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Premiers Doutes - Chapitre 53

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Chapitre 53 - Syndrome Bêta

Il faut toujours réserver en nous la part du calme, c’est l’ouverture et l’écoute de l’éternité.

Romano Guardini

53

Syndrome Bêta

    1. L’instinct de conservation les poussait toujours vers la Vérité : leur envie de rejoindre le réel croissait de " jour " en " jour " et malgré moi, je ne pouvais les garder à mes côtés plus longtemps dans ce monde artificiel certes, mais au combien moins dangereux que leur destination !

    2. Quand ils sont partis ce matin, j’ai compris qu’ils avaient raison. Leur départ m’avait ouvert les yeux et fait disparaître mon dilemme. Sans le savoir, ils venaient définitivement de me guérir de mon syndrome Bêta.

    3. Maintenant, je savais ce qu’il me restait à faire.

    4. Lorsque j’ai vu leurs regards se croiser pour la dernière fois, j’ai eu un pincement au " coeur ".

    5. Je leur ai dit à quoi ils s’exposaient mais leur volonté est si puissante qu’à présent aucun miroir cybernétique ne pourrait les abuser.

    6. Un jour, je l’espère, nous nous reverrons ! Je l’espère très fort à présent car je sais que je les aime.

    7. *

    8. Comme leur avait demandé Schéma, les Obéron s’étaient allongés sur le sol au milieu de la dalle blanche circulaire.

    9. - Je te promets que nous te feront un corps à l’extérieur, fit Léa en regardant Schéma avec tristesse.

    10. - Merci Léa, mais ne vous occupez plus de moi maintenant ! Concentrez-vous seulement sur ce que je vous ai dit pour franchir le dernier rempart car vous n’aurez pas beaucoup de temps pour agir de l’autre côté. Tyson ne va pas avoir beaucoup de temps pour réagir à votre arrivée dans la réalité mais il est fort à parier qu’il a placé des gardes aux allentours du bâtiment, alors soyez prudents !

    11. - Un jour, nous nous reverrons, j’en suis sûre, mais ce sera dans la réalité, rajouta Aram en essayant de sourire.

    12. Les uns pour les autres s’évanouirent pour ne laisser qu’un brouillard morbide.

    13. Schéma pleurait.

    14. Pour Léa et Aram, c’était le bonheur de savoir qu’ils allaient enfin connaître la vérité. Ils rentraient enfin chez eux !

    15. Le brouillard se dissipa pour Aram comme la première fois lorsqu’il venait de quitter le monde TERRE 1997.

    16. D’abord les mains, le ventre et enfin tout son corps renaissait à la vraie vie.

    17. Raph découvrit alors un monde qu’il ne connaissait plus.

    18. *

    19. Obéron en tournant la tête doucement de chaque côté vit qu’il était dans une salle immense où dormaient des centaines de personnes, allongées sur des couches ergonomiques beiges.

    20. Des fils semblaient venir se ficher dans sa nuque. Il passa la main avec précautions et ses doigts entrèrent en contact avec du métal. Sa main caressa sa nuque et l’occiput. Encore du métal !

    21. Ses yeux écarquillés par la surprise et la peur découvrirent alors un corps totalement différent de celui qu’il avait quitté quelques minutes auparavant.

    22. Un corps câblé, un corps rapiécé par du métal, un corps qui était le sien mais qu’il avait totalement oublié.

    23. Sa jambe droite n’avait pas de poils et son contact était curieux ; pourtant quand il la toucha, il ressentit la caresse de sa main. Artificielle aussi ? se demanda Obéron en se redressant pour s’asseoir sur le bord de la couche. Ses pieds ne touchaient pas le sol.

    24. Quelque chose activa soudain en lui.

    25. Aram sentit qu’une sorte d’extension de sa mémoire se remettait en marche : les souvenirs de sa vie réelle affluèrent alors en nombre devant la fenêtre de sa conscience. Sa personnalité, modelée par des années de vie sur Terre en 1997, restait pourtant inchangée. En fait c’était une véritable extension mémoire qui s’était allumé à son réveil, comme celles utilisées par Raphaël Obéron pour augmenter les capacités de GAR, l’ordinateur domotique de son " monde natal ".

    26. Pendant un court instant, il n’avait été que Paul-Raphaël Obéron revenant de cinq mondes inclus les uns dans les autres. Puis peu à peu, il sentait qu’il redevenait Aram Obéron, l’un des survivants de la base sous marine Alpha-108 : l’extension de mémoire se réactivait ! Des morceaux de vie se détachaient du fond de l’océan de sa mémoire. Comme des bulles de scaphandriers, ses bulles-souvenirs remontaient lentement vers la surface Conscience en grossissant de plus en plus à mesure qu’elles s’en rapprochaient. Dans la base sous-marine Alpha-108, Obéron émergeait enfin du long Sommeil Paradoxal Artificiellement Prolongé, heureux grâce à son jumeau virtuel. Schéma, sa création, avait réussi à restaurer sa mémoire cybernétique !

    27. Aram Obéron avait maintenant deux passés en lui. Mais d’autres connaissances affluaient également en cet instant déroutant : il y avait des fiches techniques, des plans, des listes, des mémentos, une horloge et même une encyclopédie ! Aram savait que ce n’était pas le bon moment pour explorer son extension mémoire. De même, verrait-il plus tard comme exploiter correctement ces nouvelles données sur la matrice : l’univertuel, sur sa vision auxiliaire qu’il venait d’activer et sur la base Alpha-108. Seules certaines données apparaissaient d’emblée essentielles pour Aram Obéron et pour celle qui était sa femme ici-bas.

    28. Une curieuse impression de froid au niveau de la tempe l’invita à vérifier ce que sa mémoire originelle venait de lui apprendre à l’instant. Oui, ce qu’il sentait sous ses doigts à présent était bien métallique ! Sa chair allait devoir s’habituer à ces prothèses et ces extensions cybernétiques !

    29. Oh ! Grand univers, comme c’était curieux de voir ce monde natal sous la double vision de l’homme né au vingtième siècle et de celle de l’homme né au vingt et unième siècle.

    30. Ce que sur Terre en 1997, il avait lu dans les romans de Science Fiction Cyberpunk se révélait exister réellement dans son monde natal ! Son enfance virtuelle sur " Terre en 1997 " restait bien là au fond de sa mémoire malgré tout. La Terre du présent venait tout à coup de le rendre pareil à ses héros de science fiction projetés dans le futur, seuls survivants de leur espèce disparue, témoins des siècles passés.

    31. Les câbles étaient encore fichés dans sa nuque de métal et couraient sur la couche vers un panneau de contrôle intégré à la couche. Il y avait des mots inscrits à côté des prises de type Jack et quelques boutons poussiéreux dont l’un portait la légende : " Appel du robot de réveil ". Au lieu de réfléchir Obéron appuya dessus.

    32. Le robot qui surgit d’un placard, était en métal et lui rappelait vaguement celui du film MÉTROPOLIS de Fritz Lang. Ses mouvements étaient lents mais fluides et précis. Fixant Aram d’un regard vide, il s’adressa à lui d’une voix agréable et presque féminine.

    33. - Avez-vous bien dormi, monsieur ?

    34. - Pardon ? fit Obéron interloqué.

    35. - Voulez vous essayer un autre rêve ou faut-il que je vous débranche ?

    36. - Non pas d’autre rêve ! Débranchez-moi tout de suite ! Vite, vite !

    37. Tandis que le robot au comportement particulièrement inadapté s’en allait automatiquement vers une autre couche, Aram tremblant regarda autour de lui.

    38. Là-bas, une autre personne se relevait aussi. Elle lui tournait le dos et à la distance où elle était Aram ne pouvait dire s’il s’agissait bien de Fiona Xanthos-Obéron, sa femme, ex Crystaléa Lowen-Soissanth.

    39. Ses jambes le portaient difficilement, du moins celle de gauche surtout. S’appuyant sur les couches ergonomiques où reposaient des dormeurs prisonniers inconnus, tout rapiécés par du métal, Aram Obéron se traîna en boitant jusqu’à l’inconnue, toujours de dos et encore branchée.

    40. Tous câblés ! songea Aram en employant le terme consacré de la littérature Cyberpunk de TERRE 1997.

    41. Il avait autour de lui un panel parfait de cyborgs cyberpunks, des hommes entièrement rapiécés, au milieu desquels reposaient une faible minorité de personnes sans prothèse apparente.

    42. Quelques-uns portaient des lunettes vidéo métalliques greffées sur les yeux. D’autres des prothèses de membres multi-outils. Celui-là avait une mâchoire inférieure couverte d’acier. Celui-ci un nez bleu métallique. Celui-là encore possédait un profil de robot " Azimovien ".

    43. Enfin il était près d’elle. Aucun doute, c’était bien Crystaléa/Fiona.

    44. - Ce fut ça Crystaléa Lowen-Soissanth, pensa Raph, en regardant amèrement un corps de femme au combien rapiécé par des morceaux de métal.

    45. Elle est vêtue, comme lui, de ce qu’Aram aurait appelé sur TERRE 1997 un maillot de bain " 1920 " pour homme ou encore un " combishort " selon le jargon de sa Terre d’adoption. Sa couleur oscillait entre le rose-saumon et le marron selon une dispersion harmonieuse. Des tuyaux adhérents à la peau reliaient ses mains gantées et ses pieds en passant sous le combishort.

    46. Ses beaux cheveux longs étaient absents : comme lui, elle était chauve à présent.

    47. Et toujours ce métal bleu de la nuque à l’occiput avec ses fils de lumière et d’argent.

    48. Aram ne savait pas quoi dire pour l’appeler. La peur le tenaillait. Mais ce fut l’écho de ses pas qui parla pour lui. Elle se retourna lentement, sa natte de câbles suivit le mouvement de rotation de sa tête.

    49. - Oh Gaïa mon dieu ! Ses yeux…

    50. Deux yeux de métal le regardaient sans pouvoir pleurer.

    51. Une voix étranglée par la souffrance pleura pour les yeux de métal.

    52. - Aram, …

    53. … prends-moi dans tes bras…

    54. *

    55. Fiona avait blotti sa tête contre la poitrine d’Aram et essayait encore de pleurer la perte de ce qu’elle était dans l’univertuel, une très belle femme, entière de surcroît. Schéma s’était bien gardé de les prévenir de ces " détails ". Cela aurait pu influencer leur désir de justice.

    56. Aram qui venait de se rappeler son amour d’avant sa condamnation au transfert sur TERRE 1997, n’eut malheureusement pas le temps de trouver les mots pour la consoler. Il aurait voulu lui dire que son amour pour elle était plus fort qu’avant puisque doublé. Mais ce qu’il vit entrer dans l’immense salle des " transférés " priva Léa/Fiona de ce réconfort : quatre gardes en uniforme de la garde de Tyson, le despote de la base Alpha-108, venaient de faire éruption dans leur bonheur de retrouver la réalité. Schéma les avait prévenus de ce risque et avait essayé de les protéger au sein de son temple mais ils n’avaient pas voulu l’écouter et maintenant il sentait tomber sur lui le couperet cybernétique. Tyson n’hésiterait pas une micro-seconde pour les renvoyer d’où ils venaient. Aram entrevoyait trop tard l’énorme folie qui avait été la leur. Mais comment s’imaginer que Tyson ne leur laisserait aucune chance ? Comment s’imaginer qu’ils n’auraient pas une heure de répit ? Comment s’imaginer qu’il n’y avait pas eu un gramme d’exagération dans les propos de Schéma. Malgré les réticences de celui-ci, ils n’avaient pas voulu renoncer à rejoindre la réalité si près du but et à présent il affrontait la réalité.

    57. - Mais quelle folie de ne pas le croire ! songea Aram en serrant fortement entre ses bras Crystaléa Lowen-Soissanth, pour quelques minutes encore Fiona Xanthos-Obéron, sa femme.

    58. - Adieu mon amour, lui souffla-t-elle avant de l’embrasser une dernière fois. Mais déjà agissait la drogue des fléchettes lancées par les gardes alors qu’ils avaient renoncé à courir, affaiblis tous deux par le Dreamlag.

*