Affronter la réalité de la vie

Les hommes et les femmes éprouvent bien des difficultés à affronter la réalité d’aujourd’hui. Les satisfactions immédiates promises par la société marchande et la fascination de l’abolition de l’espace et du temps que font miroiter les médias nous empêchent de reconnaître et d’accepter la réalité dont l’approche nécessairement persévérante exige de notre part de nombreux renoncements à la facilité et à la conformité sociale. L’interaction avec la réalité est une épreuve, et pourtant, c’est bien là que l’Esprit Saint nous donne rendez-vous.

Le réel, c’est quoi? C’est ce qui résiste. Ce qui, du dedans nous permet de tenir debout : c’est le roc sur lequel nous construisons notre maison, notre vie (Mt.6 :24). Le réel, c’est aussi ce qui, du dehors, résiste à nos projets : la dure réalité des faits. L’un ne va pas sans l’autre, tant il est vrai que c’est en se débattant avec la dure réalité et l’acceptation de nos limites que nous progressons dans la vie. Avoir le courage de changer ce qui peut être changé, la patience d’accepter ce qui ne peut être changé, et voir la différence, telle est la sagesse.

Cette sagesse ne s’acquiert qu’à force de patience et d’accueil de la vie, avec ce qu’elle apporte d’accomplissements et de déceptions. La maturation ne se réalise qu’à travers joies et frustrations. La privation nous apprend à différer les satisfactions immédiates, et permet au désir de se dilater, de s’ouvrir à une promesse plus grande. Hélas, le climat de facilité qui imprègne la société contemporaine ne favorise guère cette éducation du désir. Il porte plutôt à contourner les obstacles. Qu’une crise survienne, et l’on change ses décisions, on se sépare plutôt que d’essayer de s’entendre, quitte à sombrer dans l’instabilité, faute d’affronter la difficulté.

Combien cette sagesse est-elle nécessaire aujourd’hui. A l’heure où notre société hésite sur ses repères et ses valeurs, où le christianisme occidental voit fondre jour après jour son crédit et ses forces, où chacun enfin tend à reconnaître qu’il n’est pas meilleur que ses pères, alors l’authenticité des fondements est rudement éprouvée. Cette rude épreuve est bénéfique parce qu’elle met à nu ce qui est caché tout en révélant la vérité des choses. Qui n’a pas commencé de souffrir, n’a pas commencé d’aimer, nous dit Saint Augustin. La désolation voire l’abandon dans la vie spirituelle ont un sens : ils nous montrent jusqu’où nous sommes capables d’aller dans le service de Dieu sans un salaire de consolations et de grâces sensibles. C’est pourquoi la sagesse chrétienne dénonce cette sorte d’amour mercenaire (Jn. 10 : 12) qui, derrière les grands dévouements, cache une subtile recherche de soi. C’est dans l’épreuve que l’on reconnaît qui est le vrai berger et qui est le mercenaire.

La foi dans le Christ, fils de Dieu et de l’homme, nous invite à épouser la réalité : patience des lentes maturations, médiations onéreuses du travail, de la vie de relation et de solidarité, tout autant que persévérance dans la prière. Appel à ne pas rêver une vie chrétienne qui ne serait possible que dans les marges, mais à la mener au cœur des décisions difficiles et des renoncements prometteurs de la vraie fécondité.

Père Paul Pellemans

Source : Adaptation de textes extraits de revues spirituelles.