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Au jour, le jour.

Oh, je précise, je n’ai pas pris de notes au cours de mon voyage, au nom d’un principe "ce qu’on oublie, ne vaut pas la peine d’être retenu". J’ai un pote sur internet, lui, sa devise, c’est "ce qui traîne, ne vaut pas la peine d’être ramassé". Salut Mol !

C’est donc juste ce dont je me souviens. Je n’ai mis ici que des trucs que je n’ai pas pu vous refiler, lors de vos questions, des fois que ça intéresse quelqu’un. Mais je ne raconte pas tout non plus, même si je me souviens. Ah ben non, y a des choses qui sont trop personnelles, que je garde pour moi, je ne les écrirai même pas dans mes archives personnelles et secrètes. Ça restera uniquement dans ma tête.

Premier jour :

Au sortir de la gare de Nantes, j’ai pris une rue vers l’est, sans trop me soucier où elle me menait. (Pour ceux qui ne savent pas, l’est, c’est simple à trouver, le matin, quand il fait soleil, c’est du côté du soleil). Quand elle s’est mise à monter, la rue, au carrefour suivant, j’ai pris une voie descendante, et je suis tombé sur la Loire. Et là, j’ai observé le sens du courant. Comme je voulais aller à sa source, j’ai su de quel côté il fallait que j’aille. Vous voyez, c’est facile, de se diriger.

Ah j’ai oublié, dans le train qui m’a mené à Nantes, il y avait une femme qui avait des chaussettes tout à fait jolies, avec plein de jolies couleurs, et surtout chaque doigt de pied avait sa petite gaine à lui, des chaussettes-gants, si vous voulez, alors que nous, généralement, on a des chaussettes-moufles.

A l’endroit où j’avais prévu de m’arrêter, curieusement, l’hôtel était complet. Complet, comme ça, en pleine semaine, en pleine campagne ? Bon, j’ai continué, jusqu’à une chambre d’hôte que l’on m’a indiquée, mais il n’y avait personne, j’ai continué vers une autre chambre d’hôte que l’on m’a à nouveau indiquée. Mais ça m’a fait une longue journée pour un premier jour.

Deuxième jour :

Passage par Saint-Florent le Vieil, où ont eu lieu des exécutions sommaires d’enfants, et de femmes, pendant la révolution, au prétexte qu’ils étaient vendéens. Oui, il y a souvent eu loin des principes de la révolution à la réalité du terrain.

Arrivée exténué, à Montjean. On prononce Mont’jan, en prononçant bien le T. La nana de l’office de tourisme a téléphoné au patron de l’auberge au bord de la Loire. C’était son jour de fermeture, mais il m’a pris quand même. Il m’a même fait un plateau repas tout à fait distingué, je ne me souviens plus du menu, mais je me souviens que c’était très bien. Il m’a proposé de me mettre un verre de vin, ce que j’ai accepté. Sur la note le lendemain, j’ai trouvé le verre de vin un peu cher, 5 euros, mais je dois reconnaître qu’il était très bon. Du Sancerre, si j’ai bonne mémoire.

Troisième jour : Traversée des coteaux du Layon.

Je me suis un peu égaré, et quand je m’en suis rendu compte, j’ai fait du hors-piste pour rattraper le temps perdu. J’ai atteint, aux Ponts-de-Cé, un hôtel, sur un bras de la Loire, le Louet. On prononce le Louette. Salut Anne. (Je dis "Salut Anne", au passage, parce que Anne, elle s’appelle Le Louet, aussi. La dernière fois que je l’ai vue, Anne, elle m’a dit qu'elle habitait Square du Roi Arthur. Ça, c’est une belle adresse, le roi Arthur. Y a aussi le papier timbré, qui est juste à côté, et certains trouvent laid. Ils ont tort, une rue du papier timbré, c’est comme un bras d’honneur, à la cruauté de Louis XIV, qui a fait pendre je ne sais combien de Bretons, et envoyé un tas d’autres aux galères, à propos du papier timbré justement. Madame Sévigné l’a rapporté d’une façon absolument abjecte, honte à elle. On peut discuter de l’intérêt de faire un bras d’honneur à un type qui est mort depuis 300 ans bientôt. Oui, ça ne sert à rien, je suis d’accord, mais ça soulage.)

L’hôtel étant assez cher, je me suis permis d’être assez exigeant, et j’ai demandé à changer de chambre, car dans celle qui m’avait été affectée flottait des odeurs de tabac d’un précédent occupant. J’ai horreur du tabac. Quand, sur un trottoir, je me trouve derrière quelqu’un qui fume, faut que je dépasse, ou que je change de trottoir.

Quatrième jour :

Arrivée à Saint-Rémy-La-Varenne, dans une chambre d’hôte, dans un château. J’étais seul avec le châtelain, qui semble-t-il était un ancien agronome, car il connaissait très bien l’agriculture. Il avait des noix très grosses et très bien conservées. Je lui ai demandé son truc, car moi, les miennes, de noix, je n’ai jamais pu les conserver, elles moisissent tout le temps. Il m’a demandé d’où j’étais. J’ai répondu du centre-Bretagne, bien sûr. Il s’est étonné que sur un terrain si acide je puisse avoir des noix. Je lui ai confirmé que j’en avais, moins grosses que les siennes, certes, mais j’en avais. Mais que je n’arrivais pas à les conserver. Alors il m’a dit son truc, il faut les faire sécher, ventilation et chauffage électrique, pendant huit jours, ça lui coûtait une fortune parait-il, en électricité, mais il avait des noix tout l’hiver, tout le printemps, et même l’été.

Cinquième jour : Saumur.

J’ai attrapé un coup de soleil, sur les oreilles, je me suis acheté une crème solaire. L’office de tourisme m’a fait payer un euro pour me réserver une chambre.

Sixième jour : Montsoreau.

En passant, j’ai visité une exposition de photos. L’artiste, Patricia Méaille était là. J’ai discuté avec elle. Elle a fait un livre de photos, et c’est François Cavanna qui a écrit le texte.

- Ah vous connaissez François Cavanna ? Personnellement ? j’ai fait.

- Oui, elle m’a fait.

Et nous avons discuté pendant une demi-heure de François Cavanna. Je croyais avoir lu tout Cavanna, et je ne connaissais pas son ouvrage avec Patricia, "La cabane au fond du jardin". Je l’ai lu sur place. Les livres de photos, c’est vite lu, la préface, et un petit texte de 3 ou 4 lignes en regard de chaque photo.

Dans le lot, il y avait une photo prise à Bon-Repos. Ce n’était pas une cabane au fond du jardin cette fois, c’était une cabane au dessus du Daoulas. Le Daoulas, vous pensez si je connais. Tiens, un jour je vous raconterai Marie du Pontho, le Daoulas passe au Pontho aussi.

- Ah, vous connaissez Bon-Repos ? Car je suis d’un patelin à côté de Bon-Repos.

Et on est reparti à parler de la vallée du Haut Blavet, des landes de Liscuis, tout ça.

Du coup, quand moi aussi, j’ai vu une cabane de fond de jardin, je l’ai photographiée, mais je n’ai pas son talent, et je n’ai pas été très satisfait du résultat.

Le soir, j’étais dans une chambre d’hôte, dans un château. Chère, la chambre, certes, mais quel luxe. Je crois bien que je n’ai jamais dormi dans un lit aussi moelleux. Et puis, le petit déjeuner le lendemain matin, un service, je ne vous raconte pas, fait par le châtelain lui-même, en personne, je me suis demandé si je n’étais la réincarnation de Louis XIV. Tout ça, pour 57 euros.

Septième jour : Chinon.

Une centrale nucléaire qui lance ses volutes dans le ciel. Un hôtel très bien. Au petit déjeuner, il y avait le choix, beurre demi-sel, ou beurre doux.

Ah oui, faut que je prévienne les Bretons qui s’aventurent dans les voyages lointains : quand on quitte la Bretagne, on ne trouve plus de beurre demi-sel. C’est une calamité, mais c’est comme ça, faut faire avec, comme le vent et la pluie. Ben là, il y avait encore le choix, doux ou demi-sel, mais c’est la dernière fois que j’ai trouvé du beurre demi-sel.

Dixième jour : Tours-Amboise.

Le matin, peu après Tours, j’ai vu un truc à photographier. J’ai posé ma casquette, pour être à l’aise. Mais l’endroit où j’étais ne m’a pas semblé adéquat pour le cadrage, je me suis reculé d’une dizaine de mètres, j’ai fait ma photo, j’ai profité de l’arrêt pour boire un coup, ré-équilibrer mon sac, et je suis parti sans prendre ma casquette. Je m’en suis aperçu 5 kilomètres plus tard. Mais j’allais pas revenir et faire dix kilomètres pour récupérer cette sacrée casquette, qui d’ailleurs était assez inadaptée, visière pas assez longue, et qui ne me protégeait pas bien du soleil, puisque je m’étais pris un coup de soleil, un peu avant Saumur.

A midi, j’ai été saisi d’une douleur au niveau du haut de la hanche droite, plus moyen de faire un pas. Je me suis arrêté pour casser la croûte, puisque c’était presque l’heure du casse-croûte. C’est allé un peu mieux l’après-midi. Mais j’avais toujours cette douleur à la hanche, quand je marchais. A l’arrêt, je n’avais pas mal. J’ai réussi quand même à me traîner jusqu’à Amboise. Mais je me suis fait du souci pour la suite de mon voyage.

Le lendemain, j’ai toujours eu cette douleur, mais moindre, et les jours suivants, elle a disparu, sans que je sache pourquoi ni comment. Partie comme elle était venue.

Avant Amboise, comme il faisait chaud, j’ai enlevé ma polaire, et je l’ai accrochée à mon sac. Mal, probablement, car elle s’en est échappé sans que je m’en rende compte. Perdue la polaire. Dans la même journée, perte d’une casquette, perte d’une polaire, faut que je me re-saisisse. Bon, la casquette ce n’était pas bien grave, mais la polaire, comment je ferai quand j’aborderai les hauteurs de l’Auvergne ? Et puis, j’y tenais à ma polaire, je l’avais gagné à un concours organisé par Renault, pour le lancement de la Mégane. Y avait marqué Mégane, dessus, mais c’était discret et presque chic. Ma polaire, c’était presque mon carré Hermés, à moi. Enfin, selon le critère de certaines élégances, car moi, le carré Hermés, avec le Hermés, bien en évidence pour que personne ne l’ignore, je trouve ça particulièrement ringard. Mais bon, je n’irais pas jusqu’à m’en plaindre, je suis par ailleurs un actionnaire très satisfait des dividendes servis par Hermés. Ce qu’il y a de bien avec la bourse, c'est que quand tu vois que des gogos se laissent avoir par la pub, la frime, et de plus en redemandent, tu peux en profiter pour te faire du blé. Bon, je vous dis ça comme ça, mais vous n’êtes pas obligés de m’écouter, parce que si on est trop à essayer de se partager les bénéfices d’Hermés, il n’y en aura pas beaucoup pour chacun.

Dix-septième jour : Dampierre-en-Burly.

A midi-midi et demie, j’étais dans un petite ville dont je ne me souviens plus du nom. Et j’ai demandé à une dame assez âgée qui revenait de faire ses courses s’il y avait dans les environs un endroit tranquille, jardin public avec un banc par exemple, pour casser la croûte. Elle m’a renseigné, et m’a pris pour un SDF. Elle m’a dit qu’autrefois, elle aussi, elle était SDF. Qu’après, elle avait vécu en caravane, mais que maintenant elle était dans un appartement. Je me suis bien gardé de la détromper. Suprême plaisir, qu’une ancienne SDF me prenne pour l’un des siens.

Beaucoup de difficultés pour trouver un hôtel, et quand j’en trouve un, il est quasiment entièrement occupé par des gendarmes. Oui, il y avait dans les parages un rassemblement de "gens du voyage", -"gens du voyage", c’est pour parler correctement, je ne veux pas d’histoire avec SOS-racisme- Et des renforts de gendarmerie étaient venus de Bretagne et des pays de Loire pour canaliser la situation. Mais les gendarmes ne sont pas gens désagréables au petit-déjeuner. Ils sont même assez drôles, je trouve. Si, si, mais bon, là, ils n’étaient pas encore en service. Mais pendant le service, un gendarme, ça ne rigole pas. Mais c’est normal, sans ça, où on irait ?

A côté de Dampierre-en-Burly, ou peut-être même à Dampierre-en Burly, d’ailleurs, il y a une centrale nucléaire. J’aime bien le nuage de vapeur qui sort des centrales nucléaires. Si, si, je vous assure, c’est très joli, dans le matin, quand le soleil est du bon côté. Quant aux centrales nucléaires elles-mêmes, c’est un autre débat. En tout cas, il y en a beaucoup le long de la Loire : Chinon, Saint-Laurent-des-Eaux, celle-ci, et encore une autre plus en amont, je ne sais plus où. Ah si, à Belleville.

Dix-neuvième jour : Saint-Satur.

C’est juste à côté de Sancerre. Soirée étape à 38 euros, je n’en reviens pas, vu la qualité du repas et de sa présentation. Je ne me souviens plus du nom, mais c’est tout en bas, près de la Loire, dans une petite rue, vers l’amont de la Loire, juste à côté de la chapelle des mariniers. Si vous passez par là, n’hésitez pas.

Vingtième jour : La Charité-sur-Loire.

Il y a un gîte d’étape de 4 places. C’est cher pour un gîte d’étape, je trouve, 12 euros, d’autant qu’il est de qualité assez médiocre. La Charité-sur-Loire fait sa promotion touristique, comme étape sur le chemin de Saint-Jacques, et effectivement, il y avait deux pèlerines dans le gîte, en plus de moi. Mais des pèlerins qui sont arrivés plus tard, des Belges, qui venaient de Namur, qui étaient 4 ou 5, ont dû trouver refuge ailleurs. Alors, La Charité-sur-Loire, ce que vous offrez est déjà un commencement, mais encore un effort, s’il vous plaît ! Tenez, regardez donc, comment les amis de Vorey, une petite commune un peu avant Le Puy, font les choses.

Vingt-et-unième jour : Nevers.

A l’office de tourisme, la nana de l’accueil, à mon look, a décidé toute seule que j’étais un pèlerin et m’a dirigé sur la communauté des religieuses où a vécu Sainte Bernadette, de Lourdes. Mais elles n’avaient plus de place, elles avaient un séminaire ou je ne sais quoi, et toutes les places de leur accueil monastique étaient occupées. Mais j’ai tout de même vu Sainte Bernadette dans sa chasse. Ce qui m’a frappé, c’est qu’elle était toute petite. J’ai appris par la même occasion qu’elle est morte très jeune, Bernadette, et qu’elle souffrait d’affreux rhumatismes.

Le lendemain, je suis passé devant la stèle érigée à la mémoire de Pierre Bérégovoy, au bord du canal, à l’endroit même où il a choisi de finir sa vie. C’est un très beau lieu, un canal, doux, calme, des grands platanes. Oui, vraiment, un très bel endroit.

Vingt-cinquième jour : Arfeuilles.

C’est déjà en Auvergne, dans l’Allier.

-Ah, faut que je vous raconte Arfeuilles.

J’arrive au gîte d’étape, vers 5 heures et demie. Il y a là des gens, qui papotent dans la cour, et sans m’en soucier et sans vouloir les déranger, je vais pour entrer dans ce que je pense être l’entrée du gîte. Alors là, ils interviennent violemment :

" -Mais où allez-vous ? on a loué le gîte, c’est chez nous là !"

" -Ah bon, excusez-moi. Mais où est la réception du gîte, alors ?"

Ils se calment un peu, et m’indiquent où est la réception, mais la gardienne n’est pas là, faut que j’attende. La fille et le gendre de la gardienne arrivent très peu de temps après, et me disent qu’elle est en route, et qu’elle ne va pas tarder.

Bon, j’attends. Elle arrive en effet une demi-heure plus tard.

Et elle commence à me demander d’un air de reproche :

"- Vous avez réservé ?

- Non, je n’ai pas réservé."

(Mais je ne suis pas d’humeur à m’excuser, ni à lui expliquer pourquoi je ne réserve pas, chose que je vous ai expliquée par ailleurs.)

"- Ah, il fallait réserver, parce que le gîte est entièrement loué, à une famille, pour ses invités à un mariage.

- Ah bon, v’là qui est nouveau, les gîtes d’étapes sont loués pour des mariages maintenant, en totalité, sans qu’il reste une place pour les randonneurs ?"

Mais ça ne me gênait pas plus que ça, j’avais repéré, dans le patelin un abri de fortune qui pouvait faire mon affaire.

On en reste là. J’étais sur le départ, prêt à ré-endosser mon sac, quand elle revient :

"- En fait, j’ai encore une chambre, mais le ménage n’est pas fait."

Bon, allons-y, pour la chambre au ménage pas fait.

En fait, la chambre était tout à fait propre, avec tout ce qu’on trouve dans un gîte bien tenu, cuisinière, frigo, cinq lits, ou six, je ne me souviens plus. Enfin, peu importe, le nombre, je n’avais besoin que d’un seul.

Je pose mon sac et demande si elle offre des repas.

"- Ah, oui, mais il fallait réserver."

Ah, je comprends maintenant pourquoi, il fallait réserver.

Et elle continue :

"- Ah, parce qu’en plus, vous n’avez pas de quoi manger ?"

Je ne me formalise pas de sa remarque, et je réponds qu’il me reste un vieux quignon de pain, et quelques bricoles, ce n’est pas grand chose, mais je ne mourrai pas de faim, pour un soir. Demain, la supérette du patelin sera ouverte.

Alors, elle me dit de passer à sa loge, quand je me serai installé.

Ce que j’ai fait, elle m’avait préparé un énorme sandwich, avec fromage, saucisson, jambon cru, cornichon, et peut-être encore autre chose que j’ai oubliée.

Au moment de payer, le lendemain, elle m’a fait une facture sur le formulaire imposé par la comptabilité municipale, car c’était un gîte municipal. Et j’ai demandé ce que je devais pour le sandwich. C’est cadeau, qu’elle m’a dit. Bon, merci.

Quelques jours plus tard, j’ai rencontré un autre randonneur, qui était passé dans ce même gîte, et il m’a dit qu’on lui avait joué le même scénario. Curieux, non ?

Vingt-sixième jour : Lavoine.

Un peu avant midi, je passe à Mayet-Montagne. J’essaie de trouver l’office de tourisme. Généralement, il y a des panneaux indicateurs pour les offices de tourisme, mais là, il n’y en avait pas, ou alors, je n’avais pas regardé au bon endroit, je me renseigne auprès de quelqu’un dans la rue :

"-Qu’est-ce que vous lui voulez, à l’office tourisme ?" il me fait.

C’est curieux ça, je lui pose une question, et au lieu de me répondre, il me pose une question sur ma question, mais ce n’est pas fini.

Je lui dis que je cherche des renseignements sur les hébergements du patelin, et si possible une carte, même touristique et approximative de la région.

Là, il me dit que je ne trouverai pas ça à l’office de tourisme, et que, d’ailleurs, il fermait à midi, l’office de tourisme.

"- Ah ben ça tombe bien, il est onze heures et demie, mais je ne sais toujours pas où il se trouve, l’office de tourisme."

Il a consenti enfin à me dire où se trouvait l’office de tourisme, qu’il était actuellement dans un local provisoire, en attendant la rénovation de son local habituel, tout au fond là-bas, près de la DDE. Mais que je ne trouverai pas ce que je cherchais, et qu’il était le président de l’office de tourisme, justement.

J’y suis allé tout de même, j’ai trouvé des documents, un peu sommaires certes, mais mieux que rien. En revenant, je rencontre le camping-car décoré de fresques pieuses, comme je vous ai dit par ailleurs.

Je vais faire mes courses en passant, à l’Intermarché, la caissière me happe mon trèfle à quatre feuilles et le fait disparaître dans son soutien-gorge, ainsi que je vous ai dit par ailleurs aussi. Mais je n’ai pas fini avec Mayet-Montagne. Je veux prendre du pain. Trois boulangeries dans le patelin. Une, c’est son jour de fermeture, OK, rien à dire, les deux autres, à midi, plus de pain. A Mayet-Montagne, c’est comme ça, n’y a plus de pain à midi. Faut faire avec. Je suis obligé de retourner à l’Intermarché chercher du pain.

Dans Mayet-Montagne, il y avait une maison de la presse. "Ah, ben là, je vais trouver des cartes, jusqu’au Puy."

Mais ils n’avaient pas de cartes au 100 000 ième. Que des cartes au 25 000 ième, et des comme ça, il m’en aurait fallu 7 pour rejoindre Le Puy. 7 cartes, au prix où elles sont, c’est la ruine du randonneur. J’ai préféré m’abstenir, et continuer avec les palliatifs que j’avais trouvés à l’office de tourisme.

Bon, je quitte Mayet-Montagne, et je me dirige vers Lavoine. Je retrouve le GR, que j’avais quitté pour aller faire mes provisions à Mayet-Montagne. Heureusement il est très bien balisé, et je ne me perds pas. Mais, mais, mais... j’ai une douleur dans le cou de pied droit qui s’installe. J’arrive à me traîner jusqu’à Lavoine, et là, je m’adresse à la mairie pour savoir où est le gîte.

"- Vous avez réservé ?"

Mais cette fois la question est seulement informative, pas de reproches.

"- Non, je n’ai pas réservé.

- Parce que le gîte est réservé en totalité, par un groupe familial."

"- Ah ben, c’est une manie dans la région", j’ai pensé, mais je n'ai pas dit.

La secrétaire de mairie m’explique, qu’un pèlerin vient de passer, qu’il était dans le même cas que moi, mais que le gérant du gîte lui avait tiré un matelas de réserve, sur le sol d’une grande salle, attenante au gîte, que la même faveur pourrait m’être accordée. Elle a essayé de joindre le responsable, mais il s’était mis aux abonnés absents.

Voyant mon état pitoyable, elle s’est proposé de me conduire en voiture au gîte, distant de trois kilomètres, ce que j’ai refusé, disant que je pouvais encore marcher, même si ce n’était pas très vite. Mais elle a prétexté que de toute façon elle devait y aller pour régler je ne sais quelle affaire. Du coup, j’ai fait les trois derniers kilomètres en voiture. Mais l’histoire n’est pas finite.

Au passage, nous nous sommes arrêtés dans un restaurant cinq cents mètres avant le gîte, où elle m’a conseillé de commander repas et petit déjeuner. Ce que j’ai fait. Et elle a raconté notre histoire au patron du restau. Et à partir de là, le patron nous a materné. Ou paterné, comme vous voudrez.

S’est posé la question de la douche, puisque nous n’avions pas accès au gîte. Moi, je n’ai rien demandé, mais le patron du restau a trouvé inadmissible cette façon de faire du gérant, et il a organisé notre retour en voiture, moi, et mon collègue pèlerin, vers le bourg, pour une douche au vestiaire du foot. Oui, mais impossible de trouver la clé du vestiaire, il y en avait trente-six, de clés, à la mairie, mais aucune ne marchait. Le patron du restau nous a ramenés au gîte sans douche, et il est allé négocier avec les occupants du gîte, une douche pour deux pèlerins maintenus hors gîte, ce qu’il a obtenu.

Bon, nous voilà douchés.

Mon collègue a un vrai matelas, mais pas moi. Alors, il me file son matelas-mousse de randonneur, que je superpose au mien, ce sera un peu moins dur pour mes côtes.

Le patron du restau nous livre notre repas, excellent, coq au vin, fromage, vin. Simple, mais très bon. Le tout pour 15 euros, avec le petit déjeuner.

C’était un peu dur, le plancher, mais bon, ce n’est pas dramatique, pour une nuit. D’autant moins, que cette nuit ne m’a pas été facturée.

Vingt-neuvième journée :

Je passe à Ambert, où il y a de la fourme comme chacun sait. Le soir, je suis dans un gîte tenu par un jeune couple de Hollandais. Je n’ai jamais mangé aussi vilain. La cuisine hollandaise, très peu pour moi.

Trente-et-unième journée : Vorey.

Vorey, ce n’est pas très loin de Sainte-Sigolène. Si, si, ça existe, Sainte-Sigolène, c’est dans la Haute-Loire,

Vorey : le gîte le plus confortable de mon périple. Et le moins cher : 8 euros la nuit. Il y avait une cuisinière électrique, une machine à laver, et même la télé. On était deux dans le gîte, chacun dans sa chambre, comme ça, je n’ai pas su si mon collègue ronflait.

Trente-quatrième jour : de Goudet à Pradelles.

De Goudet à Pradelles, on passe à Landos. C’est bien curieux, Landos. D’habitude, dans les villages, quand il y a une fontaine, on vous dit si l’eau est potable ou pas.

Là, il y avait une pancarte "eau pas contrôlée". Les toilettes publiques, où j’espérais trouver un robinet, sont dégoûtantes. Landos, ça fait vraiment tache sur le chemin de Stevenson. Tous les autres villages, c’est propre, c’est joli, avec des fleurs partout.

Trente-cinquième jour :

Un peu avant Cheylard-L’évêque, on passe dans un tout petit village, Saint-Flour-de-Mercoire, où une troupe de théâtre a son quartier général. D’après les documents qu’ils exposent, ils ont fait des représentations au festival d’Avignon. A l’entrée de leur théâtre, il y a une citation de Jean Vilar, selon laquelle le théâtre, c’est plus important que le pain. Alors là, je proteste. D’abord, à mon avis, Jean Vilar, il prêche pour sa paroisse. Secundo, à mon avis toujours, Jean Vilar n’a jamais eu faim. Non, non, les choses les plus importantes, sont dans l’ordre,

avoir de l’air : sans air, tu meurs dans les cinq minutes,

avoir de l’eau : sans eau, tu meurs dans les 3 ou 4 jours,

et avoir de la nourriture : sans nourriture, pain ou autre chose d’ailleurs, -mais pain, c’est très bien-, tu meurs dans le mois.

Après seulement, tu peux t’intéresser au théâtre, aux arts, à ce que tu veux.

Alors, non, désolé de vous contredire, les gens les plus importants sur la terre, ne sont pas artistes, mais les paysans qui font pousser le blé, les meuniers, et les boulangers.

Voilà mon opinion.

Trente-neuvième jour : Anduze.

Le matin, il pleuvait comme vache qui pisse. Ça s’est calmé. Je suis parti. Erreur, ça s’est remis à pleuvoir, je me suis réfugié dans le hangar d’une entreprise d’adduction d’eau, attendant que ça se passe. Mais ça ne se passait pas. Je suis parti sous un crachin, je n’allais pas retourner à Saint-Jean-du-Gard, et ça ne s’est éclairci que deux ou trois kilomètres avant Anduze.

Quarante-et-unième jour : Pont-du-Gard.

Chef d’oeuvre du génie civil romain. Il tient encore debout. Mais bon, plus pour faire aqueduc. On reste tout de même abasourdi de tant d’élégance et de maîtrise technique. Vous imaginez un instant, les ingénieurs des ponts et chaussées de l’époque, faire tous leurs calculs avec des nombres en chiffres romains. Et sans ordinateurs. Non, non, juste papier et crayon. Je ne sais même pas si le crayon avait été inventé à cette époque. Et c’est encore debout. Chapeau.

Un peu en retrait du pont, il y a un bâtiment qui abrite des tas de trucs susceptibles d’intéresser les touristes et les enfants des écoles. L’architecte de ce bâtiment est manifestement très fier de son bébé, il y a une plaque où il dit ce qu’il a voulu faire, et pourquoi, et comment. Franchement, moi, ça me gonfle les architectes, qui ont besoin d’expliquer pourquoi ils ont choisi de faire comme ci plutôt que comme ça, en termes grandiloquents, en plus. Généralement je les trouve aussi mauvais en littérature qu’en architecture. Fermez le ban.

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