Il n’y a pas de biographie pour la graphie
(Maurice Blanchot, Pas au-delà)
photographie de Jean Frémiot
" Arrière, la guenille !" (Gustave Flaubert, 1859)
J'éprouve toujours quelque répugnance à fournir des indications biographiques, dans la mesure où il y aurait amalgame entre vie privée, vie sociale, vie professionnelle, etc. Passionnante ou insignifiante, l’existence personnelle de l’auteur n'offre guère d'intérêt ; ce qui compte, ce qui devrait compter, c’est ce qu’il écrit. Le reste relève de l’anecdote, de l'accessoire, de la rubrique des chiens écrasés. Corrigeant Heidegger, Maurice Blanchot, dans « L’Ecriture du désastre », a opté pour cette formule lapidaire : « L’écrivain, sa biographie : il mourut, vécut et mourut ». L’oeuvre tend à cannibaliser son auteur. D'une manière plus plaisante, pourquoi ne pas évoquer Mère Térésa et sa pudeur à parler d’elle, arguant que Jésus, bien plus important qu’elle, n’avait bénéficié de son vivant d’aucune biographie ? Enfin, de façon humoristique, j’ai, pour les Editions de « La Vachette alternative » qui me la demandaient, rédigé une biographie parodique strictement limitée à mes relations avec la gent bovine, toutefois assortie d’une justification plus sérieuse de mes réserves en ce domaine, intitulée « De la Fatuité » et consultable sur le site de cette maison de microédition.
(Publiée le 13 avril 2009 et désormais dans la rubrique "Archives" (13 avril 2009) sur le blog : http://www.edition-36.net/archives.html).
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Quelquefois je délaisse mon nichoir d’écriture pour mon atelier-repaire, dans lequel je confectionne mes livres-objets. J’ai en effet la chance de résider dans un espace conséquent, au cœur de la campagne berrichonne que j’ai depuis longtemps adoptée. Là, je vis, entourée de livres. Depuis toujours, la lecture est ma passion, dévorante et exclusive. Pour moi, lire, c’est déjà écrire.
Ce n’est pas parce que je vis à l’écart de l’agitation urbaine et farouchement solitaire que je mène pour autant une existence recluse, indifférente au monde. D’abord, l’outil informatique, mon instrument de travail, m’offre une ouverture sur l’actualité foisonnante, tout comme sur les lointains et les jadis, aussi bien géographiques que temporels. En outre, par de nombreux projets collaboratifs avec des plasticiens (tels Gilles du Bouchet, Gérard Deschamps, Joël Desbouiges, Joël Frémiot, Philippe Boutibonnes, Hélène Durdilly, Magali Latil ou Karine Bonneval, pour n’en citer que quelques-uns), je me trouve immergée dans le milieu de l’art contemporain. Ce qui m’a tout naturellement conduite à préfacer des expositions ou à publier des articles dans des revues artistiques. Par ce biais également, j’ai été introduite dans le monde de la petite édition, laboratoire privilégié d’expérimentations, d’expériences-limites d’écriture, où toutes les témérités et audaces sont permises et accueillies avec ferveur. En aucun cas il ne s’agit de livres illustrés, mais d’une traversée, d’une équipée me liant, le temps d’un projet, à un artiste. Cordée pour une expédition aventureuse. Ce tissage fabrique une espèce d’acrobatie sans filet, ce que ne peut s’autoriser la grande édition. Ce travail m’impose inévitablement certaines remises en cause stimulantes de l’écriture et me contraint à recourir à d’autres outils que les seuls mots.
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Le Saint-Amandois bénéficie de la présence active des Editions « Poïein » qui disposent de surcroît d’un lieu de rencontres, d’échanges et d’expositions : la « Fabrique Poïein ». La Collection est principalement orientée vers le livre-objet et j’y ai à ce jour publié une douzaine d’ouvrages, qui m’ont donc permis de développer une réflexion sur le rôle et l’importance du support et sur les rapports entre l’écriture, l’image, le son, l’oralité. Depuis un certain temps, le livre n’est plus pour moi seulement un codex, mais un enchevêtrement, un entrelacement qui se ramifie en un archipel créateur de sens. Ces réalisations donnent parfois l’impression d’écheveaux énigmatiques dont il faut dévider un fil pour en découvrir les multiples facettes signifiantes. Par exemple, j’ai récemment cheminé à deux reprises avec Gérard Deschamps, pour la Collection « Poïein » et pour le « Livre pauvre », double occasion de faire dialoguer de manière inattendue nos deux pratiques.
Je suis de ce fait amenée à écumer les gondoles et à arpenter les rayons de divers magasins, de chiner à la recherche de supports de la grande distribution : éléments de décoration ou structures portatives, humbles gadgets ou bibelots à la frontière du kitsch (boule de neige, photophore, statuette, tapette à rats, arbre en tôle, etc.). Eux aussi sont à part entière des germes qui ensemencent le texte, une expérience aux confins de l’excentricité au sens strict du terme.
Parallèlement à ces livres funambulesques, trapézistes, j’ai une production plus traditionnelle, dans laquelle le souci partagé avec un artiste de la qualité du « beau » papier débouche sur une pratique en miroir entre mon écriture et l’œuvre plastique. Ce travail se situe alors à la périphérie de la bibliophilie à tirage limité : ainsi aux Editions du « Livre pauvre », orchestrées depuis Tours par Daniel Leuwers ; aux « Cahiers du Museur », animés depuis Nice par le poète Alain Freixe ; aux Editions « Double Cloche », dirigées depuis la Bretagne par le peintre-sérigraphe Yves Picquet…
Dans des textes plus longs et sans accompagnement visuel, je fais montre d’une écriture plus polémique et plus « engagée » dont l’ironie et la dérision ne sont jamais exclues, comme aux Éditons de « La Vachette alternative », chapeautées en Suisse par le plasticien et poète sonore Laurent Guenat. Il est en effet bon quelquefois de laisser courir sa plume et de vider son sac.
L’ensemble de mes publications a été présenté ce 23 février à la « Fabrique Poïein » : elles y ont été exposées dans leur diversité ; dans une rencontre-débat avec le public, j'ai développé mes thématiques récurrentes (l’Orient, l’Antiquité gréco-latine …) dont certaines sont inscrites en moi depuis ma formation de grammairienne et de philologue, mes études de Lettres Classiques ; Gérald Castéras, animateur du lieu et de la Collection « Poïein », a lu des textes ; en ouverture, a été diffusée en première audition publique une toute récente composition électro-acoustique de Mick Texier à partir d’un de mes écrits , « Avec un bois creux », qu’Isabelle Carlier, qui dirige « Bandits-Mages » à Bourges, a bien voulu accompagner d’un court film.
Dernièrement, j'ai travaillé sur une commande de poésie visuelle pour une exposition qui se tiendra l’été prochain à L’Ille-sur-Têt, et j’ai écrit, à la demande d’une revue, une petite étude sur Paul Feyerabend, un philosophe des sciences. Ma prochaine proposition pour la Collection « Poïein » traitera, dans une prose humoristique et décalée, du sourire du Bouddha, en écho avec le sourire de l’ange de la cathédrale de Reims qu’évoquera le poète Alain Freixe. Nous nous efforcerons de trouver à notre compagnonnage un support inattendu.
photographie de Jean Frémiot