Ce que l'on retiendra...

Ce que l’on retiendra de la XVII ème université d’été du CFDU.

Poitiers : 28-30 Août 2013

L’université d’été du CFDU a été chaleureusement reçue par la Communauté d’Agglomération et par la ville de Poitiers. L’ambiance était dynamique et propice aux échanges. Les représentants des collectivités ont beaucoup participé à nos débats. Poitiers est très engagé dans une évolution de la gestion intercommunale de l’espace urbain et du territoire dont les résultats nous ont parus remarquables.

Toutes les associations professionnelles d’urbanistes, les chercheurs et les formateurs, les jeunes urbanistes, toutes les composantes de la profession selon ses différents exercices, étaient représentés à l’université d’été, réunis pour cette réflexion avec des représentants de tous les types de maîtrise d’ouvrage. Ils ont analysé et salué les potentialités très vastes qui s’ouvrent à l’urbanisme et aux urbanistes avec l’achèvement de la décentralisation. Dans le même temps, tous s’inquiètent ensemble que les changements actuels se résument à des évolutions des outils et peu à la mobilisation et la responsabilisation des acteurs.

L’acte III de la décentralisation doit être l’acte III de la structuration de la profession d’urbaniste

Suite à l’éclatement du projet en trois lois distinctes, le terme d’acte III de la décentralisation n’est finalement plus celui qui est retenu pour définir le panel de lois engagées pour reconfigurer l’organisation des métropoles et des intercommunalités et des répartitions de compétences entre collectivités territoriales. Son troisième volet qui devrait consolider la gouvernance des intercommunalités est très attendu et le CFDU a eu souvent l’occasion de s’exprimer dans ce sens.

Mais un acte III du CFDU s’impose pour le moins.

L’acte I était celui de la recherche de structuration d’une profession une fois la compétence d’urbanisme confiée aux communes.

L’acte II fut celui d’une démarche confédérale avec la création du CFDU qui a lui-même donné naissance à un instrument de qualification de la profession, l’OPQU.

Urbanisme, génération décentralisation, c’est le constat que dans un pays comme la France, où l’Etat élabore les lois et en assure le contrôle de légalité, où les lobbys professionnels sont des organisations influentes qui encadrent la structuration des professions, l’urbaniste, résultante d’un panel d’interventions nombreuses et fort différentes, peine à trouver sa place dans cet urbanisme « décentralisé »

Cette période n’a pas produit la structuration d’un tissu professionnel adéquat aux côtés des collectivités locales. C’est un fait. Aujourd’hui encore, chacun y va de son initiative en pensant qu’un « ordre nouveau » permettra de retrouver une unité pourtant révolue.

Les trente années qui viennent de s’écouler ont démontré qu’une planification sans projet était la porte ouverte à la construction d’outils peu lisibles, détachés des finalités qui sont le point de passage entre la planification et la population présente sur les territoires. L’enjeu de l’intercommunalité réside dans un projet pour le territoire qui est davantage compréhensible si on ne l’enferme pas dans une spécialisation technique.

Comment envisager le devenir d’une profession, dès lors où les professionnels qui la portent ne sont pas lisibles dans les organigrammes des collectivités, ou leurs contrats sont précaires. Comment conduire de tels projets si les marchés publics qui structurent la commande dans ce domaine ne sont pas adaptés à de tels travaux.

L’acte III de la structuration de la profession doit être la convergence de toutes les énergies, de toutes les structures et de toutes les personnes qui sont convaincues que faire œuvre d’urbanisme repose sur une approche systémique de la ville et une conception intégrée du projet, qui se distingue fondamentalement d’une ingénierie ordinaire.

La subsidiarité, élément clé d’une planification connectée avec le quotidien et les populations.

La structuration d’une profession est la condition d’une possible subsidiarité dans la gestion des territoires. De manière paradoxale, cette subsidiarité était plus forte quand l’Etat déconcentré disposait de services importants dans les territoires pour répondre aux sollicitations des élus locaux. L’Etat était structuré pour définir le profil des personnes, leur assurer un encadrement, une formation, et une perspective de carrière qui était de nature à capitaliser les savoirs faire. Au-delà de la question purement statutaire, ces personnes pouvaient être identifiées par les habitants d’un territoire.

Il ne s’agit pas de prôner le retour à un âge antérieur. Il s’agit d’inventer une nouvelle relation outil-professionnels-élus. La présence du CNFPT à nos côtés lors de cette université d’été a été l’occasion de constater que des pistes nouvelles sont possibles pour la consolidation des savoirs.

L’empilement successifs des lois, parfaitement décrite par Maurice Goze en ouverture de l’université, est venu ajouter de la règle à la règle, en creusant chaque fois un fossé un peu plus grand entre le citoyen et l’élu qui est contraint d’endosser le carcan abstrait des innombrables outils qui chacun isolément ont leur propre légitimité.

Philippe Laurent a fortement souhaité que l’on fasse confiance aux élus au lieu de chercher à tout légiférer. Mais si l’on veut pouvoir donner cette confiance, il faut aussi pouvoir assurer une proximité de tous les instants entre les élus et des professionnels aguerris.

Ainsi le changement d’échelle territoriale grâce aux PLUi initiés par la loi de décentralisation et repris par la loi ALUR est aussi synonyme d’éloignement du citoyen. Et Face à la démultiplication des outils, l’aspiration naturelle est d’inventer l’outil de planification capable d’intégrer tous les autres. Ainsi les travaux de réécritures actuels des PLU visent-t-il à proposer qu’ils puissent assurer le rôle de PDU, de PLH, … Mais croire en un « méta » outil capable de cela est-il possible ? N’est-ce pas croire que quelqu’un puisse un jour écrire le référentiel d’une ville idéale, ayant intégré les diverses éventualités, et capable d’anticiper toute les évolutions. C’est comme croire que les lois puissent suffire à rendre la Justice.

Plus que jamais, le mot « urbaniste » se décline au pluriel.

La logique fédérale qui a prévalu à la constitution du CFDU se révèle chaque jour plus pertinente. Les professionnels de l’urbanisme sont divers, mais ils se doivent aujourd’hui d’agir collectivement pour une reconnaissance de la spécificité de l’exercice de leur métier au sein de l’univers des acteurs de l’urbain.

Les trente années écoulées ont vu se diversifier les profils des urbanistes. Précédemment principalement prestataires, le développement des agences d’urbanisme, des SEM, des services des intercommunalités, des établissements publics, des Etablissements Publics Fonciers, .. ont contribué à diversifier leurs interventions. La prise en compte de la conduite des villes et des territoires, a élargi le panel des professionnels : ruralistes, urbaniste concepteur, spécialistes de la planification, de la mise en œuvre ou de la gestion. Des urbanistes développent des compétences supplémentaires (en environnement, en déplacements, en économie spécialisée…) pour répondre aux nouvelles transversalités et aux nouvelles techniques. L’investissement issu d’une disponibilité plus grande, et la meilleure accessibilité à l’information permettent aussi la naissance de citoyens –urbanistes. L’approche collaborative qu’ils inventent dépassera largement l’habituelle attente de concertation.

La mobilité, la nouvelle gestion du temps, les territoires multiples, dessinent des périmètres beaucoup plus ouverts et plus complexes que ceux que nous propose la décentralisation et son partage de compétences. Comment nous en saisirons-nous ?

Plus que jamais, le mot urbaniste se décline au pluriel. Plus que jamais, l’urbanisme se fait dans un passage de relai, une action croisée de professionnels dans des postures d’exercice différents.

Ces variations nécessitent plus que jamais que soit identifié le commun dénominateur qui met en exergue la spécificité du travail « d’urbaniste » sur celui de l’ingénieur. La délimitation n’est pas celle à proprement parler d’une formation ou d’un titre. Elle est celle d’une capacité à formuler les questionnements, à superposer les échelles, à assembler les thématiques.

Le management « urbaniste » est un management intégrateur, qui évite la segmentation des questions, qui est capable d’apporter une vision globale du territoire et de l’organisation des collectivités. A trop parler « d’ingénierie territoriale » on risque de ne plus avoir que des territoires fragmentés, sortes de collages de problématiques isolées, qui sont la négation de la complexité de la ville.

En France, l’Etat, reste de fait un acteur « central » de l’urbanisme…

L’Etat fut le grand absent de cette 17ème université d’été, même si ce dernier était représenté à la dernière table ronde et que des excuses du cabinet de Marylise Lebranchu nous ont été transmises à postériori[1].

Et Pourtant. Comment un Etat, qui est capable de décider que les documents de planification doivent s’élaborer à une échelle intercommunale, que telle Métropole est européenne et telle autre sera desservie par un TGV, peut laisser penser qu’il est étranger à la conduite de l’urbanisme en France. Comment un Etat qui décide de supprimer le mot urbanisme des diplômes universitaire[2] ou qui verrouille l’accès de ses diplômés aux postes de directeur de l’urbanisme[3] peut laisser penser qu’il est étranger à la conduite de l’urbanisme en France ?

Laisser penser que l’Etat n’a plus rien à voir dans la pensée sur la ville et les territoires en France est de plus une erreur qui pourrait être lourde de conséquences ultérieures. Cela n’est en rien facteur d’économie, mais cela génère à tous coups une lecture brouillée de la conduite de l’urbain.

[1] Par ailleurs, les termes du courrier de réponse de la Ministre au Sénateur Pierre Jarlier, en date du 18 juillet dernier témoigne d’une absence de prise en compte des enjeux de la spécificité de l’urbanisme dans les collectivités locales.

[2] [2] Les décrets sont fort heureusement revenus depuis sur cette décision contre laquelle les urbanistes professionnels et les enseignants s’étaient élevés et que nous rappelions lors de l’Université d’été.

[3] [3] Cette interdiction d’accès par contre survit invraisemblablement depuis plusieurs années, à l’encontre de toute analyse raisonnable.

En quoi consiste de fait la « décentralisation » en urbanisme ? La mobilisation des collectivités locales sur la planification territoriale résume-t-elle à elle seule la décentralisation de l’urbanisme ?

Quid de l’ambiguïté entre projet urbain et projet d’urbanisme. L’arrivée des grandes stars de l’architecture et du paysage dans le champ du modelage des quartiers ? La prévalence d’une approche de composition spatiale dans la pensée sur les villes et les territoires ne serait-elle pas la conséquence d’une décentralisation qui s’est focalisée sur les outils de planification territoriale ? La planification a d’ailleurs souvent été désertée par les professionnels qualifiés de l’urbanisme au motif de l’absence de rémunération suffisante. On peut craindre que cette évolution malencontreuse s’accentue quand un rapport ministériel envisage que les PLUi permettent encore une économie de près de moitié des couts d’études !

Durant ces trente années écoulées, le système a fonctionné sur ses propres capacités à construire une vision intégrée de la ville et des territoires, inventant localement les nouvelles transversalités nécessaires. Mais ces inventions sont peu reprises, disparaissent dans la normalisation des échelles, ce fonctionnement s’érode. La fracture s’accroit entre ceux qui planifient et ceux qui conçoivent la ville. L’effet collatéral de cette évolution est l’effacement des missions d’urbanisme au profit de de taches technicistes et parcellisées, émargeant directement aux plus-values à court terme.[1]

[1] Que penser d’un pays qui consacre annuellement un montant bien plus important aux enquêtes d’opinion et aux études de marketing qu’aux études d’urbanisme ? A-t-il confiance en son avenir ?