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Vous voyez bien que Florac est un écart. Et Notre-Dame-des-Neiges aussi.

Ah, sur le Stevenson, faut que je vous raconte une anecdote. A Pradelles, dans le gîte, (superbe, le gîte, par parenthèse), je me trouve dans un dortoir, avec deux ronfleurs. Comme les boules Quiès étaient un rempart insuffisant pour me permettre d'ignorer leurs ronflements, j'ai transporté mon matelas dans la cuisine, où j'ai pu dormir au calme.

A l'étape suivante, je me retrouve dans un dortoir avec encore les mêmes deux ronfleurs. Alors là, je me fâche, je re-sors aussi sec. Je prends le topo-guide, pour savoir où est le gîte suivant.

Il est à 20 Km, à Bastide-Puylaurent, et il est trois heures de l'après-midi. Allez, j'y vais, j'y arrive un peu après sept heures, vous voyez, je n'ai pas traîné. D'autant qu'en cours de route, j'ai téléphoné à l'abbaye Notre-Dame-des-Neiges, savoir s'ils pouvaient me recevoir.

Ah oui, faut que je vous dise, ils font un simili gîte d'étape à l'abbaye Notre-Dame-des-Neiges, mais ils ne le disent pas, accueil des pèlerins, ils appellent ça. Et c'est hors GR, mais comme Stevenson y est passé, c'est quasiment une étape obligée. Il n'y a pas de prix, on donne ce qu'on veut. D'après ce qui se disait sur le chemin, le repas est assez frugal à l’abbaye, en tout cas, trop frugal pour un marcheur de longues étapes, et il est bon d'amener ses provisions, mais ce n'est peut-être que des racontars, parce que je n'ai pas constaté par moi-même. Abbaye de Notre-Dame-des-Neiges ou Bastide-Puylaurent, c'était sensiblement la même distance à parcourir.

Je suis tombé sur le moine de service à l'accueil téléphonique, qui m'a dit qu'il avait déjà beaucoup de monde, alors, j'ai reposé ma question :

"- Pouvez-vous me recevoir, oui ou non ?"

La réponse a été claire cette fois : Non.

"- Voilà qui est clair, je vous remercie, Monsieur. Au revoir."

Non mais, ce n'est pas croyable, ça, à la fin, quoi, ces moines, qui ont oublié la prescription de l'Évangile, "Que votre réponse soit oui, si c'est oui, et non, si c'est non, car tout le reste vient du mauvais", Matthieu, chapitre 5, verset 37.

A Bastide-Puylaurent, le gîte d'étape est fermé, il ne commence sa saison que le 15 mai, et nous sommes le 10. Bon, heureusement, il y a deux hôtels. Dans ma précipitation, je prends le premier qui se présente, qui se révèle être aussi le plus cher. Mais bon... cinq euros de perdu, on ne va pas en faire une maladie, d'autant qu'il était très bien, et il y avait deux couples de randonneurs lyonnais, qui faisaient le Stevenson.

De Saint-Jean-du-Gard à 150 kilomètres de Rome, je n'ai rencontré aucun randonneur, ni aucun pèlerin. J'en ai juste entendu causer.

Le 16 juin, il fait très chaud, après mon casse-croûte de midi, je me suis installé sur un petit parapet, à l'ombre, au frais, pour faire une sieste, car il est impossible d'avancer par cette chaleur. Vers 3 heures et demie, je me prépare à répartir, et qu'est-ce que je vois ? deux pèlerins, qui s'amènent. Ah, j'en tiens deux.

En fait, il y avait un pèlerin et une pèlerine, la pèlerine étant la fille du pèlerin. Nous avons fait route ensemble, jusqu'à l'étape, la ville d'Acquapendente. C'étaient des Autrichiens. A Acquapendente, au gîte, nous en avons trouvé un autre, français celui-là. Il était de Nice. Il faisait la voie Arles-Rome, et il était passé par Briançon, et le Mont-Genèvre.

Un dimanche en Italie, alors que j’étais en train de casser la croûte, est passé un groupe de randonneurs italiens. Ils m’ont demandé ce que je faisais comme parcours. Je leur ai dit, ce qui les a beaucoup intéressés. Ils ont voulu tous me serrer la pogne. Une trentaine, ils étaient.

Trente pognes à serrer, ça fait long, mais comment se défiler quand tu as commencé, tu ne peux pas risquer de vexer les derniers. Et dans le lot, il y avait un grand costaud. Costaud, comme Jean-Claude, vous voyez le format. Je ne me suis pas méfié, et il m’a brisé la main.

Ouille, ouyouyouille. Jean-Claude, je le connais, et j’évite de lui tendre la main, quand je le rencontre. Ou alors, juste le bout des doigts. Mais il ne le fait pas méchamment, Jean-Claude, il est comme ça, il ne connaît pas force, c’est tout. N’est-ce pas, Jean-Claude ?

Qu'est-ce que se racontent les pèlerins, au gîte, le soir ?

- Oh, des histoires de pèlerins bien sûr. Par où ils sont passés, leurs projets pour les deux ou trois jours à venir, leurs choix de trajet, les restaurants, les gîtes, les petites misères de leurs pieds, leur fatigue... Mais très rarement des considérations religieuses. Et quand ça se présente, on se trouve généralement en présence d'un cas grave qui relève de la psychiatrie. Il me semble, en tout cas.

Ah oui, mais toi, tes convictions religieuses ?

- Ah, tu veux connaître mes convictions religieuses, vraiment ? Ça t'intéresse vraiment ? Bon, je te préviens, ça va être un peu long, mais tu l'auras voulu. Installe-toi confortablement.

D'abord, le mot "dieu" est un mot bien commode. Si tu dis "seul Dieu le sait", ça veut dire "personne ne le sait", tu es bien d'accord. Si une banque centrale marque sur ses billets de banque "Nous avons confiance en Dieu", c'est une façon polie de dire "nous avons une confiance limitée dans les hommes", non ? Et une façon de dire que ce billet de banque, lui-même, il ne faut pas trop lui faire confiance non plus. Ce qui est assez honnête, de la part de l'émetteur du billet de banque, je trouve.

Bon. Savoir si je crois en dieu ? Faudrait d'abord préciser ce qu'on entend par dieu.

Si c'est esprit créateur de notre univers, oui, pourquoi pas, à la limite, bien qu'au vu du résultat, l'univers tel qu'il est, il me semblerait plus raisonnable d'en attribuer la paternité au diable. A vrai dire, je n'en sais rien. Et en plus, je pense que c'est une question sans importance et sans intérêt, pour nous, actuellement. Nous avons des questions autrement plus importantes à régler.

Si c'est le juge de nos actions, qui seront évaluées au soir de notre vie comme le prétendent les religions, alors là, je dis un "non" ferme.

Si c'est un être extra-terrestre, auquel il faudrait rendre un culte, alors là, je dis "non". Et bien sûr, je dis encore plus "non", s'il faut rendre ce culte selon un certain rite, comme le prétendent les religions constituées. Et bien sûr, chacune disant que ce sont ses rites à elle qui sont seuls valables.

Si c'est un être, qui peut entendre nos prières, et notre demande à faire exception aux règles de fonctionnement du monde qu'il a établies par ailleurs, c'est "non", bien sûr.

Mais je suis assez proche de la pensée du pape actuel, Benoît XVI. Dans son premier discours, à Ratisbonne, il a affirmé sa pensée : "Dieu, c'est l'intelligence des hommes, en fait". Faut le faire pour un pape. Bien sûr, tout le monde lui est tombé sur le paletot, injure à l'Islam, à la révélation, tout ça. Mais il l'a dit.

Depuis, il n'a plus rien dit, et il se terre dans son trou, attendant que l'orage passe, mais je ne désespère pas d'une prochaine sortie.

On pourrait lui rétorquer : "Ah ben, si pour vous, Dieu, c'est l'intelligence des hommes, pourquoi vous ne dites pas : "Je crois en l'intelligence de l'homme", plutôt que "Je crois en Dieu". Ce serait plus clair pour tout le monde.

-Ah oui, mais vous comprenez, il nous répondrait certainement, c'est plus compliqué que ça, l'histoire, la tradition, les habitudes, les gens qu'il ne faut pas froisser...

Bon, reste le problème des rites. Oui, bien sûr, puisque c'est son gagne-pain, les rites, je ne vais pas jusqu'à espérer, qu'il dise un jour : "tout ça, c'est du folklore, ce n'est pas sans importance, le folklore, mais c'est du folklore."

Mais ça ne me gène pas plus que ça, le folklore, j'y participe même très volontiers, mais je sais que c'est du folklore. L’utilité du folklore, tu demandes ? Eh bien, transmettre et dire des choses qu’on ne sait pas dire autrement.

Au musée du Vatican, dans la section ethnologie, il y a des tableaux sur les principales religions qui peuplent le monde. Et bien sûr, un sur la religion chrétienne, qui, est-il expliqué, se rattache à la mouvance juive et islamique, mais, mais...

Mais, il y a une différence essentielle avec ses voisines, sa croyance en un homme-dieu.

L'homme, l'essentiel. L'homme, tellement essentiel, qu'il accède au statut divin.

On pourrait rétorquer, que l'homme-homme, c'est très bien aussi, pas besoin de divin, et il n'en serait pas moins essentiel pour cela.

Mais bon, elle est comme ça, l'Église. Mais faut la comprendre, le divin, c'est son gagne-pain.

Mais j'ai été content d'apprendre à l'occasion de mon voyage romain qu'elle portait en elle, l'Église catholique apostolique et romaine, l'idée, qui, me semble-t-il, elle cachait assez efficacement : "l'important, c'est l’intelligence de l'homme".

Voilà, ai-je été clair ?

Vous prenez des vitamines, quelque chose ?

(Ça, c'est la question de la patronne de l'hôtel 4 étoiles, qui, était française, comme je vous l'ai dit par ailleurs.)

- Rien du tout. Je mange normalement, comme tout le monde.

Mais si vous voulez que je vous fasse le détail, je peux.

En France, quand l'occasion s'en présentait, soirée-étape, c'est-à-dire dîner dans l'hôtel qui m'hébergeait. J'ai été agréablement surpris par la qualité des repas dans les hôtels du val de Loire, et de la qualité de la présentation. En soirée-étape, on n'a pas trop le choix du menu, mais partout où je suis passé, j'ai toujours trouvé très bien. A défaut, de soirée-étape, je tentais un restau modeste, où je me faisais servir une pizza, où un plat de pâtes, (les pâtes, c'est l'aliment de base du randonneur.)

A défaut de restau, je peux faire mon repas du soir de céréales, que les gens utilisent habituellement au petit-déjeuner, et de yaourt.

A midi, pique-nique. Souvent c'était taboulé, on en trouve partout dans le rayon traiteur des supérettes, ou pain agrémenté selon l'humeur au moment des courses, la veille, de pâté Hénaff, (ah ben oui, on n'est pas breton, impunément), de thon Saupiquet, ou de maquereaux (Saupiquet aussi), ou de fromage, (calendo, ou fromage du coin, s'il me semblait sympa), puis un fruit ou une crème-dessert.

Le matin, quand le petit déjeuner n'était pas fourni, pour moi, c'était céréales et yaourt.

En Italie, il n’y a plus de taboulé, (si, une fois, j'ai trouvé du "couscous", d'importation française, d'ailleurs, mais il était infâme, je n'ai plus réessayé), plus de pâté Hénaff, plus de Saupiquet.

Alors je me suis rabattu sur ce que j'ai trouvé, boite de boeuf en gelée, (du singe, on appelait ça à l'armée), boite de thon, mais il n'y avait pas la variété, ni la qualité. Il n'y avait le choix, qu'entre au naturel, à l'huile d'olive, et à l'huile de giraflore, (me suis demandé ce que ça pouvait bien être giraflore, mais j'ai deviné : gira, giro, c'est le tour, et flore, c'est fleur, ça y est, je l'ai, c'est tournesol.)

Dans les rayons traiteurs des magasins, on trouve des parts de pizza, et de la salade à base de riz, -de la salade niçoise, quoi-. Des saucissons et des fromages, y en a de toutes les formes et de toutes les couleurs. Mais quand on ne connaît pas, on peut tomber sur des trucs dont le goût ne convient pas, excessivement épicé, par exemple.

Mais, il n’y a pas de galettes-saucisses. Ah oui, ça c’est un problème !

Pour mes petits déjeuners, et éventuellement mes dîners, j'ai trouvé un truc super en Italie, c'est le pot de yaourt de 500 grammes, crémeux. Un yaourt de 500 grammes, et des céréales, voilà mon petit déjeuner tout fait. Le même menu peut me servir de dîner. C'est curieux, qu'on en trouve pas en France. Pourtant dans les Carrefour, et les Leclerc, en Italie, y en a.

Y a des Carrefour, et des Leclerc en Italie ?

- Oui, oui, y en a. Y en a pas partout, mais y en a. Il me semble que Leclerc a racheté une chaîne de magasins en Italie, Conad, et qu'ils sont en train d'acclimater le consommateur au nouveau nom, car pour le moment, il y a Conad écrit en gros, et Leclerc écrit en plus petit.

Et le Vatican ?

- D’abord ce qui m’a frappé, c’est que c’est une forteresse entourée de remparts, un peu comme Saint-Malo intra-muros. Mais les remparts sont encore plus importants. Y a des caméras de surveillance tout en haut, et on n'y rentre pas. Sauf pour visiter la Basilique Saint-Pierre, et le musée. Ce n’est pas très étendu, j’en ai fait le tour. A l’intérieur, il y a des bâtiments, et des jardins, très bien tenus, que l’on voit quand on visite le musée. En Italie, les jardins que j’ai vus étaient plutôt mal tenus. Le Thabor, chez eux, ce serait le grand luxe.

Vous vous souvenez peut-être du défunt Jean-Paul II, et de sa manie de repentance qui faisait sourire tout le monde. Eh bien, en voyant le Vatican, on a l’impression, qu’il lui en restait beaucoup à faire, de repentance, et surtout à mettre les actes en phase avec le discours.

"Bienheureux les humbles" est-il proclamé dans l’Évangile (Mathieu, chapitre 5, verset 5, par exemple.) Et que voit-on de la part de la gardienne de ce message ? Une manifestation, sans cesse renouvelée à travers les siècles, de sa force et de sa puissance. "Bienheureux les pauvres", et une accumulation de richesses sur des siècles. Oui, des siècles.

Bon, je ne suis pas pour jeter aux ordures tous les trésors, peintures, statues, mosaïques, vitraux... détenus par

le Vatican. Mais est-ce vraiment la vocation de l’Église d’être gardienne de musée ?

Pour visiter Saint-Pierre, il y a en permanence une queue de cinquante mètres, les gens sur 4 ou 5 files. Pour entrer, au musée, c’est encore pire, le matin à neuf heures, il y a une queue de cinq cents mètres sur un trottoir qui fait 2 mètres 50, ou 3 mètres de large. On se laisse porter par le flot, et on progresse devant des peintures, des tableaux, des statues, des petites, des immenses, des moyennes... Avec les meilleures signatures de l’histoire occidentale de ces derniers siècles. Dans le tas, j’ai noté Bernard Buffet, et Dali. Eh oui, Dali aussi.

Ah, bon à savoir pour les radins, le dernier dimanche du mois, l’entrée est gratuite.

J’ai un moment pensé à profiter de cette gratuité, mais ça me compliquait un peu la vie, avec mon sac à dos qu’il aurait fallu que je mette à la consigne, et j’aurais été un peu juste pour être là sur la place Saint-Pierre pour l’angelus. Finalement, j’ai lâché mes 13 euros pour le visiter le samedi 23.

Qu'est-ce tu vas faire maintenant ?

- Oh, je n'y ai pas encore réfléchi, mais si vous avez des idées, je suis preneur.

La Corse, la Sardaigne, puis La Sicile, et retour sur Naples : Voir Naples et mourir, ça, ce serait bien, mais j'irai plus tôt dans l'année, parce que la question chaleur, c'était déjà limite, là, pour moi.

De l'Alaska à la Terre de feu, ça, ce serait bien aussi, mais à vélo, cette fois. Oh oui, parce qu'à pied, faudrait trop de temps. De l’Alaska à La Terre de feu, ça doit être facile, j’ai regardé la carte, ça descend tout le temps.

Souvent quand il faisait très chaud l'après-midi, pendant la sieste, j'ai rêvé de pôle nord.

C'est tout, plus de questions, on va en rester là alors. Je vous remercie.

- Ah, si, un dernier mot, car je ne vous ai pas dit le principal : c'est un grand bonheur de marcher dans des paysages magnifiques.

Si vous avez envie de tenter une expérience analogue, et qu’il y a des questions qui vous viennent à l'esprit, n’hésitez pas, vous savez où me trouver. Et je vais mettre ce qu’on vient de dire, sur internet. Bruno mettra peut-être un lien vers mon site.

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