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Premiers Doutes - Chapitre 13

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Chapitre 13 - Ah, toi !

13

Ah, toi !

Raphaël reposa la dernière lettre de Crystal sur le bureau, près de la photoroïde qu’il avait reçu d’elle. Cette lettre pleine de mystères n’arrangeait en rien son affaire.

- Il me faut chercher avec plus de méthode ! s’ordonna-t-il à lui-même. Une seconde lecture du livret ne me ferait pas de mal ! Je devrais sûrement y trouver des contradictions, enfin n’importe quoi pourvu que ce soit une piste, bon sang !

Mais après quelques pages, Obéron laissa tomber le livret sur son bureau. Il était mort de fatigue et désespérait d’y trouver le moyen de savoir qui était sa mystérieuse correspondante.

Décidément, elle menait la partie d’une main de maître ! Pour combler le tout, elle avait réussi à jeter le trouble sur lui et cela le mettait en rage.

- Comment remonter jusqu’à elle ? À partir de son adresse informatique peut-être ? C’était la méthode la plus rustre mais elle faisait toujours ses preuves.

- Gar ! fit Raphaël comme pour réveiller l’ordinateur. D’où venait le document de 40 Mégaoctets ?

- Reformuler question, s.v.p. !

- Code de provenance du document appelé DREAMWAR ! Mais qu’est-ce qu’IL a aujourd’hui, il ne comprend rien de ce que je lui dis !

- Code introuvable ! répondit la voix de Spock.

Obéron se gratta la tempe et lâcha quelques jurons. Il n’arrivait pas à comprendre comment il pouvait envoyer des lettres à une BALT qui, après enquête, n’existait pas et comment elle arrivait, elle, à lui envoyer des documents sans qu’aucun code de provenance la trahisse.

Aucun des programmes de Phoebé n’arrivait à percer ce mystère. Cela tenait de la magie !

Obéron se laissa aller en arrière dans son ergo-fauteuil ; le couinement de son fauteuil l’aidait parfois à réfléchir.

Pour localiser Crystaléa, le plus simple était de partir de cette fameuse BALT 237 mais comme celle-ci n’existait pas, Raphaël restait impuissant.

L’avant-veille, il avait cru détenir la solution avec les relevés de frais de téléphone mais les coups de fil vers la BOÎTE À LETTRES 237 n’apparaissaient nulle part ! Crystaléa semblait vraiment être une reine du piratage informatique et télématique ! Tout laissait croire que les messages venaient de nulle part ou bien de Gar lui-même !

Une boite à lettre virtuelle ! J’ai l’impression qu’avec cette fille je ne suis pas au bout de mes surprises.

Évidemment, si Crystaléa s’était introduite chez lui pendant les vacances ? Cela expliquerait certaines choses. Elle aurait pu placer un implant dans Gar. Un shunt qui capterait le message envoyé à la BALT 237 et empêcherait Gar de me dire que cette boite n’est pas attribuée. Ou bien un cheval de troie qui introduirait un alias entre la Boîte 237 et la vraie destination...

Non, soyons sérieux, rien ne peut tromper le système de surveillance de Gar depuis que Phoebé l’a renforcé ! Et puis qu’est-ce qui motiverait un tel acte ?

Raphaël Obéron avait du mal à garder les paupières ouvertes mais le mystère C.L-S. était tellement passionnant qu’il se refusait à aller dormir avant d’avoir avancé un peu.

Gar changea une nouvelle fois de voix pour lui annoncer l’heure. Ce détail intrigua Raphaël.

- Faut absolument que je téléphone au S.A.V. Finger Compagnie pour qu’ils m’envoient un réparateur. Ces changements de voix intempestifs commencent à m’énerver.

Obéron croisa ses bras sur son bureau et se pencha sur eux en posant son menton sur ses poignets croisés. Son visage était à quelques centimètres du livret. La photoroïde de Lowen-Soissanth le regardait avec mystère.

- Ah, toi ! Tu me donnes du souci ! soupira-t-il en regardant l’image de Lowen dans les yeux.

- Tu as de beaux yeux, tu sais ? plaisanta-t-il en repensant à la réplique de Gabin dans " Quai des brumes. "

- Gar ? Charge sur l’écran du salon la photoroïde appelée Lowen. Affiche seulement la portion cent-cent à deux-cents-deux-cents sur l’écran.

- Ordres exécutés, hacha la voix de Spock tandis que le mur-écran du salon affichait deux yeux magnifiques.

- Décale vers la droite la portion affichée de l’image de quinze points.

- O.K. !

- Idem, huit points.

- O.K. !

- Bon, maintenant qu’ils sont parfaitement centrés on va les agrandir un peu, chuchota Raph. Puis dans le micro : " Zoom coefficient un point huit ".

À présent, les yeux de Lowen-Soissanth occupaient toute la surface de l’écran possible.

- C’est beau, n’est-ce pas ? Dommage qu’il y ait tant de reflets dans ses yeux ! Ça gâche un peu le tableau !

Raphaël s’attendait à une réponse débile de Gar mais celui-ci ne broncha pas. Sans doute Raphaël avait-il parlé suffisamment bas.

Tiens c’est marrant ! Je ne l’avais pas vu mais on voit la pièce à l’envers dans ses yeux !

Soudain Obéron se frappa la tête.

Mais voilà l’idée ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ! Holala comment vais-je demander ça à Gar ? Ah ça y est, je sais !

À cet instant, Raphaël comprit que le simple zoom lui avait apporté la réponse à la fameuse deuxième question. L’ordinateur n’aurait pu répondre aussi catégoriquement que lui. Mais les faits étaient là, sous ses yeux ! Il paraissait maintenant flagrant que ces yeux étaient réels et qu’il s’agissait donc bien d’une personne vivante sur la photo.

Que le décor soit fictif ou non, Raph s’en moquait. L’élément neuf était bien là, dans ces yeux aux reflets révélateurs !

L’image de la pièce se reflétant dans les yeux de Crystaléa était reconstituable. Il verrait donc si ce qu’elle regardait correspondait ou non à ce qu’il y avait autour d’elle sur la photoroïde !

Après un long silence, Raphaël débita avec enthousiasme :

- Gar, charge sur l’écran parallèle la structure d’un oeil humain. C’est dans le fichier corps humain de mes cours sur CD-ROM !

- O.K. !

Raphaël prit le stylet de sa palette graphique et " découpa " l’image de l’oeil gauche sur l’écran du bureau.

- Applique cette portion d’image sur l’autre écran.

- Pointez le centre de collage, s’il vous plaît !

… Merci !

L’écran du bureau affichait à présent une structure d’oeil humain sur laquelle avait été collée l’image de l’oeil de Lowen-Soissanth.

- Gar, Applique la formule inverse de calcul de reflets à partir de cette portion 3D !

- Temps de calcul total estimé : 2 heures. Continuer ?

- Oui, et affiche chaque minute le résultat partiel !

- O.K. !

C’est parti ! deux heures, ça fera 7 heures du matin ! Je crois que je ne vais pas être très frais en cours demain !

Raphaël se leva en direction de la cuisine, ouvrit l’armoire à pharmacie et plongea dans un verre d’eau un cachet de vitamine C et de caféine fortement dosé. Il n’aimait ni le café ni le thé ni le coca et le regrettait car il ne pouvait trouver de caféine que dans ces comprimés effervescents au goût parfaitement répugnant.

L’effet du comprimé l’aiderait peut-être à rester éveillé jusqu’à 7 heures du matin.

Raphaël admit que ces comprimés l’empêcheraient de s’endormir mais qu’ils ne feraient rien contre sa fatigue et c’était en fait là qu’il fallait agir. Mais Raph se refusait de prendre des amphétamines, il en connaissait que trop bien les effets secondaires ; non pas pour les avoir expérimentés mais parce que son métier les lui avait appris.

Raph retourna au salon, le verre pétillant à la main.

Une nouvelle idée vint à son esprit et il arrêta manuellement le calcul en cours.

Le calcul fait sur un seul oeil serait sûrement peu précis tandis qu’en travaillant avec les reflets de chaque oeil, il aurait peut-être une restitution en trois dimensions. Comprenant qu’il serait plus rapide de passer en manuel, Raphaël entra ses ordres au clavier. La couche poussiéreuse qu’il y déplaça l’assura qu’il y avait longtemps qu’il ne s’était livré à une telle gymnastique.

Il ne sut dire pourquoi mais le temps de calcul s’avéra plus court que le précédant. Pour gagner encore plus du temps, il déprogramma tous les autres activités parallèles de Gar afin que celui-ci ne se consacre qu’à son fastidieux calcul. Par exemple, il n’avait plus besoin de la surveillance automatique de l’appartement (qu’il ne débranchait jamais).

Déjà l’écran de son bureau affichait une image. Un peu floue certes, mais où l’on pouvait déjà distinguer des formes géométriques. Lentement, les détails apparaissaient…

Raphaël qui n’en tenait plus, reporta l’image de son bureau sur l’écran du salon et alla s’allonger sur son divan.

Comme si l’on ajustait progressivement la mise au point d’une caméra, l’écran du salon révélait peu à peu la solution du mystère.

*

Raphaël, un peu courbatu, se releva et regarda aussitôt sa montre. Le cachet ne semblait pas avoir fait d’effet. Il venait de dormir une heure et quart malgré lui !

En fait, cela n’avait rien d’étonnant puisqu’il ne l’avait pas avalé ! Le verre d’eau était resté intact sur la tablette. Il se souvenait bien d’y avoir plongé le comprimé effervescent et d’avoir attendu la fin du pétillement mais apparemment c’en était resté là !

Cela lui arrivait malheureusement souvent et cette fois il ne se le pardonnait pas. Il avala le verre d’une traite, oubliant son goût particulier et revint rapidement au salon.

L’écran ne tremblait plus et Gar semblait tourner au ralenti. Sans doute s’était-il mis en veille en l’absence d’ordre.

La surprise était de taille ! Raphaël avait en face de lui, sur le mur du salon, l’image fidèle de ce que Crystaléa Lowen-Soissanth avait regardé lorsque la photo avait été prise.

Au centre de la photo, Obéron identifia aussitôt l’appareil de prise de vue. Qu’il ait été actionné à distance ou à l’aide d’un retardateur, cela n’avait pas d’importance. L’information résidait dans le fait qu’il ne s’agissait pas d’image de synthèse et que personne n’avait pris la photo pour Crys !

Elle était bien le genre de fille à agir seule. La surprise n’était pas là. En fait, ce qu’il y avait de surprenant dans ce cliché retourné, c’est que Obéron y trouvait définitivement la réponse à la question " prise réelle ou montage habile ? ".

En plaçant côte à côte l’image originale et l’image calculée, il fut clair que le couloir dans lequel Crystaléa apparaissait sur la photo originale n’était pas un décor. Il se prolongeait face à elle. La photo futuriste était donc bien celle d’un lieu réel et non pas celle d’un lieu virtuel !

Raphaël était heureux car il avait vraiment avancé depuis cette brillante idée de déformer les reflets pour retrouver l’image de la pièce projetée sur les yeux de Crys. Le calcul n’était pas si compliqué qu’on veut bien se l’imaginer ; certes, il était long, mais maintenant Raphaël savait une chose avec certitude : la fille qui avait posé pour la photo l’avait fait dans un lieu futuriste derrière elle comme devant elle. Ça n’avait l’air de rien mais ce détail était capital pour lui. Déjà il sentait la fin du mystère arriver :

S’il ne s’était agi que d’une création par des maisons d’édition, un simple décor derrière la fille aurait suffi. Une belle mise en scène aurait rendu le tout réaliste. Comme au cinéma ou à la télévision ou encore dans les mondes virtuels : à quoi bon s’embêter à fabriquer, dessiner ou créer des lieux et des objets que personne ne risque de voir !

Puisque la fille sur la photo se trouvait dans un lieu homogène et que nulle part on n’avait utilisé l’autre partie de ce " décor " pour d’autres photos, il n’y avait qu’une seule et bonne conclusion : ce lieu n’était pas qu’un décor et existait réellement quelque part.

Pris de doutes, Raphaël stoppa soudain son enthousiasme.

Et s’ils avaient fabriqué et utilisé toute la pièce et que Crystaléa n’avait pas envoyé tout les documents à sa disposition ? Après tout et comme l’avait avancé Gérald, le coffret original d’un jeu d’antécorrespondance classique pouvait tout à fait contenir une flopée de photos de personnages dont il suffisait de choisir l’une d’entre elles.

Le regard de Raphaël revint amèrement se poser sur la photo " renversée ". S’il fallait chercher dans une direction, ce pouvait bien être celle-là.

L’image ne s’était pas améliorée. Gar en avait donc fini avec son calcul.

La photo représentait une pièce de grande taille dans laquelle des rangées d’armoires étaient visibles. D’après l’échelle, Raphaël estima leur profondeur de deux à trois mètres mais il fut incapable d’en évaluer leur longueur. Elles semblaient longues comme la pièce. Comme il était très difficile d’estimer sa longueur, il en était de même pour les armoires.

L’appareil photoroïde qui avait servi à la prise de vue se trouvait au milieu de deux rangées d’armoire. Ce que Raphaël avait identifié sur la photo originale comme un couloir était donc en fait l’espace de la pièce situé entre deux rangées d’armoires.

À y regarder de plus près, Raphaël aperçut des sortes de tiroirs sur toute la surface des " armoires " ou plutôt des " commodes géantes ". Plus Raphaël regardait la photo et plus il se rappelait sa première visite à la morgue de l’hôpital.

Le fait n’était pas récent mais il s’en souvenait comme s’il avait eu lieu la veille.

C’était à l’époque où il était interne en Médecine. Il avait eu à travailler quelques années à l’hôpital et un soir, ses collègues l’avaient enfermé dans la morgue. Aujourd’hui encore il en tremblait.

En regardant la photo, Obéron confirma sa première impression. La photo avait été prise dans une sorte de morgue.

La pièce en avait vraiment presque tous les aspects : elle était faite de métal, facile à nettoyer parce que lisse, elle contenait de nombreux tiroirs qui, s’ils étaient aussi larges que les armoires, pouvaient assurément contenir un cadavre. Elle ne contenait rien en dehors de ces armoires et ne semblait servir qu’à les contenir.

Mis à part un détail, tout prêtait à penser qu’il s’agissait d’une morgue. Mais ce détail était important. La photo permettait de voir cinq couloirs d’armoires et leur longueur pouvait laisser supposer raisonnablement que chacune d’entre elles contenait environ deux cents tiroirs : quatre dans la hauteur, un cinquantaine en longueur. Soit quatre cents cadavres par couloir ! Aucune morgue au monde ne contenait autant de corps !

Obéron en déduisit que le reflet des yeux avait été recalculé après truquage sur la profondeur de la pièce. Aussitôt il se mit en tête de le démontrer grâce à Gar. Le calcul semblait facile et rapide cette fois. S’il y avait truquage, la partie réelle serait plus dense en détail que la partie truquée. C’était l’affaire de dix minutes avec l’analyseur fractalien !

Pendant le calcul, Raphaël scruta l’image à la recherche d’une réponse mais son regard tomba sur un détail passé inaperçu la première fois. Il s’agissait d’un lit-tiroir ouvert.

*

Après avoir fait un zoom sur ce tiroir, Obéron distingua un corps sur le lit-tiroir. Un sac était à terre, au pied du lit-tiroir, il avait la couleur olive de la combinaison de Crystaléa Lowen-Soissanth. Quant au corps reposant dans le lit-tiroir ouvert, il fallut à Obéron un nouveau zoom pour apprendre quelques informations de lui.

De toute évidence il s’agissait d’un homme. Celui-ci était vêtu d’une combinaison identique à celle de la jeune femme.

Le résultat du calcul arriva comme une mauvaise nouvelle.

- Test effectué. S’il y truquage, il est indécelable par la technique utilisée.

- Il peut donc s’agir d’une photo non truquée mais l’on ne peut être catégorique sur l’absence de montage ! compléta Raphaël pour lui-même. Il y a néanmoins plus de chance que ce soit une photo non truquée qu’un truquage non révélé. C’était gênant !

Raphaël poussa le grossissement jusqu’au maximum au niveau des zones où l’on voyait la rangée de lit-tiroirs s’étirer vers l’horizon puis au niveau du tiroir ouvert. Le second zoom semblait fructueux au contraire du premier. Le visage de l’homme était nettement visible bien que sa tête soit coiffée d’une sorte de casque.

Ses doigts reprirent du service et programmèrent aussitôt la reconstitution en trois dimensions de la tête du " cadavre ". Il lui suffit pour cela d’utiliser la symétrie du visage et de ressortir le visage modelé de ses cours en CD-ROM et le tour était joué.

Raphaël poussa même le vice jusqu’à afficher dans son salon, sur l’écran géant, le visage du corps inconnu. Celui-ci tournait sur lui-même comme l’apollon écorché dans ses cours de neurologie au campus.

Les traits de ce dernier provoquèrent chez Obéron une " poussée d’adrénaline ". Non pas, (comme il s’y attendait), parce que le cadavre accusait un certain degré de décomposition mais parce qu’il était le portrait craché de Raphaël Obéron !

Raphaël n’eut pas le temps de se remettre de sa surprise car une autre l’attendait déjà.

- Un message vient d’arriver dans la Boîte de réception, annonça sans préambule une autre voix de Gar.

- D’où vient-il ?

- Je ne sais pas.

- Pardon ? Mais il doit bien venir de quelque part !

- L’instant d’avant, il n’y avait rien. Maintenant il y a ce message.

- Que dit-il ce message, fit Obéron presque excédé de voir son ordinateur montrer des signes de faiblesses avant lui.

- Mon cher ami, vous êtes sur la bonne piste !

- Quoi ? C’est tout ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? exulta Raphaël. Il respira un grand coup avant de débiter :

- Est-ce que c’est signé ?

- C’est signé Crystaléa Lowen-Soissanth.

- Qui d’autre aurait pu m’écrire une telle chose ! songea Obéron alors qu’il réalisait que Léa devait être réveillée à cet instant pour que le message lui arrive ainsi à cette heure tardive de la nuit.

- Envoie immédiatement les mots suivants dans la BALT 237 : " Qui est le cadavre sur la photo ? "

- Un autre message vient d’arriver dans la BALT, répondit Gar avant même de confirmer que l’ordre précédent avait été exécuté !

- Quoi ? Mais qu’est-ce que c’est cette histoire ! fit Raphaël ahuri avant de taper au clavier les ordres nécessaires pour voir le contenu de sa BALT à tout instant sur l’écran auxiliaire.

- Ce n’est pas un cadavre ! fit le curseur sur son écran.

- Pardon ? beugla-t-il.

Que fait-il alors dans ce tiroir ? commença à taper Raphaël au clavier aussi vite qu’il put. Mais avant qu’il ne tape sur la touche ENVOI, figurait déjà sur l’écran la réponse en caractère gras.

- Il dort.

- Mais qui est-ce type ? Comment se fait-il qu’il me ressemble autant ? demanda Raphaël à haute voix comme s’il parlait directement à sa correspondante.

- Allongez-vous, laissez-vous faire. Cet homme, c’est vous ! fit soudain une voix féminine inconnue. La voix qui ne figurait pas dans le registre des voix de Gar semblait pourtant bien provenir du haut-parleur de Gar. En prime, la fenêtre de communication était vide !

Raphaël ne comprenait plus rien à rien ! Son ordinateur lisait avec une voix inconnue de son registre, le message d’une soi-disante C.L-S. qui répondait à Raphaël avant même que ses messages à lui ne soient envoyés par Gar dans la mystérieuse Boîte 237 ! C’était une histoire de fou !

La voix reprit pour replonger Raphaël dans le doute.

- Le moment est venu de vous réveiller, Raphaël Obéron !

Comme Raphaël était devenu soudainement muet devant tant de mystères, la voix reprit de plus belle. Cette fois, Obéron n’était plus de tout sûr qu’elle venait bien du haut-parleur de Gar.

- Rappelez-vous du cinéma 3D+g, l’illusion était parfaite n’est-ce pas ? Ne l’oubliez pas !

Les yeux de Raph étaient grand ouvert mais sa langue était incapable de prononcer un mot. Seul Gérald et Franck étaient au courant de la fameuse sortie mais ils n’étaient pas dans le coup, c’était évident ! Mais qui soupçonner d’autre ? Quelqu’un l’espionnait-il ce jour-là ?

- Qui est là, bredouilla Obéron qui s’était mis à transpirer.

- Je ne suis pas là ! En fait vous n’y êtes pas non plus. Tout va bien !

- Je rêve ! J’hallucine ! gémit-il.

- On ne peut dire mieux de votre situation. Ah ! comment vous expliquez… Ce que vous croyez vivre n’est pas la réalité. Ainsi, moi, Crystaléa Lowen-Soissanth, suis bien à vos côté dans la réalité.

Mais non, ne regardez pas autour de vous, vous ne verrez rien puisque vous ne voyez pas la réalité !

Vous êtes là à côté de moi, allongé dans le lit-tiroir à rêves. Vous dormez d’un sommeil paradoxal artificiellement prolongé et je me suis branché sur votre rêve !

Vous êtes plongé dans un rêve assisté par ordinateur ou R.A.O., en état d’hibernation médicamenteuse et moi Crystaléa, vais vous réveiller !

Raphaël se frotta les yeux. Il croyait être le témoin d’une mauvaise blague mais ce qui suivit l’en dissuada pour de bon.

L’écran de Gar semblait avoir perdu la boussole. Il afficha rapidement chaque page du livret comme si quelqu’un le consultait à la vitesse de l’éclair et puis revint à l’image du fameux corps allongé dans le lit-tiroir.

La voix reprit sur un ton rassurant :

- Je vais vous projeter l’image de la réalité dans l’écran de votre salon de rêve. Allez vous allonger car vous allez peut-être vous trouver mal.

Raphaël alla s’allonger sur son lit emportant son micro portatif.

Sa lourde masse de son corps tomba sur son lit tandis qu’il commençait seulement à faire le rapprochement entre ces dernières paroles et le visage de l’homme allongé dans le lit-tiroir.

Gar semblait être piloté par cette femme mieux que personne. Ce qu’elle fit avec tous les écrans de son appartement le laissa muet. Comme pour les écrans géants multitubes, elle utilisa chacun deux pour projeter un morceau de ce qu’elle nommait réalité.

La voix continua de nouveau et le plongea à chaque mot dans un puits de doutes.

- Je viens de brancher une caméra sur votre ordinateur de R.A.O. . Ce que vous voyez là est la réalité qui vous attend ! C’est bien un duplex entre réalité et virtualité Raphaël !

… Finalement, vous voyez que l’hypothèse H4 n’était pas si saugrenue ! Vous êtes bien en train de parler avec moi, et je vis bien en 2074 après V>c. L’ennui c’est que vous vivez comme moi au XXXIème siècle après Jésus Christ !

Vous rêvez être professeur de neurologie en l’année 1997 sur TERRE MÈRE mais en réalité vous êtes mon contemporain et prisonnier dans le temple du rêve assisté par ordinateur, dans la plus belle prison qu’un guendjaalien puisse vous offrir !

Des preuves ? À quoi bon, votre salon en est une assez convainquante !

Ce cauchemar est ce qu’impose un ordinateur à votre esprit ! Gérald, le philosophe virtuel de votre club virtuel vous avait pourtant prévenu !

Depuis trois heures, soit pour vous un mois environ, j’ai le contrôle de l’ordinateur responsable de votre vie-rêvée.

Raphaël restait paralysé de stupeur.

- Depuis un mois, vous vous livrez à l’antécorrespondance parce que je suis intervenue dans votre rêve et cela dans un seul but : vous libérer de cette prison sans casser votre cerveau !

Je ne tiens pas à ramener à Jaazlée un légume !

Maintenant que vous êtes sur votre lit, écoutez-moi bien ! Allongez-vous bien droit, les bras le long du corps. Vous devez prendre la position de votre corps réel pour rentrer à nouveau chez vous sans dommage !

Obéron ne put s’empêcher d’obéir à ces ordres mystérieux. Son corps commençait à peser anormalement lourd et cela terrifiait Raphaël.

- Et maintenant préparez-vous car je vais vous réveiller !

Raphaël était écrasé sur son lit, troublé comme jamais il n’aurait pu l’être auparavant.

Comme pour se rassurer que tout ce qu’il venait d’entendre faisait partie d’un rêve, il essaya de se raccrocher à quelque chose de bien réel mais il se produisit un phénomène inexplicable.

Son appartement devenait progressivement transparent. Obéron le vit disparaître comme par fondu-enchaîné, alors que se dessinaient déjà les formes humaines d’une femme. Sa taille dépassait celle de la pièce évanouissante.

- Crystaléa ? demanda Raphaël. Mais sa voix se perdit dans un tourbillon infini de couleurs et aucune voix ne lui répondit.

Les yeux grands ouverts, Raphaël essayait de comprendre ce qu’il se passait autour de lui et en lui. Il sentit son corps peser une tonne comme écrasé sur son lit sous l’effet d’une accélération.

Pendant quelques instants, il eut l’impression qu’une main lui avait caressé le visage pourtant il ne voyait rien ; rien d’autre que son appartement qui " s’effaçait " progressivement !

Je suis victime d’une hallucination. Raphaël ! ressaisis-toi, tu deviens fou !

Comme un reflet dans l’eau qui disparaît quand on l’agite, les formes féminines s’étaient évanouies.

La confusion qui s’était saisie de l’esprit d’Obéron était à son paroxysme.

De nouveau, le fantôme revint à l’attaque de Raphaël Obéron.

Les contours de ce qui devait sûrement être Crystaléa apparaissaient de mieux en mieux.

Lorsque son studio eût complètement disparu dans un silence spatial, Raphaël ne sentait plus son corps. En pensée, il frémit de ne plus pouvoir dire s’il en avait encore un. Le tourbillon de couleur cessa enfin. Maintenant Raph ne pouvait plus bouger la tête pour voir son corps. Sa vision latérale était devenue floue.

Sur ce corps de gisant, seuls les yeux semblaient encore en vie.

Et les yeux de Raph virent que des yeux violets l’observaient.

C’étaient ceux de CRYSTALEA LOWEN SOISSANTH.

Ces yeux se détournèrent des siens et son champ de vision réaugmenta tout doucement après quelques secondes d’absence du fantôme. Il pouvait voir à présent Crystaléa (ou plutôt celle qui était sur la photoroïde et qui disait s’appeler CRYSTALEA LOWEN SOISSANTH) s’activer à ses côtés dans un lieu qui n’était plus du tout son appartement.

Ses sens lui revinrent complètement comme une énergie fluide qui se déverserait en lui.

D’abord au niveau du visage puis le cou, les bras et le buste, et enfin les jambes.

Pourtant Raphaël ne pouvait pas encore bouger comme si quelque chose l’en empêchait.

Et son corps était lourd, si lourd…

Raph Obéron comprit enfin où il était. Ce n’était pas très difficile. Cet endroit, il le connaissait bien pour l’avoir regardé des minutes entières sans comprendre ce que c’était et où c’était.

Il était allongé sur un de ces lits-tiroirs semblables à ceux d’une morgue. Il était dans ce lieu étrange reconstitué par Gar à partir du reflet dans les yeux de Crystaléa, dans ces yeux doux et brillants qui le regardaient en cet instant extraordinaire.

Oui, c’était cet endroit inconnu, avec ces mystérieux lits-tiroirs. Il y avait aussi des écrans lumineux et des voyants de contrôle aux couleurs fantastiques que Raphaël n’avait pu identifier sur sa photo recalculée.

La salle, où il se trouvait, était bien plus grande en réalité que celle calculée par Gar. La profondeur de champ de l’appareil photographique était trop mauvaise pour voir qu’il s’agissait en fait d’un immense palais.

Il était donc maintenant de l’autre côté du miroir, dans le monde de Crystaléa Lowen-Soissanth.

Obéron se demanda combien de temps il verrait cette image et si cette vision allait partir en fumée. Était-il encore, en réalité, sur son lit et rêvait-il de ce lieu inconnu pour avoir trop longtemps étudié le livret d’antécorrespondance ?

S’il rêvait, comment expliquer la voix de Crystaléa alors qu’il se trouvait à son bureau ? Cette voix, qui lui ordonnait de s’allonger et de laisser venir les choses à lui sans lutter, n’était peut-être après tout que la voix de son inconscient fatigué.

Qui pouvait le dire ?

*

Crystaléa fit un mouvement en direction de ses jambes, détacha deux sangles qui les maintenaient immobiles et rabattit les côtés du lit-tiroir de part et d’autre du fond. Elle laissa la sangle qui maintenait encore la poitrine de Raphaël attachée au lit.

À Présent, Raph pouvait presque bouger la tête. L’image calculée avec Gar de ce corps étendu sur le lit-tiroir lui revint alors en mémoire. Il se rappela aussi que Crystaléa lui avait confirmé que ce corps était le sien. Maintenant, il est ridicule d’en douter.

Pour lors Obéron devina ce qui l’empêchait de bouger la tête complètement : un casque solidaire du lit. Celui qu’il avait vu sur la photoroïde. Il se rappela également avoir vu sur la roïde ses propres mains, emprisonnées dans quelque chose.

Toujours entre deux eaux, comme s’il sortait d’une anesthésie générale, Obéron colla son menton sur sa poitrine pour voir ses mains. Elles étaient prisonnières de boites métalliques aux angles arrondis et dont partait une rivière de fils lumineux très fins.

En bougeant ses doigts à l’intérieur des boites, les nappes de fils blancs devinrent arc-en-ciel. C’était un spectacle qui plut à Obéron, qui dès lors ne cessa de les bouger pour le plaisir d’animer ces arcs-en-ciel.

Soudain une main lui prit le bras. Il fallait qu’il arrête. Des lèvres remuèrent mais aucun son ne lui parvint. Depuis que Crystaléa lui avait donné l’ordre de se préparer à se réveiller, celle-ci n’avait émis aucun son.

Elle s’activait autour de lui et libéra finalement ses mains des cocons métalliques et chauds. L’air frais réveilla ses sens et une fois encore, il sentit que son corps était inerte, comme sorti d’un long coma.

Brusquement mille aiguilles se retirèrent de son crâne. Obéron n’eut pas le temps de crier sa douleur.

Ses pupilles se contractèrent violemment puis aussitôt se dilatèrent pour retrouver leur état normal. Une sensation fugace de vertige le saisit. Enfin de l’air passa entre le casque et sa tête. Le casque pivota en arrière dans un bruit de moteur électrique. Crystaléa revint sur sa droite et se pencha sur son visage.

Comme une mère au chevet de son enfant, elle lui dit simplement :

- Salut Paul-Raphaël Obéron !… Comment ça va ?

Sa voix résonnait comme un chant de cristal. Les sons nageaient autour de lui et semblaient venir de la pièce voisine. Pourtant l’endroit était immense et le plafond était bien à vingt mètres du sol. Et voilà que Crystaléa lui parlait. Oh ! comme elle était proche de lui !

Soudain, alors qu’il voulut parler, les sons eurent du mal à sortir de sa gorge. Sa langue était maintenant engourdie comme sous l’effet d’un anesthésique dentaire.

- Où suis-je ? Réussit-il à dire enfin.

Dire que quelques instants auparavant il se sentait bien, était un peu exagéré mais à présent il était complètement engourdi sur ce lit-tiroir. Passer d’un corps fatigué sur un lit moelleux à un corps sans force sur un lit mortuaire ne le rassurait pas.

C’était à n’y rien comprendre ! Il semblait avoir traversé l’espace-temps pour se retrouver auprès de Crystaléa Lowen-Soissanth en l’an 2074 après V>c !

Son corps n’avait plus aucun tonus musculaire, un véritable corps de gisant à qui il insufflait la vie par sa seule volonté. Pour être exécuté, chaque mouvement devait être pensé avec détermination !

En un tour de main, Crystaléa avait détaché la dernière sangle.

- Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Où est-ce que je suis ? marmonna-t-il alors que la jeune femme se penchait sur lui comme sur un nouveau-né dans son berceau.

- Chhuh ! fit-elle à plusieurs reprises. Reposez-vous ! Ce que vous venez de subir a dû être très éprouvant.

Elle redressa Raphaël doucement sur la couche qui découvrit Crys entièrement : identique à la femme du photoroïde qui ornait son salon, elle était vêtue d’un fuseau vert-marron marbré de taches couleur olive.

À cette vision extraordinaire, Obéron replongea dans ses souvenirs. Il revit sans difficulté les derniers jours qui précédèrent cet étrange événement. Épluchant les documents d’antécorrespondance, surpris devant la qualité des roïdes et stupéfait par l’abondance de détails hyperréalistes qui avait rendu cette correspondante énigmatique.

Il se remémorait maintenant cette ville futuriste, ses jardins merveilleux et ses appareils inconnus, ce plan de la ville, avec ses légendes très détaillées excepté pour le bâtiment polyédrique qui semblait avoir été rajouté ultérieurement.

Comment expliquer ce qui s’était passé ? Comment expliquer qu’il ait traversé l’espace-temps et se soit retrouvé sur ce lit-tiroir ? À quoi pouvait bien rimer tout cela ?

Un rêve ? Sorti de son imagination débordante, abreuvée de science-fiction et confondue devant l’hyperréalisme des documents d’antécorrespondance.

Et pourtant tout cela semblait bien réel !

Raphaël regarda Crystaléa pour trouver une réponse et ce n’est qu’à cet instant qu’il repensa à ce qu’elle avait dit à son réveil : " Salut Paul-Raphaël Obéron ! "

Pourquoi m’appelle-t-elle PAUL-Raphaël ? Ouh, j’ai un vrai bordel dans la tête. Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ?

Crystaléa semblait lire dans ses pensées car elle lui chuchota :

- Vous étiez prisonnier d’un rêve assisté par ordinateur. Vous rêviez que vous viviez en 1997 sur TERRE-MÈRE mais à présent vous êtes libre ! Levez-vous, il faut partir ! vite !

Je vous expliquerai tout ce que vous voulez savoir mais il est absolument nécessaire de s’en aller d’ici et de refermer ce lit.

Raphaël se laissa glisser à terre. Ses jambes faillirent le lâcher alors qu’il touchait le sol. Crystaléa débrancha une sorte de gant de données du panneau de contrôle puis brancha une interface électronique dans les entrailles du tiroir et pianota quelques instants sur les boutons colorés qui ornaient la face avant. Elle referma les côtés du lit-tiroir et appuya finalement sur le plus gros des boutons. La couchette s’enfonça lentement dans le mur.

À présent, il n’y avait plus que des écrans allumés et des boutons colorés sur cet étrange mur. Celui d’où sortait Raphaël présentait curieusement la même image que les autres.

- Ce leurre nous fera gagner un temps très précieux, lui murmura Lowen-Soissanth.

Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il songea à regarder les images qui défilaient sur ces écrans.

Tous ressemblaient au premier regard à des écrans de télévision branchés sur la même chaîne, exposés au public dans un grand magasin. Mais à y regarder de plus près, Raphaël remarqua que contrairement à ce qu’il se passe dans un film, il figurait toujours au centre même de l’écran un personnage qui variait à chaque écran. Poussé par son instinct, Raphaël ouvrit un tiroir. Il avait vu juste : L’image du personnage central était celle du rêveur !

- Tout juste ! Les prisonniers de ce bloc sont tous branchés sur le même rêve assisté par ordinateur : Le vôtre, Obéron ! Ils croient tous être professeur de quelque chose dans le mégacampus d’Orange II ! Votre vie en 1997 n’était qu’un R.A.O. !

Le monde s’effondra autour de Raphaël Obéron.

Crystaléa ramassa alors un gros sac à dos qui traînait à terre, y rangea le gant de données et en sortit une veste et une arme étrange. Il y avait une seconde veste à terre qu’elle revêtit tandis qu’elle tendait la première à Raphaël.

- Mettez ceci ! Il fait froid dehors. Ce n’est pas la Californie !

Obéron regardait l’arme. Cela ressemblait à un revolver. Mais il était incapable de réagir après ce qu’il venait de comprendre.

En un rien de temps, Crystal s’était rapprochée de lui, l’avait plaqué contre le mur de la main gauche et pointé son arme contre son nez.

- Mais qu’est-ce que vous faites ? fit-il surpris par ce geste violent.

- Ne bougez pas ou ça se passera mal pour vous !

Elle enfonça le canon dans sa narine droite et appuya sur la détente. Obéron sentit un jet puissant de spray lui envahir la fosse nasale.

Crystal retira le canon de son nez et dit sèchement :

- Je viens de vous administrer un cocktail de stimulants musculaires et psychotropes. Vous allez sentir les effets très rapidement. Et tandis que Raphaël revenait de sa surprise, elle se fourrait le canon dans le nez et appuyait sur la détente.

- Mais ça ne va pas, vous auriez pu me prévenir !

- Pas le temps ! fit-elle en reniflant. Prenez ces lentilles de vision infrarouge, elles vous seront bientôt très utiles.

Elle le prit par le bras.

- Ne restons pas là, les PM ne vont pas tarder à passer par ici !

- Les PM ?

- Patrouilles Médicales ! Elles sont chargées de l’entretien des corps des prisonniers et des lieux. Ce sont elles qui vous ont nourri pendant tout ce temps passé à rêver que vous viviez en 1997 sur TERRE MÈRE.

Tout intrus ne s’étant pas fait reconnaître d’elles dans les vingt secondes est automatiquement détruit !

- Mais qu’est-ce que c’est ? dit Raphaël tremblant malgré lui.

- Ce sont des robots Outlaw.

- Des robots Outlaw ? Hors-la-loi d’Azimov, c’est ça ?

- Azimov,… connais pas. En tout cas, ces enfoirés, comme vous diriez, sont fabriqués pour tuer tout ce qui bouge ici ! De vrais bouchers ! dit Crystaléa avec sang-froid, alors suis-moi si tu ne veux pas mourir !

La femme d’un autre temps rangea la seringue nasale dans son sac et en sortit un véritable pistolet-laser puis entraîna de l’autre main Raphaël avec une force surprenante.

L’endroit était lugubre et glacé. Des milliers de questions arrivaient en paniquant à l’esprit de Raphaël mais la peur lui avait cloué la langue et il ne put résister à cette force qui l’entraînait hors de ce lieu sinistre.

- Où allons-nous ? réussit-il à dire malgré le monstre noir qui lui tordait les tripes.

- Nous allons en haut du palais pour attendre la nuit. Les PM ne circulent que le jour, la nuit on peut circuler plus librement si on sait éviter les lasers automatiques !

*

Raphaël était essoufflé. Il avait fini par renoncer à compter les rangées de lit-tiroirs qui le séparaient du " sien ". C’était comme être dans la salle des archives du mégacampus sans robot-guideur ; malgré la présence de la jeune femme à ses côtés, il se sentait perdu dans ce gigantesque labyrinthe, peuplé de prisonniers de guerre morts-vivants.

Le souffle coupé, Raphaël lâcha la main de celle qui disait s’appeler Crystaléa Lowen-Soissanth. Il tomba sans force sur les genoux.

- Qu’est-ce vous avez ? Qu’est-ce qui vous prend ? Ne restez pas là !

- Je n’en peux plus ! Je n’ai pas la force de vous suivre comme ça !

C. Lowen-Soissanth sortit une canette blanche de son sac, déplia une petite paille sur le dessus et tendit la canette vers Obéron.

- Tenez ! Et buvez sans en laisser tomber une seule goutte à terre. J’aurai dû commencer par ça ! Désolée. La nourriture qu’on vous donne ici ne sert qu’à vous maintenir en vie mais ne suffit plus pour de gros efforts. Allez ! Buvez, c’est sucré !

- Beuah ! Sucré mais infâme !

- Allez ! Taisez-vous et en route !

Mais pour où ?

- Il faut prendre l’ascenseur central, c’est la seule sortie possible, lui chuchota Crystaléa en devançant sa question.

Elle prit sa main énergiquement et entraîna de nouveau en avant. Elle avait agi jusque-là avec beaucoup de sang-froid mais Obéron crut déceler sur son visage pendant quelques instants un mélange de colère et de peur. C’était la peur d’un danger invisible, imminent.

Obéron était moins faible mais il ne pouvait pas encore lui résister.

Il tourna la tête en arrière et tout ce qu’il vit fut ces rangées de lits-tiroirs de tous côtés. Le " sien " avait disparu dans la masse.

Raphaël tenta de regarder au-delà de ces innombrables rangées de lits-tiroirs. La main de la jeune femme le tirait encore lorsqu’il aperçut un gigantesque escalier très abrupte.

- Nous n’irons nulle part si nous prenons l’un de ces quatre escaliers, fit-elle en le tirant davantage. Leurs regards se croisèrent de nouveau.

Elle avait lu en lui à livre ouvert. Elle avait su voir son désarroi se transformer en une angoisse terrible. Il était comme ce rat qu’on lâche dans un labyrinthe et qui ne sait s’il va recevoir de la nourriture ou une décharge électrique.

Oui, elle avait su faire le diagnostic mais c’est parce qu’ILS l’avaient bien prévenue et une voix mesurée, resurgie du passé, dit alors :

- Rappelez-vous de ceci, il aura tout oublié de nous, de ce que vous avez vécu ensemble et même de ce qu’il était pour nous. IL sera vif mais tous ses souvenirs d’outre-rêve auront été remplacés par ceux de sa vie virtuelle sur TERRE 1997.

Grâce à l’antécorrespondance il devrait récupérer sa mémoire d’autrefois et échapper au stress du DREAMLAG.

Sachez lui venir en aide sans qu’il vous le demande. Soutenez le comme vous voudrez mais il ne faut absolument pas qu’il sombre dans un Dreamlag sans fin !

La voix s’était tue alors qu’elle aperçut enfin les portes-miroir de l’ascenseur.

*

L’ascenseur était déjà là. Crystaléa Lowen-Soissanth s’engouffra dans l’ascenseur dès que les portes s’ouvrirent en attirant Obéron par le bras.

Les portes de verre teinté se refermèrent à jamais sur sa vie de professeur de neurologie dans le mégacampus d’Orange II, Californie, en cette bonne année 1997 après Jésus-Christ.

L’ascenseur remontait vers la réalité oubliée, vers une vie antérieure oubliée, passée sur THAGAMA en l’an 2074 après l’Hyperespace.

Lazare, ressuscité parmi les morts.

*