La fondation du Parti Radical-Socialiste Camille Pelletan,
- témoignage -
par René BOSDEDORE
Ce nouveau parti politique résulta de la scission survenue au cours d'une séance du Congrès extraordinaire du Parti Radical-Socialiste Valoisien, tenu du 11 au 13 mai 1934, à Clermont-Ferrand.
Le congrès extraordinaire de Clermont fut donc réuni trois mois seulement après les très graves et sanglantes émeutes qui s'étaient déroulées sur la place et le pont de la Concorde, le 6 février 1934, à Paris, à l'heure même où le deuxième gouvernement d'Edouard Daladier sollicitait l'investiture du Parlement, dans les remous suscités par l'affaire Stavisky et le suicide de cet aventurier et escroc, survenu au moment où il allait être arrêté à Chamonix.
En dépit d'une majorité de confiance de plus de cent-quarante voix, du fait de la très grande émotion consécutive à l'ampleur des émeutes et au nombre élevé des victimes, le président Daladier crut devoir, dès le lendemain de cette nuit tragique, présenter la démission de son gouvernement.
C'est dans ces circonstances très exceptionnelles que le Président de la République Lebrun fit appel à l'un de ses prédécesseurs, Gaston Doumergue, retiré de la politique, en vue de la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Le refus de participation du Parti Socialiste à une combinaison ministérielle de cette nature amena Gaston Doumergue à se contenter de la solution d'un gouvernement dit de "trêve nationale".
La décision d'Edouard Herriot, président du parti Valoisien, et de trois de ses amis, Lamoureux, Queuille et Albert Sarraut, qui acceptèrent d'entrer dans cette combinaison ministérielle, fut loin, et même très loin, de plaire à une très large fraction du parti radical qui réclama et obtint du comité exécutif la convocation d'un congrès extraordinaire dans les meilleurs délais en vue de consulter l'instance supérieure du parti au sujet de cette participation ministérielle de quatre de ses principaux représentants.
Cette participation, très vivement combattue par l'aile gauche du parti, ces fameux "jeunes turcs" plus ou moins encouragés par le président Daladier, très amer depuis son éviction du pouvoir par les émeutiers du 6 février, donna lieu à un très vif débat dans les instances fédérales du parti dans de nombreux départements et dans les comités de base. Ce débat finit par prendre une telle ampleur que le Congrès extraordinaire de Clermont risquait fort de désavouer la participation des représentants du parti au gouvernement de trêve et de les inviter à choisir entre leur portefeuille ministériel et leur appartenance au parti, ainsi que cela s'était produit au Congrès d'Angers, en 1928.
On imagine donc facilement le climat de tension dans lequel s'ouvrit le Congrès de Clermont, le 11 mai 1934.
C'est dans cette atmosphère si tendue, si passionnée, que Gabriel Cudenet, président de l'importante Fédération de la Seine-et-Oise, l'un des chefs de file les plus influents des radicaux de gauche avec Pierre Cot, Pierre Mendès-France, Jean Zay et Jacques Kayser, prononça un véritable réquisitoire contre la présence des ministres radicaux dans le gouvernement, dit de trêve, porté au pouvoir par les émeutiers factieux du 6 février.
Mais qui était donc Gabriel Cudenet, le talentueux et dynamique président de la Fédération de la Seine-et-Oise du Parti Radical valoisien, dont il dirigeait la rédaction du très vigoureux bulletin Le Républicain Jacobin? Cudenet se disait, ainsi que je le lui ai entendu dire, quelque peu apparenté à la famille Pelletan, et il lui plaisait de se présenter comme un radical-socialiste intransigeant, ainsi que le montrait bien les éditoriaux qu'il donnait chaque semaine au Républicain Jacobin. Au delà de sa fédération, il s'était vu pousser à la rédaction en chef du quotidien La République, l'organe national des radicaux de gauche où, avec Jacques Kayser, cet autre journaliste de grande réputation, il passait pour l'un des défenseurs les plus notoires des positions politiques du président Edouard Daladier, dont La République était devenu en quelque sorte la tribune officieuse, tandis que l'autre organe radical, L'Ere Nouvelle, de plus en plus éclipsé par La République, était plus favorable aux positions du président du parti, Edouard Herriot.
C'était un peu le temps de la rivalité entre les deux Edouard, par ailleurs si différents l'un de l'autre, bien qu'issus tous deux de l'Université.
Par ailleurs, Gabriel Cudenet était une sorte de géant, pourvu d'un grand talent oratoire et d'une puissance d'expression qui en faisait une sorte de tribun redoutable et très entraînant.
Servi par de tels atouts, cet orateur si talentueux n'avait pu que soulever l'enthousiasme le plus chaleureux d'une très large majorité des congressistes, toujours sensibles aux accents d'éloquence qui leur étaient largement dispensés par les grands leaders des partis.
A "l'applaudimètre", il ne parut faire aucun doute qu'après avoir si bien fait vibrer la corde sensible des délégués, Cudenet n'avait pas manqué de rallier la très large majorité d'entre eux à son argumentation.
Mais en politique, comme dans tant d'autres domaines, il y-a très souvent loin de la coupe aux lèvres, et c'est ainsi qu'au décompte du vote des délégués, Cudenet se trouva assez largement désavoué.
Le résultat de ce vote fut si décevant pour le président de la Fédération de la Seine-et-Oise qu'il décida sur le champs de se retirer immédiatement de la séance du congrès, suivi de ses plus fidèles amis.
La scission qui menaçait sourdement le vieux parti radical depuis le Congrès de Toulouse de 1932, et dont la récente démission de Gaston Bergery, le député-maire de Mantes, l'un des leaders les plus notoires de la tendance des "jeunes turcs", avait déjà retenti, en 1933, comme un avertissement, venait donc d'être finalement consommée, à Clermont, avec celles de Cudenet et de ses amis.
Ils ne furent cependant pas très nombreux à se retrouver, le soir même, les radicaux démissionnaires du parti valoisien, autour de Gabriel Cudenet, dans une salle de la petite ville d'eau de Royat, dans la banlieue de Clermont, pour y jeter les bases d'un nouveau Parti Radical-Socialiste qu'ils placèrent d'emblée, à l'instigation de Gabriel Cudenet, sous le signe et la caution de Camille Pelletan. C'est ainsi que fut fondé, en marge du Congrès de Clermont, le nouveau parti qui prit le nom de Parti Radical-Socialiste Camille Pelletan.
Ce sont bien évidemment les militants des fédérations de Seine-et-Oise et de la Seine, les plus à gauche du parti, et de l'équipe du Républicain Jacobin, transformé en organe national du nouveau parti, qui se retrouvèrent autour de Gabriel Cudenet pour constituer l'instance dirigeante propre au développement du nouveau parti.
Celui-ci affirme d'emblée une double vocation, d'abord celle d'oeuvrer prioritairement et résolument à la constitution d'un large mouvement d'unité d'action antifasciste. La seconde ayant pour objet, en rejoignant la première, de rassembler les radicaux soucieux, dans l'esprit défini au début du siècle par Ferdinand Buisson et Camille Pelletan, plaidant pour un radicalisme ne se reconnaissant pas d'ennemis à gauche.
C'était bien là, la formule qui convenait dans ce contexte de l'après 6 février 1934, pour favoriser l'indispensable rapprochement de la gauche socialiste et démocratique avec le Parti Communiste et la large mouvance qu'il influençait, de la Confédération Générale de Travail Unitaire au mouvement d'Amsterdam-Pleyel, constitué au cours des années 1932 et 1933.
Voilà donc rappelées, aussi brièvement que possible, les circonstances de la fondation du nouveau parti radical ainsi que la ligne de conduite politique qu'il entendait défendre, à l'opposé de l'orientation du vieux Parti Radical-Socialiste, qui n'avait plus de radical que son nom, le nom d'un radicalisme aussi opportuniste qu'affadi et, en dépit de son adjectif socialiste, qui ne trompait plus personne.