Presse :
LA COMPATIBILITE DU CAMELEON
LAURENCE BERTELS
(La Libre) Publié le vendredi 26 janvier 2018 à 09h39- Mis à jour le vendredi 26 janvier 2018 à 09h41
"La Compatibilité du caméléon" rencontre l’humeur du spectateur.
La maison où elle a grandi…" Et tourne dans nos têtes la chanson de Françoise Hardy qui, balancée sur le plateau, touche au cœur comme cette "Compatibilité du caméléon", création de la jeune compagnie PHOS/PHOR qui fait parler d’elle au point que les files d’attente s’allongent chaque soir. Plus que quelques jours… Mais à en croire l’enthousiasme des programmateurs, le spectacle pourrait connaître une deuxième vie. C’est tout le bien qu’on lui souhaite tant la démarche, malgré des imperfections et un besoin de resserrage pour certaines scènes, s’avère intéressante sur la forme comme sur le fond.
Mêlant théâtre et vidéos (de Robin Montrau), exploitant intelligemment le plateau sur une scène qui compte pour unique décor les autres armoires des prisonniers, les metteurs en scène Camille Sansterre et Julien Lemonnier assurent une direction d’acteurs d’une intensité contenue ou éclatée.
L’île-prison
"La Compatibilité du caméléon" s’inspire d’une expérience menée sur l’île de Bastøy au large de la Norvège, transformée en prison à ciel ouvert et qualifiée de "première prison écologiste et humaniste du monde". Là-bas, point de menottes, point d’armes pour les gardiens. Chaque prisonnier habite son chalet et passe la plupart du temps à s’occuper des bêtes et à travailler aux champs. On le responsabilise au lieu de l’infantiliser. Taux de récidive ? 16 %. Contre environ 60 % chez nous.
Quand il neige, c’est la culture qui remplace l’agriculture. Débarque alors un animateur de théâtre, sensible Olivier Constant, particulièrement convaincant lorsqu’il travaille Sophocle avec les prisonniers : une scène cathartique où il les aide à retrouver le sens des mots, à comprendre la nécessité de la chute dans la tragédie grecque, à traduire le dramatique dilemme d’Antigone. Une dualité que l’acteur exprime avec ses tripes, sans exagération, et qui l’habite, imagine-t-on, depuis qu’il a joué dans l’"Antigone" de Wajdi Mouawad.
Belle mise en abyme du théâtre par quatre comédiens qui campent chacun avec acuité les diverses personnalités de ces êtres en difficile reconstruction ; qu’il s’agisse de Patrick Brüll, d’une sobriété remarquable, en faux placide, brute épaisse à fleur de peau, de la désinvolte Mercedes Dassy douée d’une réelle présence, de Wendy Piette en écorchée vive, tout en émotions vraies, ou de David Scarpuzza, très crédible lui aussi dans l’habit délicat de l’intello révolté.
Comme on l’imagine, l’attitude des prisonniers évoluera de mois en mois, sans angélisme, loin de là, avec de réelles et intéressantes questions sur la réinsertion, de vrais pics d’intensité. Quelques longueurs aussi, bien vite pardonnées, tant ce nouveau projet, alliant réalisme, théâtre et poésie, vient du ventre et explose de vérité(s).
Bruxelles, Théâtre de la Vie, jusqu’au 27 janvier, à 20 h. Durée : 1 h 40. Infos & rés. : 02.219.60.06 ou www.theatredelavie.be
Laurence Bertels
Catherine Makereel (Le Soir)
Cachez ce cachot qu'on ne saurait voir
On en ressort éberlués par le talent des comédiens, par le naturel mimétique de leur jeu, mais perplexes sur les enjeux de la pièce.
Voilà quatre ans que la compagnie PHOS/PHOR triture La compatibilité du caméléon, spectacle nourri de recherches et de rencontres avec des directeurs de prison, anciens détenus, avocats pénalistes, animateurs de théâtre en prison et autres associations œuvrant à la réinsertion professionnelle des détenus.
Dans cette enquête au long cours, un cas particulier a retenu leur attention : l’expérience menée à la prison « ouverte » de Bastøy sur une île en Norvège. Une île où les détenus ne sont pas menottés et les gardiens ne sont pas armés. Libres de leurs mouvements, les condamnés purgent leur peine en travaillant notamment dans les champs, l’objectif étant de les responsabiliser afin de faciliter ensuite leur réinsertion dans la société. Les chiffres sont édifiants : alors que le taux de récidive des prisons belges est proche de 60 %, celui de l’île de Bastøy est de 16 %.
Après toutes ces prospections, nous nous attendions à une pièce documentaire ou, à tout le moins, à une immersion en prison reflétant l’abondante matière récoltée par les auteurs et metteurs en scène Camille Sansterre et Julien Lemonnier.
Certes, le contexte est fidèle aux promesses : quatre prisonniers en fin de peine atterrissent sur une île inspirée de Bastøy où ils apprennent une certaine autonomie tout en travaillant Sophocle dans des ateliers de théâtre. Certes, les comédiens sont d’un réalisme époustouflant quand ils endossent leurs personnages ravagés, assommés par la désintoxication, secoués d’une rage inextinguible et d’une rancune sans fond envers la société, mais le spectacle bifurque très vite vers des pistes plus brouillonnes. Ouvrant des portes narratives dans tous les sens – un animateur de théâtre fuit le coma de sa mère et le choix de l’euthanasier, une détenue apprend qu’elle perd la garde de ses enfants, une autre cache des problèmes cardiaques – elle n’en referme aucune. À vouloir courir plusieurs lièvres à la fois, la pièce ne rapporte pas de gibier précis.
Les comédiens sont extraordinaires de minutie dans leurs attitudes rebelles, leurs maladresses de langage, les codes corporels qui suintent l’enfermement, la marginalisation ou le manque d’éducation mais leurs personnages semblent hélas inachevés. On en ressort éberlués par leur talent, par le naturel mimétique de leur jeu, mais perplexes sur les enjeux de la pièce. Des thématiques annoncées, comme la question de la réinsertion, on ne perçoit que d’incertains échos.
Catherine Makereel
Dominique Mussche
RTBF
Publié le lundi 22 janvier 2018 à 13h51
La compatibilité du caméléon - © AUDE VANLATHEM
Une autre prison est-elle possible ?
Bastoy, une île au large de la Norvège. Des détenus y circulent, sans menottes et libres de leur mouvements. Ils travaillent dans les champs ou au poulailler, font la cuisine eux-mêmes dans leur chalet et lisent des livres empruntés à la bibliothèque. Les gardiens ne sont pas armés. Utopie ? Non, expérience réellement menée depuis 1997. Cette prison ouverte accueille des détenus en fin de peine afin de les responsabiliser avant leur retour dans la société. Les résultats sont surprenants : si le taux de récidive est de 66% aux Etats-Unis et de 6O % en Belgique, il n’est que de 16 % sur l’île de Bastoy ! Camille Sansterre et Julien Lemonnier (Compagnie Phos/Phor) découvrent un reportage sur cette prison si humaine au cœur de la nature et décident d’en faire un spectacle. Histoire de secouer un peu les vieilles conceptions qui ont toujours cours chez nous (et ailleurs) dans ce domaine et de montrer que des alternatives existent.
Si la pièce se veut donc documentaire, elle contient néanmoins une grande part de fiction, à commencer par les personnages qui vont l’habiter. Une première vidéo nous présente Vincent, le jeune animateur qui arrive sur l’île en bateau, une pile de pièces de Sophocle sous le bras. Il est appelé à donner des cours de théâtre quotidiennement pendant un an à quatre détenus et a choisi de travailler avec euxAntigone et Œdipe Roi, des textes qui parlent de liberté et de responsabilité. Le théâtre dans le théâtre, une belle idée qui, sans être neuve, trouve ici tout son sens, dans la mesure où des ateliers de théâtre sont parfois organisés dans les prisons et permettent un travail approfondi avec les détenus.
Nous allons donc suivre l’évolution de ces prisonniers au fil des répétitions et des entretiens individuels avec le psychologue, tenter de comprendre leur désarroi, leurs révoltes, leurs blessures secrètes.
Par contre, nous ne connaîtrons jamais leurs délits, même si dans le travail préparatoire, chaque comédien était invité à se construire une personnalité précise de criminel. Il y a Fuzia et son secret familial, Elsa la rebelle qui exige d’entrée de jeu le droit à un moment de violence par jour, Théophile, l’intellectuel plongé dans ses livres, et Frédéric le silencieux qui demande, lui, le droit à la lenteur. Les comportements et les dialogues sonnent très juste et reflètent bien la difficulté de se prendre en mains quand on a été conditionné par le monde carcéral où tout est dicté, pour chaque acte et chaque mouvement, du matin au soir. Ainsi l’on assiste, mi ému mi amusé, à l’effondrement d’Elsa qui se révèle incapable de gérer le four, la machine à laver … et le temps. On devine tout le travail d’enquête mené en amont auprès des acteurs de terrain, directeur de prison, avocats, anciens détenus, associations … et qui nourrit l’écriture. Une écriture de plateau, simple et directe, dont les comédiens s’emparent avec d’autant plus de talent qu’ils y ont mis beaucoup d’eux-mêmes.
Un spectacle qui pose les bonnes questions, sans didactisme. Pourquoi si peu de moyens sont-ils mis en œuvre en Belgique pour la réinsertion des prisonniers? Ne faut-il pas penser autrement la prison, la justice et l’éducation ? Le spectacle s’ouvre d’ailleurs par la fameuse phrase d’Albert Camus : "on reconnaît le degré d’évolution d’une société à l’état de ses prisons". A travers cette expérience originale de réinsertion, la Compagnie Phos/Phor brosse des portraits d’hommes et de femmes qui, finalement, bien que détenus, nous ressemblent.
La compatibilité du caméléon, écriture collective
Mise en scène et dramaturgie : Julien Lemonnier et Camille Sansterre (compagnie Phos/Phor)
Interprétation : Patrick Brüll, Olivier Constant, Mercedes Dassy, Wendy Piette et David Scarpuzza
A voir au Théâtre de la Vie jusqu’au 27 janvier
Dominique Mussche
Les metteurs en scène Camille Sansterre et Julien Lemonnier imaginent, dans une prison ouverte lovée sur une île, des détenus qui apprennent le théâtre. Ce regard à ras du sol montre ce qui fonctionne et ne fonctionne pas sans essayer de rien résoudre. Une invitation réussie à écouter les détails.
À l’origine de La Compatibilité du caméléon, un reportage photographique paru dans la passionnante revue 6Mois. L’île de Bastoy, en Norvège, expérimente un mode d’incarcération originale, fondé sur la confiance et la liberté de mouvement, la réadaptation au monde extérieur et le réapprentissage du vivre-ensemble. Encadrés par plus de soixante employés, une centaine de détenus en fin de peine nettoient les plages, élèvent des animaux, font du sport et se forment à un nouveau métier. La vie à Bastoy repose sur des règles de respect et de non-violence, sanctionnées par un retour dans leur prison d’origine pour ceux qui les enfreindraient. Les résultats mesurés par les statistiques donnent à réfléchir : le taux de récidive moyen après un passage à Bastoy est de 16 %, contre 60 % aux États-Unis.
Intéressés par cette initiative atypique, Julien Lemonnier et Camille Sansterre, les metteurs en scène de la compagnie PHOS/PHOR, ont mené pendant plusieurs années un important travail de recherche sur l’expérience carcérale, rencontrant des professionnels, multipliant lectures et visionnages. A partir de ce matériau documentaire, ils ont construit une fiction ancrée dans une prison ouverte installée sur une île, où les détenus pratiquent différentes activités dans un environnement structuré mais peu contraignant afin de renouer les fils de leur vie. Fuzia, Théophile, Elsa et Frédéric, les quatre détenus sur lesquels se focalise l’histoire, suivent ainsi chaque jour un atelier théâtre avec Vincent, qui a l’ambition de leur faire découvrir Sophocle. La pièce propose ainsi une immersion dans le quotidien de cet atelier au fil des séances qui voient peu à peu naître des relations entre les participants, avec Vincent et avec la tragédie antique.
On pourrait, a priori, tout redouter de cette Compatibilité du caméléon : le récit initiatique de l’illumination théâtrale, le pathos des destins brisés, le propos distancié ou maladroit sur le désastre des prisons… Elle évite ces écueils, en faisant le pari d’un théâtre relevant davantage de l’enquête sociologique de terrain que du discours surplombant et désincarné. La question politique et sociale est ainsi traitée à travers le prisme de micro situations, sans que jamais ne soient lâchés le jeu, les personnages ou les relations. La finesse du texte réside justement dans le fait qu’elle n’aborde jamais frontalement les grands enjeux que le dispositif de la prison ouverte soulève, pour déplacer le regard vers ce qui se joue, au fil des jours, dans les lieux de l’expérience. Et dans le local de l’atelier théâtre, les instants de grâce le disputent à la banalité la plus triviale ; les problèmes techniques côtoient l’apprivoisement maladroit de la langue de Sophocle ; les éclairs de saisissement alternent avec l’ennui.
C’est tout l’art de la compagnie PHOS/PHOR de nous donner à voir ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, ce qui bloque et ce qui surgit, ce qui change et ce qui demeure, sans essayer de rien résoudre. Camille Sansterre et Julien Lemonnier ont beaucoup regardé les films du photographe et réalisateur Raymond Depardon, et ça se voit : on se délecte à observer la gaucherie des corps, les gestes répétés, les regards, les éclats de voix et les silences. Comme dans les meilleurs récits sociologiques, il y a chez PHOS/PHOR une qualité d’écriture vivifiante, qui naît des rythmes heurtés des personnages, des accrocs de la rencontre, des désirs qui s’entrechoquent. Et comme dans les meilleurs films documentaires, les comédiens sont excellents, façonnant pour chaque personnage une pâte extrêmement singulière et précise qui fait d’eux des êtres vivants, bourrés de manies, d’envies boiteuses et de lignes courbes.
Un peu à la manière des films de Frédéric Weisman, cette approche de la vie fourmillante d’une institution pourrait se poursuivre pendant des heures, sans que jamais se dessine une conclusion et sans qu’on réussisse précisément à situer le propos.
Pourtant, dans ce regard à ras du sol, on en comprendrait quelque chose difficile à capter d’un autre point de vue : toute la justesse de la pièce réside précisément dans son invitation à être attentifs, à regarder dans les coins et écouter dans les détails. C’est une exigence rare, qui donne envie d’accompagner PHOS/PHOR dans leurs prochains déplacements.
Les représentations ont lieu
du 16 au 27 janvier à 20h00
Emilie Garcia Guillen
Karoo:
La Compatibilité du caméléon La positivité d’une île par Siham Najmi
Un an. Une île. Des chalets. Une épicerie. Pas de cellule. Pas de barreau. Pas de gardien armé. Pas d’horaire métronomé. Juste un foutu atelier de théâtre. Avec un animateur pétri de bonnes intentions qui veut revenir à l’essence des tragédies grecques, Antigone et Œdipe roi en tête.
Les quatre détenus qui ont été sélectionnés pour participer à une expérience carcérale d’un nouveau genre se voient proposer de passer la dernière année de leur peine sur une île au milieu de nulle part, avec pour seules instructions de se plier régulièrement à une confidence face caméra afin qu’un suivi puisse s’instaurer et de participer trois mois durant à un atelier de théâtre tous les jours avec Vincent (Olivier Constant), sympathique animateur aux fissures moins apparentes qu’eux mais tout aussi profondes.
Fuzia (Mercedes Dassy), Elsa (Wendy Piette), Théophile (David Scarpuzza) et Fred (Patrick Brüll) se plient au jeu avec plus ou moins de souplesse. Toute la souplesse dont ils sont capables en tout cas. Au départ revêches à l’exercice, méfiants, peu enclins à réciter du Sophocle en se regardant dans le blanc des yeux, les lascars se jaugent et se cabrent. Au gré des ateliers, les réticences s’estompent et les participants se laissent contaminer par la sagesse du vieil auteur grec dont la vision proactive du destin entre en parfaite résonance avec le but de responsabilisation morale et matérielle de l’exécution de leur peine insulaire. Obligés de se prendre en main, de préparer leur nourriture, de remplir un emploi du temps devenu plus aéré, les protagonistes retrouvent un peu de leur humanité volée en cellule. Le grand air redonne de l’entrain et le théâtre redonne un terrain d’expression à ceux que la prison a insidieusement rendus mutiques.
Inspiré par l’île de Bastoy en Norvège, qui accueille réellement depuis 1997 des prisonniers rendus au plein air et libérés de la pavlovisation des prisons, la Compatibilité du caméléon entend donner à voir qu’une autre exécution de peine est possible, plus humaine, plus responsabilisante, plus efficace aussi, puisqu’il paraît que le taux de récidive à Bastoy est de 16 %, là où dans nos prisons archaïques il est proche de 60 %.
Pour mettre au point ce spectacle hautement documenté, la compagnie Phos/Phor a travaillé quatre ans, le temps de rencontrer des détenus, des psychologues, des avocats pénalistes, de rassembler des informations sur l’exemple norvégien, de se frotter au travail de Raymond Depardon sur la question judiciaire, puis bien sûr d’écrire à plusieurs mains (celles des metteurs en scène Julien Lemonnier et Camille Sansterre, d’abord ; celles des comédiens ensuite) cette fiction inspirée de faits réels, de la confronter aux experts du domaine, de la retravailler tout en laissant la place à l’improvisation des comédiens, eux aussi investis dans l’appréhension de la réalité carcérale, des comportements qu’elle engendre, des portes qu’elle ferme.
En ressort une pièce universelle (on ne saura jamais où on est ni pourquoi les quatre détenus ont été condamnés, seuls les comédiens le savent, qui ont pu élaborer leur propre passé judiciaire comme bon leur semblait) et éclairante sur ce que pourraient être d’autres conditions carcérales que celles, moisies, qui grignotent les détenus des prisons lamentables en Belgique. Sujet d’autant plus brûlant dans un pays dont l’état des prisons est décrié par nombre d’observateurs, tandis qu’on continue d’en construire de nouvelles. De quoi alimenter le débat aussi sur la nécessité de l’enfermement et les peines alternatives à la privation de liberté.
Malgré quelques longueurs (la pièce dure presque deux heures), quelques péchés de clichés, quelques passages moins réussis (particulièrement ceux sur la vie de Vincent), le spectacle est percutant et donne finement à penser grâce à la mise en situation simple de personnages bien choisis. La geste et la voix des comédiens est frappante de réalisme, la mise en abyme est intelligemment construite, et valorisée par une scénographie sobre mais efficace. La perspective documentariste de cette pièce de fiction aspire le spectateur dans l’observation presque scientifique de ces humains placés dans un jeu particulier où se mêlent la banalité de l’existence et la férocité de la tragédie.
Sans surprise, la pièce est un succès. Courez-y vite avant qu’elle ne soit tout à fait complète.
SIDDHARTHA
Diane Delangre
Avec l’adaptation de Siddhartha, roman phare de Hermann Hess publié en Allemagne en 1922, le Théâtre des Martyrs propose un parcours initiatique au cœur de l’Inde du 6e siècle a.C.n.
Siddhartha, un jeune homme issu d’une famille indienne aisée se lance dans une quête spirituelle avec son ami Govinda. Ensemble, ils quittent leur famille pour rejoindre les Samanas, des pèlerins ascètes qui cherchent le détachement charnel pour atteindre la paix intérieure. C’est le début d’un long chemin d’introspection, de rencontres et d’expériences qui vont peu à peu forger l’âme et nourrir le héros jusqu’à son accomplissement. L’œuvre propose une réflexion sur l’apprentissage de la sagesse par l’expérience de la vie et sans se soumettre à un maitre ou à un dieu.
Cette histoire spirituelle, ils sont quatre comédiens à la raconter. Se partageant les nombreux rôles avec fluidité, les personnages changent de voix et de corps mais gardent toute leur force. Cet exercice périlleux aurait pu perdre le spectateur, mais réalisé avec précision, il permet au contraire de maintenir l’attention du public. Le véritable atout de la pièce reste cependant la mise en scène de Christine Delmotte-Weber. Choisissant la carte de la variété, elle enrichit le plateau de jeux d’ombres chinoises et d’ombres portées, de marionnettes sous diverses formes (des créations de qualité imaginées par Anaëlle Impe) et de théâtre d’objets. Chaque technique, maîtrisée au cordeau par les comédiens, apporte de la fraicheur au texte. Autre source de fraicheur, le bassin encastré sur la scène est loin d’être une simple pièce de décor. Traversé, longé, utilisé pour s’y désaltérer, s’y noyer ou renaître, le point d’eau est exploité sous toutes ses formes et s’intègre habillement à la mise en scène. De même, le choix d’une forte présence musicale immerge le spectateur dans une ambiance propice au thème. En un mot comme en mille, l’adaptation de ce roman a été longuement réfléchie et n’a rien de classique.
Les amateurs du genre trouveront sans doute leur bonheur dans cette adaptation, les autres seront dans tous les cas satisfaits par la qualité de la mise en scène et de la prestation des comédiens.
LE MISANTHROPE
LAURENCE BERTELS (La Libre)
"Le Misanthrope" de Molière adapté aux réseaux sociaux, le coup de génie de Dominique Serron. Critique.
... lorsque Célimène, sensorielle et captivante Laure Voglaire, affiche sa page Facebook et guette fébrilement ses "like", cette contemporanéité explose au regard. Celui des autres avant tout, tellement prégnant dans "Le Misanthrope". Car de quoi nous parle cette pièce sinon des rapports sociaux à l’heure où les réseaux se montraient moins virtuels ?
Misanthrope, Alceste (épatant et touchant) ne l’est pas de naissance. Trop aimer les hommes, les femmes, et la sienne en particulier, aura nourri cette amertume en lui, porte-parole d’un Molière désemparé face aux attitudes séductrices de sa jeune épouse.
La metteure en scène, douée on le sait, pour adapter les classiques, qu'il s'agisse de Carmen(2015) ou du Cid(2013), et drainer le tout public au théâtre, dont des classes entières d’adolescents qui boivent les alexandrins sans broncher - un exploit à souligner à l’heure des tyranniques 140 signes du tweet - pousse cette fois l’exercice avec encore plus d’acuité, de vitalité et d’intelligence. Car franchement, adapter Molière aux réseaux sociaux, cela frise le coup de génie…
Créée, pour les trente ans de la compagnie, au Studio Thor du chorégraphe Thierry Smits, dans un lieu habité de virginité, la mise en scène se révèle encore plus élégante... Coulisses à vue, vidéos, baskets blanches de mise et jolis dénudés composent une esthétique adaptée à l’indémodable propos.
Le tout servi par une distribution de haut vol, avec cinq acteurs pour onze rôles et une alternance entre Patrick Brüll et Laurent Capelluto dans le costume d’Alceste.
... le texte est maîtrisé, déclamé avec d’intéressantes diversités de tempo, tantôt fulgurant, tantôt hyper lent, découpé, presque haché pour mieux être entendu. Ce sont ces dissonances qui permettent de mieux l’écouter. Et de comprendre, in fine, qu’à ce jeu de l’apparence, tout le monde est perdant.
... Pas plus que l’Alceste de Poquelin, celui de Dominique Serron ne veut jouer le jeu des réseaux sociaux. Dans la création de l'infini, l’écran remplace le salon, les textos les missives et les tweets les rumeurs...
LAURENCE BERTELS
Catherine Makereel
(Le Soir)
On savait Molière impérissable mais de là à brancher « Le Misanthrope » sur WhatsApp ! La version de Dominique Serron est connectée aux réseaux sociaux.
...
Bref, la mise en scène s’empare allègrement des écrans pour démontrer que l’hypocrisie et la superficialité de notre ère virtuelle n’ont rien à envier aux précieuses ridicules du XVIIe siècle
Il faut dire que, malgré l’omniprésence des objets connectés, les comédiens composent une partition charnelle, nerveuse. Et même sensuelle dans le cas de Laure Voglaire, Célimène d’une grâce voluptueuse. Elle a beau changer de tenue plus vite qu’une bloggeuse de mode, elle affiche une belle constance dans le snobisme et la frivolité, tout ce qu’Alceste, l’amoureux atrabilaire, déteste. Ce dernier est porté par un Patrick Brüll ténébreux, romantique incorruptible, éprouvé dans son rigorisme par son amour pour Célimène. De sa bouche, les vers de Molière coulent comme du miel.
D’un même naturel avec les alexandrins, Alexia Depicker, François Langlois et Vincent Huertas endossent le reste des personnages ...
Ainsi actualisé en mode hipster, ce Misanthrope aurait pu virer à la mise en trop mais la fable tient étonnamment bien la route (c’est bien là tout le mystère de l’œuvre intemporelle de Molière). Même en version 2.0, l’affrontement entre la mondaine Célimène et l’austère Alceste, entre le culte de l’apparence et la droiture des sentiments, fait mouche. D’ailleurs ce bain de jouvence confirmait ses effets tonifiants puisque la salle, largement occupée par un public scolaire ce soir-là, est restée bouche bée.
Catherine Makereel
(Arts et Lettres)
Un Misanthrope signé Dominique Serron
Molière, a dû se retourner de plaisir du fond de sa tombe
...
Alceste, l’atrabilaire drôlement sympathique et vif-argent joué par Patrick Brüll a tout pour plaire! Il circule à la vitesse du vent sur un plateau ouvert, entre les alexandrins bénis des amoureux de la langue française et ses élans passionnels pour la belle Célimène.
Palomina Di Meo (Demandez le Programme )
Tournez manège !
Pour Dominique Serron, « Le misanthrope » est la plus marivaudesque des pièces de Molière et sa proposition le traduit à la perfection.
Le jeu est là, au centre de la scène, où le lit de la belle Célimène tournoie, dans sa cage rose, au rythme de l’humeur de ses « fans »...
Les alexandrins de Molière, légers, ludiques, n’enlève rien à la gravité du propos de Dominique Serron. Nos sociétés sont-elles déresponsabilisées, voire enfantines ? Le culte de l’instantané, de l’image, de l’accès à l’autre par un « clic », les gadgets, tout cela peut-il tuer les valeurs d’honnêteté et de dignité ? L’écran va-t-il bouffer la vie ? L’angoisse de Célimène, est perceptible pourtant, filmée en gros plan depuis sur son smartphone. Alceste lui plait bien mais renoncer à son blog ? Trop cruel !
C’est la trouvaille de Dominique Serron, transposer les salons des précieuses sur le net. Le blog personnel devient une antichambre pour se rapprocher de la « lumière » : du roi au temps de Louis XIV, de la notoriété aujourd’hui, un subterfuge pour s’assurer un certain pouvoir social.
Avec une mise en scène dynamique, sur le mode du montage rapide, Dominique Serron pousse les comédiens dans l’urgence. Ils s’entrechoquent comme des pions sur un échiquier, surpris par les aléas du jeu.
Et nous nous surprenons à penser que Molière est bien vivant !
Palomina Di Meo
CALLAS, IL ETAIT UNE VOIX
(L'AVENIR )
Quarante ans après la mort de Maria Callas en 1977, «Callas, il était une voix» fait revivre la diva. Un très bon moment de théâtre.
...Maria Kalogeropoulos, dite Maria Callas, sur le mode de la tragédie grecque, en cinq actes. Psychanalyse, catharsis chère à Aristote, le duo va explorer les grands moments et les émotions qui ont façonné la personnalité de celle qui est devenue un mythe.
Callas, il était une voix a été très bien accueillie par le public du théâtre Jean Vilar lors de sa première, en création mondiale.
la pièce a permis de découvrir une «Callas junior» Anne Renoupré... Sa passion pour l’opéra, son étrange ressemblance physique avec Maria Callas, et les quelques similitudes vocales (modestes mais bien réelles) qu’elle partage avec la diva, l’ont poussé à aller chercher un metteur en scène et un dramaturge capable de créer ce rôle au théâtre pour elle.
Patrick Brüll propose une mise en scène classique et efficace pour ce duo bien huilé formé par Anne Renouprez (Callas) et Alain Eloy (le journaliste). Ce dernier jongle habilement avec l’interprétation de différents personnages... Il est bien servi par la justesse du jeu et la beauté de la voix d’Anne Renouprez, inspirée et irrésistible dans le rôle de cette femme dont on retiendra que, malgré son talent hors du commun, elle était une perpétuelle insatisfaite.
«C’est comme si une force obscure me poussait à courir vers un bonheur encore plus grand.»
Elle ne le trouvera jamais.
À voir au Blocry (Théâtre Jean Vilar)
Ariane BILTERYST
Deashelle (Arts et Lettres)
Des vocalises qui tombent du ciel !
Dépouillée, enjouée, virevoltante et dramatique, la mise en scène créative et fantomatique très habile est signée Patrick Brüll.
…C’est tout Maria Callas, volontaire et fragile, émouvante et indisciplinée! Et pourtant, sur le plateau, dans ce deux-en-scène, que de bienveillance partagée, quel sens aigu de l’humour!
... La dame évoque l’arrachement à la terre natale, ses féroces combats dès l’enfance, l’amour de son père, le rêve américain, sa pugnacité devant les échecs répétés, mais aussi l’immortelle tragédie grecque qu’elle transporte dans ses veines... Et c'est le déluge de frissons. Le chant résume le tout! Elle captive un public bouleversé.
Photo © Gaël Maleux
40 ans après la disparition de Maria Callas, le Théâtre Jean Vilar rend un très bel hommage à celle qui fut, à travers une carrière fulgurante et tourmentée, une soprano météorite modifiant à tout jamais la carte du ciel de l’art lyrique par son empreinte singulière.
Le 16 septembre 1977, François Grenier, journaliste pour la radio, prépare en toute hâte ses bagages. Il est sur le point de quitter Paris pour rejoindre sa famille en Bretagne quand une information brûlante interrompt ses projets et le retient dans la capitale : Maria Callas est décédée dans l’après-midi, seule dans son appartement parisien. Il est sommé par sa direction de réaliser une émission spéciale pour le lendemain ...
D’elle à lui, la narration remonte la courbe de vie de Maria Callas sur le ton de la confidence et de la complicité tout en mêlant l’intime et la musique. Mais si l’histoire opère un véritable retour sur la vie mouvementée de la cantatrice légendaire, elle met également à l’avant-plan la conversation d’un soir entre un homme qui se cherche encore et une femme qui fait ses adieux. Tour à tour enjouée, drôle et dramatique, la mise en scène de Patrick Brüll sert habilement le texte de Jean-François Viot qui se décline en 5 actes comme toute bonne tragédie grecque qui se respecte.
D’un bout à l’autre, on se laisse emporter par cette œuvre délicate qui revient avec grâce sur la vie, la carrière et la légende de la Callas.
La comédienne et chanteuse d’opéra Anne Renouprez incarne avec brio la Divine. A la fois touchante et sensible, elle resuscite plus d’une fois tantôt Maria, tantôt Callas par la grâce de sa langue et de sa voix. Quant à l’acteur Alain Eloy, il parvient en un minimum d’artifices à donner vie à une foultitude de personnages secondaires.
Vous l’aurez compris, Callas, il était une voix est un spectacle à voir d’urgence si vous souhaitez découvrir qui se cachait derrière l’icône du chant d’opéra
Marie-Laure Soetaert
LE CID
Un Cid choral
LAURENCE BERTELS
La libre
Sans doute fallait-il la patte de Dominique Serron pour livrer un Cid choral d’une telle tonicité. La metteure en scène s’attaque une fois encore à un monstre sacré, dont les vers résonnent plus de deux heures durant sans que l’on voie les alexandrins passer.
... Du talent, il en faut pour monter “Le Cid” avec autant d’audace et d’humour, une prise de risque qui pourrait basculer dans le burlesque et qui reste d’une belle justesse. Telles ces chorégraphies hispanisantes évoquant le royaume de Castille où se déroule le drame et la réelle physicalité des comédiens dont le jeu séduit et convainc.
Muriel Hublet (Le Plaisir d'Offrir)
Le Cid
... Jeu dans le jeu, action dans l’action, cette mise en abyme, en apparence si légère, souffle un agréable vent de fraîcheur et de légèreté. Musique, danses espagnoles, costumes mixant contemporain et
d’époque, Dominique Serron a opté pour un travail très corporel, visuel. Les comédiens sont aussi danseurs, habilleurs, presque mimes parfois. Ballet de corps, regards qui vrillent ou captivent, gestes amplifiés
ou magnifiés, Le Cid est là entier, vivant, vibrant, fougueux, sanguin. (Muriel Hublet)
... Le seul point d’appui où se construit peu à peu le spectacle est cet environnement naturel dans lequel baigne le comédien, un envers de décor invisible ou imaginaire. L’énergie du texte de Corneille se libère à mesure. Comme s’il s’agissait d’un concert dont on ne possède plus les instruments anciens, les comédiens ont pour tâche de trouver au fond d’eux-mêmes l’authenticité du texte. La troupe est un faisceau d’énergies portées par le rythme parfait de l’alexandrin. Cette caravelle qui vous embarque dans l’ivresse de la langue. Voilà un centrage sur la parole et le corps sans aucune autre distraction...
Ainsi s’allume le feu dramatique qui dévore chacun des personnages et qui gagne peu à peu le spectateur pris dans les flammes vives de la création artistique.
Le drame est incandescent, vécu par chacun avec vérité absolue.
LES 1001 NUITS
Muriel Hublet
...Traités de façon cocasse, voire burlesque, les contes sont colorés, pleins de fantaisie et d’imagination.
Si l’on épingle par exemple la présence sensuelle de France Bastoen (Shéhérazade), la danse de Jasmina Douieb sur son coffre ou le formidable Patrick Brüll en Djinn menaçant, c’est surtout le travail de toute une équipe qu’il faut applaudir...
LA COMEDIE DES ILLUSIONS
(La libre)
Le monde n’est qu’illusion
Aurore Vaucelle
Christine Delmotte questionne la réalité de manière frontale : ne sommes-nous pas qu’illusions ?
Le pari est risqué de traiter, au théâtre, du chamanisme, des énergies qui entourent notre enveloppe corporelle, des chakras qui s’ouvrent et kse ferment, ou des transmutations des corps et des esprits. Difficile simplement parce que, comme le dit l’homme, sur scène : "Nous avons été éduqués dans la croyance que rien n’existe au-delà de ce que nous percevons, en dehors de nos sens ordinaires".
Le chamanisme, la croyance autour des esprits sont souvent taxés par facilité - par peur plutôt - de charlatanisme. Alors que dire des expériences qui impliquent plus directement le relâchement par la perte de repères, les voyages intérieurs par le biais de la méditation, ou la mise en danger de soi à travers la transe ? On les associe à l’exotisme au mieux, au pire à la sorcellerie, au charlatanisme et à la religion des fous.
"La Comédie des illusions", qui se joue actuellement aux Martyrs, prouve l’universalité de la réflexion sur soi : qui sommes-nous sous notre enveloppe actuelle ? Que pourrions-nous être, en dehors de ce que nous sommes déjà ? Pourrions-nous être autre ? Car, après tout, le monde qui nous entoure est d’abord le reflet des illusions que nous projetons tous. Il ne tient qu’à nous de modifier notre état.
...
Patrick Brüll et Stéphanie Van Vyve, humbles et géniaux représentants de la diversité de l’humanité.
On aime ce moment de théâtre qui pousse, parfois, le public dans ses retranchements, qui oblige à ouvrir grand ses yeux et qui, gentiment, invite à remplacer l’expression "grosse prise de tête" par "petite introspection non négligeable".
Aurore Vaucelle
MARJORIE
Christine Delmotte, qui, de son propre aveu, s'est inspiré de David Lynch, aime tordre nos esprits et ne laisse aux comédiens que peu de répit. Sa démarche? "Montrer que la réalité est une illusion et que cette illusion, nous pouvons la construire instant après instant. Le jeu avec la réalité est infini...".
...j'adore! Je me sens un peu bête et me demande ce que je vais bien pouvoir écrire sur ce que je suis en train de voir. Je m'accroche à la voix incroyable du comédien Patrick Brüll et à son jeu apaisant. Je continue de sucer mon bonbon...
Et soudain, après un dernier sursaut de cette énergie violente, le calme et la lumière se font enfin. Tout devient clair, lisible, et mon bonbon se fait doux pour finalement fondre. J'avais oublié qu'au théâtre, il faut toujours se laisser aller, se laisser surprendre, ne pas trop chercher à devancer les pensées de l'auteur.
Faut-il y aller? Certainement! Mais dépêchez-vous, c'est fini samedi...
MARJORIE
RUE DU THEÂTRE
La Comédie des illusions
Good Vibrations...
La forme elle-même tient de la cérémonie initiatique, d'une recherche alternative ou métaphysique, et, tout simplement également, des jeux de l'esprit - la notion fausse du Temps ? la réalité qui ne serait plus ce qu'on voit mais ce qu'on imagine ? -, la mise en échec de l'ego.
La somme de tout cela est un spectacle dans lequel on s'immerge avec délices sans la bouée de la raison raisonnante. Cette émotion du vivant, cette magie... du théâtre. Celui-ci n'a-t-il pas toujours utilisé des illusions scéniques, trompe l'oeil de naguère ou effets techniques d'aujourd'hui ?
Qui sommes-nous vraiment ? Question essentielle...
Outre qu'ils sont des habitués des réalisations de la compagnie, les deux comédiens ne sont pas non plus étrangers à la démarche initiale. On se souvient encore de Patrick Brüll et son "Milarepa",aussi de Stéphanie Van Vyve et "Diotime et les lions"...
Ils auront eu pour fond de scène et support d'un jeu tout en nuances et subtilité, une simple grande armoire à tiroirs et casiers comme on en voit dans les pharmacies susceptible de se transformer en écran pour absorber les comédiens ou reproduire des scènes filmées dans une utilisation particulièrement adéquate. La technologie est ici pleinement au service de l'imaginaire.
Suzane VANINA
Muriel Hublet
Rêve, réalité…
Vouloir, pouvoir…
Être, paraître…
Chaque personnalité est un ensemble complexe, mobile, pétrissable, étirable, une sorte de miroir qui projette un reflet différent selon son angle d’inclinaison, un genre de caméléon qui change de couleurs jusqu’à opter pour l’arc-en-ciel si le cœur lui en dit...
À la fois auteure et metteuse en scène, Christine Delmotte nous propose un étrange et captivant voyage.
Si elle place Stéphanie Van Vyve et Patrick Brüll dans le décor d’une salle de thérapie, si l’on perçoit quelques références aux flux énergétiques, chakras, si l’on voit des gestes évoquant massages ou impositions des mains, cela reste volontairement assez abstrait pour ne heurter aucune sensibilité, pour ne mettre en cause aucune thérapeutique...
Purement perceptif et impressif, le récit est inénarrable, mais pourrait se comparer à un voile nacré qui se déroule, s’enroule, se plie, se déploie, retombe en vagues soyeuses, mais qui est sans cesse entre nous et une vérité.
Oui, mais laquelle ?
Surprenant, magnifique, magique, le spectacle vous emporte dans un tourbillon, il ne cesse d’alterner émotion et humour, spiritualité et bestialité, conscient et inconscient, jeu et réalité.
Si La comédie des illusions est tout d’abord le travail conceptuel de Christine Delmotte, qui se prolonge jusque dans ces plus infimes détails (décor de Julien De Visscher, musiques de Daphné d'Heur, vidéos de Caroline Cereghetti) et dans l’investissement demandé à Stéphanie Van Vyve et Patrick Brüll. Les deux comédiens le lui rendent superbement bien, transcendant les émotions, transmettant détresse et souffrance, égarement et conviction, tendresse et confusion avec un naturel confondant.
A découvrir, l’esprit et le cœur ouvert, cette plongée en soi, en l’ego et toutes ses couches se révèle séduisante et a l’immense mérite de parler sans fausse pudeur de ces mots dont on fait tant de mystères et … d’illusions.
Muriel Hublet
ARTS ET LETTRES
Publié par Deashelle
Le théâtre est vibration.
Et si… le théâtre était avant tout une " cérémonie ", une création multiple résultant de la volonté du dramaturge, de la mise en valeur du metteur en scène, du jeu des comédiens, de l'appareillage technique des lumières et des sons et de la complicité d'un public ? Une illusion où le jeu est le centre vital ? Et non plus le « je ». Un lieu où l’imagination éclaire le monde. Un chef d’œuvre a-temporel.
Et si… dramaturge et metteur en scène ne faisaient qu’un(e)? Puisqu’il s’agit ici de Christine Delmotte,
Et si… Christine avait rencontré deux comédiens de ravissement: Stephanie Van Vyve et de Patrick Brüll,capables d’inviter le spectateur à mettre en doute ce qu'il voit, et, plus encore, à voir autrement ? Cette mise en jeu irait jusqu'à la magie. Magie théâtrale au centre du jeu. Miroitements infinis, Œuvre d’art surprenante.
Et si… : est-ce le ton de la fiction ou de la réalité ? Illusion théâtrale, illusion du temps qui régit tout mais que Christine Delmotte fait éclater magistralement. Le spectateur est soufflé par l’intensité du jeu, on pénètre dans une sorte de transe qui voyage d’un personnage à l’autre. L’amant et la femme, le disciple et le maître, le patient et son psy…, Jusqu’à l’évocation de doubles, de triples de multiples personnalités.
Et l’on revient à la source première du théâtre : le jeu, Et si…. Le jeu brûlant et habité de Stephanie Va Vyve et de Patrick Brüll est presque palpable. La salle est petite et les comédiens sont proches. Les vibrations sont intenses, inoubliables, on ressort envoûté. Du jamais éprouvé, une découverte magique des contours de l’illusion. Et comment savoir ce qui est illusion et ce qui ne l’est pas.
Daeshelle
Samuel Bury
Sortir des carcans rationnels et oublier la notion de temps pour donner à la réalité une tout autre dimension... Christine Delmotte semble y être parvenue ou du moins en être très proche. Ca peut paraître flou mais, sur scène, face à Stéphanie Van Vyve et Patrick Brüll, l’approche devient manifeste. Celle du jeu sur l’ego et l’illusion de la réalité via une sorte de thérapie. Du théâtre de grande qualité, déstabilisant, percutant et questionnant.
...On s’aperçoit ainsi que cette comédie est effectivement celle des illusions, parce que la frontière entre le jeu et la réalité est constamment franchie.
Et le jeu, parlons-en. Les deux comédiens nous en offrent une belle démonstration. Ils réussissent à nous faire passer à travers différents états de la personnalité en un déclic, avec une précision assez remarquable. Sans jamais entrer dans le cliché. Toujours avec une déconcertante crédibilité...
La comédie des illusions, c’est finalement une appréhension de la réalité avec un regard large. Ce sont des questions plus ou moins métaphysiques posées de manière simple et directe. Après ça, plus besoin de thérapie... ou alors il en est peut-être temps...
Christophe DEPAUS
Comédien.be
Cette création est un petit joyau. La construction qui reflète des réalités multiples nous emmène dans un récit résolument non linéaire mais dont le dénouement – pour autant que ce mot ait un sens dans ce contexte – revêt néanmoins une cohérence unidimensionnelle...
En en peu plus d’une heure, on est mis au tapis et on peine à se relever. Ce K.O. est permis par une Stéphanie Van Vyve, écorchée, qui nous dévoile sa sensibilité dans son état le plus pur et par Patrick Brüll, à l’ancrage rassurant et dont l’humanité palpable offre assez d’aspérités que pour freiner l’interminable glisse du public, dans l’univers finalement méconnu et effrayant de son propre esprit.
Christophe DEPAUS
L'ANGE BLEU
Rue du théâtre
Un cabaret à l'enseigne de "l'Ange Bleu"
Par Suzane VANINA. Publié le 12 décembre 2011.
Adaptation théâtrale réussie, plus appropriée à notre époque et qui n'est pas tombée dans le piège de la nostalgie du film-culte ou des caricatures et clichés d'un autre âge...
Laura Van Maaren tout en jouant d'une certaine ressemblance avec la beauté platinée et glacée, s'écartera vite de ce modèle et, comme les autres artistes, apportera sa touche personnelle à l'ensemble. De même le Professeur ne sera plus uniquement le lugubre pédagogue pédant et Alexandre von Sivers entrera avec facilité dans un costume fait sur mesures...
Michel Kacenelenboggen a pu s'appuyer sur cette adaptation (la première en langue française) pour développer une mise en scène dynamique, pleine de couleurs et... de musique. C'est ici qu'intervient pour une grande part le musicien Pascal Charpentier, qui a composé des phrases musicales et treize chansons originales sur des paroles de Thierry Debroux.
L'ambiance n'est plus celle d'un sombre roman de moeurs, critique d'une société de l'époque, ou celle d'un film s'inspirant encore de l'expressionnisme allemand...
Avec Pascale Vyvère et Patrick Brüll, couple de tenanciers de cabaret truculent en diable et des comédiens-acrobates costumés en "apaches" de cabaret, on pencherait plutôt pour un petit côté fellinien...
On pourrait presque parler de comédie musicale, n'était le terme banalisé, galvaudé. Quoi qu'il en soit, par son côté résolument enjoué avec chanteurs-comédiens et artistes de music hall à part entière, c'est un spectacle en forme de coupe de champagne et, oui bien sûr, "un spectacle festif". Ce n'est pas une tare.
Suzane VANINA
CATHERINE MAKEREEL
Le Soir
L'ange bleu
(Publié dans Le Mad)
... Dans cette adaptation par Philippe Beheydt du roman de Henrich Mann, dont est tiré le film, des aspects de l'histoire ont été gommés, comme les terribles scènes dans la salle de classe du professeur, au début et à la fin.
Mise en scène par Michel Kacenelenbogen, la comédie musicale se concentre sur le lieu du cabaret, avec un plateau tournant oscillant entre les coulisses et la scène. Ingénieux mais étriqué, cet espace accueille une troupe bigarrée, entre la chanteuse qui fait tourner les têtes (Laura Van Maaren), une pulpeuse meneuse de revue (explosive Pascale Vyvere), un Monsieur Loyal doublé d'un narrateur (impeccable Patrick Brüll), et une bande d'acrobates formidables issus de l'Ecole Supérieure des Arts du Cirque...
CATHERINE MAKEREEL
Laurence Bertels
La Libre
L’ange bleu, plus pâle que sulfureux
Publié le 09/12/2011.
... Belle matière cependant que celui de la femme sulfureuse qui, dès la fin du XIXe apparut dans tous les arts, surtout en peinture, où elle succéda aux madones. Puis il y a cette histoire d’amour imaginée par le frère de Thomas Mann, du "Professor Unrat", ainsi surnommé par ses élèves. "Unrat" signifie "pourri". l’honneur et la raison. Le professeur Rath est incarné avec le pathétisme voulu par Alexandre Von Sivers tandis que un tonitruant Patrick Brüll endosse le costume du Monsieur Loyal et la généreuse Pascale Vyvere, celui de sa compagne. Nous voici a priori face à une distribution engageante pour interpréter l’adaptation de Philippe Beheydt.
Après le livre et le film, sans doute fallait-il se démarquer et, par exemple, imaginer une comédie musicale propice à l’ambiance cabaret. Le spectacle proposé au Parc est donc une adaptation libre du roman, où tout se passe dans l’établissement sur un plateau tournant et sur fond de musiques composées par Pascal Charpentier et de chansons signées Thierry Debroux, excepté la célèbre "Je suis faite pour l’amour de la tête aux pieds" interprétée par Laura Van Maaren à laquelle la guêpière sied comme un gant.
...Michel Kacelenbogen opte pour la légèreté à l’heure des festivités de fin d’année. Il eut la belle idée d’intégrer trois acrobates issus de l’Esac (Ecole supérieure des arts du cirque), Maël Deslandes, en ouverture, puis Elsa Bouchez et Philippe Droz. Leur présence fait sens mais l’ensemble reste flou, pour un moment agréable certes mais loin d’être inoubliable, à mi-chemin entre deux genres, ni tout à fait décalé, ni tout a fait incarné.
Laurence Bertels
Catherine Sokolowski
Demandez le Programme
... Michel Kacenelenbogen, s’écarte du drame cinématographique. Oscillant entre comédie musicale, cabaret, cirque, comédie et tragédie, le spectateur se trouvera quelque peu dérouté, d’autant que la ressemblance entre Marlène et Laura Van Maaren, qui l’incarne, est quant à elle, évidente. Léger, distrayant, « L’ange bleu » s’inscrit dans la tradition des spectacles de décembre : music-hall et belles gambettes.
Très présent, Patrick Brüll, en maître de cérémonie, est convaincant. Le public, souvent considéré comme celui du cabaret, parfois comme celui du théâtre du Parc est bien accueilli. Toutefois, sa bonne humeur contraste avec le sujet, un drame d’amour cupide doublé d’un risque de faillite imminente...
L’équipe est soudée, prête à affronter avec entrain le rire et les larmes et cela fait plaisir à voir. Artistes multidisciplinaires, nous leur tirons notre chapeau. Mais, s’il y a de très beaux moments dans cette comédie musicale, elle aurait gagné à être épurée et à choisir plus radicalement un style...
Catherine Sokolowski
LES FEMMES SAVANTES
Le Soir
Des femmes savantes sur le mode burlesque
JEAN-MARIE WYNANTS. lundi 08 août 2011.
Une belle distribution donne vie à une version burlesque des « Femmes savantes ».
Un vilain manipulateur sème la zizanie dans une petite famille : après l'avoir utilisé avec Tartuffe, Molière reprend ce point de départ dans Les femmes savantes. Mais cette fois, les rôles changent. Tandis que Tartuffe hypnotisait le père, c'est la mère qui tombe sous les charmes frelatés de Trissotin. Et avec elle sa fille aînée et sa belle-sœur.
On a longtemps vu dans cette pièce une critique de l'éducation des filles et certaines répliques poussent effectivement le bouchon assez loin en ce sens. Mais à travers ce trio de femmes manipulées, ce sont une nouvelle fois les précieux, les pédants et les empêcheurs de s'amuser en rond que Molière flingue joyeusement. Armand Delcampe a clairement pris le parti de mettre cet aspect de l'œuvre en évidence, notamment dans le choix d'une scénographie et de costumes évoquant clairement les salons à la mode de la Belle Epoque.
Ainsi, les trois femmes se pâmant devant Trissotin sont vêtues comme des danseuses de charleston mais outrageusement maquillées de blanc et de rouge, comme de véritables clowns. Trissotin et son concurrent Vadius sont eux aussi attifés de manière extravagante qui ne peut que susciter le rire. Face à eux, la jeune Henriette amoureuse du beau Clitandre, est tout en retenue et en blancheur virginale tandis que son fiancé arbore un look de séducteur à la Clark Gable.
Mais il ne suffit pas de quelques belles idées pour faire rouler un tel spectacle. La force de ces Femmes savantes tient avant tout à la qualité des interprètes.
Impossible de les citer tous ici mais Pierre Poucet est un Trissotin irrésistible de ridicule et de prétention. Alain Eloy apparaît quelques minutes pour camper un Vadius bondissant et hilarant. Nathalie Willame est une Philaminte dont la candeur face à Trissotin n'a d'égal que sa dureté face à son mari. Et ce dernier est interprété par un Patrick Brüll idéal qui en montre toutes les faiblesses, les lâchetés mais aussi les sentiments vrais avec humour et subtilité.
Mais dans le registre de la performance hilarante, Cécile Van Snick l'emporte avec un personnage de vieille foldingue persuadée de tourner la tête de tous les hommes, qu'elle joue avec une énergie et une folie qui rappelle les belles heures de Jacqueline Maillan.
Du 17 au 29 avril 2012 au Théâtre Jean Vilar à Louvain-la-Neuve.
JEAN-MARIE WYNANTS
La Libre
Spa sied bien à Molière.
Philip Tirard. Mis en ligne le 09/08/2011.
Delcampe revient à Molière avec des “Femmes savantes” échevelées.
C’est l’effet festival. On passe sans transition de Grumberg à Molière, du XXe au XVIIe siècle. L’époque ne fait rien à l’affaire : ces deux-là appartiennent à une même famille, composée de ceux qui ne satisfont pas de l’état du monde et préfèrent en (faire) rire pour ne plus en pleurer
Quand, à 50 ans, Molière écrit "Les Femmes savantes", il ignore que c’est son avant-dernière pièce. Il a renoncé aux sujets ouvertement politiques pour revenir à la dénonciation des vices privés. Dans "Les Femmes savantes", le satiriste ne fustige plus un extravagant mais une extravagante, Philaminte, éprise de science et de poésie mais complètement dépourvue de discernement. Philaminte a intoxiqué sa fille Armande et sa belle-sœur Bélise, formant dans la demeure du sieur Chrysale, "bon bourgeois" épris de quiétude, une secte vouée au culte d’un "bel esprit", Trissotin, fausse gloire littéraire et fat véritable qu’elle voudrait bien voir épouser sa fille Henriette. Laquelle, comme nous l’apprenons dès la première scène, aime Clitandre, ex-prétendant de sa sœur Armande, et est aimée de lui : ils projettent de se marier. Le ressort dramatique des "Femmes savantes", c’est la faiblesse de Chrysale devant les lubies de sa femme. Il les désapprouve mais ne les empêche pas. Dans cette nouvelle production, Armand Delcampe a opté pour une mise en scène qui rappelle l’univers du cirque, ce que viennent étayer le décor et les costumes bigarrés et années folles de Gérald Watelet, ainsi que les maquillages et l’interprétation clownesques des "savantes".
Improbable croisement entre une suffragette hystérique et Bécassine, la Bélise de Cécile Van Snick condense la férocité de la charge de Molière contre ces précieuses qui auraient mal vieilli. Elle tire le comique de situation vers une forme de burlesque qui n’est en l’occurrence pas dénuée de poésie. Nathalie Willame confère en revanche une vraie méchanceté à Philaminte, (trop) sûre de son pouvoir face à son débonnaire et défaillant mari dont Patrick Brüll détaille à merveille les revirements navrants. Le Trissotin de Pierre Poucet a des allures de Gatsby ébouriffé et très peu magnifique, déconfit dans la scène du sonnet et parfaitement odieux au moment du dénouement. Alain Eloy nous fait un Valdius surréaliste. Généreuses interprètes bien qu’un peu moins à l’aise dans l’alexandrin, Agathe Détrieux (Henriette) et Morgane Choupay (Armande) sont les sœurs ennemies, l’une héritière du bon sens paternel, la seconde de l’aigreur maternelle. Conduisant l’action, leur rivalité se conclut, en bon esprit de comédie, par la punition de la mauvaise et le mariage de la gentille. Freddy Sicx en frère raisonnable et Clitandre en prétendant loyal complètent avec Jean-François Viot (le notaire) et Julie Thiele (L’Epine et Julien), une distribution unie dans une mise en scène fluide et attentive, d’une efficacité sans faille.
Philip Tirard
ARTS ET LETTRES
"Les Femmes savantes" par la Cie Jean Vilar Bruxelles | Théâtre | WHalll - Centre culturel de Woluwe-Saint-Pierre
C’est une heureuse reprise. L’année dernière Jean Vilar affichait complet. Et on le comprend. Malgré les affiches criardes, c’est beau et succulent comme, Mmmm ! … de la belle nouvelle cuisine. Les plats se succèdent sur le plateau devant trois immenses paravents japonais lumineux qui évoquent le bureau d’astronomie à droite, le salon au centre et la salle à manger à gauche. Quelques meubles épars, rescapés de l’époque des rois, flottent dans les savants jeux de lumière de Jacques Magrofuoco. Le mot « savant » ici n’est pas de trop et souligne le propos, avec bonheur. Armand Delcampe signe une mise en scène burlesque et audacieuse.
La distribution est rôdée et déborde d’énergie. C’est une heureuse reprise. L’année dernière Jean Vilar affichait complet. Et on le comprend. Malgré les affiches criardes, c’est beau et succulent comme, Mmmm ! … de la belle nouvelle cuisine. Les plats se succèdent sur le plateau devant trois immenses paravents japonais lumineux qui évoquent le bureau d’astronomie à droite, le salon au centre et la salle à manger à gauche. Quelques meubles épars, rescapés de l’époque des rois, flottent dans les savants jeux de lumière de Jacques Magrofuoco. Le mot « savant » ici n’est pas de trop et souligne le propos, avec bonheur. Armand Delcampe signe une mise en scène burlesque et audacieuse. La distribution est rôdée et déborde d’énergie. Dès le début, le décor surprend. C’est l’éblouissement de tout l’univers étoilé cependant qu’une lune rousse se demande qui, du féminin ou de masculin, l’emportera. Ensuite le papier translucide des paravents se transforme en aurore, fixant les teintes pêche et fuchsia des robes 1920 des doctes dames. Il enchaîne ensuite dans les tons vert tendre les reflets irisés de paysages aquatiques aux lotus et chrysanthèmes stylisés. Les personnages vont, viennent et disparaissent derrière les paravents en ombres chinoises et musicales des années folles.
Mais il n’y a pas que ce décor épuré et les costumes fauvistes de Gérald Watelet qui subjuguent le spectateur. Les amoureux d’abord : Clitandre (Julien Lemonnier) a des allures de Gatsby le magnifique, l‘argent en moins ! Et Henriette (Agathe Détrieux) n’a de précieux que le nom, le reste est grâce et intelligence car le chouchou de Molière a tout pour plaire.
Il y a le jeu extraordinairement puissant de l’impuissant Chrysale, mené par un surdoué de la scène, Patrick Brüll. ce dernier est au mieux de sa forme et n’aurait pour rien au monde revêtu perruque à boucles, escarpins, bas blancs et pourpoint à rubans. Le voilà royalement sanglé dans une splendide veste de velours, rouge de la colère qui gronde et qu’il a bien l’intention de troquer contre un habit sobre de son choix quand enfin, il reprendra le pouvoir usurpé.
Car il s’agit bien de cela : de l’usurpation du pouvoir par les femmes. Le mari veut, quel que soit le siècle, une femme dans son lit et des mets délicieux servis à l’heure pour son dîner. Il n’a cure de sciences, de latin, de grec et de philosophie. Les vers et la littérature l’emplissent de bile à tel point qu’on le verrait bientôt dépérir. Pour peu, on aurait pitié de lui ! Ce qui est vrai c’est la guerre aux extrémismes menée avec détermination et bon sens par Molière. Qu’il s’agisse de la préciosité ridicule des courtisans dévorés par le désir de pouvoir ou de celle de trois péronnelles en folie qui se trémoussent devant le dieu Grammaire, la muse Poétique et les Galimatias de tout poil, il s’agit d’une même Folie. Nuisible à la bonne gouvernance, à la justice et au bonheur de tous. Voyez comme est traitée la pauvre Martine au naturel frappant (l’excellente Marie-Line Lefebvre) ! N’êtes-vous pas indignés ? Et Notre Monde moderne n’a-t-il pas ajouté quelques folies en plus ? La folie sexuelle, la virtuelle, la religieuse, l’économique… Mais où donc est passée la réalité ? Et si Molière, par aventure nous revenait sur terre, il serait bien mari de tous ces excès et de ces extravagances fantasmagoriques. Des postures, toutes aussi ridicules. L’érotomane Bélise campée par Cécile Van Snick décroche moquerie, rires et gloussements à chacune de ses répliques ! Le Trissotin de Pierre Poucet est en tout point odieux et exécrable à souhait, personnage grandiloquent (au sens étymologique, s’entend), à l’affût bien sûr, du moindre profit. Molière a donc raison. Les maris en perte de pouvoir évident sont réconfortés d’entendre les discours de Chrysale. Les filles (à marier ?) qui préfèrent l’amour à l’argent et les plaisirs de couple et de famille à l’érudition, sont ravies de pouvoir faire un pied-de-nez à leur Philaminte de mère-femme des années 80 ainsi qu’ à leurs sœurs rivales ! A moins que tout ce beau monde, femmes, enfants et maris ne fassent fi du discernement, de l’harmonie des alexandrins de l’illustre homme de théâtre et ne soient devenus sourds à ses savoureuses mises en garde verbales. Mmmm !
Dominique-Hélène Lemaire
MILAREPA
Rue du Théâtre
CHRISTINE DELMOTTE A REALISE UNE MISE EN SCENE ET EN ACTION DES PLUS TREPIDANTES, DIRIGEANT PATRICK BRÜLL AVEC UNE ENERGIE EPOUSTOUFLANTE ET UNE MAITRISE TOTALE DU PERSONNAGE DE SIMON ET DE LA CULTURE TIBETAINE
ROGER SIMONS
Conte accessible à tous mais suscitant la réflexion en profondeur - comme les paraboles du Christ le font pour les chrétiens - le récit de Simon est des plus vivants. D'autant que le comédien, Patrick Brüll, y montre tout son talent, au mieux de son art, ou de sa forme sportive, à moins que ce ne soit l'inspiration d'un Souffle, d'une Lumière, plus élevés...
Mis en scène avec beaucoup de doigté et une stylisation bien comprise des enseignements boudhiques, le message passe très bien la rampe, beaucoup mieux que de grands effets spectaculaires. Nul besoin, non plus, de se pencher au préalable sur des textes sacrés pour comprendre le sens des paroles poétiques et autres métaphores.
ROGER SIMONS
Un rêve trop persistant...
Par Suzane VANINA
Publié le 15 février 2011
Une heure ou un instant... comme pour le yogi le temps n'a effectivement plus eu d'importance avec ce spectacle, grâce aussi à un comédien à la forte présence.
C'est sur base d'un très ancien récit, qu'il a suivi point par point pour tisser le fond de son texte, qu' Eric-Emmanuel Schmitt a imaginé ce qu'il revendique comme étant un vrai "monologue qui devient duologue, triologue, voire plus..." et qui "n'est que la parole d'une conscience mais offre des espace de jeu au comédien". Non seulement il actualise fort bien un récit paru en 1490 ("Ma Vie" par Tsang Nyön Heruka) mais il accrédite en quelque sorte de manière moderne certaines des convictions aussi anciennes que le lâcher-prise ou le karma.
Cette oeuvre particulière de Schmitt appartient à un cycle spirituel. On y trouve un peu de ce "réalisme magique" qui, échec à la raison raisonnante, mène à accepter comme normale l'irruption d'un mystérieux personnage et convainc peu à peu d'adhérer à des théories non scientifiques... Le "pourquoi pas..." arrive alors insidieusement.
C'est une "femme évasive" qui perce à jour les tourments d'un Simon subissant obstinément le même rêve, nuit après nuit. Non seulement elle sait ce qui l'assaille mais elle lui apprend qu'il est la dernière réincarnation d'un oncle de l'ermite tibétain Milarepa, oncle haineux et vengeur qui eut maille à partir avec ce Milarepa dans un très lointain passé (1040-1143).
Pour se libérer d'un karma d'expiation, autrement dit d'un cycle de multiples renaissances, il lui faudra raconter "cent mille fois" - référence aux "Cent Mille Chants", base de l'enseignement du yogi-poète - l'histoire de l'oncle et du neveu, en la vivant intensément.
Simon sera Milarepa, voyou incendiaire puis repenti et purifié, mais aussi les deux côtés de sa famille, l'aimante et la vengeresse. Il sera Milarepa disciple de Marpa l'importateur du boudhisme en Inde et enfin Milarepa le Maître renommé.
Simon ne reverra plus sa pythie; un ami confident niera qu'elle ait jamais existé. Entre-temps il aura approché une très ancienne philosophie, il s'en sera pénétré et tout en mêlant les personnalités, la sienne et celle de ces personnages mythiques, il parviendra à la réconciliation, à l'apaisement.
Pour "une conduite éclairée inhérente à tout être humain"(Chögyam Trungpa)
Conte accessible à tous mais suscitant la réflexion en profondeur - comme les paraboles du Christ le font pour les chrétiens - le récit de Simon est des plus vivants. D'autant que le comédien, Patrick Brüll, y montre tout son talent, au mieux de son art, ou de sa forme sportive, à moins que ce ne soit l'inspiration d'un Souffle, d'une Lumière, plus élevés...
Mis en scène avec beaucoup de doigté et une stylisation bien comprise des enseignements boudhiques, le message passe très bien la rampe, beaucoup mieux que de grands effets spectaculaires. Nul besoin, non plus, de se pencher au préalable sur des textes sacrés pour comprendre le sens des paroles poétiques et autres métaphores.
Après "Sur les traces de Siddhârta", c'est la seconde mise en scène de Christine Delmotte traitant d'un sujet directement lié au boudhisme. Suite à un voyage au Tibet, on peut dire qu'elle a suivi un chemin d'initiation, elle aussi, et qu'elle entend bien partager cette expérience de vie avec le public le plus large.
On connait mieux de nos jours, cette religion (certains disent philosophie), vieille de 25 siècles qui a désormais droit de cité en nos pays européens. On saisit moins les courants divers qui la traversent, et encore moins certaines de leurs grandes figures aussi célèbres qu'un Moïse ou un Socrate chez nous. Milarepa est de celles-là, et il aurait aussi pu dire le "Gnôti seauton/Connais toi, toi-même" du philosophe grec.
Il est assez étonnant de découvrir les points communs qui relient ces spiritualités. En matière de religions, il serait sage d'en tenir compte plutôt que de camper sur des certitudes et d'attiser les divergences.
Suzane VANINA, Bruxelles
ARTS ET LETTRES
Publié par Deashelle
Ceci n’est pas une illusion :
Milarépa : Mis en scène au théâtre de la place des Martyrs à Bruxelles:
Le rideau illusoire se lève sur un sourire, le crâne est rasé et le visage rond comme la simplicité, la valise à la main il dit : «Tout a commencé par un rêve. Pause. De haute montagne…»
Nous voilà en plein songes: les songes sont-ils pour nous une deuxième vie? Où est l’illusion? Simon, Swastika, Milarépa - un seul personnage - ne pense pas, il raconte! Il dévoile les racines profondes de la haine. Elle peut même naître stupidement d’un trop plein de compassion … Swastika, le berger ruiné est recueilli chez son cousin, là le sourire radieux d’un enfant aux allures de prince l’accueille et aussi des larmes vraies. « Il pleura. Dans ses sanglots, je découvris que j’étais pauvre, je me mis à le haïr. » Cet exemple de la folie de la haine est emblématique, quand on pense que c’est l’innocence pure d’un sourire d’enfant qui en est la cause. Et la vengeance qui s’en suivra sera totalement dévastatrice.
Milarépa, devenu grand ne pourra pas résister, malgré sa droiture, au désir lui aussi d'utiliser la violence et de venger ses parents bafoués par ce berger sans scrupules, rendu fou par son égo monstrueux, lui qui s’est enrichi à leurs dépens, finissant par tout leur voler, par cupidité, par envie démesurée. Mais un jour Milarépa reconnaîtra que sa force et ses sortilèges magiques ne lui auront servi qu’à semer l’agonie autour de lui.
Expiation. « O Précieux, dira-t-il au lama Marpa, veuillez m’enseigner le chemin de la paix et du bonheur.» Après des épreuves surhumaines il deviendra bodhisattva, un être qui refuse d’aller jusqu’à l’illumination mais qui fait vœu d’aider l’humanité entière. D’une voix grave, il dira « Je n’ai de famille que l’humanité ». C’est son bonheur. La joie du renoncement en est un autre. Au contraire, tel un avare, cloué dans ses désirs de richesses accumulées, Svastika, associera sa mort et la perte de ses richesses au malheur absolu. Pour son malheur, Svastiska entrevoit enfin la sagesse, à son grand dam, sous les traits de l’ermite Milarépa, sous les traits «de ce que j’abhorrais le plus, et sur lequel, (ô dérision) je me suis acharné toute ma vie ! »
La réalité existe-telle en dehors de la perception qu’on en a ? En interviewant le comédien Patrick Brüll, une autre illusion tombe. On aurait pu croire que le comédien avait choisi de jouer cette pièce par conviction personnelle. Ce n’est nullement le cas. C’est le metteur en scène qui lui proposait en lecture il y a un an et demi le texte d’E.E Schmitt. Cela convenait certes à sa sensibilité, à son désir non déguisé de faire exploser tous les « moi » du monde. Mais on aurait pu croire, que le comédien avait choisi lui-même ce texte, tant son jeu est convainquant et puissant, juste et ample, passionnant et frappant de vérité. Il est sûr que l’illusion théâtrale secrétée par ce comédien éblouissant est totale.
Deashelle le 4 mars 2011 à 14:22
La Libre:
Sur les traces de Milarepa, du jeu au je
Marie Baudet. Mis en ligne le 19/02/2011.
D’Eric-Emmanuel Schmitt, un conte mis en scène par Christine Delmotte.
Inscrit dans son "Cycle de l’invisible" avec "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran", "Oscar et la dame rose", "L’Enfant de Noé" et "Le Sumo qui ne pouvait pas grossir", "Milarepa" a été inspiré à Eric-Emmanuel Schmitt par la figure de cet homme qui, dans le Tibet du XIe siècle, de vengeur et assassin, entreprit un trajet vers le Bien.
Les contraires et leurs tensions, voilà une toujours belle matière. Traduite ici sous forme d’un monologue pour plusieurs voix. Dans "Milarepa", explique l’auteur, "je me suis ingénié, de façon bouddhiste, à faire en sorte que les "je" se succèdent, voire se confondent, car le narrateur Simon, un homme d’aujourd’hui, doit achever le cycle de ses vies antérieures en les narrant au public."
En effet un rêve récurrent place Simon dans une position étrange. "Je me mettais à fréquenter deux mondes, tout aussi stables, tout aussi établis : ici, à Bruxelles, le monde du jour où je me cognais aux mêmes meubles, aux mêmes gens, dans la même ville; et là-bas - mais où, là-bas ? - le monde des hautes montagnes de pierres où je voulais tuer un homme. [ ] Quelle porte m’avait ouverte mon sommeil ?" C’est une femme, un jour, qui révélera à Simon la clef de ces songes, et le trajet à accomplir.
Pour porter ces voix multiples, il fallait en choisir une. Ce n’est pas la première fois que Christine Delmotte (qu’un voyage au Tibet il y a vingt ans a marquée jusque dans sa pratique de mise en scène) fait appel à Patrick Brüll. Le comédien, par ailleurs voix professionnelle (doublage, pub, annonces pour la RTBF), déploie sur le petit plateau de la petite salle une palette physique et vocale étonnante. Un écho à ce parcours qui va du jeu au je, dans un vertige que sculptent les lumières de Nathalie Borlée et habitent les images en mouvement de Yumma Mudra et Caroline Cereghetti.
Marie Baudet
L’ASSASSIN HABITE AU 21
Le Soir
Katherine Makereel -Le 26 octobre 2008-
On dit que l’assassin revient toujours sur les lieux du crime. En tout cas, Claude Enuset revient sur un genre qu’il connaît bien, le polar au théâtre. Cela, pour notre plus grand bonheur. Après Témoin à charged’Agatha Christie et Après le crime de Francis Durbridge, déjà dégainés au Théâtre des Galeries, le metteur en scène propose aujourd’hui, dans cette même institution, L’assassin habite au 21 du Belge Stanislas-André Steeman.
Qu’on ait lu ou non ce classique policier, parfait exemple du Cluedo façon Dix Petits Nègres, cette adaptation soignée de Fabrice Gardin vaut largement le détour, en particulier pour sa mise en scène d’une minutie digne d’Hercule Poirot. Mr Smith sévit depuis quelque temps, laissant une carte de visite à son nom sur le cadavre de ses victimes tout en brouillant les pistes comme le brouillard voile Londres. Un jour pourtant, un témoin atteste avoir vu le tueur entrer au 21 Russell Square, une pension de famille tenue par Mrs Hobson. Le commissaire Strickland (Patrick Brüll, parfait de tension et de détermination) va donc y mener l’enquête, aidé entre autres de son beau-frère reporter (espiègle Fabrizio Rongione).
Le principe est connu : plein de gens sont réunis, afin de multiplier les suspects, ce qui permet à Claude Enuset de faire appel à une belle brochette d’acteurs. Chouchoutés par Mrs Hobson (Manuela Servais), les pensionnaires forment un sacré nœud de vipères : Mr Andreyew (Jean-Marc Delhausse), immigré russe spécialisé dans le doublage au cinéma, Dr Hyde (Freddy Sicx), médecin radié de l’ordre au patronyme pour le moins suspect, le Major Fairchild (Alexandre Von Sivers), nostalgique des Indes, Miss Holland (Colette Sodoyez), auteure de conte de fées, ou le pseudo-prestidigitateur hindou Lalla-Poor (Toni D’Antonio).
Aucun rôle n’est sacrifié et chaque comédien, impeccable, apporte une couleur différente et une nouvelle pièce au puzzle à reconstituer à mesure qu’un nouveau meurtre est commis. A cette belle réussite chorale s’ajoute une ambiance cousue main et parfaitement intrigante. Les effets sonores de Laurent Beumier semblent coller à l’intrigue comme les gants en caoutchouc aux doigts de l’assassin tandis que les jeux de lumière de Félicien Van Kriekinge confèrent une angoisse palpable à l’ensemble. Ajoutez à cela le décor de Francesco Deleo, qui fait virevolter l’enquête en juxtaposant le commissariat aux différents étages de la pension, et le tour est joué. Elémentaire, comme dirait l’autre !
Jusqu’au 16 novembre au Théâtre royal des Galeries, Bruxelles. Tél. 02-512.04.07 ; www.trg.be. Supplémentaire le 10 novembre.
CATHERINE MAKEREEL
La Libre
L’assassin habite aux Galeries
Philip Tirard. Mis en ligne le 24/10/2008.
Un serial killer sévit dans le fog londonien: mystère et terreur. Claude Enuset monte Steeman en couleur locale avec une solide distribution.
Quatorze comédiens en scène et toutes des "pointures": le nouveau spectacle des Galeries, "L’Assassin habite au 21", vaut la peine d’être vu rien que pour la somme des talents qui s’y sont donnérendez-vous. Sous les traits d’un Patrick Brüll lumineux et tracassé, le commissaire Strickland tente de démêler l’inextricable situation à laquelle il est confronté. Avec le renfort un tantinet importun et intéressé de son beau-frère, le journaliste Ginger Lawson (Fabrizio Rongione, incisif reporter digne de Tintin), Strickland serre de près les clients de la pension de famille du 21 Russell Square.
Un informateur crédible (musculeux et tatoué David Leclercq) affirme y avoir vu entrer le tueur en série qui terrorise Londres depuis plus de deux mois. Mais chaque fois que le chef d’enquête croit tenir son homme, un nouveau meurtre est commis au moment même où l’on interroge le suspect n°1
Galerie de portraits
La célèbre intrigue imaginée par le non moins fameux romancier belge Stanislas-André Steeman (1908-1970) revit ici dans une adaptation signée Fabrice Gardin qui a voulu tout à la fois tendre le ressort du polar et donner consistance aux pensionnaires de Mrs Hobson. Jouée par une Manuela Servais plus british que nature, celle-ci "règne" sur une fameuse cour, secondée par Mary (pétillante Stéphanie Blanchoud), soubrette à la formation littéraire. Il y a le major revenu des Indes incarné aux petits soins par Alexandre von Sivers, monocle vissé à l’œil et préjugés aussi rigides que sa veste en tweed, toujours effaré par le temps que passe Miss Holland (Colette Sodoyez, droit sortie d’un Agatha Christie). Le prestidigitateur hindou Lalla-Poor (Toni d’Antonio), le scientifique français de passage M.Durand (Ronald Beurms) et l’exilé russe Mr Andreyew (belle présence de Jean-Marc Delhausse) assurent une touche d’exotisme. Didier Colfs joue le bègue Mr Collins, vendeur de TSF de son état, et Freddy Sicx est l’inquiétant Dr Hyde.
Tout ce petit monde s’accommode tant bien que mal de la présence en leur sein du redoutable tueur qui signe ses crimes "Mr Smith", et du commissaire Strickland et de ses seconds (Hervé Guerrisi, Ronald Beurms, Tristan Moreau). Habitué des mises en scène de suspenses, Claude Enuset joue avec assurance et efficacité sur les différents plans et étages du décor réaliste de Francesco Doleo, ainsi que sur les éclairages atmosphériques de Félicien Van Kriekinge et les effets sonores spectaculaires de Laurent Beumier. De sorte qu’on passe une très agréable soirée dans cette partie de Cluedo avant la lettre et grandeur nature. Et à la fin, on ne peut que s’exclamer in petto "Bon sang, mais c’est bien sûr" Bel hommage à l’autre maître du roman policier belge, à l’occasion du centenaire de sa naissance.
Philip Tirard
Princesse Turandot
Le Soir
Michèle Friche -19 Janvier 2009-
Turandot, princesse chinoise, d’une beauté, d’une intelligence et d’une cruauté insoutenables, fait décapiter tous les hommes amoureux d’elle… s’ils ne peuvent résoudre les trois énigmes qu’elle leur pose. Le Prince Kalaf, incognito à Pékin, tombe sous le charme et relève le défi. Mais la sphinx persiste à se soustraire au mariage. Kalaf lui laisse une chance : qu’elle devine son identité et il la laissera libre. Les ressorts de la ruse, de la corruption, de la torture sont mis en branle. Turandot réussit mais s’incline, par amour…
Sous la fable (1762) de Carlo Gozzi courent bien des fantasmes ! Orgueil ? Peur du désir ? Cette histoire inspirée d’un conte persan, le poète vénitien l’a traitée en mixant son orient imaginaire avec la commedia dell’arte, ses Pantalon, Tartaglia…, d’où ce ton tragicomique et onirique.
Le spectacle de l’Infini Théâtre s’abreuve à toutes ces sources : la gestique inspirée (mais décalée) du théâtre oriental, les codes de la comédie italienne, leurs masques respectifs, mais aussi la transmission du conte qui dissocie le verbe et le jeu. Le tout se joue sur un plateau noir, qu’habitent six box mobiles, tendus de toiles rétractables (Anne Guilleray). Boîtes à surprises, castelets, leur alignement ou leurs déambulations (un peu trop sollicitées) se prêtent à toute suggestion, du lit à la rue !
De part et d’autre de l’avant-scène, deux lecteurs devant leurs pupitres prêtent voix (multiples !) aux personnages en clin d’œil japonais aux conteurs de bunraki. A cette fascinante performance de Patrick Brüll et Laure Voglaire, répond une scène prise en corps par les comédiens masqués : superbe travail de Lucia Picaro qui mêle les expressions de la commedia… aux visages des porcelaines chinoises. Quant aux costumes (Renata Gorka), ils partent du noir basique à la luxuriance colorée orientale, en passant par le boléro, les bottes et le calot des lutteurs mongols (Kalaf) ou un harnachement « gothic » (Turandot en fureur) : souvent impressionnant.
Avec aussi la partition musicale de Gauthier Lisein et les lumières de Xavier Lauwers qui travaillent la nuit, la princesse Turandot de Dominique Serron stimule l’onirisme de chacun, sans doute à des degrés divers. Cette scène en perpétuel mouvement est nourrie d’une foule de références qui entrent un peu trop en collision, mais on salue l’investissement de tous.
Charleroi, Eden, jusqu’au 20 janvier, 071-31.12.12 ; Namur, Théâtre du 6 au 14 février, puis tournée en Wallonie et à Bruxelles du 5 au 20 mars, 02-223.07.64
MICHELE FRICHE
La Libre
Laurence Bertels -17 janvier 2009 -
Cruelle et flamboyante Turandot : l’Infini Théâtre livre une version onirique et fouillée du célèbre conte persan. …la beauté de l’univers frappe d’emblée le spectateur heureux de recevoir un cadeau d’une telle générosité(…) Feu d’artifice, le spectacle chorégraphié multiplie les couleurs chatoyantes, les étoffes soyeuses, les gestes amplifiés et les masques variés et magnifiques de Lucia Picaro. Il en résulte un travail qui rappelle la commedia dell’arte, un univers de Chine ancestrale imaginaire, des airs de tragédie grecque voire un langage de tréteaux cher à la metteuse en scène. »
Laurence Bertels
Presse :
2) Morceaux choisis depuis 1995
Succession chronologique.
Léopold 3 Roi Trahi ?
La crédibilité de ce genre de spectacle dépend évidemment d'abord de l'interprétation,
et chacun y contribue en proportion de l'importance des rôles.
On a plaisir à souligner que Paul-Henri Spaak, Hubert Pierlot ou l'Amiral Keyes
deviennent grâce à Patrick Brüll (étonnant de ressemblance avec Spaak), Raymond Lescot et Claude Volter
des personnages de théâtre à part entière. Un coup de chapeau à la Comédie Volter d'avoir mis sur pied cette ambitieuse production,
qui a le mérite de prouver que l'histoire de Belgique, peut elle, aussi passer la rampe.
LE SOIR vendredi (10 mars 1995) Jacques De Decker
La cerisaie
…Mais la Russie bascule vers le capitalisme,
et une bourgeoisie qui sent encore la plèbe est à l'offensive,
avec Lopakhine, superbement interprété par Patrick Brüll.
Ici pas de vérité plaquée, pas de message surajouté. Non, du jeu, du jeu et encore du jeu.
CULTURE-MATIN mardi(16 janvier 2001) Françoise Nice
Les treize acteurs gagnent notre amitié à la force du poignet, s'attachant à démontrer que le don d'humanité est aussi fait de failles.
En ce sens, Patrick Brüll trouve un rôle à sa mesure, jouant son Lopakine avec l'entêtement du promoteur,
mais aussi avec la tendresse irréductible qui distingue l'acteur.
LE SOIR Jeudi (18 janvier 2001) Laurent Ancion
Une distribution hors pair.
Le Lopakhine de Patrick Brüll est devenu le personnage principal d'une pièce aux accents sociaux.
Il est bien ce «marchand, sous tous les rapports un honnête homme, au maintien décent, sans mesquineries ni trucs»
que Tchekhov appelait de ses vœux.
LA LIBRE BELGIQE vendredi (19 janvier 2001) Philippe Tirard
Patrick Brüll, le jeune comédien récemment distingué comme meilleur espoir,
trouve en Lopakhine un rôle de promoteur à sa mesure, où le sens des affaires n'éclipse pas sa générosité.
Toute la distribution est au diapason et restitue Tchékhov avec toute la légèreté et la finesse qui lui sied.
LA MEUSE-LA LANTERNE mercredi (18 avril 2001)
Magazines
Patrick Brüll : "je suis un acteur-sorcier"
L’œil pétillant, Patrick Brüll, l'interprète de Jerry dans "Zoo Story", nous fait entrer dans la magie du théâtre.
L'année 1998 sera sans aucun doute marquante pour Patrick Brüll.
Ce jeune comédien de 31 ans, né un 31 mars, enchaînera en effet cette année quelque 200 représentations.
Une période faste si l'on croit au langage des chiffres et qu'on est versé dans le paranormal.
Cette évocation spirituelle se déroule devant un plat de nourritures terrestres dégustées à L'Aparté,
à Bruxelles, le restaurant situé à côté du Théâtre Le Public
et devenu la cantine de Patrick depuis les répétitions de "Zoo Story".
L'histoire signée Edward Albee évoque la rencontre dans un parc public de Jerry,
un jeune homme en recherche, et de Peter, un bourgeois d'âge mûr.
A l'inverse de ses grandes pièces psychologiques, comme "Trois Grandes Femmes" ou "Qui a peur de Virginia Woolf?",
Edward Albee a conçu ici une pièce très courte, guère plus d'une heure, évoquant un théâtre de l'absurde, à l'image de celui de Becket.
"La force de cette pièce, explique Patrick Brüll, c'est son ouverture sur l'inconnu, son aspect initiatique.
Beaucoup y ont projeté une lecture christique. Moi, j'y vois la difficulté de communiquer qui existe aujourd'hui.
Comment peut-on passer une heure à côté de quelqu'un dans un train, et vivre une proximité physique,
sans éprouver le besoin de savoir qui est cette personne? Cette question est souvent posée par des adolescents.
C'est aussi tout l'art du comédien de faire passer le problème de l'incommunicabilité.
"Féru de littérature sur le paranormal ou la sorcellerie, le jeune comédien a aussi établi un parallélisme entre le sorcier et l'acteur.
A l'égal du sorcier, l'acteur se transforme et devient l'intermédiaire entre des forces qui dépassent les humains
et le public présent pour recevoir quelque chose.
"Chaque personnage que je joue, confesse-t-il, m'apporte une couleur que je ne vis pas dans ma vie de tous les jours.
Cela me permet de grandir comme si je gravissais des marches d'escalier.
"Fils cadet d'une famille de quatre garçons, Patrick Brüll bénéficiait au départ de tous les atouts
pour gravir d'autres marches, celles d'une carrière de musicien.
Inscrit aux cours de piano à l'académie à 4 ans, il acquiert à l'adolescence une maîtrise technique lui permettant de côtoyer,
lors d'un séminaire de jazz, de grandes pointures belges comme Steve Houben ou Charles Loos.
Mais, à nouveau, le langage des signes ou plutôt celui de son corps le rattrape au tournant.
"J'ai fait des chutes qui ont brisé mes os du poignet. Difficile de s'en passer lorsqu'on est pianiste professionnel.
Souvent, lorsque j'ai dû faire des choix dans ma vie, mon corps m'indiquait par la maladie ou par un autre biais le chemin à suivre.
C'est un dialogue avec moi-même dont je suis sûr."
Sans aucun regret, Patrick a placé la musique dans le domaine du privé,
même s'il lui arrive encore de temps en temps de composer des musiques de spectacles.
Au vu du parcours accompli, il n'a pas à regretter son choix.
Avec une vingtaine de rôles à son actif et non des moindres,
il a interprété Valmont dans "Les Liaisons dangereuses", de Choderlos de Laclos,
il est maintenant depuis deux ans un acteur-pilier du Théâtre Le Public.
Lorsqu'on lui demande si le théâtre était pour lui une vocation,
il répond, une flamme dans les yeux: "J'ai été marqué par le récit de la mort du comédien français Charles Dullin.
Le journaliste affirmait avoir vu repasser à son dernier souffle, sur le visage de l'agonisant,
tous les personnages qu'il incarnait, comme s'il rendait ses outils de travail.
Quelle chance de faire un tel parcours, puis de rendre ses personnages avant de partir!"
"Zoo Story", d'Edward Albee, mis en scène par Christine Delmotte, avec Patrick Brüll et Alexandre Von Sivers, se jouera jusqu'au 13 juin au Public, à Bruxelles. Tél.: 0800/944.44.
LE VIF/Week-end samedi (15 mai 1998) Lucie Dendooven
--------------------------------------
Des vivats et des bis!
Exercice difficile que celui-là qui consiste à décerner les mérites des artisans du spectacle.
Le jury de critiques de théâtre a dû pourtant se résoudre à choisir entre parfois les pommes, les poires et les scoubidous
tant il est vrai qu'un théâtre n'est pas l'autre, que les genres et les budgets diffèrent parfois du tout au tout.
Dans leur sélection, les jurés ont à cet égard veillés à mettre en valeur le théâtre dans son ensemble,
subventionné ou confidentiel, grand public ou d'art et d'essai.
Les espoirs n'en sont déjà presque plus, eu égard à leur évident talent à tous les six.
Choix cruel que celui-là qui nous fit donner le titre d'espoir masculin à Frédéric Topart
distingué dans Les indifférents (Rideau de Bruxelles), Didier Colfs, jeune et fougueux Lorenzaccio (Parc)
et Patrick Brüll puissant et sobre dans Diktat (Le Public).
L’ECHO jeudi (23 octobre 1997) Sophie Creuz
----------------------------------------
Cinéma
Dans le bistrot, Molinaro met en boîte deux séquences: la rentrée des classes,
puis les retrouvailles après le renvoi de Max. Molinaro peut compter sur nos acteurs confirmés par la scène:
derrière le comptoir, on reconnaît Patrick Brüll, qui assure le rôle du tavernier.
LE SOIR Télévision mercredi (30 juin 1999) Laurent Ancion
----------------------------------------
5e remise des Prix du Théâtre avec une jolie distribution de "brigadiers"
Ta ta ta ta ta, tam tam tam. Ça y est, le brigadier a frappé le plancher, le rideau va se lever et le spectacle va commencer... C'est à cela que sert un brigadier, non? Oui, mais aujourd'hui, ce n'est pas Shakespeare ou Molière qu'il annonce à l'affiche. Ce soir, c'est la 5 e remise des Prix du Théâtre.
Au cœur des briques nues, de la moquette rouge et du bois brut du Marni, un jury de quatorze journalistes du spectacle déterminent qui représente pour eux, notamment, le meilleur spectacle, le meilleur espoir ou second rôle.
Le meilleur second rôle masculin à Patrick Brüll pour "L'Ecume des jours"
LE SOIR jeudi (2 novembre 2000) Christelle Prouvost
-----------------------------------------
THÉÂTRE Remise de prix
LUNDI soir, le Théâtre Marni, à Bruxelles, accueillait la remise des Prix du Théâtre 2000
Meilleur second rôle masculin à Patrick Brüll (pour sa magnifique prestation dans L'Écume des jours)
VERS L’AVENIR jeudi (2 novembre 2000)
------------------------------------------
La section expérimentale Son-Corps-Voix de l'académie d'Ottignies-Court-Saint-Étienne
«À bâtons rompus», d'après Brecht
Ils seront quinze sur scène, garçons et filles, pour la plupart encore à l'université. Agés de 20 à 31 ans, ils se sont laissés aller à une irrésistible envie de faire du théâtre. Depuis septembre, ils travaillent sous la direction de Patrick Brüll et Jean Mastin à la préparation de ce spectacle. Un travail qui va au-delà de la simple mise en scène de textes et qui passe par l'apprentissage de toute une série de techniques de théâtre.
LE SOIR lundi (12 décembre) Isabelle Willot
---------------------------------------------
Formation de 2 demi-journées destinée à 14 personnes (enseignants et artistes)
et dirigée par PATRICK BRÜLL
Comédien et metteur en scène, Patrick BRÜLL est également pédagogue (chargé de cours d’art dramatique au Conservatoire de Liège,
de mouvement scénique à Louvain-la-Neuve et à l’Emerson Collège, Professeur d’Eurythmie ad intérim au Conservatoire de Mons…).
Présent sur de nombreuses scènes, il a été nominé Meilleur Espoir Masculin en 1999 pour « Diktat » de Enzo Corman au Théâtre Le Public
et a reçu le prix du Théâtre 2000 , meilleur second rôle masculin, pour « L’Ecume des Jours » au Rideau de Bruxelles.
Récemment, on l’a vu au Théâtre de Namur dans « Le Conte d’hiver » de Shakespeare par l’Infini Théâtre.
Il est également compositeur de musiques de spectacles.
La formation que Patrick BRÜLL nous propose prend la forme d’un Stage de Mouvement Scénique et s’intitulera « Communications en scène »,
considérant la scène comme un des derniers espaces de liberté et un véritable laboratoire des comportements relationnels
et par conséquent de communication…
« Dans notre société occidentale, l’espace scénique, on le dit souvent, est l’un des derniers espaces de liberté.
La Scène, endroit hors de tout territoire légal, n’est régie que par l’élan créatif des humains qui la parcourent;
ils doivent chaque fois en définir les limites, y prendre chacun leur place juste,
et se positionner clairement face à la lecture qu’un public peut en faire.
Dans ce cadre, l’espace scénique constitue un véritable laboratoire des comportements relationnels
où apparaissent clairement les besoins de communiquer sans cesse,
de se réajuster chacun face aux autres, de trouver une nouvelle cohésion, non plus sociale,
mais dictée par la part que chacun peut apporter à l’accomplissement de la création collective, poétique et symbolique.
Sans mode d’emploi préalable, sans parole, un groupe plonge dans cet espace, et dans un processus de création.
L’échange (réplique) est ici symbolisé par la circulation de bâtons,
et la lecture que l’animateur-spectateur renvoie au groupe constitue la seule référence extérieure.
Pour le reste, la gestion du danger, celle de la peur et des différentes habitudes comportementales de chaque individu
sont sans cesse réévaluées par le groupe en création…
La Bio-Mécanique de Meyerhold[1], le travail d’analyse du mouvement de Laban[2],
les expériences d’improvisations corporelles de Barba[3], notamment,
ont fourni à l’acteur du vingtième siècle de véritables outils de lecture du corps en scène.
Mes expériences dans ce cadre, celle du jeu, ainsi que la pratique de ces dynamiques pédagogiques
dans différentes situations m’ont encouragé à développer ces exercices dans plusieurs directions.
C’est aujourd’hui l’une des bases de mon travail d’acteur et d’animateur.
Offrir une expérience-miroir de nos comportements individuels dans un collectif en création,
conduit à une prise de conscience de nos peurs, de nos obstacles, et des talents qui nous caractérisent. »
L’ECOLE EN SCENE ( janvier 2003) Folder