MERLIN ET FAMILLE

Merlin et Famille est donc le premier roman de Cunqueiro écrit tout d'abord en galicien (1955) puis traduit par lui-même en castillan deux ans plus tard.

C'est un Merlin "revisité", démytifié, humanisé, un être casi ordinaire que l'on pourrait croiser n'importe ou que Cunqueiro nous présente et qui n'a pas grand chose à voir avec l'enchanteur légendaire de la tradition arthurienne. Il est un mélange de devin de mage, à même de se transformer en différents personnages, bucheron, berger, page, prêt à enchanter ou ensorceler le premier venu.L'ouvrage se présente comme une suite d'histoires imbriquées mais autonomes, d'essence historique ou les légendes et le folklore rural galiciens sont très présentes tout comme l'influence de la lyrique galaico portuguaise et la culture médiévale européenne, les romances carolingiennes, le cycle arthurien.C'est un monde peuplé de fées et de vieilles paysannes, de meunières aux dents blanches, de chevaliers errants, de sirènes mélancoliques.

                                                                                         Alvaro Cunqueiro lors de l'exposition organisée par Galaixa.

Merlin est un livre fantastique que l'auteur situe en terres galiciennes, dans la forêt d'Esmelle sur les terres de Miranda, Brocéliande sorti de son imagination. Miranda se situe à une demi-journée à cheval de Mondonedo et à trois jours de Paris ! C'est un

paysage de désolation, de terres incultes et de sorcellerie près château de Belvis que fréquentaient diables et sorciers du nord de la Galice . Le mage Merlin y habite avec son valet entré à son service à l'âge de neuf ans, Felipe qui est à la fois protagoniste et narrateur. Les chapitres sont indépendants et chaque conte une histoire distincte non sans humour. Deux parties, la première conte la vie de Felipe auprès du mage et la seconde sa vie d'adulte dans une auberge du Chemin de Saint Jacques.

 

Merlin se trouve à Paris lorsqu'il apprend qu'il hérite d'une tante en Galice Il s'y rend et s'installe donc dans cette forêt d'Esmelle.

Sa maison située sur une colline d'où l'on dominait toute la forêt, était grande et bien couverte, elle avait un balcon donnant sur le chemin de Meira et un autre orienté vers le sud. Merlin a les yeux clairs, plutôt maigre, il se caresse le front de la main droite en parlant. Il s'habille de noir et d'un foulard rouge et il porte des bésicles pour lire. Il est à même de manger onze oeufs brouillé accompagné de vin clairet, assis dans un fauteuil à bascule à l'ombre d'un figuier, il conte ses fantastiques aventures           Terres de Miranda.                                        Chateau de Belvis.                 où bien écoute celles des autres.Aucun habitant des alentours ne pouvait imaginer quels étaient ses pouvoirs à l'exception de son page et apprenti sorcier, Felipe d'Amance qui s'exerçait à la sorcellerie dès sa tendre enfance.La nuit, l'on pouvait voir des lumières sur les créneaux du château de Belvis, telles les plumes de feu d'un oiseau noir: c'était la torche que portait un nain en faisant sa ronde, montant et descendant les escaliers des tours et des remparts. Le nain, les gens le connaissaient car il se déplaçait sur une mule en chantant des habaneras.

Dans la maison de Merlin, les chiens savaient siffler, il y en avait un cornu dans une cage qui s'alimentait de mouches, un chat blanc Ceris et aveugle mais qui ne perdait rien des prodiges qui s'accomplissaient à l'entour. Et il y avait des demoiselles parfumées aux mains d'argent qui changeaient la couleur du monde en se penchant aux fenêtres.

Et à Miranda arrivaient des gens du monde entier avec les souhaits les plus étranges: émissaire d'un évêque de France qui demandait à Merlin de lui réparer des ombrelles magiques qui lui servaient de quitatinieblas (para-ténèbres) dans les processions, des pages d'un ancien empereur de Constantinople qui avait des problèmes avec des princes qui se rebellaient sur un champ de bataille pour se retrouver dans le lit d'une vierge, une princesse qui se transformait en biche car victime d'un démon qui l' ensorcelait pour la posséder, des diables qui se transformaient eux en baignoires pour profiter du spectacle de religieuses au bain, de commerçants qui se transformaient en hommes-loups ...De son épée transparente, Merlin résolvait généreusement tous les problèmes, défaisait les sorts, désensorcelait, déchiffrait les mystères de la vie et enlaçait les maléfices avec une corde faite du crin du cheval Turpin ou les enfermait dans une boite de biscuits d'Astorga.

Grâce à ses facultés extraordinaires en un rien de temps il désenchantait une demoiselle amoureuse transformée en gazelle aux yeux bleus il capturait un démon ou il réparait un sablier qui paralysait le monde.

Les autres personnages qui peuplent le roman sont à son image: sirènes, princesses, démons, nabots princesses enchantées et barbues, sirènes dans la peine et en deuil, démons masqués, jouvenceaux provenceaux qui évoluent dans un monde ordinaire avec des personnages pouvant exister. Ainsi le page Felipe de Amancia, la cuisinière Marceline, l'évêque de Paris, José del Cairo garçon d'écurie qui cotoient des personnages imaginaires: Dona Ginebra (la Reine Guenièvre) , Dama Caliela, Mosiu Simplon ...

Les protagonistes:

        

            

                      Felipe                                                                             Cobillon                                                       Dame Carla

* Le démon Cobillon qui persécute les femmes et qui grâce à l'argent malhonnêtement gagné s'est offert une parfumerie à Paris,

* Michaelos, empereur de Constantinople amoureux de Dame Calieta,

* Romualdo, l'homme-loup,

* Dame Carla, cantatrice italienne, favorite d'Esmeraldino, roi du Portugal et grand séducteur surnommé "le coq".

      

 

 

                                

      La Reine Guenièvre                            Esmeraldino, roi du Portugal.                                      Miss Spindle.                   Comtesses du Folgar.

 

* Teodora, sirène grecque,

* Guenièvre, la Reine, éprise de Lancelot, qui quand elle ne visitait pas les cuisines, passait son temps à broder dans le salon,

* Miss Spindle, régente de Tulé. Il parait que toute l'Amirauté d'Angleterre s'est succédée dans son lit.

* les comtesses de Folgar.

Tous ces gens vivent presque comme vous et moi, ils visitent des lieux authentiques en Aquitaine, à Tolède, à Rome et ... en Galice qui se mêlent à des lieux imaginaires comme la forêt d'Esmelle.

Il est curieux de constater comment Cunqueiro dote chacun de ses personnages d'une atmosphère tout à fait singulière, mélange de fantaisie et de réalisme, qui enveloppe le lecteur et le propulse dans un monde ou le temps semble s'être arrêté.

La seconde partie est composée de relations de pélerins du Chemin de Saint Jacques qui ont fait halte dans l'auberge de Termar tenue par Felipe désormais retraité qui se console de sa vieillesse en se souvenant des jours heureux où enfant, il travaillait comme page du fameux mage Merlin. D’autres aventures se déroulent dans cette auberge telles celle de ce prince portugais transformé en coq à cause de sa vigueur amoureuse !

Dans Merlin les références culinaires abondent, quasiment à chaque page, Cunqueiro fait référence à la cuisine de son époque, celle qu'il consommait à la maison. Les personnages mangent, boivent, cuisinent et l'auteur nous conte tout cela avec détails notamment ce plat typique le « lacon con grelos », les fèves au lard, les pois chiches, les omelettes aux herbes sans oublier de bonnes bouteilles de vin rouge. De plus, Dame Genièvre, épouse du roi Arthur et maîtresse de Lancelot est une grande dame qui ne manque pas de visiter les cuisines lors des visites de gens de haut lignage. Alors elle prépare elle même un gâteau aux amandes la colineta, un classique de la pâtisserie galicienne. Par la suite, Cunqueiro publiera un ouvrage "La cuisine de Merlin", véritable voyage culinaire où chaque page est une invitation à se mettre à table et déguster les plats traditionnels. En plus d'un roman fantastique, Merlin est aussi un document qui nous éclaire sur les coutumes culinaires de la région de Mondonedo.

Le livre s'achève par trois appendices, le premier fait référence à François Villon qui s'était illustré sur le Chemin de Compostelle, le second fait allusion au roman de Bernardin de Saint Pierre "Paul et Virginie", et le troisième relate la visite d'un anglais qui arrive de Bretagne pour s'enquérir de la descendance de Merlin et de son héritage.

Quand Cunqueiro publie "Merlin" en 1955, la mode littéraire était au réalisme social et le message de Cunqueiro ou fusionnent mythe et réalité, réalisme et fantastique, surréalisme, était assez mal vu ce qui ne l'empêchât pas de poursuivre dans la même veine.

Ainsi "Les chroniques du sous-chantre" (prix de la Critique 1959) livre qui s'inspire d'une tradition bretonne comparable à la Sainte Compagnie galicienne: un carrosse funèbre dans lequel voyagent les âmes en peine.