nous couronne, la persévérance.

Voilà ce qu'impose de vouloir être cohéritier du Christ.

Voilà ce qu'on appelle suivre le commandement de Dieu, autrement dit accomplir la volonté du Père.


Nous demandons que la volonté de Dieu se fasse au ciel et sur terre : c'est parce que ciel et terre entrent en jeu pour mener à bien et au bout notre salut. De la terre nous tenons notre corps ; au ciel, nous devons notre âme. Nous sommes donc terre et ciel et nous voilà priant pour que la volonté de Dieu se fasse sur la terre de notre corps comme au ciel de notre âme.

Entre la chair et l'esprit, il y a lutte et discordance dans leur rendez-vous quotidien. Impossible de faire ce que nous voulons ; l'esprit cherche le divin, la chair convoite le terrestre. C'est pourquoi nous demandons instamment que l'assistance et le secours de Dieu fassent la paix entre la chair et l'esprit. Ainsi est sauvée l'âme re-née de Dieu : lorsque la volonté de Dieu s'accomplit dans le corps et dans l'âme.

Cette opposition (chair-esprit), l'apôtre Paul l'affirme manifestement : « La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair. Ils se combattent l'un l'autre de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. Or les œuvres de la chair sont manifestes : adultères, fornication, impuretés, débauche, Idolâtrie, empoisonnements, homicides, inimitiés, querelles, rivalités, animosité, provocations, dissensions, hérésies, haines, Ivrogneries, orgies et toutes choses semblables. Je vous ai déjà dit et je vous répète que ceux qui font cela ne posséderont pas le royaume de Dieu. « Au contraire, les fruits de l'esprit sont charité, joie, paix, magnanimité, bonté, foi, pureté, mansuétude, chasteté » (Gal. 5, 17-22). Voilà pourquoi, chaque jour, ou plutôt à tout instant, nous demandons qu'à notre égard la volonté de Dieu se fasse sur la terre comme au ciel. La volonté de Dieu, c'est en effet que le terrestre le cède au céleste, que prévalent le spirituel et le divin.


On peut aussi, frères très aimés, comprendre les mots « sur la terre comme au ciel » du commandement de Dieu, d'aimer même nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent. En effet, ce faisant, nous prions pour des gens qui sont encore de la terre et ne se sont pas mis à être du ciel. Et nous demandons qu'en eux se fasse cette volonté de Dieu que le Christ accomplit en sauvant et restaurant l'homme.

Ce Christ n'a pas appelé terre ses disciples mais sel de la terre. L'Apôtre Paul, de son côté, appelle le premier homme celui-qui-est-né-de-la-terre et le nouvel homme celui-qui-est-né-du-ciel. Voilà pourquoi c'est à juste titre que, nous qui devons être semblables à Dieu notre Père qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes, nous prions - obéissant au Christ - pour le salut de tous. Or notre prière se formule ainsi : que la volonté de Dieu se fasse - et de même qu'elle s'est faite au ciel, c'est-à-dire en nous qui, par la foi, sommes devenus du ciel, qu'elle se fasse aussi sur terre, c'est-à-dire en ceux qui ne croient pas ; que ces hommes qui sont encore de la terre par leur naissance commencent à être du ciel par leur renaissance de l'eau et de l'Esprit.


DONNE-NOUS AUJOURD'HUI NOTRE PAIN DE CE JOUR


On peut entendre ces mots littéralement et on peut les entendre spirituellement : l'une et l'autre façon de les comprendre ont valeur salutaire voulue de Dieu.


Le pain de vie, c'est le Christ. Il n'est pas pour n'importe qui ce pain, mais pour nous ; il est notre pain. De même que nous disons à Dieu « notre Père » parce qu'il est le Père de ceux qui pénètrent dans la foi, ainsi appelons-nous le Christ « notre pain » car il est le pain de ceux qui prennent contact avec son corps.

Nous demandons que chaque jour ce pain nous soit donné. Il faut, en effet, que nous qui sommes du Christ et recevons chaque jour l'Eucharistie comme salutaire nourriture, nous ne soyons pas séparés du Christ par quelque faute grave qui nous empêcherait d'être avec les autres et d'avoir part au pain du ciel. « Je suis le Pain de vie, Moi qui suis descendu du ciel. Si quelqu'un mange de mon Pain, il vivra éternellement. Or le Pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6, 51). Quand donc il déclare que vit éternellement celui qui mange de son Pain, Il est manifeste que vivent ceux qui prennent contact avec son Corps et reçoivent l'Eucharistie en y communiant légitimement. En revanche, il faut craindre - et prier de peur que cela n'arrive - pour celui qui se trouve écarté et séparé du Corps du Christ, qu'il ne reste loin du salut : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous » (Jn 6, 53). Voici pourquoi, notre pain, c'est-à-dire le Christ, nous demandons qu'il nous soit donné chaque jour, afin que, nous qui demeurons et vivons dans le Christ, nous ne soyons pas privés de sa sanctification et de son corps.


On peut aussi comprendre qu'en demandant du pain, nous demandons une nourriture indispensable et frugale, nous qui avons renoncé au monde et rejeté ses richesses et ses fastes par foi au spirituel et à la grâce : « Celui qui ne renonce pas à tout ce qui est sien ne peut être mon disciple » (Lc 14, 33). Celui donc qui commence à être le disciple du Christ et renonce à tout pour écouter son maître doit demander une nourriture quotidienne sans envisager le lointain dans sa demande et son désir : « Ne pensez pas au lendemain. Le lendemain lui-même pensera à lui : à chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 4).

C'est donc à juste titre qu'un disciple du Christ demande pour un jour une nourriture frugale, lui qui se refuse de s'inquiéter de l'avenir. Ce serait un choquant contre-sens que nous cherchions à vivre dans le monde, nous qui demandons que le royaume de Dieu se hâte d'arriver ! D'où l'avertissement formateur et fortifiant pour la foi de I'Apôtre Paul : « Nous n'avons rien apporté en ce monde et nous ne pouvons rien en emporter. Soyons contents d'avoir de quoi manger et de quoi nous vêtir ! Ceux qui veulent devenir riches tombent dans des tentations, des pièges et une foule de désirs nuisibles qui plongent l'homme pour sa perte dans la ruine. En effet, la racine de tout mal, c'est la cupidité : attirés par elle, certains ont chaviré de la foi pour s'engloutir dans la douleur » (1 Tim 6, 7-10).

Il nous enseigne donc qu'il nous faut non seulement mépriser les richesses mais craindre le danger qu'elles présentent. Qu'elles sont la racine de maux attirants où trébuche, aveuglé et pris au piège, l'esprit de l'homme. C'est pourquoi le riche stupide qui pense à ses biens en ce monde et se pavane à la vue de leur immensité se fait reprendre par le Seigneur : « Imbécile, cette nuit te sera réclamée ton âme. A qui appartiendra alors ce dont tu as pris tant de soins ? » (Lc 12, 20). Cet insensé se réjouissait de sa fortune la nuit même où il allait mourir. La vie déjà lui manquait et il pensait aux victuailles qui ne lui manquaient pas.

En face de cette attitude, l'enseignement du Seigneur est bien différent : la perfection totale est pour celui qui, ayant vendu tous ses biens et distribué leur prix aux pauvres, place ainsi son trésor dans le ciel. Celui-là seul, dit-il, est capable de le suivre et de participer à la gloire de sa passion qui, dégagé de tout lien terrestre, marche vers le ciel en s’y faisant précéder de ses richesses. Pour se préparer à cet acte de vertu, que chacun de nous apprenne à prier et à s’instruire par la prière.

La nourriture quotidienne ne peut pas d'ailleurs faire défaut au juste. Il est écrit : « Le Seigneur ne laissera pas mourir de faim une âme juste » (Prv 10, 3). Ou encore : « J'étais jeune ; j'ai vieilli, je n'ai jamais vu le juste à l'abandon ni sa descendance chercher du pain » (Ps 27, 25). Le Seigneur, quant à Lui, promet et proclame la même chose : « Ne vous demandez pas : que mangerons-nous ou que boirons-nous ou avec quoi nous habillerons-nous ?, Ce sont les païens qui cherchent cela. Votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice et toutes ces choses vous seront données en surcroît » (Mt 6, 31).

Il promet donc que tout sera donné à ceux qui cherchent le règne et la justice de Dieu. Toutes choses, en effet, étant à Dieu, rien ne manquera à qui possède Dieu, si lui-même ne manque pas à Dieu. Ainsi de Daniel : enfermé sur l'ordre du roi dans la fosse aux lions, Il y trouve une nourriture divine et cet homme de Dieu se régale parmi les bêtes féroces affamées qui l'épargnent ! Ainsi d'Élie : il est nourri dans sa fuite ; dans la solitude, des corbeaux le servent et ces oiseaux lui apportent de quoi manger. Quelle détestable cruauté dans la malice humaine : des bêtes féroces épargnent, des oiseaux nourrissent, l'homme tend des embûches et se déchaîne !


REMETS-NOUS NOS DETTES COMME NOUS REMETTONS A NOS DÉBITEURS


C'est pour nos péchés que maintenant nous prions. Après le soutien d'une nourriture, nous demandons le pardon du péché. Cela afin que celui qui est nourri par Dieu vive en Dieu. Afin que la Providence s'exerce non seulement sur la vie présente et temporelle mais sur l'éternelle, celle dont on s'approche si nos péchés sont pardonnés.

Ces péchés, le Seigneur les appelle dettes et il les remet, comme l'affirme l'Évangile : « Je t'ai remis toute ta dette parce que tu m’avais supplié » (Mt 18, 32). L'avertissement de la Providence est salutaire : nous sommes pécheurs et invités à prier. En demandant pardon à Dieu, l'âme prend conscience de ce qu'elle est. Pour éviter que quelqu'un, satisfait de lui-même comme s'il était innocent, ne tombe d'autant plus bas qu'il s'est élevé plus haut, il doit prier tous les jours pour ses péchés afin d’être convaincu qu’il pèche chaque jour.

C’est ce que nous apprend l’apôtre saint Jean : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est pas en nous. Mais, si nous avons confessé nos péchés, le Seigneur, qui est fidèle et juste, nous les remettra » (1 Jn 1, 8). Dans cette lettre, deux vérités sont réunies : que nous devons prier pour nos péchés, et que nous en obtenons le pardon si nous prions. C'est pourquoi le Seigneur y est qualifié de fidèle : fidèle à remettre les péchés, fidèle à tenir sa promesse. Celui qui nous a appris à prier pour nos dettes et péchés nous a promis la miséricorde du Père et le pardon qui en découle.

A ce pardon, Il a fixé une condition à laquelle Il nous astreint nettement : c'est que nous demandions remise de nos dettes en même temps que nous remettons à nos débiteurs. Ce que nous demandons pour nos péchés ne peut être obtenu que si nous l'accordons à nos offenseurs. C'est dans ce sens qu'il dit en un autre passage : « On usera pour vous de la mesure dont vous aurez mesuré » (Mt 7, 2). Et le serviteur qui n'a pas voulu remettre sa dette à un compagnon après que son maître l'ait tenu quitte de la sienne, fut jeté en prison (Mt 18, 34). Parce qu'il n'a pas voulu pardonner à son compagnon, il perd ce que son maître lui avait accordé. Le Christ, dans ses commandements, met devant nos yeux la même exigence avec plus de vigueur encore dans sa sentence : « Quand vous vous tiendrez en prière, pardonnez si vous avez quelque chose contre quelqu'un, afin que votre Père céleste pardonne vos péchés. Si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans le ciel ne vous pardonnera pas non plus vos péchés » (Mc 11, 25 et Mt 6, 14-15).

Il ne te restera aucune excuse au jour du jugement lorsque tu seras jugé selon ta propre sentence et que tu supporteras ce que tu auras fait. Dieu nous commande paix, concorde et unanimité dans sa maison. Tels il nous a créés à la seconde naissance, tels il nous veut voir persévérer une fois re-nés. Ainsi, nous qui avons commencé d'être les fils de Dieu, demeurons-nous dans la paix à l'unisson des âmes et des sentiments. Dieu n'accepte pas le sacrifice de celui qui vit dans l'inimitié. Le renvoyant de l'Autel, il lui ordonne de se réconcilier d'abord avec son frère afin que Dieu soit apaisé par des prières pacifiées. Pour Dieu, le sacrifice majeur c'est notre paix et notre fraternelle concorde. C'est tout un peuple réuni de l'unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Dans les sacrifices qu'Abel et Caïn furent les premiers à offrir, ce n'est pas ce qu'ils offraient mais leurs cœurs que Dieu regardait. Etait agréable par son offrande celui qui l'était par son cœur. Abel, pacifique et juste, en sacrifiant à Dieu en toute pureté, enseigne aux autres comment venir à l'Autel apporter leur offrande : dans la crainte de Dieu, d'un cœur pur, dans la justice, la concorde et la paix. C'est donc normal qu'étant ce qu'il était en sacrifiant à Dieu, Abel devint plus tard un sacrifice à Dieu. Montrant pour la première fois ce qu'est le Martyre, il eut la gloire d'esquisser de son sang la passion à venir du Seigneur, parce qu'il possédait la paix et la justice de ce Seigneur.


Tels sont ceux qu'en fin de compte couronne le Seigneur, ceux qui lors du jugement siégeront avec Lui.

Quant à celui qui sème la discorde et l'inimitié, qui n'est pas en paix avec ses frères, même la mort pour le nom du Christ ne le fait pas échapper à l'accusation de discorde fraternelle. L'Apôtre et toute l'Écriture l'attestent. Car il est écrit : « Celui qui hait son frère est homicide. Or l'homicide ne peut ni arriver au royaume du ciel ni vivre en Dieu » (1 Jn 3, 15). Celui qui a préféré à l'imitation du Christ celle de Judas, ne peut pas être avec le Christ. Quelle tache, mes frères, que celle que le baptême du sang ne peut laver ! Quel crime que celui qui ne peut être expié par le martyre !


ET NE NOUS SOUMETS PAS A L’ÉPREUVE


Nous voyons par ces paroles que l'Adversaire ne peut rien contre nous si Dieu ne lui a pas auparavant donné ce pouvoir. Que donc notre crainte, notre empressement, notre vigilance soient tournés vers Dieu puisque, dans les tentations, le Malin ne peut rien se permettre contre nous que Dieu ne lui ait permis. C’est ce que nous enseigne l’Écriture : « Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint assiéger Jérusalem et Dieu la livra entre ses mains » (2R 24, 11).

C'est par suite de nos péchés que pouvoir est accordé contre nous au Malin, comme il est écrit : « Qui a livré Jacob à ceux qui l’ont dépouillé, livré Israël aux pillards ? N'est-ce pas le Dieu que Jacob et Israël avaient offensé ? Ils ne voulaient pas marcher dans ses voies ni écouter sa loi, il a déversé sur eux sa colère et son irritation » (Isa 42, 24-25). De même, de Salomon pécheur et s'éloignant des préceptes et des voies du Seigneur, il est dit : « Le Seigneur excita Satan contre Salomon » (1R 11, 23).

Ce pouvoir sur nous est donné d'une double manière : pour notre punition, si nous péchons ; pour notre gloire si nous sortons vainqueur de l’épreuve. C’est ce que nous montre l’histoire de Job : « Tout ce qu'il possède, dit le Seigneur au démon, Je te le donne, mais prends garde : ne touche pas à lui-même » (Job 1, 12). De même, le Seigneur affirme à Pilate, lors de sa Passion : « Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en-haut » (Jean 19:11).

Ainsi lorsque nous demandons à Dieu de ne pas être tentés, cela nous rappelle notre infirmité et notre faiblesse.  Cela nous tient en garde contre les révoltes de l’orgueil, contre la présomption et la vaine gloire. Nous ne devons, nous glorifier de rien, pas même de la confession du nom de Jésus-Christ, pas même du martyre, car Jésus nous recommande l’humilité en disant : « Veillez et priez pour ne pas être exposés à la tentation. L’esprit est prompt, mais la chair est faible » (Mt 36, 41). Ainsi lorsqu’on reconnaît humblement sa faiblesse et qu’on rapporte tout à Dieu, son cœur s’ouvre à la miséricorde, et il exauce des prières inspirées par le respect et le désir de lui plaire.


MAIS DÉLIVRE-NOUS DU MALIN.


C'est la fin de la prière, contenant en peu de mots l'ensemble de nos demandes et de nos instances. En terminant par « mais délivre-nous du malin », nous entendons par ces mots tous les actes d’hostilité que l’ennemi peut exercer contre nous dans ce monde, et dont Dieu seul, par sa grâce, peut nous garantir et nous délivrer.

Quand donc nous disons « délivre-nous du malin », il ne reste rien qu'on doive encore demander, puisque nous implorons ici toute la protection de Dieu contre l’esprit du mal. Après avoir obtenu cette protection, nous sommes à l'abri de tous les agissements du démon et du monde. Que craint-il donc du monde celui qui dans le monde a Dieu pour protecteur ?


TOUT L'ÉVANGILE DANS LE « NOTRE PÈRE »

Qu'y a-t-il d'étonnant, Frères bien-aimés, qu'une prière ait tant d'allure si c'est Dieu qui l'a enseignée ? De main de maître, il a condensé toute notre prière dans sa parole salutaire.

Déjà Isaïe avait prophétisé cela lorsque, rempli de l'Esprit Saint, il déclarait de la majestueuse bonté de Dieu : « Sa parole S'accomplit dans la justice et Dieu en fera un abrégé pour tout le globe terrestre (Isa 10, 22). Or la Parole de Dieu, c'est Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est venu pour tous. Il réunit savants et ignorants. Il a énoncé des préceptes valables pour le salut de l'un et l'autre sexe. Ainsi la mémoire de ceux qui s'instruisent de la doctrine céleste n'a guère à souffrir et ils apprennent aisément ce qui est indispensable à la foi.

Ainsi, enseignant ce qu'est la vie éternelle, le Christ a résumé ce mystère en quelques mots chargés d'un sens divin : « La vie éternelle, c'est te connaître, Toi, le Dieu unique et vrai et connaître celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 8). De même, lorsqu'Il détache de la Loi et des Prophètes les préceptes premiers et importants : « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu. Tu l'aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces. Voilà le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Sur ces deux commandements reposent toute la Loi et tous les Prophètes » (Mt 22, 37-43). Et aussi : « Tout ce que vous désirez que les hommes vous fassent comme bien, faites-le leur : c'est la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12).


Le Seigneur ne nous a pas appris à prier seulement par ses paroles mais aussi par sa façon de se comporter : il priait lui-même très souvent et par le témoignage de son exemple nous montrait ce qu'il nous faudrait faire. « Il s'écartait dans la solitude et y priait » (Lc 5, 16). « Il s'en alla prier sur la montagne et passa la nuit à y prier Dieu » (Lc 6, 12). Voilà ce que nous lisons de lui dans l'Évangile. Or, s'Il priait, Lui qui était sans péché, à plus forte raison doivent prier les pécheurs ! Et s'Il priait sans interruption durant toute une nuit, combien plus devons-nous veiller la nuit en familiers de la prière !

Il priait donc, le Seigneur, et il implorait. Pas pour lui - que peut demander Celui qui est sans péché ? - mais pour nos fautes, comme il l'affirme lorsqu'il dit à Pierre : « Voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point » (Lc 22, 31-32). Ensuite, c'est pour tous qu'Il prie le Père : « Je ne prie pas seulement pour eux, mais pour ceux qui, sur leur parole, croiront en Moi. Je prie afin qu'ils soient tous un et que, comme Toi, Père, Tu es en Moi et Moi en Toi, ils soient eux-mêmes en Nous » (Jn 17, 20).

Qu'elle est grande la miséricordieuse bonté de Dieu pour notre salut : non content de nous racheter de Son Sang, il prie tant et plus pour nous. Or, examinez le souhait de sa prière : que nous demeurions dans l'unité tout comme sont un le Père et le Fils. De là on peut avoir une idée de la faute commise par celui qui déchire l'unité et la paix : il s'en prend à ce pour quoi le Seigneur priait. Et s'il voulait pour le salut de son peuple qu'il vive dans la paix, c'est qu'il savait que la discorde n'a rien à voir avec le Royaume de Dieu

DU VIN
Par l’Abbé Isaïe de Scété

l y a un mystère au sujet du vin, comme au sujet de la nature de l’homme qui cherche à rencontrer Dieu dans la pureté en gardant son œuvre sauve afin que Dieu la reçoive avec joie.

1 - Le traitement du vin, figure du progrès spirituel

La jarre est convenablement enduite de poix, et elle est à l’image de la pureté du corps sain dans toutes ses parties vis-à-vis des passions honteuses. Car il est impossible à celui qui est esclave d’un seul plaisir de servir Dieu, de même qu’il est impossible de mettre du vin dans une jarre qui n’est pas complètement enduite de poix ou qui a une fissure. Aussi, examinons-nous car nous ne pouvons pas plaire à Dieu si nous avons en nous de la haine ou de l’inimitié, parce que cela empêche l’homme de faire pénitence.

A ses débuts, le vin fermente. Il est l’image de la jeunesse : celle-ci est agitée jusqu’à ce que vienne l’âge et qu’elle se stabilise. Il ne devient du vin que si on y met du plâtre, tel du levain, en quantité mesurée. De même, il est impossible à la jeunesse de progresser avec sa volonté propre si elle ne reçoit de ses Pères selon Dieu le levain et s’ils ne lui indiquent le chemin, jusqu’à ce que Dieu lui accorde sa grâce et qu’elle voie.

On laisse le vin à la maison jusqu’à ce qu’il se stabilise. De même, sans retraite, mortification et toute espèce de labeur selon Dieu, il est impossible à la jeunesse d’arriver à la stabilisation. Si on laisse le vin avec de la semence ou des germes, il tourne en vinaigre ; et la nature de la jeunesse, si celle-ci se trouve parmi ses parents selon la chair, ou parmi d’autres qui n’ont pas la même façon de vivre et la même ascèse, perd la façon reçue de ses Pères selon Dieu.

2 – La conservation du vin

On recouvre le vin de terre pour éviter qu’il ne s’évente et se perde. De même, si la jeunesse n’a pas acquis l’humilité en tout, tous ses labeurs sont vains.

Si on goûte souvent le vin, il s’évente et perd sa saveur. Cette chose arrive souvent à l’homme qui publie son travail, car la vaine gloire anéantit toute son œuvre.

Si on laisse le goulot ouvert, des moucherons perdent le vin. C’est ce que font aussi le bavardage, les bouffoneries et les vins propos.

Si on expose le vin à l’air, il perd sa couleur et son goût. De même, l’orgueil anéantit tout le fruit de l’homme. On le cache dans les celliers et on le couvre de chaume : c’est le rôle de la retraite et de l’abnégation de soi en toutes choses. Il est en effet impossible à l’homme de conserver son labeur sans retraite et sans abnégation de soi.

 

Voilà tout ce qui est fait au vin jusqu’à ce qu’il plaise au vigneron et que celui-ci se réjouisse de son fruit. Tout cela l’homme doit l’accomplir jusqu’à ce que son œuvre plaise à Dieu. Et de même qu’il est impossible d’estimer la qualité du vin sans l’ouvrir et le goûter, il est impossible aussi à l’homme de se fier à son propre cœur, étant toujours dans la crainte, jusqu’à ce qu’il rencontre Dieu et voie si son œuvre est parfaite. Et comme il arrive qu’une fuite de la jarre laisse couler le vin sur le sol avant que son propriétaire ne s’en aperçoive, s’il est négligent, de même une chose petite et insignifiante détruit le fruit de l’homme s’il est négligent.

 


PRIÈRE

Faisons donc ce que nous pouvons, mes frères, pour nous garder de ceux qui nous nuisent, et sa miséricorde et sa grâce nous permettront de dire en ce Jour-là :

Nous avons agi selon notre faiblesse pour observer ce que nous disait notre conscience, mais c’est Toi qui a la force, la miséricorde, le secours, la protection, le pardon et la patience, car qui suis-je, moi, dans les mains des mauvais dont tu m’as sauvé ? Je n’ai rien à te donner car je suis pécheur et indigne de tes dons, et tu m’as gardé des mains de mes ennemis. Mais Toi, tu es mon Seigneur et mon Dieu, et à Toi est la gloire, la protection, la miséricorde, le secours et la puissance dans les siècles des siècles. Amen

 

Texte extrait de : Recueil ascétique par l’Abbé Isaïe, Edition de l’Abbaye de Bellefontaine, Collection spiritualité orientale n° 7 bis, pages 111 à 113, Logos 12 Du vin.

Comment faire naître l'esprit de prière ?
Par Saint Évêque Théophane le Reclus

Dans la vie chrétienne, la prière tient la première place. La prière, c'est le souffle de l'esprit. Là où est la prière, l'esprit vit; s'il n'y a pas de prière, l'esprit est sans vie.

  Se tenir devant une icône et se prosterner, n'est pas la prière, ce n'en est qu'un attribut. Dire des prières, de mémoire, ou les lisant, ou les écoutant - n'est pas encore prier, c'est seulement un moyen de découverte et d'éveil. La prière elle-même consiste en l'apparition dans notre cœur d'une succession de sentiments pieux, dirigés l'un après l'autre vers Dieu : sentiments de notre propre indignité, de dévotion, de reconnaissance, de glorification, de supplique, de contrition,  de prosternation ardente, et autres.

 Tout notre souci doit être là : emplir notre âme de tous ces sentiments et de ceux qui leur sont identiques, afin que le cœur ne reste pas vide. Lorsque tous ces sentiments ou l'un d'entre eux s'y trouvent, et s'élancent vers Dieu, notre oraison est alors prière, sinon elle ne l'est pas encore.

 La prière, ou élan du cœur vers Dieu, doit être stimulée et affermie  ou, ce qui revient au même, il faut éduquer en nous-mêmes l'esprit de prière.

 

 1 - Éduquer l’esprit de prière par la lecture ou l'écoute de nos prières.

Le premier procédé pour cela est la lecture ou l'écoute de nos prières.

Lis, ou écoute avec attention, et en toute certitude, tu éveilleras et conforteras la montée de la prière de ton cœur vers Dieu, c'est-à-dire que tu en pénétreras l'esprit.

 Dans les prières des Pères saints, une force puissante est en mouvement, et celui qui s'y introduira en déployant toute son attention et sa persévérance la goûtera sans doute aucun, par la loi de l'interaction, dans la mesure où il aura approché  du contenu de cette prière son propre état d'esprit.

Pour que nos prières soient un réel  moyen d'éduquer cette disposition, il est indispensable de les accomplir de telle sorte que la pensée et le cœur en accueillent le contenu. Voici, dans ce but, trois procédés des plus simples :

- ne commence pas tes prières sans t'y être d'abord préparé comme il se doit- ne prie pas n'importe comment, mais avec attention et sentiment;- et à la fin, ne reprends pas immédiatement tes occupations.

 

Préparation aux prières

 Lorsque tu te disposes à prier, quel que soit le moment choisi, reste d'abord un peu tranquille, assieds-toi ou fais quelques pas et efforce-toi alors de libérer ta pensée de toute préoccupation ou objet d'ici-bas.

Puis, réfléchis : Quel est Celui à Qui tu vas t'adresser dans ta prière, et qui tu es, toi qui dois maintenant la Lui adresser; et éveille en ton âme le sentiment approprié, celui d'abnégation et de crainte pieuse en la présence de Dieu au dedans du cœur.

Voilà en quoi consiste cette préparation minime, mais d'importante signification : se maintenir avec piété devant Dieu dans le cœur.

C'est là le début de la prière, et un bon début, c'est déjà la moitié de l'entreprise accomplie.

 

Observance de la prière. Les prières lues

 T'étant ainsi préparé intérieurement, place-toi devant l'icône, signe-toi, fais une prosternation, et commence tes prières habituelles.

Lis sans hâte, pénètre chaque mot, amène jusqu'au cœur le sens de chaque parole, et accompagne tout cela de prosternations, en te signant. Cette lecture fructueuse de la prière est agréable à Dieu. Approfondis chaque parole et introduis sa pensée jusqu'au cœur, autrement dit : comprends ce que tu lis, et ressens-le. Tu lis : “Purifie-moi de toute souillure”, ressens le mal qui est en toi, désire la pureté, et dans une totale espérance, demande-la au Seigneur. Tu lis : “Que Ta volonté soit faite”, et dans ton cœur remets complètement ton destin au Seigneur, étant totalement prêt à accueillir de bon gré tout ce qu'Il t'enverra. Tu lis : “Remets-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs”, et en ton âme, pardonne tout à tous, et demande alors son pardon au Seigneur pour toi.

Si tu agis ainsi pour chaque verset de ta prière, tu auras trouvé  l'oraison appropriée. Et pour l'accomplir au mieux précisément de cette façon, voici ce qu'il faut faire :

1) Aie une certaine règle de prières, pas trop longue, afin de pouvoir l'accomplir sans hâte, malgré tes occupations habituelles.

2) Dans tes temps libres, lis attentivement les prières de ta règle, pour en comprendre chaque mot et le ressentir, afin de connaître d'avance ce que tu dois produire en ton âme et en ton cœur à telle ou telle parole, afin que cela te soit facile de le réaliser et de l'éprouver au moment de l'oraison.

3) Si, au moment de la prière, ta pensée s'envole vers d'autres objets, efforce-toi de rester attentif, et ramène-la sur l'objectif de la prière; elle s'enfuit à nouveau, ramène-la à nouveau : répète la lecture, tant que tu n'en auras pas compris et ressenti chaque mot. C'est ainsi que tu déshabitueras ta pensée de la dispersion lorsque tu pries.

4) Si une parole de la prière exerce un effet puissant sur ton âme : arrête-toi dessus et ne lis pas plus loin; reste sur ce passage, dans l'attention et le sentiment, nourris-en ton âme, ou les pensées qu'elle produira, et ne détruis pas cet état, tant qu'il ne disparaîtra pas de lui-même : c'est le signe que l'esprit de prière commence à faire son nid en toi, et cet état est le moyen le plus sûr d'éduquer et d'affermir cet esprit.

Que faire après la prière ?

 Lorsque tu auras terminé ton oraison, ne passe pas aussitôt à quelque autre occupation, mais à nouveau, reste tranquille un moment  et réfléchis à ce que tu viens d'accomplir et à ce à quoi cela t'engage, sauvegardant tout particulièrement, après la prière, ce qui a eu sur toi un effet marquant.  La nature même de la prière est telle, que si tu as bien prié, comme il se doit, tu n'auras pas rapidement envie de te soucier des affaires : celui qui aura goûté au miel ne voudra pas du fiel; goûter à cette douceur de la prière est le but même de l'oraison et, en goûtant à cette douceur dans l'oraison, l'esprit de prière s'éduque.

 

 Si tu te tiens à ces quelques principes, tu verras rapidement le fruit de tes efforts. Toute oraison laisse dans l'âme une trace de la prière; sa poursuite fidèle avec la même méthode l'enracinera, et la persévérance dans l'effort y greffera alors l'esprit de prière.

 Voilà le début, le premier moyen d'éduquer en nous cet esprit de prière ! Il est conforme à sa destination, l'accomplissement de nos prières. Mais ce n'est pas encore tout, ceci n'est que le début de la science de la prière. Il faut aller plus loin.

 

2 - Aller plus loin : l’entretien avec Dieu dans la prière personnelle

 Nous étant habitués par l'esprit et le cœur à nous adresser à Dieu avec une aide extérieure, les livres de prières, il est ensuite indispensable de s'essayer à sa propre montée vers Dieu, d'arriver à ce que l'âme elle-même, par un discours pour ainsi dire personnel, entre dans un entretien de prières avec Dieu, se transporte elle-même vers Lui, s'ouvre à Lui, Lui confesse son état, et ce qu'elle désire. Et il faut le lui apprendre. Comment réussir dans cette science ?

  Certes l'habitude de prier, avec piété, attention et sensibilité, à l'aide du livre de prières, y amène, car la prière personnelle, emplie de sentiments saints par le livre de prières, commencera à s'arracher d'elle-même du cœur, pour aller vers Dieu. Cependant, il existe aussi pour cela des méthodes particulières qui amènent à la réussite nécessaire de la prière.  

Première méthode : l'enseignement qui conduit l'âme à s'adresser fréquemment à Dieu est la “pensée en Dieu”, ou réflexion pieuse sur les propriétés et actions divines - bienveillance, justice, sagesse, omnipotence, omniprésence, omniscience - sur la Création et la Providence, le salut en Jésus Christ, sur la Grâce et la Parole de Dieu, les Saints Mystères, le Royaume céleste.

 Quel que soit celui de ces sujets sur lequel tu commenceras à méditer, il emplira sans faute l'âme d'un sentiment de piété envers Dieu : il propulse tout droit vers Dieu l'être entier, c'est pourquoi c'est le moyen le plus direct pour habituer l'âme à s'élancer vers Dieu.

 Lorsque tu auras terminé tes prières, surtout le matin, assieds-toi, et commence la méditation : aujourd'hui sur l'une, demain sur l'autre des propriétés et actions de Dieu, et amène ton âme à la prédisposition correspondante. Dis, avec Saint Dimitri de Rostov : «Viens, sainte pensée en Dieu, et plongeons-nous dans la méditation sur les Grandes Œuvres de Dieu». Permets ainsi à ton cœur de s'émouvoir et tu commenceras à épancher ton âme dans la prière. Ce n'est pas un gros effort,  mais il donne beaucoup de fruits. Il y faut seulement le désir et le zèle.

Commence, par exemple, à réfléchir sur la bienveillance divine et tu te verras entouré des effets corporels et spirituels de la miséricorde divine, et, plein de reconnaissance, tu te prosterneras devant Dieu; médite sur son omniprésence et tu découvriras que tu es partout devant Lui et qu'Il est devant toi, et il te sera impossible de ne pas ressentir une crainte pieuse; médite sur la vérité de Dieu, tu seras alors convaincu qu'aucune mauvaise action ne restera impunie, et tu te disposeras, à coup sûr, à te purifier de tes péchés devant Dieu d'un cœur contrit, dans le repentir; réfléchis à l'omniscience divine : tu reconnaîtras que rien de ce qui est en toi n'échappe à l'œil de Dieu, et tu décideras sûrement d'être sévère envers toi-même et attentif en tout, afin de ne pas irriter Dieu, Qui voit tout.

 La deuxième méthode pour éduquer l'âme à fréquemment invoquer Dieu est  de dédier toute entreprise, grande ou petite, à Sa gloire

Car  si nous prenons pour règle, selon l'Apôtre (I Cor. 10 : 31), de tout faire, même manger et boire, à la Gloire de Dieu, alors il est certain que chaque fois, non seulement nous nous souviendrons  de Dieu, mais nous ferons attention, en toute circonstance, de ne pas agir mal et de ne pas irriter Dieu par quelque action. Cela nous obligera à nous adresser à Lui avec crainte et à Le prier de nous aider et de nous éclairer. Et comme nous sommes presque sans arrêt en activité, nous adresserons presque sans arrêt des prières à Dieu, et nous nous exercerons donc presque sans arrêt à l'élévation priante de notre âme vers Dieu. Ainsi nous apprendrons à notre âme à s'adresser le plus souvent possible à Lui au cours d'une journée.

La troisième méthode d'éducation de notre âme est de l'habituer à faire appel à Dieu à partir du cœur, par des paroles courtes, selon les besoins de l'âme et les occupations

Tu commences quelque chose, dis : “Bénis, Seigneur !” Tu as terminé, dis, non seulement par la langue, mais avec le cœur :“Gloire à Toi, Seigneur !” Une mauvaise passion apparaît, dis : “Sauve-moi, Seigneur, je péris !” Une foule de pensées mauvaises t'envahit, appelle : “Sors mon âme de la prison!”  Un mensonge apparaît dans une affaire et le péché t'y attire, prie : “Guide-moi, Seigneur, sur la route” ou “ne laisse pas mon pied chanceler”. Les péchés te pèsent et t'amènent au désespoir, appelle par la voix du publicain : “Seigneur, aie pitié de moi !” Et ainsi en toute circonstance. Ou bien, dis plus souvent : “Seigneur, aie pitié ! Mère de Dieu Souveraine, sauve-moi ! Ange, mon Saint Gardien, défends-moi !” ou appelle par quelque autre parole. Seulement, autant que possible, appelle plus souvent, t'efforçant surtout à ce que ces appels viennent du cœur, comme s'ils jaillissaient hors de lui. Faisant ainsi, nous aurons de fréquentes élévations spirituelles du cœur vers Dieu, des appels fréquents à Lui, et une prière fréquente, et cette fréquence nous inculquera l'habitude de l'entretien spirituel avec Dieu.

 

Ainsi donc, outre la règle de prières, l'apprentissage de l'élévation  de l'âme vers Dieu par la prière comporte aussi trois procédés nous amenant à l'esprit de prière :

- laisser du temps le matin à la méditation de Dieu- œuvrer en tout pour la Gloire de Dieu- et s'adresser à Dieu souvent, par des appels courts.

Lorsque la méditation de Dieu matinale aura été bonne, elle préservera une disposition profonde de l'esprit à penser à Dieu. Cette  pensée en Dieu obligera l'âme à accomplir tout acte, intérieur ou extérieur, avec prudence et pour la Gloire de Dieu. Et l'une et l'autre la mettront dans une situation qui lui fera faire souvent de courts appels à Dieu.

Ces trois choses - méditation de Dieu, toute œuvre pour la Gloire de Dieu et  invocations fréquentes - sont les armes les plus efficaces pour la prière spirituelle du cœur. Chacune d'elles élève l'âme vers Dieu. S'étant arrachée de la terre, celle-ci entrera dans son domaine et vivra avec délice dans les hauteurs; ici, par le cœur et la pensée ; et, là-haut, elle se sera essentiellement rendue digne de se tenir devant la Face de Dieu.

Saint Évêque Théophane le Reclus

(Lettre 227) Traduit du russe par N.M. Tikhomirova.

Une Parole de Vie - Enseignement de la Philocalie - Le discernement

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