C’est aux profondeurs de la terre qu’appartiennent les sites naturels les plus curieux. Là, au cœur même des massifs calcaires s’est creusé d’abord, s’est orné ensuite, goutte après goutte, au rythme géologique, le monde mystérieux des paysages souterrains.
Jamais on ne pourra inventorier de façon exhaustive les incommensurables labyrinthes souterrains qui existent sous nos régions.
Insoupçonnées, d’immenses cavités, où coulent de mystérieuses rivières dont on ignore jusqu’à l’existence, continuent à demeurer inaccessibles et le resteront probablement toujours.
Qui sait s’il n’existe pas au fond d’une de nos forêts, dissimulé au plus profond d’une doline, un de ces grands gouffres inexplorés, rêve secret de tout spéléologue ...
Formation des grottes :
Transportons-nous quelques instants sur les bords d’un ruisseau circulant à travers champs, sur un sol imperméable. Il creuse au fil de son cours un petit vallon par érosion mécanique de l’eau, prenant des directions au gré des endroits les plus friables. Par la simple loi de la pesanteur, ce ruisseau va tenter de rejoindre son « profil d’équilibre », en s’enfonçant de plus en plus profondément jusqu’à ce que son niveau soit égal à celui de la rivière plus importante dont il est l’affluent.
Lorsqu’il rejoint un sol calcaire, il va disparaître complètement dans l’une des nombreuses fissures que recèle cette roche. Nous nous trouvons alors en présence d’une « perte », « chantoire », « aiguigeois », « goule », etc….
Ces vocables varient en général suivant la région mais désignent tous le même phénomène, l’absorption d’un cours d’eau par un terrain calcaire. A partir de ce moment, au cours des âges, ce ruisseau s’est insinué sous terre, sur un parcours de longueur variable, et a fait sa réapparition à l’air libre sous forme de « résurgence » ou « fausse source ». Cet ensemble porte le nom de « percée hydrogéologique ».
Contrairement à ce que beaucoup de gens peuvent penser, l’érosion mécanique de l’eau n’est pas le seul facteur de creusement d’une grotte. Ce sont à la base les fracturations de la roche calcaire, trop rigide pour encaisser les variations de pression dues aux mouvements tectoniques, qui vont permettre l’altération mécanique mais surtout chimique. En effet, les eaux de surface en s’engouffrant dans ces fissures vont littéralement dissoudre la roche.
L’explication est en fait simple et très facile à se représenter :
la respiration des végétaux, la décomposition organique, et plus récemment la pollution sont autant de facteurs augmentant la teneur en CO2 dans l’air. Lorsqu’il pleut, l’eau (H2O) forme avec le dioxyde de carbone de l’acide carbonique :
H2O + CO2 = H2CO3
la roche calcaire est principalement constituée de carbonate de calcium (CaCO3). Lorsque l’eau de pluie, chargée en acide, pénètre les fracturations, elle pourra attaquer le calcaire et le dissoudre en formant un sel soluble dans l’eau :
H2CO3 + CaCO3 = Ca (HCO3)2 (hydrogénocarbonate de calcium)
la matière est ainsi peu à peu dissoute et emportée au gré des écoulements souterrains.
Par les fissures se formeront des galeries étroites et hautes. L’érosion chimique entre deux strates rocheuses formera quant à elle des galeries très basses et larges. Les impuretés présentes dans la roche à l’origine sont aussi emportées, puisque libérées du calcaire, et déposées plus loin lorsque le débit diminue, sous forme de limons, de galets, etc…
Ceci explique comment une petite galerie peut être totalement obstruée par du remplissage et compromettre l’accès à la suite d’un réseau.
Les crues sont dans cette perspective des facteurs très importants car trop rapides pour l’érosion chimique, elles transportent rapidement quantité de limons et de petites pierres qui peuvent en quelques heures condamner un passage étroit ou instable d’une partie active. Heureusement, ces risques nous sont bien connus et maîtrisés. Par opposition, un réseau fossile n’est, par définition, plus alimenté (en général). Il constitue un étage supérieur d’un réseau actif et ne présente donc aucun risque majeur à quelques exceptions de cavités bien renseignées.
Formation du concrétionnement :
A l’intérieur de beaucoup de cavités, l’air est pauvre en CO2, et c’est pour pallier ce manque que les réactions chimiques corrosives s’inversent. L’hydrogénocarbonate de calcium se retransforme d’une part en acide puis en eau et en CO2, d’autre part, en aragonite et en calcite (cristaux de CaCO3 débarrassé de ses impuretés) qui se déposent en formant les concrétions les plus diverses.
Elles prennent différentes formes sous les effets conjugués de plusieurs facteurs (débit d’eau, température, cristallisation, ...) et orneront les grottes avec plus ou moins de variété et d’abondance. Les concrétions obtenues sont parfois rares, minuscules, plus difficiles à déterminer et peu connues des spéléos sportifs qui font de toute concrétion une simple stalagmite ou stalactite.
Cela entraîne leur destruction par manque d’attention ou par simple amusement dans certains cas. Plusieurs centaines d’années sont nécessaires à leur développement. Les détruire est irréversible et enlève malheureusement une part de mystère et de beauté à nos grottes.
Peut-on respirer sous terre ?
Oui, l’air occupe tous les vides sous terre. On peut respirer grâce à la circulation de l’air dans les grottes : l’hiver, la grotte étant plus chaude que l’extérieur, l’air s’y réchauffe et donc s’élève (mécanisme permettant aux montgolfières de voler), ressortant par les entrées les plus élevées de la cavité (celles-ci peuvent être simplement de fines fissures). L’été, le phénomène s’inverse : les entrées les plus hautes aspirent l’air extérieur plus chaud, et l’air froid ressort au ras du sol (phénomène très exploité lors de la prospection).
Cependant, il existe des lieux dans lesquels s’accumule un gaz plus lourd que l’air, le CO2 produit par la décomposition des végétaux en surface. Ce gaz inodore, s’il est en trop grande proportion peut devenir très dangereux ! Si donc on éprouve des difficultés à respirer, si on a mal au crâne, il ne faut pas hésiter à rebrousser chemin et à s’élever (le CO2 étant plus lourd que l’air…).
La visite par les spéléologues de certaines cavités dans lesquelles se rencontre ce phénomène, demande certaines précautions.
Enfin, pour être complet, certaines parties de cavités sont noyées sous eau. On parle alors de siphons pour lesquels un équipement et des techniques de plongée bien spécifiques sont requis.
Protection des grottes :
Cet univers de nuit, témoin du passé de la nature, ce monde du silence minéral qui fascine ses visiteurs est trop souvent ignoré et aussi pollué par beaucoup de personnes parce que peu connu. Ce manque d’information entraîne de plus en plus la fermeture définitive de grottes par mesure de protection, réduisant ainsi l’espace vital de la spéléologie en Belgique. Une grotte n’est pas un égout ou une poubelle et encore moins un endroit pour faire une virée avec des copains et s’amuser à casser ce que la nature a mis plusieurs milliers d’années à façonner. La spéléologie n’est pas un sport de masse. La surpopulation dégrade inévitablement. C’est pourquoi la pratique sportive est régie par un code de déontologie strict qui vise à minimiser l’impact de la fréquentation sous terre.
Notre club insiste tout particulièrement sur ce respect du milieu dont nos membres doivent faire preuve.
Les grottes constituent un environnement fragile, toute atteinte est irréversible. Une concrétion cassée ne se répare pas, un déchet reste sur place.
De plus, sans une prise de conscience urgente, le sous-sol belge risque de ne plus pouvoir « digérer » les pollutions engendrées par l’activité humaine et devenir un lieu peu fréquentable, dénué de tout intérêt. En effet, les engrais agricoles, les résidus industriels ou domestiques, les pesticides, les abandons de cadavres d’animaux, occasionnent des dégâts catastrophiques. Les spéléologues jouent ici un rôle fondamental en dénonçant aux autorités responsables ces dérives de notre société, préjudiciables pour la qualité des eaux qu’elles soient captées ou non. Il faut savoir qu’une très grande partie des réserves en eaux des années 2000 se trouve sous nos pieds, dans les grottes, et qu’il est d’ores et déjà impératif que les pouvoirs publics soient sensibles à leur protection, en collaborant avec nous, les spéléologues.