Evasion fiscale

Journal de bord des actions du collectif STOP ÉVASION FISCALE

Récupérons les milliards de l'évasion fiscale pour financer les transitions

Denis Dupré

Jouquetti Libre éditeur, 2019.

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La transparence fiscale des grandes entreprises

En 1996, j’ai été très impressionné par le courage de 7 juges qui se sont publiquement élevés contre la corruption par leur Appel de Genève. Quatre ans plus tard, j’ai été contraint d’admettre que, malgré leur initiative, les pratiques illégales des entreprises, des individus et des politiques continuaient à se développer dangereusement (voir ici et lire le chapitre 4 de Capitaliste et fier de l'être : 7 principes pour sauver nos âmes).

La traçabilité des transactions financières était pour moi une urgence. Selon mes calculs, en 2001, la maffia contrôlait déjà 20% des entreprises mondiales et le blanchiment de l'argent rapportait aux banques plus que leurs bénéfices ([2]).

En 2008, dans le livre "La Planète, ses crises et nous" avec Michel Griffon, nous avons consacré plusieurs chapitres aux pratiques mafieuses, à la corruption et aux paradis fiscaux ([5]). Il m’apparaissait que nous étions tous complices de ne pas se mobiliser contre le développement exponentiel de l’économie mafieuse que permet la finance moderne ([4]).

En 2009, à un moment où le gouvernement français affirmait s’attaquer à l’évasion fiscale, en constatant que les juges d’instruction ayant le pouvoir de mettre le nez dans les magouilles financières, étaient mis au placard, je me suis interrogé ([9]) sur des connivences de moins en moins dissimulées et de plus en plus généralisées.

En décembre 2015, un étudiant en économie a attiré mon attention sur une étrange séance nocturne à l'Assemblée Nationale. Avait été voté, en soirée, un amendement pour obtenir une transparence permettant au citoyen de surveiller les pratiques fiscales des très grandes entreprises. Or, quelques heures plus tard, à la demande du Ministre du budget, ce vote a été annulé. Dans la même nuit, suite à un ballet inexplicable d’entrées et de sorties de députés, un nouveau vote a eu lieu. L’amendement a été ainsi finalement rejeté.

L’article que j’ai alors rédigé ([53]), a été relayé sur des dizaines de milliers de comptes Facebook. Suite à cette réaction, avec un petit groupe, nous avons engagé une mobilisation qui a pris une très grande ampleur. Par trois fois, nous avons interpelé individuellement les 577 députés français. Seulement 2 d’entre eux, Pascal Cherki et Eric Alauzet, ont pris contact avec nous. Ils faisaient partie de ceux qui avaient tenté de défendre l’amendement! Pour un grand nombre d’autres, il a été très désagréable de devoir se justifier auprès de leurs électeurs qui les ont questionnés suite à cet article de presse.

Cette pratique d’annulation d’un vote est légale mais elle nous est apparue illégitime et anti-démocratique. Cet amendement était fondamental pour le contrôle des citoyens sur l'impôt. Nous avons lancé une pétition "Faire passer une loi pour contrer l'évasion fiscale" qui a rapidement dépassé 100 000 signatures. Nous avons alors mis en place un site internet Stopevasionfiscale pour communiquer sur nos actions.

En janvier 2016, est soumis au vote un nouveau projet de loi présenté comme une avancée pour la transparence économique. De fait, des manœuvres dirigées par le gouvernement et un absentéisme qui parle de lui-même, feront passer à la trappe le volet « transparence » ([54]) sous le prétexte que la France ne pouvait devancer l’Europe à ce sujet.

Une équipe du collectif Stopevasionfiscale est reçue en mars 2016 à l'Assemblée Nationale par le député Alauzet (vidéo ici).

Nous rencontrons aussi à Bercy, un conseiller du Ministre des finances ; nous lui remettons les signatures de la pétition et une lettre demandant au Ministre s’il était favorable à la transparence en France et s’il la demanderait au niveau Européen. La lettre n’a pas eu de réponse à ce jour mais cet entretien nous confirme alors que le Ministre Sapin n’intégrerait pas le reporting public à la Loi en réexpliquant que la France ne ferait pas plus que ce qu'exigerait l'Europe et qu’il ne tenait pas à ce que le Conseil Constitutionnel retoque sa Loi.

Je rédige alors un article pour rappeler aux garants de la Constitution, les membres de notre Conseil Constitutionnel ([63]) pourquoi ils doivent soutenir cette transparence fiscale. Je fais les calculs : l’argent de l’évasion fiscale pourrait financer 2 millions d’infirmières alors qu’on nous annonce la suppression d’ici fin 2017 de 22000 postes ([56] et [57]).

Après ces démarches, il nous est apparu nécessaire de porter la question au niveau européen. Nous avons mobilisé des citoyens allemands, espagnols, italiens et grecs par un article publié dans le journal Huffington Post de ces différents pays ([61] traduit en allemand [62], en grec [60], en espagnol [59] et en italien [58]). Des dizaines de milliers de mails sont parvenus au Commissaire Européen, Pierre Moscovici, pour que l'Europe ne cède pas aux lobbies économiques des grandes entreprises qui sont opposés à cette transparence.

Finalement, le 8 avril 2016, alors qu’une équipe du collectif Stopevasionfiscale était reçue à l’Élysée pour la forme (peut être en raison de notre protestation humoristique ici, nous avons pu échanger avec le Commissaire européen Pierre Moscovici. Il nous a alors affirmé vouloir mettre un pied dans la porte pour éradiquer l'évasion fiscale.

Rencontre du collectif STOPEVASIONFISCAL (Bernard Augier, Emmanuel Prados et moi) avec le commissaire européen Pierre Moscovici, 8 avril 2016, Paris.

Malheureusement, la porte a dû se refermer lourdement sur son pied car la transparence pour les citoyens ne passera ni en Europe ni en France ([65]). Rien ne change : Juncker, ex premier Ministre du Luxembourg responsable de la politique fiscale si particulière de son pays est toujours président de la Commission Européenne alors qu’Antoine Deltour, le lanceur d'alerte ayant dénoncé les pratiques du Luxembourg, ([64]) fait face aux juges.

En mai 2016, dans le processus de discussion de la Loi Sapin, un amendement pour imposer un reporting public des grandes entreprises est à nouveau proposé. Moins d'une vingtaine de députés le défendront tout en faisant face à des pratiques de déstabilisation de la part du gouvernement [67]).

La décision pour cet amendement s’est jouée, le 9 mai 2016, à 15 votes pour et 24 votes contre. Où se tenaient les autres députés? ([68]). Le Ministre Sapin, venu en personne surveiller ce vote, s'est, une fois encore, retranché derrière le risque d’inconstitutionnalité d’un vrai reporting public. J’y vois plutôt l'efficacité des lobbies des grandes entreprises ([69]). La lâcheté des députés et le mépris des citoyens ont conduit à maintenir les injustices et à préparer la destruction des services publics notamment de santé et d'éducation ([77]). Mais plus grave, le dernier espoir démocratique de représentation du peuple vient d'être écrasé [71]).

En septembre 2016, déstabilisé par une blogueuse qui l’interroge, le président de la Commission Européenne, Juncker, va dévoiler que, comme le Luxembourg, la France pratique des arrangements entre les entreprises et l’administration fiscale ([70]).

En décembre 2016, je ne peux que déplorer comment notre Conseil Constitutionnel a repoussé ce qu’il restait d’efficace dans la loi Sapin II en faisant primer la liberté des entreprises devant celles des citoyens ([88]). Je décris les conséquences de cette posture sur les économies décidées sur l’hôpital public ([92]).

En 2017, les scandales en matière de fraude fiscale sont devenus des habitudes. Alors que suite aux révélations des Paradise Papers, Moscovici, notre Commissaire européen promettait encore d'agir, j’ai dénoncé l’hypocrisie française qui ménage des paradis fiscaux qui lui rendent finalement de si grands services ([95]).

Fin 2017, je m’interroge sur l’évolution des lois françaises et je m’inquiète pour la liberté d’expression, en particulier celles des journalistes lanceurs d'alertes sur l'évasion fiscale ([99]).