Post date: 29 juil. 2014 07:41:24
La Stratégie nationale de santé (SNS) énoncée en septembre 2013 par Marisol Touraine est fondée sur trois piliers : la prévention, les soins de proximité et la démocratie sanitaire. A propos du second pilier, les commentateurs ont évoqué une « révolution du premier recours » pour en souligner l’importance politique. A propos du troisième, le ministère met notamment en avant les 150 débats en régions sur la SNS, qui ont réuni 25 000 personnes, pour montrer qu’il s’agit bien d’une priorité. Pourtant, cette organisation nouvelle ne pourrait se réaliser qu’en s’appuyant sur une démocratie sanitaire renforcée, « tant par la participation des usagers que par celle des instances de démocratie »[1]. Or paradoxalement, les usagers sont absents des instances d’organisation des soins de premier recours, alors qu’ils participent depuis 2002 au pilotage des établissements de santé et, plus récemment, des établissements médicosociaux. Quelle place devrait/pourrait être la leur ? Le rapport Devictor sur le Service public territorial de santé remis le 22 avril à Marisol Touraine esquisse des réponses.La participation des citoyens à la définition des soins de premier recours : pourquoi une réflexion ?
Une nouvelle organisation des soins de premier recours : une révolution ?
Les soins de premier reccours
Définition des soins de premier recours en France en référence au code de santé publique et à la loi 2004
« Le système de santé garantit à tous les malades et usagers, à proximité de leur lieu de vie ou de travail, dans la continuité, l’accès à des soins de premier recours. Ces soins comprennent :
la prévention, le dépistage, le diagnostic et le traitement des maladies et des affections courantes ;
la dispensation des médicaments, produits et dispositifs médicaux ;
en tant que de besoin, l’orientation dans le système de soins ;
l’éducation pour la santé.
« Les professionnels de santé habilités à raison de leurs compétences à exercer tout ou partie de ces activités concourent, par l’exercice de ces compétences dans le cadre de coopérations organisées, et en collaboration avec les établissements de santé, sociaux, médico-sociaux et réseaux de santé, à l’offre et à la permanence des soins de premier recours ».
Etats Généraux de l'Organisation de la Santé (EGOS)
- Synthèse des travaux des 2 journées nationales (8 février et 9 avril 2008)
Les soins de premier recours font désormais référence pour nombre de responsables politiques nationaux et locaux, mais aussi de représentants des usagers et d’autres membres des instances de la démocratie sanitaire. Ils formeraient les nouvelles fondations du système de santé à la française et rassembleraient l’essentiel des services de santé (soins, prévention, éducation) auxquels tout citoyen devrait pouvoir accéder quel que soit le territoire où il vit. En privilégiant l’exercice regroupé, ils répondraient à la fois aux inquiétudes des élus et citoyens sur la désertification médicale[2], aux enjeux d’amélioration des soins par une coordination renforcée entre les acteurs et aux souhaits des jeunes professionnels de santé qui plébisciteraient les modes d’exercice regroupé par opposition au traditionnel exercice libéral solitaire qu’ils considéreraient comme une pratique dépassée.
L’exercice regroupé est encore aujourd’hui très minoritaire : « seuls 12% des médecins généralistes en France travaillent au sein de structures de groupe en groupes pluri-professionnels, pluridisciplinaires, ou mono-disciplinaires. La réalité du terrain est donc aujourd’hui celle de l’isolement et de l’individualisation de l’offre en santé. »[3] . Toutefois, selon une étude réalisée en 2012 auprès des internes en médecine générale d’Angers, 86,4 %[4] souhaitent avoir un exercice regroupé. De nouvelles modalités de coopération pour les professionnels de santé vont donc émerger. Cette évolution du premier recours questionne la place des acteurs dans le pilotage de cette nouvelle organisation.
Le droit des usagers : une autre révolution en cours
L'exercice regroupé
L’exercice regroupé peut prendre différentes formes
l’exercice regroupé libéral en médecine générale, en cabinet de groupe ou avec le statut de collaborateur
l’exercice regroupé pluridisciplinaire libéral sur un même lieu, au sein des maisons pluridisciplinaires de santé, ou réparti sur un territoire à travers la mise en place de pôles de santé
l’exercice pluridisciplinaire salarié, mis en œuvre dans les centres de santé.
« Cet exercice regroupé correspond à la fois aux attentes des professionnels largement décrites dans la littérature mais aussi celles des usagers avec une offre lisible, connue et pérenne, mais aussi coordonnée, non segmentée et qui répond aux différents besoins divers des populations »
[13] Etats généraux de l'organisation de la santé (EGOS) - Synthèse des travaux des 2 journées nationales (8 février et 9 avril 2008)
Depuis la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades, les usagers ont été ou se sont peu à peu introduits dans presque tous les rouages du système de santé, du moins dans ceux des établissements sanitaires et médicosociaux et dans les instances de la démocratie sanitaire. Leur poids est souvent marginal face au pouvoir des responsables politiques, administratifs et professionnels, mais ils sont dans la place et jouent un rôle d‘activateur du changement[5]. Seul le secteur des soins ambulatoires leur demeure étranger, verrouillé par une organisation fondée historiquement sur un principe de libre installation des professionnels de santé libéraux. De même les usagers sont absents des instances de négociation, notamment avec l’Assurance maladie, sinon indirectement, via les centrales syndicales et les associations familiales qui participent aux instances de la démocratie sociale. Intégrer les usagers est un vrai défi pour le secteur médico-social et les établissements de santé, il doit en être de même pour le secteur ambulatoire. Les professionnels en pleine révolution de leur pratique sont-ils prêts pour cette deuxième révolution.La participation des citoyens à la définition des soins de premier recours : Pourquoi?
Quel serait l’intérêt d’introduire les usagers dans la conception et la mise en œuvre des services de premier recours ?
La participation des usagers/citoyens est un concept clé de la promotion de la santé [6] et constitue un élément essentiel de l'approche proposée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En l’occurrence, cette participation semble pertinente de différents points de vue :
Les associer d’emblée à la définition même des services montrerait qu’on les considère comme les premiers acteurs de leur santé, selon les principes de la promotion de la santé ;
Les solliciter dès l’étude des besoins permettrait de tenir compte de leur connaissance des besoins de santé dans leur territoire et de les interpeler sur les réponses à apporter ;
Les consulter sur le diagnostic des besoins et des ressources les conduirait à chercher des réponses et des solutions et à se mobiliser pour qu’elles adviennent ;
Leur proposer des scénarios d’organisation de l’offre les mettrait en capacité de prendre position, de faire des contrepropositions et de s’impliquer dans la réussite des projets ;
Les questionner sur l’opportunité d’actions de prévention ou d’éducation leur permettrait d’exercer leurs compétences en promotion de la santé ou en santé communautaire.
Co-construire avec eux l’offre de premier recours renforcerait l’empowerment[7] des citoyens dans la prise en charge de leur santé
Pourquoi les usagers ne pourraient-ils pas contribuer aux changements dans l’organisation des soins de premier recours alors que l’histoire récente montre qu’ils ont su le faire dans le pilotage des établissements sanitaires et médicosociaux [8]?
Bien sûr, une étude de référence comme celle de Nicolas Krucien et al.[9] montre que les modes d’exercice de la médecine intéressent assez peu les usagers quand on les interroge de façon qualitative. Pourtant, les auteurs concluent leur enquête sur l’idée que « la participation des usagers à l’organisation du système de santé [est] de plus en plus avancée comme une condition de l’acceptabilité des réformes. »
Bien sûr, l’ouverture d’un cabinet libéral, médical ou paramédical, relève de la seule responsabilité du professionnel de santé qui en a l’initiative. Mais pourquoi les usagers ne sont-ils pas ou presque jamais associés à la définition du projet de santé d’une maison, d’un pôle ou d’un centre de santé ? Pourquoi les élus et les services des collectivités territoriales, très investis dans l’implantation de professionnels de santé dans les territoires délaissés, ne s’appuient-ils pas systématiquement sur les compétences, les connaissances et les capacités de mobilisation et d’initiative des usagers de la santé, qui seront leur premier public? Pourquoi n’existe-t-il aucune incitation, voire obligation d’introduire les usagers dans la gouvernance des soins de premier recours et les instances de la démocratie sanitaire la plus proche de leur vie quotidienne alors qu’ils sont désormais solidement installés dans de nombreuses instances bien plus lointaines ?
La participation des citoyens à la définition des soins de premier recours : Quelles réalités ?
Si l’on a questionné précédemment le rôle des citoyens dans l’offre de soins de premier recours, il est maintenant nécessaire de questionner la réalité de cette participation à différents niveaux : celui de l’organisation de l’offre de soins de façon globale au niveau territorial, mais aussi celui de la gouvernance même des structures d’exercice regroupé et de l’offre de soins.
Actuellement, les citoyens ne sont pas associés aux travaux de planification de l’offre de soins de premier recours. Ils ne sont représentés ni au sein des instances proposées par l’ARS (les Espaces de Concertation Départementale) qui ont pourtant vocation à analyser les projets d’exercice regroupé en fonction des besoins sur des territoires, ni au niveau régional qui a pour vocation la mise en place de la politique d’accès aux soins. Seuls les représentants des collectivités territoriales qu’ils ont élus pourraient prétendre les représenter.Le récent rapport de Bernadette Devictor sur la mise en place du service public territorial de santé, propose d’instituer la participation de représentants des usagers aux différentes instances qui seraient créées : conseil territorial de santé, comité territorial de relation avec les usagers, conseil local de santé.
Au niveau de la gouvernance des structures d’exercice regroupé, une rapide analyse de la littérature disponible permet de constater l’absence complète de place prévue pour les usagers dans les outils de structuration des soins de premier recours. Ainsi, parmi les documents concernant l’exercice regroupé, notamment les cahiers des charges nationaux et régionaux[10] ou les modèles de projets de santé des Maisons de Santé, Pôles de Santé et Centres de Santé[11], aucun ne propose d’item sur la participation des usagers dans la gouvernance de ces structures.Les usagers apparaissent, mais principalement dans une notion de consommateur ou bénéficiaire d’un service. Il est fait mention des usagers à trois niveaux : les modalités de communication et d’information du patient sur l’offre de services, les modalités d’accès au dossier médical, et éventuellement la démarche qualité. On retrouve ces notions dans le projet de matrice de maturité [12] élaboré actuellement par la Haute Autorité de Santé (HAS), dont le quatrième axe est « l’implication des patients ». Cette implication portant sur les mêmes thématiques développe une nouvelle proposition : s’appuyer sur l’expertise des patients. Sans que cela ait pour vocation de les associer à la gouvernance du projet, il est évoqué la mise en place d’actions avec des représentants des usagers en fonction du recueil de leur avis sur différentes thématiques.
Il n’y a donc pas d’obligation d’associer les citoyens et usagers à la définition du projet de santé, ni aux instances de gouvernance des structures, contrairement aux établissements de santé et aux établissements médicosociaux. Des réflexions sont en cours comme en témoigne le travail sur les matrices de maturité, mais aussi au sein de certaines structures d’exercice regroupé.
Il faut toutefois mentionner quelques expériences intéressantes, parfois anciennes, sur la participation citoyenne à l’organisation et à la gouvernance de l’offre de soins de premier recours.
On peut tout d’abord évoquer les dispositifs mis en place dans le cadre d’Ateliers santé ville (ASV). Ces dispositifs propres aux quartiers englobés dans la politique de la Ville permettent une analyse concertée des besoins pour favoriser l’accès des publics de ces territoires à la santé et à la prévention. La réponse aux besoins passe par la mise en place d’actions avec un panel d’acteurs dont des professionnels de santé et des usagers. Certaines municipalités ont su impulser des démarches participatives territoriales qui ont abouti par exemple à la création d’un centre de santé à Grenoble (quartier Mistral) ou à Grigny, à la mise en place d’espaces santé jeunes, etc.)
On pourra aussi évoquer certains centres de santé associatifs gérés par des bénévoles citoyens. Lors d’un entretien, Bernard Taloud, président de l’association du centre de santé infirmier de Moirans et président de la confédération des unions régionales des centres de santé infirmiers, nous précisait que ces bénévoles sont impliqués à la fois dans la gouvernance et le pilotage de ces structures de soins de premier recours aux cotés des professionnels, mais aussi dans la mise en œuvre d’actions auprès des populations (visites aux personnes, appui à l’action, etc.). C’est souvent le cas de centres de santé infirmiers ruraux fortement impliqués dans leur territoire et qui développent un réel partenariat entre professionnels de santé et citoyens impliqués.
Si ces deux illustrations ne sont pas représentatives de la richesse des expériences existantes, elles mettent toutefois en évidence des pistes de travail à poursuivre et à développer sur de nouveaux territoires.
La participation des citoyens à la définition des soins de premier recours : Quelles perspectives?
La participation des citoyens ou usagers présente de nombreux écueils souvent pointés : s’agit-il d’un affichage au bénéfice d’un pouvoir en place ou d’une véritable démarche pour agir avec les habitants et les professionnels concernés sur un territoire ? Quelle est la représentativité des personnes impliquées ? Comment garantir cette implication dans la durée ? Comment intégrer des usagers compétents et aguerris dans les instances de gouvernance sans les couper de ceux qu’ils représentent ? Comment renouveler la représentation forcément vieillissante au fil du temps ?
On pourra s’appuyer sur les propositions du rapport Devictor, sur les expériences réussies dans le domaine de la santé dont celles valorisées par le récent label droit des usagers mis en place par le gouvernement, mais aussi sur l’expérience acquise dans d’autres domaines (agendas 21, Fab Lab, etc.) pour cerner les enjeux et les limites d’une co-construction du système de santé entre professionnels de santé, citoyens, et pouvoirs publics, ainsi que les bénéfices attendus et les risques encourus.
Au regard de ces éléments, comment relever le défi de l’intégration des usagers aux processus de santé et à l’organisation d’une offre de soins efficiente sur chaque territoire. Autrement dit, comment concrétiser les préconisations du rapport Devictor et à quelles conditions est-ce possible ? Plus globalement, que sera demain la participation des citoyens en matière de santé ?
Anna CRUAUD, Denis REQUILLART
Avec la participation de Philippe PICHON
Les droits des usagers de santé
Ce terme recouvre à la fois les droits individuels et collectifs de la personne usagère du système de santé
Les droits individuels : ce sont essentiellement des droits fondamentaux reconnus à toute personne, indépendamment de son état de santé (droit à la protection de la santé, droit au respect de la dignité, au respect de la vie privée, à la non-discrimination dans l’accès à la prévention et aux soins, etc.) ; et des droits plus spécifiques reconnus à l’usager du système de santé (droit d’être informé sur son état de santé, d’accéder directement à son dossier médical, de participer aux décisions concernant sa santé, etc.).
Les droits collectifs : il s’agit en premier lieu du droit de représentation des usagers du système de santé réservé aux membres des associations agréées, qui permet de donner une place à l’expression de ces usagers (au niveau national et régional dans les instances de santé publique et dans tous les établissements de santé). Il peut s’agir en second lieu, à l’occasion de débats publics, par exemple, du droit reconnu aux usagers d’apporter leur concours à la réflexion et à la décision sur des questions de santé.
http://www.sante.gouv.fr/espace-droits-des-usagers,1095.html
Les différentes modalités de particpation
La participation des habitants en santé se décline en plusieurs niveaux, qui peuvent être cumulatifs :
l’information - « mettre au courant » ;
la consultation - « demander un avis » ;
la concertation - « négocier avec » ;
la co-construction - « faire ensemble ».
Néanmoins, ce qui qualifie réellement l’engagement citoyen correspond au niveau de co-construction, celui où chacun peut être réellement acteur de sa propre santé.
[14] La participation des habitants en santé – Document de synthèse de l’ACSE
[1] Cf. Avis de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) Rhône-Alpes sur la feuille de route de la Stratégie nationale de santé, 17 février 2014.
[2] Cf. les nombreux projets de création de Centre de Santé et Maisons de Santé Pluridisciplinaires issus des communes en France et les priorités déclinés au sein du Pacte territoire santé – Marisol Touraine – ainsi que l'article "Pacte territoire Santé - Bilan 2013 Postif, des pistes 2014 encore un peu trop restrictives?" Anna CRUAUD
[3] Rapport Devictor - Le Service public territorial de santé (SPTS) - Le Service public hospitalier (SPH) - Développer l’approche territoriale et populationnelle de l’offre en santé – Avril 2014
[4] Intentions d’installation des internes angevins de médecine générale en 2012 - J. Septier-Guelff et al. revue de santé publique janvier 2014 - URL : www.cairn.info/revue-sante-publique-2014-1-page-65.htm.
[5] La plus-value de la participation des usagers est très bien illustrée par le documentaire « l’esprit des lois » de Michèle et Bernard Dal Molin - © Advita Productions 2012
[6] Organisation Mondiale de la Santé – Charte d’Ottawa.
[7] L’empowerment peut être défini comme la capacité pour chacun d’exercer réellement ses droits civiques, en l’occurrence dans le domaine de la santé, donc de décider et d’agir en connaissance de cause pour promouvoir sa santé et celle de sa communauté. Ce terme anglo-saxon n’a pas de traduction reconnue. On peut évoquer le pouvoir d’agir. On peut aussi le rapprocher de la notion de capabilité proposée par Amartya Sen, soit « la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de fonctionnements, autrement dit une évaluation de la liberté dont il jouit effectivement » (Wikipédia).
[8] La plus-value de la participation des usagers est très bien illustrée par le documentaire «L’esprit des lois » de Michèle et Bernard Dal Molin - © Advita Productions 2012
[9] « Les transformations de l’offre de soins correspondent-elles aux préoccupations des usagers de médecine générale ? » in Questions d’économie de la santé n° 163, mars 2011
[10] Plateforme d’appui aux professionnels de santé (PAPS) – Agence régionale de santé Rhône-Alpes (ARS) - Exemple de la PAPS Rhône-Alpes : http://www.rhonealpes.paps.sante.fr/PAPS_rhonealpes.114265.0.html
[11] Modèle de projet de santé / règlement intérieur pour les Centres de santé proposé par le Regroupement National des Organismes Gestionnaires de Centres de Santé (RNOGCS).
[12] Matrices de maturité – Présentation aux journée de la Fédération Française des Pôles et Maisons de Santé et Note de Synthèse de l'HAS.
[13] États généraux de l'organisation de la santé (EGOS) - Synthèse des travaux des 2 journées nationales (8 février et 9 avril 2008)
[14] La participation des habitants en santé – Document de synthèse de l’ACSE