BIOGRAPHIE

Journaliste, poète, romancier, dramaturge, scénariste, Alvaro Cunquiero nait le 22 décembre 1911 dans la ville épiscopale de Mondoñedo, l'une des sept capitales de l'ancien royaume de Galice. Sa mère Pepita Mora Moiron appartenait à une famille aisée: "elle avait beaucoup de charme, elle contait des histoires, récitait de vieux romances, elle chantait. Elle connaissait toutes les zarzuelas. Elle inventait des contes pour nous tenir tranquilles".

Son père Xoaquin Cunqueiro Montenegro, bon chasseur et fin gastronome originaire de Cambados possédait une pharmacie dans laquelle s'organisaient des tertulias rassemblant médecins, chasseurs, prêtres ... ce qui fascinait le jeune Alvaro. Son père devint maire de la ville en 1923. "Il m'apprenait tout et je comprenais de suite, il connaissait toutes les herbes, tous les oiseaux qu'il reconnaissait à leurs chants "

L'enfance d'Alvaro a été marquée par le salon de coiffure de Manuel Ledo Bermudez "El pallarego" qu'il fréquentait régulièrement "Il a été mon grand maître. Avec lui, j'ai appris la philosophie, la musique, la littérature, la géographie. J'allais le voir tous les jours et je lisais le journal aux clients, inventant la moitié des nouvelles que le barbier ne manquait pas de commenter. C'est chez lui que j'ai écrit mes pièces de théâtre qui relataient les petites histoires entendues la veille dans la boutique et nous les jouions".

C'était une enfance heureuse marquée par la vie rurale, il dénichait les oiseaux avec les gamins du village, grillait des châtaignes, se parait des feuillages le premier mai. Le jeune Alvaro aimait lire et il lisait beaucoup: des livres de chevalerie, "Le Rouge et le Noir" de Stendhal, "la Vie du Christ" de Renan. S'il ne comprenait pas tout il les a relus plus tard et conservé l'émotion de ses premières lectures. Il lisait aussi des bandes dessinées de westerns, de Buffalo Bill; c'est ainsi qu'à dix ans il a écrit une histoire où les blancs parlaient espagnol (castillan) et les indiens galicien !

 

                                                    

         

                                                Une BD prisée par le jeune Cunqueiro       L'orchestre "Románticos" (Cunqueiro en médaillon).

A propos de Renan, signalons que Tréguier sa ville natale est jumelée avec Mondoñedo et que les statues des deux écrivains font face à la cathédrale.

Comme la Bretagne, la Galice est une société riche de tradition orale que toujours Cunqueiro mettra en valeur: "ma région de Mondoñedo est la plus marquée par les romances carolingiens et la légende arthurienne. Les registres paroissiaux montrent que de nombreux enfants recevaient jusqu'au XVIIIe siècle des prénoms tels Tristan ou Lancelot. »

 

                        

                         

La matière de Bretagne était fort en vogue à l’époque en Galice et de nombreux ouvrages dont « Percival » ou « Le Chevalier du Saint Graal » de Ramón Cabanillas et illustrés par Alfonso Castelao ont été publiés. Cunqueiro disait que chaque galicien porte une partie de la Bretagne en lui-même et il rapporte que près de Mondonedo, il y a une grotte dite grotte de Cintolo, nom local du roi Arthur (et ou Carlos Nunez a joué de la gaita entre les stalagtites). Tout cela apparaitra plus tard dans son oeuvre. Et Carlos Nunez dans son livre "Almas de Fisterra" évoque ce rapport profond que Cunqueiro entretenait pour la Bretagne.

En 1921, Cunqueiro s'installe à Lugo où il obtient le baccalauréat, s'inscrit au Lycée Général et Technique, il y écrit dans le journal des textes de sa composition dont son premier article:   Une éclipse à Lugo. Il découvre Platon, Dante et Cervantes, puis Rafael Alberti, Garcia Lorca et prend conscience du fait galicien "la langue galicienne a été la découverte la plus importante de ma vie, je faisais même mes devoirs de chimie en galicien. La Galice était ma terre, la terre de ma vocation". En 1927, Cunqueiro s'inscrit à l'université de Saint Jacques de Compostelle et participe aux rencontres de jeunes intellectuels qui composent l'avant garde littéraire mais lui s'estime différent des autres et perçoit que son oeuvre sera à contre courant des influences traditionnelles. Parmi ses fréquentations, un jeune écrivain qui deviendra lui aussi célèbre Gonzalo Torrente Ballester qui lui dédicacera les "Chroniques du Sous-chantre".

Il publie dans plusieurs revues puis crée en 1933 la sienne Galiza en galicien aux accents très nationalistes. Il rejoint de bonne heure le Parti galleguiste qui lui semble l'outil à même de défendre ses aspirations tout en rassemblant des courants de gauche et de droite. Mais Cunqueiro, qui fait campagne pour l'autonomie,  est aussi conservateur par tempérament, de droite en un mot, s'affirmant même antimarxiste.

Petit à petit son engagement s'affirme: premier discours en 1930 à l'occasion de la sortie de son hebdomadaire "Acción Gallega," Cunqueiro rencontre Luis Seoane, peintre et dessinateur qui le mettra en relation avec la revue nationaliste NOS qui publie en 1932 son premier ouvrage  "Mer du Nord"  ouvrage influencé par le cubisme et le poète chilien Vicente Huidobro. La collaboration de Cunqueiro et Seoane est fructueuse mais la guerre civile survient, des textes de Cunqueiro disparaissent et ne seront édités qu'en 1977 accompagné de dessins de l'époque.

Il y a donc un parcours sinon commun du moins parallèle entre Castelao et Cunqueiro et il semble que les deux auteurs ne se soient guère fréquentés: différence d'âge, d'origine sociale, conceptions politiques opposées ?

Avec "Cantiga Nova que se chama ribeira" composé sur un coin de table un soir de tournée ou l'on parla de rois, de troubadours ... Cunqueiro s'inspire du cancionero traditionnel galicien, raconte un pélerinage de bigotes à Fatima. Et le poème obtint en 1934 un premier prix littéraire.Cunqueiro participe à de nombreuses revues dont Yunque qui publie le "Madrigal à la ville de Saint Jacques" de FGL, Pueblo Gallego. Puis il publie Poemas do si e no, livre surréaliste également illustré par Seoane où l'on retrouve l'empreinte d'Alberti, de Huidobro (Altazor) et Eluard ("Capitale de la Douleur").

Le 28 juin 1936, les galiciens approuvent très largement le Statut d'Autonomie. Cunqueiro a participé à la campagne en sa faveur mais le coup d'état franquiste du 18 juillet provoque chez lui une attitude très controversée. Il est alors professeur à Ortigueira et s’il condamne clairement le soulèvement il opère un revirement spectaculaire qui le conduit à collaborer à des publications phalangistes; les pressions de sa famille, l'assassinat de plusieurs de ses amis. Il ne s'exprime plus qu'en castillan. Il s'installe à Mondoñedo puis à Ortigueira. En avril 1939, il entre à la rédaction d ' ABC à Madrid et ses articles apparaissent dans de nombreuses publications franquistes, écrit des poèmes en l'honneur de Franco et de José Antonio Primo de Rivera

Son activité de poésie, si elle n'est pas abandonnée n'en souffre pas moins: l'expression avant-gardiste n'étant pas au goût du jour ... . Il écrit également quelques pièces de théâtre dont l’une s’inspire d'un poème de François Villon la " Ballade des dames du temps passé" que nous retrouverons dans Merlin. En 1940, il publie "Elegias y canciones", en 1945, "Baladas de las damas del tiempo pasado"

Concentrons-nous sur ce que Cunqueiro a fait ensuite, c’est à dire essentiellement écrire.

Après l'épisode rocambolesque du retrait de sa carte de journaliste suite à un incident jamais éclairci avec l'ambassade de France, il se consacre à la littérature et se retire de la vie politique. En 1944 il quitte la Phalange, demeure encore deux ans à Madrid et s'en retourne en Galice. Il collabore alors aux journaux tels La Noche, El Progreso, La Voz de Galicia.... puis El Faro de Vigo dont il assumera la direction entre 1965 et 1970. Il reprend sa production poétique, donne des conférences et des émissions à la radio.

Les années 50 seront celles de ses grandes productions en galicien comme en castillan avec notamment ses deux romans bretons " Merlin et famille" 1955 et "Les chroniques du souchantre" (1956) qui font de lui l'un des maîtres de la littérature fantastique espagnole et lui vaudront le Prix de la Critique. Torrente Ballester écrit dans sa préface aux Chroniques « L’univers de Castelao ressemble à un fatras dont il a soigneusement posé les repères, un planisphère incroyable sans aucune commune mesure avec celui que nous connaissons ». Citons "Don Hamlet, prince du Danemark" (1958),"La jeunesse d'Ulysse" (1960), Un homme qui ressemblait à Oreste" (1969 qui lui vaudra le Prix Nadal), "L'année de la comète et de la bataille des quatre rois" (1974).

Il fut fait Docteur Honoris Causa de l'Université de Santiago (1980) et meurt le 28 février 1981.

 

                                                  

                                      Statue de Cunqueiro à Mondoñedo.                         La fameuse tarte de Mondoñedo.

Alvaro Cunqueiro reconnu aujourd'hui comme un orfèvre de la langue espagnole et comme celui qui a élevé la langue galicienne à un niveau jamais atteint depuis Rosalia de Castro, a longtemps souffert d'être considéré comme un écrivain "régional". Peu connu dans notre pays malgré trois traductions:"Chroniques du sous chantre", "L'année de la comète", "Galiciens, corbeaux et parapluies", il mériterait d'être mieux apprécié, lui qui n'a cessé d'évoquer la Bretagne dans ses livres, ses articles, ses chroniques à la radio. Dans son livre "Almas de Fisterra" qui vient d'être traduit en français, Carlos Nuñez évoque longuement le rapport de Cunqueiro à la Bretagne.

Ajoutons pour terminer cette première partie, que Cunqueiro fut un "bon vivant" amateur de bonnes tables et des vins du Ribeiro. Ses ouvrages sont truffés de références gastronomiques et culinaires; un prix gastronomique réputé porte son nom.