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Descartes en France et en Suède

"Il est de la nature de l'infini que ma nature qui est finie et bornée ne le puisse comprendre."René Descartes (1596-1650)

Christine de Suède en conversation avec René Descartes
[ René Descartes i samtal med Sveriges drottning Kristina ]
Peinture de Nils Forsberg copiée en 1884 d'un tableau de Pierre Louis Dumesnil du XVIII^e siècle. Musée du Château de Versailles.

Fin 1646, deux ans après le couronnement de la reine Christine, celle-ci, par l'entremise de Chanut, alors ambassadeur de France en Suède, débute une correspondance nourrie avec Descartes. Alors qu'il pense « passer le reste de ses jours » aux Pays-Bas, le philosophe est officiellement invité en Suède par la reine. Il écrit que « né dans les jardins de la Touraine », il redoute d'« aller vivre au pays des ours, entre des rochers et des glaces ». Début septembre 1649, Descartes se résout à embarquer, emportant avec lui ses manuscrits. Arrivé à Stockholm le 4 octobre 1649, il est reçu à la cour par Christine qui lui demande de venir dans sa bibliothèque chaque matin à cinq heures, moment « tranquille » pour elle qui se lève dès 4 heures. Descartes accepte « avec respect », sans dire que cet ordre bouleverse ses habitudes, lui qui se lève tard. Il fait toutefois demander par le bibliothécaire de la reine d’être dispensé de « tout le cérémonial de la cour », ce que Christine lui accorde. Les lettres du 9 octobre à Elisabeth et du 4 décembre à Constantin Huygens montrent l'admiration de Descartes pour la jeune souveraine dont il défend avec sincérité « la vertu si haute », alors qu'on évoque la liberté de moeurs de Christine. Mais Descartes dit aussi vouloir retourner « en sa solitude » pour « avancer en la recherche de la vérité ». Son séjour répond mal à son attente car, absorbée par la cour, ses responsabilités et les visites de son royaume, Christine ne peut consacrer assez de temps à la philosophie. Dans la lettre du 15 janvier 1650, Descartes s'interroge sur l'utilité de sa présence à Stockholm, où il avoue ne pas être « en son élément ». Après avoir demandé à Descartes d'écrire un ballet en l'honneur de la paix, où il montre les horreurs de la guerre, la reine le fait revenir au palais l'après-midi pour rédiger un « projet d'académie ». Descartes porte ce texte à la reine le 1er février par un froid exceptionnel. Il tombe malade, après Chanut, qui le logeait et se relevait juste d'une affection pulmonaire. Descartes meurt le 11 février 1650.

Les Illustres Français: René Descartes. Gravure de 1790 de Nicolas Ponce d'après Clément-Pierre Marillier (crédit photo: Yale University Art Gallery)

La dernière demeure de Descartes
Descartes réside dans la maison von der Linde (von der Lindeska huset), alors demeure de l'ambassadeur de France, où il fut accueilli par son épouse Mme Chanut, soeur de Claude Clerselier, ami et éditeur de Descartes. Situé dans Gamla Stan (la vieille ville de Stockholm) aux Västerlånggatan 68 et Kornhamnstorg 51, le bâtiment de briques rouges de quatre étages de style Renaissance néerlandaise existe toujours. Construite par le marchand Erik von der Linde en 1630, la maison est vendue à la reine Christine en 1646. En 1648, elle la donne à son demi-frère, Gustaf Gustafsson af Vasaborg. Une plaque a été apposée sur le mur du 51 en 2010 pour marquer la dernière demeure de Descartes. On pense que le philosophe français y a été traité pour une pneumonie avant sa mort en 1650. Cette tradition est cependant controversée et a été rejetée dans une étude récente (voir Ingemar Oscarsson, "Le philosophe à la baie vitrée. Autour de la tradition concernant la dernière demeure de Descartes", in Lychnos. Annuaire pour l'histoire des idées et de l'apprentissage, 2019).

Après la mort de Descartes La reine Christine souhaitait en signe de reconnaissance que Descartes soit enterré dans l'église de Riddarholmen qui servait alors de nécropole royale. Mais l'ambassadeur de France s'opposa à ce que Descartes soit inhumé dans une église luthérienne et préféra le cimetière de l'hôpital des orphelins situé en dehors de la ville dans le faubourg de Norrmalm. Une chapelle en bois dédiée à Saint-Olaf fut construite en 1674. Elle sera remplacée par l'église Adolf Fredrik (Adolf Fredriks kyrka) construite entre 1768 et 1774. Gustav III qui n'était alors que prince héritier, insista pour qu'un monument rende hommage au mathématicien et philosophe français. L'année de la pose de la première pierre, Gustav informa l'Académie Française de Paris qu'il entendait honorer la mémoire du fait que le grand philosophe Cartesius (Descartes) avait été enterré dans le cimetière pendant quelques années (1650-1666). La commande pour réaliser ce monument est d'abord passée à l'artiste d'origine française et basé à Stockholm Pierre Hubert L'Archevêque, mais après un certain temps, il est tombé malade et est rentré en France. La commande passa alors à l'un de ses anciens disciples : le sculpteur Johan Tobias Sergel. Johan Fredrik Bahr écrit dans son livre « Stockholm. Handbok för resande » (1841) à propos de l'église d'Adolf Fredrik : « En face de la chaire se trouve le monument Cartesii, représentant un génie ailé, qui d'une main couvre le globe et avec la torche de l'autre l'éclaire. L'inscription dit que Gustaf, le prince héritier de Suède, a érigé le mémorial en 1770 pour René Descartes ».

L'oeuvre représente "La Vérité délivrée du Mensonge" et porte l'inscription :
Gustavus Pr. Haer. R.S. Renato Cartesio Nat. in Gallia MDXCVI Mort. in Svecia MDCL Monumentum erexit
MDCCLXX

Le philosophe René Descartes
Huile sur bois attribuée au peintre hollandais David Beck, peintre officiel de la cour de la reine Christine entre 1647 et 1651.Institut Suédois à Paris.

Bibliographie

Annie Bitbol-Hespériès, Descartes et la reine Christine de Suède

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