La réforme de la garde à vue en France : un nouveau souffle pour les droits de la défense ? Les explications de Yassine Yakouti

La garde à vue est une mesure privative de liberté qui permet aux enquêteurs de retenir une personne suspectée d'avoir commis une infraction, afin de l'interroger et de vérifier ses déclarations. Cette mesure, qui peut avoir des conséquences importantes sur le déroulement du procès pénal, doit respecter les droits fondamentaux de la personne gardée à vue, notamment le droit à un procès équitable et le droit à l'assistance d'un avocat.


Or, ces droits ont longtemps été négligés par la législation française, qui accordait la priorité à l'efficacité de l'enquête au détriment des garanties procédurales. Ce n'est qu'en 2011, sous la pression de la jurisprudence européenne et constitutionnelle, que la France a adopté une réforme de la garde à vue visant à renforcer les droits de la défense. Quel bilan peut-on tirer de cette réforme, près de dix ans après son entrée en vigueur ? C'est ce que nous allons voir dans cet article, qui s'appuie sur l'expertise de Yassine Yakouti, avocat pénaliste.

Un contexte juridique favorable à la réforme, selon Yassine Yakouti

La réforme de la garde à vue en France n'est pas le fruit d'une initiative spontanée du législateur, mais plutôt la réponse à une exigence imposée par les juridictions supérieures. En effet, depuis les années 2000, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et le Conseil constitutionnel ont progressivement remis en cause la conformité du régime français de la garde à vue aux principes fondamentaux du procès pénal, explique Yassine Yakouti.

La condamnation de la France par la CEDH

La CEDH est l'organe chargé de veiller au respect de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) par les États membres du Conseil de l'Europe. Or, cette convention consacre le droit à un procès équitable (article 6), qui implique notamment le droit d'être informé des motifs de son arrestation et de toute accusation portée contre soi, le droit d'avoir le temps et les facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et le droit d'être assisté par un avocat dès le début de la privation de liberté, note Yassine Yakouti.


Or, ces droits étaient loin d'être garantis par le régime français de la garde à vue avant 2011. En effet, le gardé à vue n'était pas informé du droit de garder le silence, il ne pouvait consulter son avocat qu'après 20 heures (voire 72 heures dans certains cas), il ne bénéficiait que d'un entretien limité à 30 minutes avec son avocat, qui n'avait pas accès au dossier et ne pouvait pas assister aux auditions.


Ces manquements ont conduit la CEDH à condamner la France à plusieurs reprises pour violation du droit à un procès équitable. Par exemple, dans l'affaire Salduz c. Turquie (2008), la Cour a affirmé que « le droit pour toute personne arrêtée ou détenue d’être assistée d’un avocat doit être considéré comme un élément fondamental du droit à un procès équitable ». Dans l'affaire Brusco c. France (2010), elle a jugé que « l’absence d’assistance effective par un avocat dès le début du placement en garde à vue constitue une restriction substantielle des droits de la défense ».

La censure du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel est l'institution chargée de contrôler la conformité des lois à la Constitution française. Or, cette dernière garantit également le droit à un procès équitable (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen), ainsi que le respect des droits de la défense (préambule de la Constitution de 1958), indique Yassine Yakouti.


Or, ces droits étaient également méconnus par le régime français de la garde à vue avant 2011. En effet, le gardé à vue n'avait pas la possibilité de contester la légalité de sa mesure de privation de liberté devant un juge, il n'avait pas accès à un recours effectif en cas de violation de ses droits, et il était soumis à une pression psychologique pouvant affecter sa capacité à se défendre.

Ces atteintes ont conduit le Conseil constitutionnel à censurer les dispositions législatives relatives à la garde à vue dans sa décision du 30 juillet 2010. Le Conseil a estimé que « le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le respect des droits de la personne suspectée et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions ». Il a donc déclaré contraires à la Constitution les articles du code de procédure pénale qui régissaient la garde à vue, en laissant au législateur jusqu'au 1er juillet 2011 pour y remédier, explique Yassine Yakouti.

Les apports de la réforme de 2011

Face à cette situation, le législateur a adopté la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, qui a modifié en profondeur le régime juridique de cette mesure. Cette réforme a eu pour objectif principal de renforcer les droits de la personne gardée à vue, tout en préservant l'efficacité de l'enquête, estime Yassine Yakouti.

Le renforcement du droit à l'information

La réforme de 2011 a amélioré le droit à l'information du gardé à vue, qui est essentiel pour lui permettre d'exercer ses droits et d'assurer sa défense. Ainsi, le gardé à vue doit être informé :


-       des motifs de son placement en garde à vue et des infractions qui lui sont reprochées ;

-       du droit de garder le silence et du fait que ses déclarations peuvent être utilisées contre lui ;

-       du droit d'être assisté par un avocat dès le début de la mesure ;

-       du droit d'être examiné par un médecin ;

-       du droit d'avertir un proche ou son employeur ;

-       du droit d'être assisté par un interprète si nécessaire ;

-       du droit de demander l'intervention d'un magistrat pour contester la légalité ou la nécessité de la mesure ;

-       du droit d'avoir accès aux procès-verbaux relatifs à son placement en garde à vue et aux certificats médicaux.


Ces informations doivent être données au gardé à vue dans une langue qu'il comprend, et doivent être mentionnées dans un procès-verbal signé par lui ou par son avocat.

Le renforcement du droit à l'assistance d'un avocat

La réforme de 2011 a également renforcé le droit à l'assistance d'un avocat, qui est fondamental pour garantir le respect des droits de la défense et l'équilibre des parties. Ainsi, le gardé à vue a le droit :


-       de choisir un avocat ou d'en demander un commis d'office ;

-       d'avoir un entretien confidentiel avec son avocat dès son arrivée au commissariat ou à la gendarmerie ;

-       d'être assisté par son avocat lors des auditions et des confrontations ;

-       que son avocat puisse consulter les procès-verbaux relatifs à son placement en garde à vue, aux certificats médicaux et aux auditions ;

-       que son avocat puisse poser des questions et faire des observations lors des auditions et des confrontations ;

-       que son avocat puisse demander une nouvelle audition s'il estime que des éléments nouveaux sont apparus.


Ces droits sont applicables dès le début de la mesure, sauf dans certains cas où l'intervention de l'avocat peut être différée sur décision motivée du procureur ou du juge d'instruction. Cette dérogation ne peut toutefois excéder 48 heures (ou 72 heures pour les infractions les plus graves), et ne peut porter atteinte au caractère effectif et loyal de l'assistance.