Par ROLAND NIAUX
Extraits des Mémoires de la Société Eduenne,
Tome LIV, Fascicule 4, 1984, p. 263-278
Il nous reste maintenant à chercher l'emplacement possible de la grande bataille qui décida du sort de l'expédition helvète, et à plus lointaine échéance, du sort de la Gaule.
De la Saône, les Helvètes ne pouvaient aborder la région de Bibracte que par trois principales voies d'accès. La première, venant du Sud -Sud-Est (région mâconnaise) aboutissait à Toulon-sur-Arroux d'où l'on pouvait, soit tirer sur Bibracte par un chemin de crête Sud-Nord, dit " le chemin des Foires du Beuvray ", soit rejoindre dans la région de Luzy le périphérique sud Etang-Avrée-Fours-Decize.
La seconde, venant du Sud-Est (Mâcon-Tournus) soit par Mont-Saint-Vincent, soit par Saint-Gengoux, aboutissait à la vallée du Mesvrin (nous l'avons décrit ci-dessus).
La troisième, venant de l'Est, est le grand axe Chalon-Bibracte-Decize, avec possibilité de contourner Bibracte par le Nord, à partir d'Autun.
Si l'on en croit toujours César, son camp, au matin de la bataille ultime, se trouvait à 18 milles à peine de Bibracte. Dix-huit milles font 26,640 km. C'est dire que César avait établi son camp à 26 km de Bibracte. Si nous traçons à partir de Bibracte, une circonférence de 26 km de rayon, nous rencontrons, du Sud à l'Est, les repères suivants : le Mont-Dardon, Toulon-sur-Arroux, la vallée du Pontin, le hameau de Breuil, Charmoy-la-Ville, Marmagne, les Baumes, Auxy. Trois, parmi ces repères, sont situés sur les trois grandes voies d'accès à Bibracte : Toulon-sur-Arroux, sur l'itinéraire sud ; Marmagne, sur l'itinéraire sud-est ; Auxy, sur l'itinéraire est.
Nous estimons que c'est en l'un de ces trois lieux, ou dans ses environs immédiats, qu'il faut chercher l'emplacement du camp de César, ou plutôt l'imaginer, faute de vestiges connus à ce jour.
Nous allons examiner successivement les trois hypothèses, en essayant de suivre au plus près la relation que César nous donne des événements. Nous avons volontairement négligé l'histoire des journées précédant le combat, dont le suivi ne ferait qu'alourdir inutilement notre exposé, sans emporter la décision.
"César établit son camp à trois milles (de celui des Helvètes). Le lendemain, comme on se trouvait à quelque dix-huit milles à peine de Bibracte... César... abandonna les Helvètes et marcha sur Bibracte... Changeant de tactique (les Helvètes) revinrent sur leurs pas et se mirent à suivre, en la harcelant, notre arrière-garde. S'en étant aperçu, César installa ses troupes sur la colline la plus proche... Il disposa, à mi-côte, ses quatre légions de vétérans, et plaça tout en haut, au sommet, deux légions... les auxiliaires... et les bagages. Les Helvètes, arrivés avec leurs chariots, firent de même... se formèrent en phalange et s'avancèrent jusqu'à notre première ligne. Les soldats (romains) lançant leur javelot d'une position dominante, parvinrent à rompre la phalange ennemie... qui commença à reculer... et occupa une colline à environ mille pas de là. C'est alors que l'arrière-garde ennemie attaqua notre flanc droit, cherchant à nous cerner... Ce combat fut âpre et long. Finalement, les ennemis se retirèrent, les uns comme ils l'avaient déjà fait, sur le sommet de la colline, les autres auprès de leurs chariots. Au cours de la bataille qui avait duré depuis la septième heure jusqu'au soir, on ne vit jamais un ennemi tourner le dos. Tard dans la nuit, on se battait encore auprès des bagages. Les Helvètes s'étaient retranchés derrière leurs chariots... Cent trente mille hommes purent s'échapper... Les nôtres, occupés à soigner les blessés et à enterrer les morts, ne poursuivirent pas les fuyards...".
En suivant ce texte, vérifions maintenant la première hypothèse : le camp de César se situe dans la région immédiate de Toulon-sur-Arroux. C'est l'hypothèse jusqu'alors généralement retenue, depuis la fin du XIXe siècle. On peut se poser la question de savoir où sont installés les autres camps des légions romaines, car il est bien évident que César n'a pas groupé ses 60.000 combattants dans un seul camp. Cette question est pertinente dans toutes les hypothèses retenues, et personne semble-t-il n'est en mesure d'y répondre. Or cette inconnue donne une relative fragilité à toutes les démonstrations que nous pourrons faire. Nous admettrons donc que Toulon soit le camp où César se tenait, avec une ou sans doute deux légions, mais certainement pas davantage. Les tenants de cette interprétation situent la bataille aux environs de Mont-mort, et basent leur argumentation à la fois sur la toponymie (Mont-mort : Mont des Morts), les découvertes de fossés par Stoffel sur la colline d'Annecy, ainsi que celles de sépultures par Carion en 1889. De récentes études du mobilier provenant de ces sépultures n'établissent pas de rapport avec les Helvètes, ni avec les événements des années 58 (6). Les fossés de Stoffel seraient à réétudier et à dater. Quant à la toponymie, le seul terme de Montmort est insuffisant pour affermir les autres arguments. D'ailleurs, au vu du texte de César, les possibilités de situer la bataille à Montmort paraissent douteuses.
Nous voyons que César avait établi son camp à 3 milles de celui des Helvètes, soit 4 km 1/2, lesquels ne peuvent se trouver qu'au Nord ou à l'Ouest de Toulon. Au matin, les Helvètes lèvent le camp. Leur intention n'est pas de se rendre à Bibracte. Ils vont donc contourner le massif du Beuvray par le Sud, en empruntant une route qui devait les conduire dans la région de Luzy ou Avrée pour rejoindre l'axe Etang-Millay-Fours-Decize. Leur camp, à 4 km 1/2 au Nord ou à l'Ouest de Toulon, ne peut que se trouver dans la région de Montmort ou de Sainte-Radegonde, mais plus probablement vers Montmort, proche d'une route connue. Au lieu de les suivre, César se dirige sur Bibracte, par la route des Foires du Beuvray. Pour effectuer ce mouvement, il doit passer à Montmort, et c'est alors seulement que les Helvètes pourront découvrir, grâce à leur arrière-garde, qu'ils ne sont plus poursuivis. Ils constateront que César emprunte une route qui s'écarte progressivement de la leur. La bataille ne peut donc pas se situer autour de Montmort.
Enfin, comment interpréter le fait que les Helvètes aient pu effectuer un demi-tour et venir harceler l'arrière-garde romaine ?
Lorsqu'ils se rendront compte du changement de direction des Romains, ils auront un minimum de 5 km d'avance sur eux, et sur un autre itinéraire. Le demi-tour et le harcèlement ne peuvent donc qu'être le fait d'éléments de cavalerie placés en arrière-garde. Il n'est pas pensable que le gros de l'armée, alourdi par les chariots, puisse faire volte-face et rattraper les légions. Par contre, il est vraisemblable que les Helvètes, conseillés par leurs guides éduens, aient eu l'idée, laissant leurs chariots en arrière, de forcer leur allure pour augmenter leur avance, et pouvoir ainsi, grâce à un mouvement ultérieur vers la droite, couper aux Romains la route de Bibracte en utilisant un chemin de traverse.
[6] GUILLAUMET (Jean-Paul). Les mouvements celtiques du Ve au Ier siècle avant notre ère. La défaite des Helvètes. Extrait du XXVIIe colloque international, Nice, 19.09.1976, C.N.R.S.