Accès au droit
Legal Aid

Thèse de sociologie (2006-2010)

Nul n’est censé être ignoré par le(s) droit(s). Politiques d’accès au droit et à la justice en Belgique et en France

Recherche doctorale financée par le FRS-FNRS, 2006-2010. Cotutelle internationale de thèse. Directeurs: Jacques Commaille (ENS Cachan), Didier Vrancken (Univ. Liège)

A travers ma thèse de doctorat (publiée chez ESA, Paris 2011), j’ai étudié les politiques et pratiques d’aide juridique en Belgique et en France. J’ai particulièrement porté attention à la relation entre les mobilisations du droit et les contextes institutionnels dans lesquels les professionnels du droit exercent leur activité. Afin de dépasser certaines apories de l’opposition récurrente entre, d’une part, une explication macrosociologique des transformations des politiques d’aide juridique dans les démocraties occidentales fondée sur l’idée d’une succession de « vagues » identiques dans tous les pays et, d’autre part, une approche microsociologique centrée sur les parcours et les conditions d’engagement des juristes auprès des plus démunis, cette recherche articule les contraintes, opportunités et ressources des différents acteurs de l’accès au droit afin d’éclairer leurs pratiques ainsi que le sens qu’ils leur attribuent. Cette recherche a ainsi permis de montrer l’apparition de nouvelles formes de mobilisations du droit à des fins sociales et politiques qui s’inscrivent dans les transformations récentes des politiques sociales et, plus généralement, de la conduite de l’action publique.

La première partie de la thèse de doctorat est consacrée à l’analyse comparative et socio-historique des transformations des politiques d’aide juridique en Belgique et en France. Durant la seconde moitié du vingtième siècle, les transformations des pratiques du droit auprès des publics considérés comme défavorisés sont liées aux reformulations de la « question sociale » durant cette période. Une attention particulière est portée à la constitution progressive de groupes de juristes non-professionnels, spécialisés dans l’information et le conseil juridique, ainsi qu’à la manière dont ils mobilisent le droit. Si de nouvelles formes de mobilisations du droit voient le jour, elles ne font pas table rase du passé : elles ne remplacent pas les prestations des professionnels auprès des publics vulnérables mais viennent s’y ajouter. Ce phénomène conduit à une complexification et une diversification des mobilisations du droit et offrent de nouvelles opportunités, pour les juristes comme pour les non-juristes, d’utiliser le droit pour aider les publics fragilisés.

La deuxième partie de ma thèse est consacrée aux stratégies utilisées par les différents intervenants du droit, qu’ils soient professionnels ou non, pour être reconnus comme légitimes dans le cadre de ces politiques d’aide juridique. J’analyse la manière dont les avocats et les barreaux locaux tentent de préserver leur territoire d’intervention professionnelle, ainsi que les modalités à travers lesquelles les juristes non-professionnels tentent d’être reconnus. L’objectif est de montrer empiriquement que c’est autour de la définition des usages du droit que la coopération et les jeux d’acteurs s’organisent puisque l’incertitude centrale pour chaque intervenant réside dans la détermination des usages sociaux et politiques du droit légitimes. L’approche comparative permet de mettre en évidence des caractéristiques propres à chaque contexte national, spécifiquement en ce qui concerne la relation entre l’Etat, les avocats et les organisations non-gouvernementales. Dans le domaine de l’aide juridique, deux « modèles » d’action publique peuvent être distingués. Le premier modèle, français, repose sur une délégation de la gestion de l’exclusion sociale aux associations, aux avocats et aux collectivités locales, assortie d’un contrôle permanent de l’Etat qui entend conserver la capacité à créer ou orienter la définition publique du problème dans le domaine de l’accès au droit et à la justice. Le second, belge, est fondé sur une reconnaissance des actions professionnelles dans le cadre d’une « instrumentalisation réciproque » des pouvoirs publics et des avocats.

Enfin, la dernière partie est consacrée à l’analyse des usages du droit à l’œuvre, afin de mettre en évidence la pluralité de mises en pratique de l’aide juridique. En envisageant le processus de reformulation en termes juridiques d’un problème exprimé par le justiciable dans son vocabulaire courant comme un processus politique, nous avons contribué à la réflexion sur les rapports entre activité juridique et changement social en montrant les diverses modalités à travers lesquelles les juristes opèrent cette transformation. Les pratiques du droit, origines professionnelles et modalités d’engagement des juristes qui délivrent des services juridiques auprès de populations fragilisées sont très hétérogènes. Néanmoins, une typologie de ces usages du droit a pu être dégagée. Lorsqu’ils sont confrontés à un public défavorisé, les juristes ne mobilisent pas tous le droit de la même manière. Certains y font appel pour défendre un dossier devant les cours et tribunaux ; d’autres y voient le moyen de parvenir à transformer l’ordre social et politique et à rompre avec le statu quo ; d’autres encore partent du principe que la diffusion de la connaissance du droit au sein de la population permettra de lutter contre l’exclusion et la précarité. Dans un contexte de transformation des politiques sociales dans le sens d’une plus grande responsabilisation des usagers, les juristes sont incités à intervenir en amont de toute procédure judiciaire afin de « conscientiser » les justiciables au droit. Ces derniers seraient dès lors amenés à se mobiliser afin d’être capables de défendre et de faire valoir leurs droits dans leur vie quotidienne.

En résumé, ma thèse met en évidence les tensions inhérentes à la coexistence de plusieurs usages du droit car ceux-ci se réfèrent chacun à une définition particulière des rapports entre droit et politique.

PhD Research in sociologie (2006-2010)

Ignorance is no Excuse for the Law: Legal Aid Policy in Belgium and France

Research awarded by the Belgian FRS-FNRS, 2006-2010. International co-joint PhD. Supervisors: Jacques Commaille (ENS Cachan), Didier Vrancken (Univ. Liege)

My PhD research (published at ESA, Paris, 2011) examines legal aid policy and practice in Belgium and France. The main focus lies on the relation between the mobilization of law and the institutional context in which lawyers provide legal aid. This approach allows me to highlight the formation of innovative social and political mobilization of law. This process is linked with recent transformations in social policy and, more broadly, public policy. In my thesis I suggest an alternative to the deadlock between two types opposing explanations of lawyering for the poor. On the one hand, macro-sociological explanations of legal aid transformations in occidental societies identified several waves of legal programs with little differences between the studied countries. On the other hand, micro-sociological approaches focused on the conditions of commitment and choices of lawyering for the poor and disadvantaged. I rather lay emphasis on legal aid actors' constraints, opportunities and resources in order to highlight both structures and agencies in legal practice.

The first part of my dissertation is dedicated to a comparative and socio-historical outline of the transformation process legal aid programs underwent in the past. During the second half of the twentieth century the change in legal mobilizations and legal practices which target disadvantaged people correlated closely with the evolution of social policies. Particular attention is given to the progressive formation of non-professional groups, specialized in legal information and legal advice. I also analyze how these non-lawyers mobilize and refer to law. However, while innovative legal mobilization makes its appearance, old types of legal mobilization do not just vanish; this phenomenon makes legal mobilization more diversified and complex. It also offers new opportunities for lawyers and non-lawyers to mobilize law in order to serve the disadvantaged.

The second part of my dissertation examines strategies used by lawyers and non-lawyers to be recognized as participants in legal aid policy. I thereby analyze how lawyers and local bars attempt to preserve their professional jurisdiction as well as how non-legally-trained actors try to be recognized. The objective is to demonstrate empirically that the cooperation and the actors' strategies can be fully understood by studying how lawyers and non-lawyers define legal mobilizations. Indeed, the actors' main incertitude lies in defining which legal mobilization are legitimate and which are not. The comparative approach of the thesis highlights peculiar national characteristics, particularly concerning the relationship among the state, lawyers, and non-governmental organizations (NGOs). There are two models of governance within the legal aid sector, one being French and the other one Belgian. The French model relies on the delegation of social exclusion handling from the state to NGOs and local authority. This process comes with a permanent control from the state which seeks to preserve its authority to determine legal policy. In contrast, the Belgian model is based on state recognition of the lawyers' activities through a process I qualify as “mutual instrumentalization” between public authorities and intermediate actors.

Finally I analyze legal mobilization in legal aid policy. Considering the translation of social problems into a legal lexicon as a political process, I contribute to the understanding of the relationship between lawyering and social change by highlighting different ways of translation. Legal practices, professions, and lawyers' commitments are very heterogeneous. Nevertheless, I construct a typology of legal mobilization and legal practice. While social policy seeks to empower laypeople; lawyers are encouraged to intervene, thus preventing litigation in order to convey “legal consciousness” onto laypeople. Through this process, citizens might defend and promote their rights in everyday life.

In summary, my thesis emphasizes the tensions between the different kinds of legal mobilization which refer to a specific definition of relationship between law and politics.

Publications related to this project:

LEJEUNE Aude, 2019. Accès au droit et droits de l’homme au niveau local en France, in Catherine Le Bris (dir.), Droits de l’homme et collectivités territoriales, Paris : Mare et Martin.

LEJEUNE Aude, 2016. Accessibilité, in Hendrick A., Musin A. (eds.), Les Mots de la Justice / Recht-Spraak, Bruxelles: Mardaga, 18-19.

LEJEUNE Aude, 2014. Accès au droit en France : la socialisation juridique comme condition de l’accès aux droits, Politiques Sociales, Special Issue: Accession et restriction d’accès aux prestations sociales publiques : une approche comparative, 3, 48-57

LEJEUNE Aude, 2012. Accès au droit, accès à la justice ou accès au juge? L’activité judiciaire dans les maisons de justice et du droit, in Béatrice Lapérou, Virgine Donier (dir.), Accès au juge: quelles évolutions pour quelle effectivité ?, Bruxelles: Bruylant, 425-436.

LEJEUNE Aude, 2011. Le droit au Droit. Les juristes et la question sociale en France, Paris: Editions des Archives Contemporaines.

LEJEUNE Aude, 2011. Les professionnels du droit comme acteurs politiques. Bilan critique de la littérature nord-américaine et enjeux de l’importation de ces travaux en Europe continentale, Sociologie du Travail, 53(2), 216-233.

LEJEUNE Aude, 2011. Conscientiser les individus au droit : la construction sociale de besoins et de demandes juridiques, Canadian Journal of Law and Society / Revue Canadienne Droit et Société, 26(3), 563-583.

LEJEUNE Aude, 2010. La prévention par le droit. Territoires et division du travail juridique en France, SociologieS (en ligne), http://sociologies.revues.org/index3083.html.

LEJEUNE Aude, 2010. Les usagers, au cœur de la ‘modernisation’ de l’institution judiciaire belge ?, Revue Nouvelle, 65(1), special issue « La modernisation de l’institution judiciaire », 61-67.

GARCIA VILLEGAS Mauricio, LEJEUNE Aude, 2009. La sociología jurídica en Francia, in Mauricio García Villegas (dir.), Sociología y crítica del derecho, México: Fontamara.

DUBOIS Christophe, LEJEUNE Aude, 2008. Réparer et accompagner. Redéfinitions normatives et recompositions organisationnelles de l’activité judiciaire, in Frédéric Schoenaers, Christophe Dubois (dir.), Regards croisés sur le nouveau management judiciaire, Liège: Université de Liège, 83-107.

LEJEUNE Aude, 2007. Justice institutionnelle, justice démocratique. Clercs et profanes. La Maison de justice et du droit comme révélateur de tensions entre des modèles politiques de justice, Droit et Société, 66, 361-381.