Before today was tomorrow

C’est une méditation sur le temps à laquelle nous invite

Motoko Tachikawa.

L’absence définitive, l’abandon, la course des jours. Chaque

jour d’après est à marquer d’une pierre blanche, d’une coquille

d’oeuf ou d’une bougie.

Le monde végétal de Motoko reflète aussi sa perception de

l’humain. Il en retourne des hommes comme des mauvaises

herbes.

Un réfugié, un exilé, un homme épris de liberté au sein de

la dictature est un chiendent. Il est beau, il est entier, il

est intègre. Sa mort fracasse. Un monde se brise comme

une coquille et donne sur le vide. Vide sidéral et sidérant.

L’élégance de Tachikawa et sa pudeur racontent cela. Comme

la coquille, c’est léger, minutieux, naturel. Dans l’infime, dans

l’apparent anodin, tout s’exprime.

Dans son procédé plastique, elle note d’abord ce qui se

révèle, chaque jour elle casse des oeufs et préserve les

coquilles parce qu’elles sont belles et uniques dans la

multiplicité de leurs fractures. Chaque jour, elle allume une

bougie. Elle consigne. Et de l’observation de ces actes naît

la série. Le son léger de la brisure est déchirure, les nuances,

les jeux d’ombres, les restes de cire, autant de subtiles

variations. Elles racontent le tout, à travers ces riens qui

nous traversent, devraient nous alerter et qui, in fine, nous

constituent. Des livres d’art se déploient en kakémonos

transparents, des écrans de plantes rebelles se déroulent et

ponctuent l’espace. Le regardant parcourt, déambule au gré

de séries d’oeuvres éclectiques, où se dévoilent réflexions

et actes plastiques. Le temps est cheminement. Au-dessus

des abîmes flotte le sourire de Motoko. L’art est comme un

rameau. L’âme, légère. La fêlure lézarde le néant / La fêlure est

éclosion / La fêlure abouche au vivant. La plante, estampillée

mauvaise ou autre, se fiche de son étiquette, germine et

constitue la beauté des champs, réels et perceptifs.

Les morts nous accompagnent. Et nous de tourner des pages.

De poursuivre notre chemin sur les sentiers verdoyants.


Pulchérie Gadmer



Before today was tomorrow

Motoko Tachikawa est maître en rituels. Son travail s’organise

avec minutie autour d’étapes circonstanciées et d’actions

consécutives. D’abord, elle observe, puis sélectionne, enfin

immortalise certains composants aléatoires. Elle archive certains

éléments choisis dans un artefact final prenant la forme d'une toile,

d’un livre, d’une collection de photographies ou de dessins.

Une grande partie du travail de Motoko Tachikawa est centré sur

le végétal. Orchidées, pétales, photographies de champs, ou tout

dernièrement la série Mauvaise herbe, qui est un riche corpus de

travaux autour des plantes indésirables du jardin. Suivant ses rituels,

elle a d’abord observé, puis photographié et scanné des centaines de

mauvaises herbes, les recueillant dans des collages artistiques, les

transformant en objet recherché plutôt qu'indésirable.

La seconde partie de son travail tourne autour de l'archivage du

passage du temps. Que ce soit par l'observation délicate des objets

que sa fille collectait pendant son enfance (Le trésor de Yukiko), ou

par la documentation soigneuse des médicaments de son père sur son

lit de mort (Morning, Noon & Night), il semble que l'essence du travail

de Tachikawa pivote sur l'éternelle interrogation humaine du dualisme

de la vie et de la mort.

Sa dernière série - Egg Shells - exposée à la Galerie Mansart à partir

du 3 septembre, rassemble des coquilles d’oeufs cassées amassées

depuis de longs mois. Selon les propres mots de l'artiste :

« Chaque fois que je casse un oeuf, j'ai l'impression de briser un petit

monde ... un monde très fragile. Et l'intérieur est vide ... »


Gabriela Anco - Galerie Mansart




Coquille vide

« Tourner la page » s’était dit Motoko, continuer à vivre… mais la page est impossible à tourner… La page du deuil se poursuit sans fin sur le livre en accordéon qui, replié sur lui-même, devient cercle.

Des petits livres pliants, où se déployait la luxuriance des plantes, image même de la vie qui résiste, Motoko Tachikawa est passée, pour son exposition « Before today was tomorrow », au grand format du livre épuré du deuil, où jour après jour est consignée la photographie d’une coquille d’œuf cassée, à l’image du monde qui s’est brisé à la mort de l’aimé.

De temps à autre, une case vide vient ponctuer la série et ajouter encore plus d’absence… La femme de douleur, coquille vide, redevient l’artiste alchimiste qui va reprendre le flux de sa création, retrouvant le Zen des origines… Un œuf par jour, d’où s’écoule la vie, une bougie qu’on allume, rituel quotidien, dialogue avec l’absent. Le plein laisse place au vide, tandis que la bougie fond, que l’œuf s’évide et se transforme.

Le livre « Morning, Noon and Night », où étaient présentés des médicaments colorés - mélodie silencieuse du quotidien du père malade - a précédé la répétition immuable et pourtant toujours imperceptiblement différente de la plongée dans le vide impossible à combler du deuil du mari de Motoko, du père de Yukiko… On se souvient du petit livre des « trésors » de la petite fille de six ans, qui recueillait les objets précieux minuscules de ses journées : un ticket, une feuille d’arbre, un bonbon… Mère et fille réunies dans le deuil vont à nouveau, dix ans plus tard, se retrouver dans la création, la fille férue d’art et de nouvelles technologies prise en apprentissage par sa mère, pour accomplir ensemble l’exposition du deuil et de son dépassement, dans un rite de passage unissant les vivants et le mort : le réfugié exilé, qui dissimulait sa vie passée et ses écrits secrets dans la coquille protectrice d’un quotidien tranquille. Cette exposition lui rend hommage. Anguéliki Garidis



« Before today was tomorrow » : exposition de Motoko Tachikawa à la galerie Mansart

A premier vu on pourrait croire qu’il y a quelque chose de minimaliste dans cette exposition de Motoko Tachikawa… mais ce n’est pas le cas, vu que on perçoit quelques éléments figuratifs et beaucoup de lyrisme conceptuel, aspect aux quelles le minimalisme était en réaction. La confusion apparait parce que ses œuvres, en complète syntonie avec cette courant de l’art contemporaine, ont été conçue par soustraction.

Probablement, il n’y aurait pas fallu s’approcher de l’art minimal, un art dénué de sentiments et de toute symbolique, cherchant à jouer sur les formes et les couleurs et en évitant l'émotion.

Ici on devrait s’approcher plutôt à la base du concept de la beauté zen, a la façon d’admirer la création au pays du Soleil Levant. Un rapport essentiel entre la contemplation de la nature et la vie, avec le temps.

Le travail qui nous montre Motoko, il est simplement habité par l’éphémère, une sorte de détachement de ce qui a été avant. Une représentation minimale que se limite à l'essentiel de l’évocation du temps qui passe.

Sa proposition fait partie d’un livre que l’artiste partage discrètement o plutôt secrètement (hiso hiso), comme ces sons répétitifs de son langage, qui ajoutent de la mélodie et de l’émotion aux mots, formant des expressions si poétiques.

On perçoit comme son esthétique valorise l’aspect éphémère de la vie et ses perpétuels recommencements. Sont les cycles de la vie et le cours du temps qui, lui permettent de transmettre ses émotions plus profondes.

Une façon d’exorciser ses doutes ou se angoisses, avec un processus interne de recherche de la beauté et de l’épanouissement à partir de l’impermanence. Pour accomplir le cycle qui l’amènera à trouver la grâce dans le déclin causé par le passage des saisons.

Ces pièces sont le symbole d’une conscience esthétique qui marie de façon sublime sentiments de sérénité et de perte. Chez elle la beauté resplendit dans ce qui est fragile et imparfait.

Elles expriment sa beauté en toute discrétion, semblent simples en apparence mais se révèlent plus complexes et raffinés quand on s’en rapproche, quand on perçoit les petits détails et on arrive à interpréter, le langage codé qui contiennent dans une apparente simplicité.

Les regarder nous approche à la contemplation des cerisiers en fleur, où un simple coup de vent fait envoler ses pétales, nous faisant prendre conscience de comment se fragile la vie.

Nelson Castellano-Hernandez