Suppléances
Suppléances
Le jeu des genres et les discours du Christianisme
Cours donnés par Mme M. Bolli entre 1998 et 2002, UNIL
Mandat du Pr. K.-P. Blaser
Essai de synthétiser la thématique, étudiée à partir de documents écrits proposés
Quatre manières d’aborder le thème
a. Partir de termes en débat dans les pratiques langagières tels que : faut-il dire « aumônier » ou aumônière » lorsqu’il s’agit d’une femme ? Ou encore, pourquoi le terme « témoin », si important en ce domaine de réflexion, n’a-t-il pas de féminin ? Etc.
b. Planter le décor de la réflexion à partir de : l’explicitation des trois mots du titre : discours sans spécification, discours chrétien (comme polyphonie), problématique du genre.
Le genre dans le discours porté par différentes formes: - les marques morphosyntaxiques, les métaphores, les noms propres, les personnages fictifs ou historiques ainsi que les objets qui les représentent ; les rôles sociaux. Le fait que ces formes renvoient aussi au hors champ du discours, à la réalité concrète.
c. Le langage, le discours, le jeu des genres dans le christianisme traditionnel sont majoritairement orientés par le genre masculin (patriarcal parfois). Discuter ce point. Quatre figures du jeu des genres se dégagent ici : unique, neutralisé, hiérarchisé, en interaction.
Des exceptions existent qui usent du langage féminin.
S’intéresser à l’explicitation d’une anomalie dans cet usage du langage : la prédication bizarre (philosophie du langage, P. Ricoeur par exemple).
d. Situer la problématique du genre, de la différence et de l’égalité, aujourd’hui.
1.Langage et/ silence. 2. Prise en compte de l’altérité et mono-genre ne se contredisent-ils pas ? 3. Vis-à-vis de Dieu, une humanité récapitulée par hommes et femmes réunis, ensemble des deux principaux genres. 4. Jesa christa (un corps féminin à la place du corps masculin de Jésus) ou une manière concrète de poser une question majeure aujourd’hui : « Un sauveur masculin peut-il sauver des femmes ? e. Redécouvrir l’Esprit Saint et sa forme de vie qui traverse les genres au coeur des langues et des cultures.
Quatre manières d’exposer la thématique
1.
a. Le discours est défini comme une parole adressée. Au moins quatre sources l’alimentent : l’histoire, la tradition, les textes de référence, certains éléments de la culture ambiante (laïque). Illustrer chacun avec des éléments des genres masculins et féminins qui y sont repérables.
b. Pourquoi le féminin existe-t-il difficilement en ce type de discours ? Le rapport de la Théologie à la culture dans laquelle elle est formulée infléchit le jeu langagier du masculin et du féminin (par exemple, lorsqu’elle se réfère à la littérature antique ou encore à celle du présent). La théologie féministe a dévoilé ce fonctionnement jouant le plus souvent en défaveur des femmes. 1. Socio-culturellement, parmi elles, trois grands courants sont repérables (a. Les essentialistes ; b. celles qui rejettent la notion de différence (idée du continuum de variation du masculin au féminin ou inversement) ; c. celles qui l’envisagent comme une acquisition sociale). 2. Symboliquement : au niveau des représentations (du couple par ex.). 3. Linguistiquement, au niveau de l’usage d’une langue.
c. Discours, genre, différence, égalité dans la tradition chrétienne revisitée à la fin du XXe s. en particulier par les chercheures. Divers exemples. Indices vétéro- et néotestamentaires.
d. Le féminisme influence en partie le discours en usage dans le christianisme. Il conduit une fonction de rééquilibrage par le questionnement des formes établies et l’ouverture à de nouvelles recherches ainsi qu’à leurs résultats.
Quelques thèmes auxquels il s’est intéressé : a. une critique du rapport parole/relation.
Une critique de l’exclusivité patriarcale de l’orientation du propos. De l’influence de celle-ci sur le regard et la lecture de l’histoire ; de cette même influence sur le choix des textes à étudier, sur le type d’analyse des textes ; sur la formation de la parole et de l’écrit, en particulier en ce qui concerne le choix de métaphores et de symboles pour l’enrichir.
2.
a. Situation présente à travers deux problématiques : a. le traitement du rapport entre genres et les « expressions-limites » dans le discours concerné ici. b. L’historicité du traitement appliqué au genre féminin et à celles qui le font exister par leur vie. L’exemple des études portant sur Marie, Marie de Magdala ou d’autres féminités emblématiques.
b. Actuellement, sous le feu du questionnement des féministes, se dégage un champ de travail dans lequel une nouvelle conscience a vu le jour. Elle concerne le genre et la sexuation. La possibilité de prendre du recul et d’élaborer un point de vue critique à l’égard de l’héritage traditionnel et de construire autrement le lien entre homme et femme, masculin, féminin, en s’appuyant sur les travaux d’exégètes telle qu’ E. Sch. F ; des historiennes telles Fraisse, Scott ; des sociologues et sociolinguistes telle Yaguello ; des psychanalystes telles Irigaray, Balmary, etc.) ; des philosophes et des écrivaines telles que M. Duras, H. Cixous, etc. (cf mémoire), des théologiennes telles D. Sölle (Père, puissance, barbarie), R. Radford-Ruether, P. Trible ; des archéologues telles M. Stone, etc.
3
a. La co/opération du masculin avec le féminin par des exemples bibliques Myriam, Moïse et Aaron).
b. Des expressions de certains discours spécifiques telle « Jésus, notre mère… ». Le genre féminin lié au langage qui se réfère à l’existence du Christ (Jul. de N., 14 e s.) ou encore aux comportements féminins, maternels tel l’allaitement pour exprimer le lien de dépendance entre le croyant et son Dieu. Ce sont des exemples de « prédication bizarre » et d’« expressions-limites » ou l’usage habituel des genres se distord pour servir le but poursuivi.
c. Une femme mandatée par Jésus : Marie de Magdala. Une figure controversée illustre les recadrages idéologiques opérés à certains moments de l’Histoire du Christianisme ainsi que leurs déconstructions.
4.
a. Retour au commencement, regard sur la pratique d’intégration de la vie des femmes dans le discours et la pratique, du leader, Jésus de N., dans sa notion de peuple et dans son projet de royaume.
b. 1er- 2e s. Regard vers son entourage et la poursuite de son œuvre (inclusivistes pauliniens), (hiérarchistes, juifs traditionnels).
c. Dès le IIe s. Les hiérarchistes gagnent du terrain. Une résistance se manifeste par des femmes d’exception (mystiques, prédicatrices, mères du désert, etc.). Elle s’était déjà manifestée dans la première Alliance (A.T.) par les cinq narrations qui constituent le Meguillot.
d. La situation aujourd’hui à l’intérieur du christianisme. Une réémergence des féminités mais parmi elles quatre tendances se manifestent.
Quatre manières de conclure ce cours
a. Rapport entre genre et altérité ; Un nouveau concept : a sororité ; une meilleure légitimité de la parole féminine ; b. Des éléments d’horizontalité ; de verticalité. c. Une avance vers un rééquilibrage entre les deux genres.
b. Un rééquilibrage en progrès comme une promesse d’accomplissement pour les femmes aussi ; le constat que la figure manquante parmi les quatre mentionnées, est le plus souvent celle de la collaboration entre égaux ; et la proposition d’une métaphore-guide, celle des amoureux du cantique…
c. 1. Le jeu du genre peut se lire à l’intérieur de chaque partie de la trad. chrét. Et s’y joue de manière singulière. 2. L’ensemble va vers un rééquilibrage souple entre les genres dans une partie du christianisme.
d. Gal. 3,28ss : une appartenance et une différence fondatrices d’égalité aux yeux de Dieu. Différences mais égalité de statut dans le registre spirituel chrétien.
Réflexions conclusives pour l’ensemble de cet enseignement (2002).
Une lecture du sens au cœur du discours théologique qui touche à plusieurs niveaux.
Lecture socio-politique des genres (type Marie de Magdala). Une lecture théo-linguistique (ex. de P. Ric.). Lecture symbolique (geste, danse, etc.). Lecture psychologique et relationnelle intra-textuelle, liée au dispositif langagier.
Le constat d’une dérive historique partriarcalisante dont on peut repérer partiellement
les causes. Elles seraient liées à une réception biaisée, soit presqu’exclusivement masculine durant des siècles ; ou encore à un recadrage des personnages féminins gênants : par ex. Marie de Magdala devient la pécheresse Marie-Madeleine et la disciple aimée, est effacée. Ou parfois à la vénération de Marie, la mère de Jésus, en qui la jeune femme de Galilée disparaît au profit d’une presque déification de cette personne, l’adoration supplantant la personne réelle et la distordant quelque peu. Ou enfin au fait que la présence et la parole de prophétesses sont moins déployées que celles des hommes leaders (telle fut le cas de la prophétesse de l’Exode, Myriam par rapport à son frère de Moïse, son frère, par contre son initiative et son geste qui entraînent le peuple dans le remerciement sont bien exposés).
Dans la communication entre les genres, la représentation qui manque le plus souvent est celle de la co/opération, de la co/existence, dont les amoureux du Cantique sont une figure parfaite car ils partagent l’existence jusqu’à l’essentiel. Parfois elle existe mais de manière éphémère et bancale (l’exemple de Myriam et de ses deux frères Moïse et Aaron sur laquelle se lamente un prophète : « Mon peuple, que t’ai-je fait en t’envoyant Moïse, Myriam et Aaron… ».
Une perspective qui montre que, depuis quelques temps, un rééquilibrage a commencé. Et l’espoir qu’il se poursuivra en d’autres directions aussi que cette différence dans le jeu des genres : sociales, culturelles (féministes et/ou conservatrices), religieuses, géographiques ainsi que l’annonce propositionnelle, déjà en partie actuelle, de l’apôtre Paul s’adressant à sa communauté de Galatie et par elle, à l’ensemble de l’Eglise, le formule (Ga. 3,28ss).
Une possibilité de signifier l’altérité de Dieu dans le langage des humains croise parfois la gestion des genres dans le discours en usage dans ce cadre.
Au prix de quelques distorsions : des écarts de grammaire ou de formes dans le jeu des genres notamment par la « prédication bizarre » du féminin où on attendrait du masculin par ex. (cf. P. Ricoeur). Les « expressions-limites ». Les figures de style dans la langue du texte. Les jeux entre fixité et mobilité.
Le traitement du lien entre genres (degré de hiérarchisation, etc.) dans un contexte donné (qui peut fausser la lecture du sens si on ne tient pas compte de ce rapport figure/contexte). Ex. compréhension de la figure de Magdala et de son rapport à Jésus. S’il va jusqu’au moment de la résurrection ou non influence aussi le regard sur Jésus, conservateur ou novateur qui (selon chez Jn 20) en fait son Envoyée auprès des apôtres.
Finalement, à travers l’occultation de l’un des deux genres ou encore de son inclusion dans l’autre, apparaissant parfois par flashs dans ce type de discours (cf. allaitement), c’est le rapport à la différence et à l’altérité dans sa dimension horizontale, immanente, qui a été laissé pour compte.
Par ailleurs, on a pu observer une manière de placer l’Altérité dans la perspective de la dimension transcendante exclusivement. C’est cela même qui est mis en question dans la dynamique actuelle : d’une part, la transcendance est reconnue de plus en plus souvent au cœur du quotidien (de l’immanent). On se représente Dieu comme proche, comme venant rejoindre l’humanité dans son lieu de vie bien qu’en demeurant Autre ; d’autre part, l’altérité est aussi représentée et proche lorsque la communication a lieu entre collaborateurs. Grâce à l’impact du questionnement décrit, une nouvelle et plus grande légitimité est reconnue aux femmes, à leurs paroles et à leur collaboration, dans les Eglises et dans le monde.
La redécouverte de l’idée de sororité (solidarité entre femmes), puis la capacité de situer et d’assumer la différence, font avancer les communautés vers une plus grande égalité entre les genres et entre les hommes et les femmes. En un mot vers une meilleure justice.
Dans la dimension d’horizontalité, on a redécouvert : l’impact du contexte proche sur la parole, dès la naissance de l’être humain (Anzieu). Par le féminisme, une nouvelle notion a été investie, la sororité. De plus, aujourd’hui, on vit constamment avec le multiculturalisme et les différences qu’il véhicule. Cela relativise l’impact de la différence de genre et de sexe. On parvient à situer à la fois l’égalité (sociale, affective, etc.) et la différence sexuelle parfois nécessaire au désir.
Dans la dimension de verticalité, par la Théologie féministe on a redécouvert des noms de Dieu ou de simples désignations de genre féminin. Ainsi l’Esprit de Dieu, sa Présence, sa Sagesse sont de genre féminin en hébreu. Ce qui donne, au discours théologique, une véritable bouffée d’oxygène de l’intérieur du langage dont il use ou au moins une ouverture sur le féminin langagier. Enfin, il est possible de comprendre la tension entre unicité et diversité au cœur du monothéisme en exprimant qui est Dieu à plusieurs voix, masculines et féminines, neutres (du point de vue du genre).
La légitimité de l’évolution vers l’égalité dans la différence, au sein du discours chrétien ainsi que dans les pratiques, a trouvé des appuis importants dans ce travail de redécouverte et de rééquilibrage.
Suite de cette histoire sémantique
Cette recherche s’est poursuivie de diverses manières. Peu à peu l’intérêt pour la différence sexuelle et ses représentations symboliques s’est déplacé et focalisé sur la Théorie du Gender et de sa manière d’envisager cette différence comme de multiples nuances disposées au long d’un continuum. Ce qui va influencer le questionnement qui précède et en particulier susciter de nouvelles tentatives de l’inscrire dans le symbolique par exemple par le sigle maintenant bien connu de LGBTX ajouté aux deux autres (masculin et féminin).
Un colloque interdisciplinaire entre éthique et Etudes Genre, s’est tenu à l’UNIL concernant le thème de l’égalité et différence avec pur invitée principale la philosophe et psychanalyste Luce Irigaray.
Un séminaire interdisciplinaire et en co-enseignement en Théologie, en remplacement du Pr. K.-P. Blaser et donné avec le Pr. D. M. intitulé Un autre langage pour dire Dieu. 1994. Un écho de ce moment de travail commun se trouve dans Féminités en Théologie, intitulé « Dans la lumière brisée de la langue dire Dieu comme femme et comme
homme ».
Plus largement, en Théologie, l’élaboration de cette thématique au cœur du Christianisme contemporain, local et autre a atteint la réflexion sur la manière de nommer Dieu. Au bout d’un certain temps, du côté de la Faculté de l’UNIGE, cette réflexion s’est poursuivie pour aboutir, chez certain·e·s, en ce moment, à nommer Dieu comme Dieu·e. Mais pour le moment cela n’est pas entériné.
Pour ma part, j’ai poursuivi cette réflexion en écrivant de temps en temps un article sur un ou l’autre des noms du Dieu unique, notant au passage les rares traits féminins inclus[1]. Ultérieurement, je me suis orientée vers l’Histoire des femmes vécue et/ou écrite par des auteures, y compris dans le registre de la vie spirituelle (chrétienne). J’ai mené quelques recherches dans cette direction et écrit quelques essais et des articles (voir la rubrique Publications de ce site).
[1] Mes textes sont rassemblés dans Unicité et diversité. A propos du Nom.