Sur la divine liturgie

La Divine Liturgie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, plonge ses racines dans deux coutumes en usage dans l’Ancien Testament :

- Les Israélites avaient l’habitude de prononcer des « berakoth » (bénédictions) au début du repas, par lesquelles ils exprimaient leur reconnaissance à Dieu, Auteur de tout bienfait et Créateur de toute chose, entre autres de celles qui servent à la nourriture des hommes. Cette action de grâce, acte de remerciement, se dit en grec euxaristia, et ce mot est à l’origine du mot « eucharistie ». Au début du repas, on bénissait la coupe de vin en disant : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, Roi des siècles, qui nous donnes ce fruit de la vigne ». Puis le chef de famille prenait le pain et le rompait en disant : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, Roi des siècles, qui produis le pain de la terre. Rendons grâce à notre Dieu qui nous a nourri de son abondance. »

- D’autre part, on offrait à Dieu des « sacrifices » : offrande végétale ou animale posée sur un autel de pierres et brûlée en offrande à Dieu, en louange ou en remerciement pour un bienfait. On connaît les sacrifices de Caïn et Abel (Genèse 4, 3 à 5) et celui de Noé après le déluge (Genèse 8, 20). Par contre, et contrairement aux peuples voisins adorateurs d’idoles, Israël ne connut pas de sacrifices humains car Dieu avait fait connaître à Abraham qu’il réprouvait ce genre de pratique. (« Ne porte pas la main sur ce garçon, et ne lui fais rien de mal .» Genèse 22, 12). Le livre du Lévitique codifie soigneusement la manière de procéder à ces sacrifices.( Lévitique, 1 à 7).

C’est une « beraka » ou bénédiction que Jésus célèbre le soir du Jeudi Saint à la dernière Cène en présidant le repas de ses disciples. Mais il lui donne un sens nouveau en identifiant le pain à son corps qui sera offert en sacrifice sur la croix pour le salut du monde, et le vin à son sang qui sera versé pour nous (Marc, 14, 22-24). Les deux traditions se rejoignent, celle du merci à Dieu pour Ses bienfaits (Eucharistie) et celle du sacrifice de Jésus, « Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jean, 1, 29). Jésus est en même temps prêtre et victime : il offre et il est offert.

Saint Paul (1 Corinthiens 11, 23-25) rapporte une autre parole de Jésus au cours de ce dernier repas : « Chaque fois que vous mangerez de ce pain et que vous boirez de cette coupe, vous annoncerez ma mort jusqu’à ce que je vienne. » Les premiers chrétiens prirent donc l’habitude de se réunir le dimanche, jour de la Résurrection, pour célébrer le repas du Christ, qui n’est plus un simple repas, mais qui est participation de l’assemblée aux événements salutaires de la mort et la Résurrection du Seigneur. Dans les Actes des Apôtres, Saint Luc nous dit que ces premiers chrétiens « persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans la prière ». (Actes, 2,42). Ce verset nous donne le premier schéma de toute Liturgie eucharistique : enseignement des apôtres (Lectures bibliques), fraction du pain (consécration), communion, prières.

Si toutes les Liturgies se réfèrent à ce même schéma, la célébration prendra vite des formes assez différentes selon les traditions des Eglises locales. Les nombreuses formes de la Liturgie connues en Occident (romaine, mozarabe, ambroisienne, lyonnaise, dominicaine…) et en Orient (byzantine, chaldéenne, arménienne, éthiopienne,….) sont des développements locaux de ces réunions dominicales décrites par Saint Luc. L’Eglise orthodoxe connaît quatre formes de la Divine Liturgie que nous citerons par ordre chronologique de leur apparition. Par « liturgie de… », il faut entendre non pas l’ensemble de l’office, élaboré avec le temps, mais bien l’anaphore ou prière eucharistique, centre et cœur de la Liturgie.

La Liturgie de Saint Jacques de Jérusalem.

La plus ancienne puisqu’elle est attribuée à saint Jacques, frère du Seigneur et premier évêque de Jérusalem. Elle remonte à la plus ancienne tradition chrétienne. Par la forme et l’esprit, elle est apparentée aux plus anciens textes chrétiens connus, tels la Didaxh, les épîtres de Clément, d’Ignace, de Polycarpe… Elle est employée dès l’époque apostolique et fut pendant des siècles la liturgie normale dans les patriarcats d’Antioche et Jérusalem. C’est encore celle de l’Eglise syrienne jacobite, qui s’est séparée de la communion orthodoxe en 451. Dans l’Eglise orthodoxe, elle peut (sans obligation) être célébrée le 23 octobre, fête de saint Jacques, le Dimanche après Noël ou dimanche de la Sainte famille, et le Jeudi Saint. Elle est très longue.

La liturgie de Saint Basile, évêque de Césarée en Cappadoce (330-379).

Elle est un condensé de celle de Saint Jacques et la supplante dès le 6e siècle dans tout l’Orient, avant d’être elle-même supplantée par celle de saint Jean Chrysostome aux 8e-9e siècles. Elle est très théologique et exprime l’essentiel de notre Foi. Elle est obligatoire les dimanches de Carême, aux fêtes de la Nativité, de la Théophanie, le 1er janvier fête de Saint Basile et le Jeudi-Saint.

La liturgie de Saint Jean Chrysostome, de Constantinople, mort en 407.

Elle devient la liturgie ordinaire de l’Eglise orthodoxe depuis le 8e 9e siècle. Elle est plus brève que celle de Saint Basile, et exprime la théologie d’Antioche. C’est notre « pain quotidien ».

La liturgie de Saint Marc

C’est un rite exprimant la théologie d’Alexandrie, profondément inspiré par la Sainte Ecriture. L’esprit est un peu différent des autres : on y insiste sur la recherche de la paix intérieure et de la sérénité et la gratitude pour tout ce que Dieu nous donne plutôt que sur l’aspect pénitentiel. Cette liturgie, qui fut en usage dans le patriarcat d’Alexandrie jusqu’au 13e siècle, peut (pas d’obligation) être célébrée le 25 avril, fête de Saint Marc. (Mais en pratique, c’est souvent impossible vu que cette date tombe souvent en carême, et durant cette période, les jours de semaine sont a-liturgiques).

Nous ne citons que pour mémoire ce qu’on appelle parfois « Liturgie de saint Grégoire de Rome » ou liturgie des présanctifiés. Célébrée les mercredis et vendredis de carême, elle n’est pas une liturgie, puisqu’il n’y a pas de consécration. C’est un office de vêpres suivi d’une distribution de la sainte communion consacrée le dimanche précédent.

REFLEXIONS GENERALES A PROPOS DE LA DIVINE LITURGIE

1) Le mot « liturgie » vient du grec, « leitourgia », dérivé de laoj : peuple, et ergon : travail. La liturgie est l’œuvre du peuple. Elle ne se conçoit pas sans le peuple puisqu’elle est un dialogue permanent entre le prêtre et la chorale. Il faut qu’il y ait au moins une personne pour répondre au prêtre.

Elle s’adresse à tout le peuple. L’Eglise orthodoxe ne connaît pas de messes à public « ciblé » comme dans l’Eglise catholique (Messe des jeunes avec guitare et rock, messe des aînés avec latin et cantiques…) Tous ont leur place à la Liturgie. Même les bébés qui communient. Bien sûr, ils ne comprennent pas, mais le Liturgie n’est pas une affaire de compréhension, mais d’amour. « Je Te loue, Père Seigneur du ciel et de la terre, de ce que Tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que Tu les as révélées aux tout-petits ». (Luc 10, 21)

2) Mais si elle est l’affaire du peuple, la Liturgie est Théocentrique, elle est toute entière tournée vers le Seigneur. C’est la louange officielle du corps mystique à Dieu. Tout est fait pour honorer Dieu et témoigner de notre soumission à Lui.

En conséquence, tous, le prêtre comme les fidèles, sont tournés vers l’Est, vers le soleil levant, car le Christ est comparé au soleil levant dans les hymnes liturgiques. (Exemples : Tropaire de la Nativité de la Mère de Dieu : « …car de toi s’est levé le Soleil de justice, le Christ notre Dieu… ». Tropaire de Noël : « … à sa clarté les savants adorateurs des astres, d’un astre ont appris à T’adorer, Soleil de justice, te découvrant comme l’orient venu d’en-haut… »). Les églises orthodoxes sont bâties à cet effet avec le sanctuaire du côté de l’Est. Le prêtre guide les fidèles, mais marche avec eux, vers le seul et unique Pasteur : Jésus-Christ.

3) Tout est prévu dans les livres pour célébrer la Liturgie orthodoxe. Elle provient de la lente maturation d’une prière polie par des siècles de sainteté. Tout ce qui n’était pas théologiquement correct a été enlevé. La Liturgie n’est donc pas le moment pour la prière personnelle (Bien sûr, celle-ci n’est pas méprisée : « «Entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie Ton Père qui est dans le lieu secret. Ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » Mathieu, 6,6), mais plutôt le temps pour s’unir à la prière de nos frères présents ou absents, contemporains ou décédés. Le prêtre n’improvise pas, ne livre pas ses états d’âme, il fait ce qui a toujours été fait par l’Eglise. En conséquence, même un mauvais prêtre peut transmettre la Foi orthodoxe.

La Liturgie n’est pas non plus le moment d’engager des actions socio-caritatives. Celles-ci sont hautement louables (« Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à Moi que vous l’avez fait » Mathieu, 25, 40), mais en-dehors du cadre de la Divine Liturgie.

4) La Liturgie se célèbre en union avec les fidèles de tous les temps et de toute la terre. L’humanité entière est prise en charge par notre prière liturgique. Nous apportons à l’Eglise les intentions de tous ceux qui nous ont demandé de prier pour eux, de tous nos amis, notre famille, nos connaissances, dont les noms figurent dans notre livret et qui sont cités nommément. Nous déposons leurs et nos problèmes sur l’autel pour les confier au Seigneur. (« Déposons tous les soucis de ce monde. » Liturgie de Saint Jean Chrysostome). La présence mystique en nos assemblées des fidèles de jadis est symbolisée par la présence des icônes.

5) La Liturgie se célèbre dans la beauté, car la beauté de la création porte à l’adoration du Créateur et auteur de toute beauté. Les envoyés du grand prince Vladimir de Kiev, revenus de Constantinople où ils avaient assisté à une Liturgie pontificale à Sainte Sophie, disent au prince : « Nous ne savions plus si nous étions au ciel ou sur la terre ». La Liturgie, c’est faire descendre le ciel sur la terre. Elle doit charmer les cinq sens : l’ouïe par la beauté des chants, la vue par la beauté des décorations, dorures, icônes…, l’odorat par l’encens, le goût par le pain et le vin, le toucher car on touche les icônes.

Sous-diacre Jean Hamblenne