Par ROLAND NIAUX
Extraits des Mémoires de la Société Eduenne,
Tome LIV, Fascicule 4, 1984, p. 263-278
Lorsque César parvient à son tour sur les bords de l'Arroux, il ne prend pas la même voie que les Helvètes, mais poursuit son chemin par la voie principale empruntée depuis Chalon, afin de parvenir au plus vite à Bibracte. Lorsque les Helvètes constatent qu'ils ne sont plus poursuivis, ils sont sans doute au pied des monts du Morvan et à l'entrée des gorges de la Celle. Les Romains, quant à eux, arrivent au pied de ces mêmes montagnes mais dans la région de Monthelon. Il existe actuellement une route secondaire, joignant la Celle à Monthelon. Comme elle dessert l'important site gallo-romain de Chantai, on peut supposer qu'elle existait déjà à l'époque de César. Il y avait donc possibilité pour les Helvètes, en obliquant sur leur gauche, de rejoindre rapidement les légions. Mais en réalisant cette manœuvre avec toute leur armée, les Helvètes se mettaient en position d'infériorité, du moins quant à l'altitude. Selon toute vraisemblance, ils préfèrent donc dépécher par cette route des contingents de cavalerie, afin de harceler l'arrière-garde romaine, de ralentir la progression de l'ensemble des légions, et de permettre au gros de leurs troupes de couper la route de Bibracte à César, en se présentant cette fois au combat avec l'avantage de la hauteur. Un chemin existe pour réaliser cette manœuvre. Il n'est pas très important de nos jours, c'est un simple sentier forestier. Cependant sa largeur, son empierrement ancien, son excellent état d'entretien (quoique pratiquement inutilisé depuis plusieurs décennies) ses rampes jamais excessives, font présumer de longs services au cours des siècles passés. De plus, on est frappé par son alignement à peu près constant dans une même direction Nord-Est Sud-Ouest. Il est ininterrompu depuis le château de la Vesvre (la Celle-en-Morvan) jusqu'au pied des roches de Glenne (la Grande-Verrière). Si l'on observe une carte à plus grande échelle que la carte I.G.N. au 1/20.000e, on peut constater que sauf interruptions minimes, ce chemin trouve son prolongement vers le Nord-Est comme vers le Sud-Ouest, et se place sur une ligne directe Bibracte-Sombernon. Ainsi, nous le retrouvons en direction du Nord-Ouest aux Mongins, la Charmoye, Morcoux, Reclesne, les Pelletiers, Maine, puis plus lointainement, à Voudenay, Arnay-le-Duc, Vandenesse, Sombernon. (Tous ces lieux indiqués sont des sites gallo-romains).
Vers le Sud-Ouest, le relief oblige à plus de souplesse, néanmoins nous avons un cheminement cohérent passant par Champot, les Dufresne, Saussey, Vermenot, les Blanchots, les Chaises, le Rebout, Bibracte. N'oublions pas non plus la légende faisant état d'un chemin antique reliant en ligne droite le château de Glenne à Bibracte.
C'est dire qu'en obliquant à la Celle pour s'engager dans ce qui est maintenant la forêt domaniale de Glenne, les Helvètes ne se hasardaient pas avec leurs chars sur des sentiers douteux, mais empruntaient une voie directe et importante se dirigeant sur Bibracte, et par là-même, coupant le chemin des Romains à hauteur de l'éperon barré de Glenne.
Il faut encore signaler que - jusqu'à la fin du XIXe siècle -, ce chemin, maintenant tombé en désuétude, était habituellement utilisé pour joindre la Celle à la Grande-Verrière, avec une petite variante toutefois : le bourg actuel de la Celle se trouvant implanté à près d'un kilomètre au Nord de l'axe antique, la liaison se faisait par un chemin Sud-Nord partant du quartier de l'église, traversant la rivière à la Planche Saint-Agnan, et rejoignant le tracé principal à la cote 449.
Voyons maintenant quel a pu être le comportement de César durant cette matinée de marche en direction de Bibracte.
Sans doute rattrapé par des escadrons de cavaliers helvètes peu après avoir dépassé Monthelon, César se garde bien de ralentir sa progression, du moins pour l'essentiel de ses forces. Sans doute averti par ses éclaireurs et espions du mouvement amorcé par le gros de l'armée ennemie, il se hâte au contraire de gravir les pentes pour parvenir à occuper le premier la hauteur de Glenne. Ainsi, il coupe à son tour la route des Helvètes et domine toute la région. Nul doute qu'avec ses forces beaucoup plus manœuvrières que celles des Barbares, il ait pu réaliser ceci en temps voulu.
Glenne est un site remarquable : un sommet à peu près plat protégé par des escarpements rocheux présentant des à pics de plusieurs mètres sur trois faces de la montagne.
Un château-fort y fut installé dès le début du Moyen-Age sur les ruines ou les fondations d'un ouvrage beaucoup plus ancien : tegulae et imbrex abondent en effet au sommet, au pied même et dans les décombres du donjon féodal. L'accès au sommet, Ouest - Sud-Ouest, à peu près plat, mais étroit, est protégé par des talus rocheux et un fossé. Certes, il ne sera pas possible d'installer 20.000 hommes et les bagages au sommet, à moins de déborder largement sur le replat Sud-Ouest, ce qui n'est d'ailleurs pas impensable, mais on peut disposer d'une cinquantaine de milliers de mètres carrés. Par ailleurs, les pentes très larges permettent de disposer aisément quatre légions en ordre de bataille et en excellente position de surplomb par rapport aux assaillants, d'où qu'ils se présentent.
Les Helvètes arrivant du Nord-Est durent avoir la surprise en descendant les pentes du Petit Mizieux à Champot, de voir devant eux les Romains s'installer sur les pentes de Glenne. Ils ne pouvaient faire autre chose que d'occuper à leur tour les hauteurs faisant face à Glenne, entre les Vernottes et le Crot-au-Meunier, hauteurs plus arrondies et moins élevées. De plus, ils seront gênés tout au long de l'après-midi par le soleil qui leur fera face.
Au cours des épisodes du combat, les légionnaires, descendus de Glenne et remontant attaquer les positions helvètes du Crot-au-Meunier, se verront attaqués sur leur flanc droit par les nouveaux arrivants helvètes qui continuent de descendre des hauteurs du Petit Mizieux. Et lorsque les Helvètes, découragés, devront renoncer à entamer sérieusement les forces romaines, leurs bagages stationnés au sommet des hauteurs séparant Glenne de la Celle leur serviront encore de barrage et de dernier retranchement pour tenter d'user les légions mais sans succès.
Que vaut cette troisième hypothèse ? Aucun vestige matériel ne permet de la privilégier par rapport aux deux autres. Là encore, tout reste à faire. Il faudrait chercher patiemment, auprès des personnes les plus âgées de la région, les souvenirs de labours singuliers, ramenant au jour des ossements et des ferrailles en assez grand nombre.
Toutefois des indices méritent d'éveiller l'attention et demandent à être examinés de plus près.
Une légende, connue encore des anciens de la Grande-Verrière et de la Celle, rappelle qu'autrefois, un marchand porteur de balle, voyageait avec son fils le long du vieux chemin joignant ces deux villages à travers la forêt de Glenne. Attaqué par des voleurs, il fut assassiné, et enterré sur place, en un lieu qui se nomme depuis "le Grand Mort". Son fils, qui avait réussi à s'enfuir, fut rejoint un peu plus loin par les brigands et tué à son tour. Il repose au lieudit "le Petit Mort". Depuis lors, les voyageurs qui passent en ces lieux ne manquent jamais de se signer et, s'ils sont pressés, jettent une pierre sur la sépulture. S'ils disposent de quelques minutes, ils confectionnent avec de petites branches et un morceau de ficelle une petite croix qu'ils plantent sur le tertre, le long du chemin.
Les lieux-dits "le Grand Mort" et "le Petit Mort" sont situés en bordure de la voie antique, aux cotes 508 et 492, séparés à peine d'un kilomètre. C'est là que nous placerions volontiers, dans notre troisième hypothèse, le campement des helvètes, et peut-être le lieu de leur inhumation. Au "Petit Mort" le chemin, creusé par les charrois, traverse un véritable tertre de pierres de toutes dimensions. Sur la crête de ce chemin, au sommet du tertre, nous avons vu et photographié, en 1984, quatre petites croix de branchage. Au "Grand Mort", il y en avait cinq, preuve que la coutume est toujours respectée. Un cultivateur de la Grande-Verrière nous a déclaré qu'en passant sur ce chemin, il lui arrivait d'enlever les croix trop vieilles et de les remplacer par des neuves, "parce que cela s'était toujours fait".
Bulliot (10) rapporte cette légende, qu'il dit commune et qui évoquerait assez souvent la présence de sépultures antiques. L'abbé Doret (11) énumérant les propriétés des seigneurs de Roussillon avant la Révolution, cite, à propos du domaine de Montceau-les-Blain," 2.500 arpents, au Grand et au Petit Martrey, en Folin".
Ne serait-ce pas le Grand et le Petit Mort en forêt de Glenne, proche de la forêt de Folin ? En ce cas, la dénomination ancienne de Martrey (martyrium) serait encore plus significative, et expliquerait aussi la pérennité d'une coutume et d'une légende jusqu'en plein XXe siècle.
Il faut encore citer, tout près du Petit Mizieux, un lieudit "les Fossés". Ce toponyme évoque généralement des travaux de terrassement. On le rencontre souvent en rapport avec les défenses d'une maison forte, mais il n'y a aucun vestige de maison forte en ce lieu, et il peut s'agir aussi bien du souvenir de retranchements plus anciens et plus vastes. Ce serait encore un point à éclaicir.
Enfin, notons qu'au versant opposé de Glenne, sur sa bordure Sud-Ouest, une croupe arrondie, entre Boisseau et Chemardin, porte sur la carte I.G.N. le nom de "Champ du Mort". Nous n'avons retrouvé aucune légende, ni le récit d'une trouvaille ancienne ou d'un événement pouvant justifier de ce nom. Par contre, nous avons découvert en 1982, dans un chemin tracé en coupe pour le défrichement, un peu de cendre et un tesson de céramique paraissant dater de la fin de la Tène, placés sur une pierre plate et sous un morceau de tegulae, dans le talus du chemin.
En résumé, nous avons tout autour de Glenne, beaucoup de lieux-dits évoquant la mort, une légende rappelant l'existence de sépultures, et plusieurs tertres de pierres qui n'ont jamais été fouillés. N'en tirons aucune conclusion prématurée. Nous pensons simplement que l'hypothèse de la bataille des Helvètes autour de Glenne, bien que n'ayant jamais été avancée, à notre connaissance, mérite autant d'attention que les deux précédentes.
Concluons enfin que hors de ces trois hypothèses, il paraît difficile d'imaginer ailleurs la bataille des Helvètes, sans s'écarter beaucoup du texte de César.
[10] BULLIOT (J.-G.). Les Karres de la voie romaine de Saint-Honoré, M.S.E., t. VI, p. 287.
[11] Manuscrit de la Bibliothèque de la Société Eduenne, M. 85.