ous voici à pied d’œuvre. Mais, avant de se lancer dans l’étude et la construction des cadrans solaires plans, il est bon de savoir où on s’aventure. Dressons donc un panorama de ces cadrans solaires.
La première démarche à accomplir, c’est d’avoir en tête une claire vision des plans horaires. On a déjà évoqué l’image du livre ouvert. Je vais insister sur la représentation spatiale des plans horaires. Il faut vraiment avoir en soi, à disposition de son esprit en permanence, le dessin de la terre et de ses plans horaires. Le voici (fig.4a). L’image de la terre qui les porte doit peu à peu, dans l’esprit, s’estomper et céder la place à celle des plans horaires seuls. Ils me font penser à une « fraise », cette encolure renaissance.
La deuxième idée est très simple. Elle consiste à imaginer que l’axe commun à tous les plans horaires, autrement dit l’axe de la terre, est fait d’un matériau opaque. Alors, chaque fois que le soleil se trouvera dans un plan horaire, l’ombre de cet axe sera dans le plan exactement opposé. Il s’agit du plan prolongeant le plan horaire occupé par le soleil mais de l’autre coté de l’axe. L’axe, parce qu’il pointe vers les pôles, est naturellement appelé « axe polaire ».
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Figure 4a. "Fraise" des plans horaires.
La troisième idée consiste à voir le plan d’un cadran solaire comme une sorte de plan de coupe de la figure générale des plans horaires. Ce plan de coupe s’appelle plutôt, dans le langage habituel, « la table du cadran ». Chaque plan horaire laisse sur la table du cadran la trace d’une ligne bien rectiligne. Chaque ligne s’appelle une « ligne horaire ». Si l’axe polaire traverse la table du cadran, alors le point d’intersection de l’axe polaire et de la table du cadran s’appelle le « centre du cadran » généralement noté par la lettre « C ». Une observation d’importance s’impose :
Toutes les lignes horaires partent du centre « C » du cadran.
Lorsque le soleil sera dans un plan horaire, l’ombre de l’axe polaire sera donc installée le long de la ligne horaire représentant la trace de l’intersection entre le plan horaire opposé et la table du cadran (fig.4b). Si, une heure (solaire) plus tard, le soleil est présent dans le plan horaire voisin, alors l’ombre de l’axe sera alignée avec la ligne horaire voisine, et ainsi de suite…
Figure 4b. Rôle de la table du cadran solaire plan.
Il est bon de visualiser l’aspect général des cadrans solaires plans en fonction de la disposition de la table. Pour mieux comprendre la situation des tables, il est avantageux de rapprocher la figure des plans horaires d’une représentation de la terre (fig.4c à la fin du chapitre). On y voit, en haut à gauche, le rectangle correspondant à la figure des plans horaires et l’axe polaire parallèle à l’axe de rotation de la terre. On a mis aussi la trace de trois directions pour un point de l’hémisphère nord. Il y a la direction verticale qui passe par le centre de la terre. Perpendiculairement, on trouve la direction horizontale qui est tangente à la terre. Entre les deux se trouve la direction équatoriale parallèle à l’équateur. Le dessin à côté montre la table du cadran avec et sans perspective dans trois cas : table verticale orientée « plein sud », table horizontale et, entre les deux, table équatoriale parallèle au plan de l’équateur.
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Figure 11i. Cadran vertical méridional.
On part encore de la table horizontale en un point « A » de l’hémisphère nord. On soulève le bord nord de la table pour lui donner l’inclinaison « i = 90° ». Dans ce mouvement, le C.H.E. glisse sur le méridien, dépasse l’équateur, et prend position en un point « B » tel que l’angle au centre AOB soit droit, AOB = 90° (fig.11i). La latitude du point « B » est devenue négative puisque « B » est dans l’hémisphère sud. Elle vaut « φb » = i – 90° (elle est négative dans l’hémisphère sud). « B » et « A » sont sur le même méridien. Il n’y a donc aucun décalage horaire entre les deux. Autrement dit, le cadran vertical méridional en « A » peut, purement et simplement, être dessiné comme un cadran horizontal en « B ». On sait que le cadran horizontal ne dépend que de la latitude. On la connaît, elle vaut « φb » = i – 90°. Donc, le problème est résolu. Il faudra juste considérer pour numéroter les lignes horaires que le sens de rotation des valeurs croissantes des lignes horaires sur un cadran horizontal est inversé dans l’hémisphère sud par rapport ce qu’il est dans l’hémisphère nord. Ainsi, tout est « pareil » entre les deux cadrans. Il en est de même pour le style polaire qui sort habituellement en haut du cadran mural exposé au sud sur nos maisons. Il sort bien au même endroit sur le C.H.E.. En effet, dans l’hémisphère sud, le centre des cadrans horizontaux est du côté du bord nord (penser au fait que le style « polaire » est parallèle à l’axe des pôles). Voici pour le cadran vertical méridional. Au final, c’est assez « magique », on se reporte au chapitre « cadran horizontal » pour faire un cadran vertical méridional. On peut même utiliser les règles gnomoniques du Sieur Haye ou de Middleton puisque le cadran est horizontal. Il faut alors prendre en compte la latitude du C.H.E., « φb » et non « fa », puisque le cadran horizontal auquel se rapportent les règles est en « B » et non en « A ». N’est-ce pas une méthode séduisante ?
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Voyons maintenant comment obtenir un marqueur de dates sur la table du cadran solaire. Il faut poser le problème convenablement. Jusqu’à présent, on obtenait l’heure solaire par alignement de l’ombre du style polaire tout entier le long de lignes horaires. Mais on ne voit pas, selon cette procédure, comment il serait possible de montrer une différence de l’ombre en fonction du jour et qui serait exploitable pour indiquer la date. Cela n’est envisageable que si on restreint le porteur d’ombre à un point du style et non au style polaire tout entier. L’ombre qui sera porteuse d’information est donc une ombre ponctuelle, l’ombre de ce point. Le style polaire entier peut être enlevé en ne préservant que le point du style choisi. Certains cadraniers, tu peux désormais, ami lecteur, te prévaloir de ce noble nom, ont résolu la question de manière expéditive. Il n’y plus de centre et plus de style polaire. Du style polaire, ils ne conservent qu’un point, le sommet d’un style droit planté perpendiculairement à la table (au bon endroit !). D’autres cadraniers ont un peu plus de scrupules à tout enlever. Ils laissent le style polaire en place mais mettent un « marqueur » comme une petite boule. Ou bien, ils coupent le style polaire et c’est alors l’ombre de l’extrémité du style qui sera celle du « point » porteur d’ombre. Ces dernières méthodes préservent l’indication de l’heure par alignement de l’ombre du style et des lignes horaires. Mais on ne perdra jamais de vue que, pour indiquer la date, seule compte l’ombre du point (petite boule ou bien extrémité du style polaire ou du style droit). Il ne s’agit plus de « l’alignement » de l’ombre le long d’une ligne horaire mais du « pointage » d’un point de l’ombre au regard de lignes qui ne sont plus les lignes horaires (fig.12c).
Figure 12c. Arcs diurnes et "pointage" d'un point de l'ombre du style.
Au cours d’une journée, l’ombre ponctuelle du point porteur d’ombre se déplace sur la table du cadran. La ligne qu’elle suit est différente d’un jour à l’autre. Elle peut donc être utilisée pour indiquer la date. On appelle ces lignes, les arcs diurnes, autrement dit, les arcs du jour (fig.12c).
L’ombre ponctuelle d’un point du style polaire donne deux informations : l’heure (par les lignes horaires) et la date (par les arcs diurnes).
Quelles sont ces lignes ? Peut-on les tracer ? Pour répondre à ces questions, il faut prendre un peu de distance avec le cadran. Montons dans une fusée et regardons la terre de très loin. On ne s’éloigne pas vraiment du sujet ; quel meilleur cadran solaire que la terre elle-même ! Considérons comme point porteur d’ombre le centre de la terre. Le rayon solaire créateur du point d’ombre est donc celui qui passe par le centre de la terre. Ce rayon solaire perce la terre en un point dont nous allons suivre l’évolution. Lorsque la terre fait un tour autour de l’axe des pôles, ce point décrit sur la terre un parallèle, un de ces cercles dans un plan parallèle au plan de l’équateur. Le point d’ombre sur la face interne de la terre décrit lui aussi un parallèle mais symétrique du précédent par rapport à l’équateur. Au lieu de voir la terre tourner devant le rayon provenant du soleil, inversons les rôles. La terre est immobile et c’est le rayon qui tourne autour de l’axe polaire. Cela est parfaitement équivalent. On voit alors le rayon solaire passant par le centre de la terre décrire un cône pointe au centre de la terre et s’appuyant sur le parallèle précédemment évoqué. De même, le « rayon d’ombre », si on peut s’exprimer ainsi, prolongeant le rayon solaire au-delà du centre de la terre décrit lui aussi un cône. Ce cône est exactement opposé à celui du rayon solaire. Il a même pointe, même axe, mais s’appuie sur le parallèle symétrique du précédent par rapport à l’équateur. Ces cônes, décrits au cours d’une seule journée par le rayon solaire central, correspondent donc chacun à une valeur de la déclinaison du soleil « δ ». On les appelle des « cônes de déclinaison », sous-entendu, bien sûr, « déclinaison du soleil » (fig.12d). Il y a donc autant de cônes que de valeurs de « δ ». Ils partagent la même pointe, le même axe, et sont emboîtés les uns dans les autres. Géométriquement, on peut les caractériser par le demi-angle d’ouverture, (fig.12d), l’angle d’une génératrice du cône avec l’axe. Il est le complémentaire de la déclinaison : 90° - « δ ». Comme « δ » ne dépasse pas la valeur de l’obliquité
Figure 12e. « Figure des cônes » de déclinaison du soleil.
« ε », c'est-à-dire 23,44°, les cônes sont peu pointus. L’aspect des cônes est donc plutôt aplati. Ce sont plus des chapeaux chinois que des chapeaux de clown (fig.12e). Parmi les cônes, il y en a un qui se distingue. Il correspond à la déclinaison « δ » = 0° qu’on rencontre aux équinoxes. Il est en effet très particulier puisqu’il est tellement aplati qu’il est devenu un plan perpendiculaire à l’axe des pôles. Il correspond au plan de l’équateur (fig.12e). On retient :
Aux équinoxes, « δ » = 0° et le « cône de déclinaison » est le plan équatorial.
On se souvient de la figure des plans horaires utilisée pour donner un panorama des cadrans solaires plans. Oui, je parle du livre de 24 feuilles ouvert à 360°. On se souvient de cette image. Pourquoi ne pas tenter de construire une image du même genre à propos des cônes de déclinaison ? Mais pas avec tous les cônes. En général on en fait une petite sélection. On choisit obligatoirement les cônes extrêmes, ceux des solstices avec « δ » = ± ε, ainsi que le plan équatorial pour les équinoxes avec « δ » = 0°. C’est le premier choix. En deuxième choix, on peut ajouter les cônes correspondant aux entrées et sorties des signes du zodiaque. Les valeurs de « δ » correspondantes sont indiquées dans un tableau à la fin du livre (dans la rubrique « Documents »). On a vu qu’à chaque « cône de rayon solaire » correspond un « cône d’ombre » symétrique. Or, en prenant la valeur de « δ » opposée, cela revient à inverser les rôles : le cône de rayon devient le cône d’ombre tandis que le cône d’ombre devient le cône de rayon. Chaque cône est donc « à double emploi » pour des valeurs de « δ » opposées. On remarque dans le tableau des déclinaisons zodiacales qu’elles correspondent à des valeurs systématiquement opposées. Du coup, leur nombre apparaît divisé par deux. C’est toujours ça en moins comme encombrement de lignes sur la table du cadran ! Notons que pour chaque valeur de « δ », il y a deux dates possibles (sauf pour les dates des solstices). L’une des dates correspond à la déclinaison croissante et l’autre à la déclinaison décroissante. Un arc diurne est donc visité deux fois dans l’année (sauf les arcs extrêmes des solstices qui ne servent qu’un seul jour dans l’année). Mais on peut aussi considérer le cône correspondant à un choix personnel (anniversaires, dates historiques, etc.), la valeur de « δ » se trouve dans le tableau des déclinaisons à la fin du livre (dans la rubrique « Documents »). L’arc diurne correspondant n’a de « raison d’être » que lors d’un seul des deux passages du point d’ombre.
À quoi ressemble notre « figure des cônes » ? Réponse : à une pile de chapeaux chinois plus ou moins aplatis, ou plutôt à deux piles de chapeaux présentées « tête-bêche » (fig.12e). Les cônes de la double pile ont des éléments en commun.
L’axe de tous les cônes de déclinaison est l’axe polaire.
Le point "S" commun à toutes les pointes des cônes est le point porteur d’ombre.
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