5. Recherche: Johann Martin Dömming

Après un travail de plus de 5 années de recherche et de restauration, Thomas Van Wetteren a terminé la publication des œuvres de Johann Martin Dömming (1703-ca1760), auteur jusqu'ici oublié. Les partitions étaient en effet dans un état inutilisable (sans conducteur et avec beaucoup d'oublis et d'erreurs du copiste).

Il y a très peu de répertoire pour le violoncelle piccolo, ce qui rend cet auteur encore plus intéressant. Il a aussi écrit pour l'alto comme instrument concertant, ce qui est très rare à l'époque. D'autres raretés: deux trios pour alto et deux violoncelles sans basse continue et un concerto faisant rivaliser le violoncelle piccolo et le quatre cordes en même temps. Des 93 œuvres de Dömming n'en subsistent que 32. Le catalogue des œuvres se trouve sur Wikipedia. L'édition de Thomas se trouve à disposition au Conservatoire de Bruxelles et un article en français et en allemand (plus fouillé) se trouve sur Wikipedia.

Dates repères autour de Dömming

-30 septembre 1703 : naissance de Johann Martin Dömming à Milz en Thuringe.

-24 novembre 1731 : Dömming est officiellement engagé comme « Directore Musices » par Moritz Casimir I von Bentheim-Tecklenburg. L’acte mentionne que le musicien travaillait déjà à la cour comme économe (« Küchenschreiber »).

-1701-1768 : le comte Moritz Casimir I règne à partir de 1717 sur une communauté de 1600 âmes à peu près. La cour réside au fort de Hohenlimburg, non loin de Hagen/Westphalie. Le comte avait étudié le droit et les beaux arts aux Pays-Bas. Passionné de musique, il joue du traverso et du violoncelle. Il enrichit aussi les collections musicales de la cour. Malgré de lourdes taxes à payer à Berlin, le comté vit une période prospère. Tous les jours se tient une heure de concert pendant laquelle tout le personnel sachant chanter ou jouer d’un instrument est mis à contribution.

-1750 : un catalogue des collections musicales de la cour est entamé sous la direction du « Directore Musices ». Des 93 pièces de Dömming, il n’en subsiste que 32.

-1755 : la Jagd Cantata laisse paraitre cette ultime date. On perd ensuite la trace du compositeur.

Un musicien anonyme nommé Johann Martin Dömming

On pourrait considérer Johann Martin Dömming (aussi ortographié Doemming) comme une ombre. Pas de portrait, pas de lettre, pas de témoignage nous sont restés. Des partitions restantes, on ne pourrait deviner quelle écriture est la sienne. Du titre d’engagement par le Comte Moritz Casimir, on ne voit pas de signature. Pas un mot dans les dictionnaires de musiciens. Mais qui peut bien être ce musicien si discret ?

Le registre de la paroisse de Miltz en Thuringe atteste sa naissance le 3 septembre 1703 à 11 heures du soir. On ignore encore tout de son éducation. En 1731, on le retrouve 500 km plus loin en Westfalie dans un des micro-états vassal du roi de Prusse. Pour la première et dernière fois de son existence, la maison Bentheim-Tecklenburg-Rheda engageait un directeur musical. L’acte mentionne que Dömming travaillait déjà pour cette famille comme économe, c.-à-d. l’employé responsable de l’approvisionnement et de la propreté de la maison. On ignore depuis combien de temps il était installé à Hohenlimburg (à 60 km de Cologne), ni les circonstances pour lesquelles il a quitté la Thuringe et s’il cumulait encore la fonction d’économe avec la musique. Le comté vit une période prospère, l’économie se développe, la bourgade devient une ville à part entière. On y produit du fil à tisser. Hohenlimburg est une forteresse transformée en résidence perchée au sommet d’une colline (cf. photo page 1). L’accès aux bois pour chasser est immédiat, le bâtiment est muni de deux cours intérieures et d’un petit jardin. La salle de réception est spécialement conçue pour la musique, le comte Moritz Casimir l’a faite couvrir de carreaux de Delft.

Un ancien étudiant en droit raconte son séjour à Hohenlimburg, il y décrit la vie musicale intense avec un concert tous les jours avant le repas où le personnel sachant jouer ou chanter est utilisé pour faire de la musique. Le comte Moritz Casimir est musicien, il joue de la flûte traversière, du clavecin et du violoncelle. Son fils était violoncelliste, d’autres membres de la maison savaient jouer du cor, du hautbois, du violon et de l’alto. La musique italienne recopiée à la main ou publiée par la maison Roger d’Amsterdam se répand dans toute l’Europe. La cour de Moritz Casimir fut très bien documentée, comme en atteste le catalogue. De Johann Martin Dömming, il nous reste 32 pièces: 28 pièces de musique instrumentale, 3 cantates profanes et une cantate sacrée. La musique est adaptée aux effectifs de la maison. Il manque un violon ? Dömming compose un concerto taillé sur mesure où un autre instrument tel la flûte reprend le rôle du premier violon. En 1755 est crée la cantate de la Chasse, la dernière pièce datée. A ce moment, la cour ne réside plus à Hohenlimburg, elle s’est installée dans ses autres terres à Rheda située 100 km plus loin. On perd toute trace de Johann Martin Dömming. Des combats très violents eurent lieu dans la région durant la guerre de sept ans. Dömming serait-il décédé lors du passage des troupes françaises ? Ce ne reste qu’une hypothèse parmi d’autres.

Concert 'Dömming' du 23/02/1014 (15h, église Ste-Cécile de Ganshoren):

Première mondiale autour de Johann Martin Dömming (1703- c.1760)

Thomas Van Wetteren: Konzertmeister, violon et alto

Pascal Ormancey: violoncelle piccolo et guitare

Alexandre Papazoglakis: clavecin

Thierry Pepersack: violoncelle

Robert Baussay: hautbois et hautbois d’amour

Laure Bellessa: alto

Wolfram Fink: violon

Gabi Avot: traverso

Jacqueline Bourguignon: traverso

PROGRAMME: Johann Martin Dömming (1703-c.1760)

-Ouverture en fa majeur pour violon et cordes

-Concerto en do maj. pour alto et cordes (allegro, adagio et allegro)

-Concerto en sol maj. pour hautbois d’amour et cordes (extrait : adagio en mi mineur)

-Trio en fa maj. pour ‘violetta’ (violoncelle piccolo) et deux violoncelles (extrait : arioso)

-Concerto en sol maj. pour violetta et violoncelle concertants, 2 flûtes et cordes

(extraits : adagio et vivace)

-Trio 2 en fa maj. pour alto et deux violoncelles (extrait : adagio 1)

-Concerto en la min. pour hautbois et cordes (allegro, grave, allegro)

COMMENTAIRES :

L’ouverture issue de la suite en fa majeur pour violon concertant est directement inspirée de Telemann. La collection des princes héritiers contient une suite identique du maître de Hambourg copiée à la main. Il s’agit d’une des rares œuvres de Dömming en style français au lieu du style italien. L’ouverture lent-vif-lent est écrite comme pour introduire un opéra de Lully sauf qu’à un moment, un instrument va jouer un solo. Ce mélange entre la suite française et le concerto italien fut à la mode en Allemagne. Les musicologues appellent cette forme la suite concertante.

La publication de l’opus III de Vivaldi en 1711 va bouleverser le monde de la musique. Le concerto de soliste est né. La séparation entre l’orchestre et le(s) soliste(s) est tout à fait nette. Diffusée depuis un éditeur d’Amsterdam au lieu de Venise, la fièvre ‘Vivaldi’ se répand en Europe du nord. Les maîtres allemands surpasseront les italiens dans le choix des instruments concertants. Le concerto pour alto de Dömming est une des premières pièces de l’histoire de la musique écrites pour l’alto comme instrument soliste. Ce concerto est inspiré des ouvertures d’opéra napolitaines vif-lent-vif : trois coups de bâton pour attirer l’attention du public, un mouvement lent pour assoupir, puis un dernier mouvement en forme de danse pour conclure avant d’ouvrir le rideau. La partie lente des concerti à la Vivaldi est le moment de calme entre les mouvements rapides. L’adagio extrait du concerto pour hautbois d’amour en sol majeur reflète ce choix intimiste où l’instrument peut révéler ses facettes propres. Bien que le hautbois d’amour est connu des mélomanes par les cantates de Bach et les concerti de Telemann, il n’en reste pas moins une anecdote dans l’histoire de la musique baroque.

La violetta de Dömming et le violoncelle piccolo de Bach sont certainement le même instrument. Le soliste a bien besoin des 5 cordes Do-sol-ré-la-mi pour venir à bout du trio en fa pour violetta et deux violoncelles. Cet instrument anecdotique lui aussi fut utilisé régulièrement au château de Hohenlimburg en musique de chambre, en musique concertante et dans les cantates. Il ne reste que deux pièces des œuvres spécialement composées pour cet instrument en plus du trio: un concerto en scordatura (c.-à-d. qui nécessite de changer l’accord habituel) et le concerto pour violetta et violoncelle en sol majeur. Cette pièce s’inspire de la musique religieuse à plusieurs chœurs, les deux basses dialoguent avec les deux flûtes et les deux violons. La forme de trio pour instruments graves sans le clavecin à la basse est unique à Dömming, aucun autre compositeur baroque n’a laissé d’œuvres pareilles. Le catalogue des collections du château commencé en 1750 recense 6 pièces de cette forme avec soit la violetta ou soit l’alto comme instrument principal. Si le soliste est bien présent dans l’adagio du trio en fa n°2 pour alto et deux violoncelles, les séquences de solo et tutti sont peu nettes, Dömming se détache du concerto de soliste pour évoluer vers la symphonie.

Le concerto en la pour hautbois est écrit sur le modèle de Vivaldi. Là aussi, les alternances orchestre/soliste sont moins tranchées que celles du maître italien. L’orchestre n’a pas de pause pendant les solos. Le hautbois soliste reste tellement soutenu par le premier violon qu’on pourrait même classer ce concerto comme double concerto pour violon et hautbois.

La musique de Dömming a son caractère propre. On y sent l’influence de Vivaldi et Telemann, dans une texture plus mélodique et donc préclassique. Il fut un musicien bien de son temps qui sent que la mode change et que le classique arrive depuis la cour de Berlin. Hélas, la comète baroque disparaît en Allemagne aussi vite qu’elle est passée. Le successeur de Moritz Casimir I continuera la tradition artistique tout aussi intensément que son père mais le classique change la mode et le baroque passe pour désuet. Le nouveau comte demandera d’archiver les collections. Commentaires : Thomas Van Wetteren


CONCERTO pour alto (3e mouvements):

mvt 3: https://www.youtube.com/watch?v=3ipyKL6qYd4&list=UUoVy-n1sOrpS13tN3B4kt8A&feature=c4-overview