objectifs

Le Lynx boréal (Lynx lynx) a disparu du Massif des Vosges au cours du 17ème siècle (Herrenschmidt & Léger, 1987 ; Stahl & Vandel, 1998). Les causes de cette disparition sont communes à celles des autres populations européennes de lynx : chasse, piégeage, diminution de la densité de ses proies et modification des paysages (Breitenmoser et al., 1998, 2000 ; Vandel, 2001). Au cours du 20ème siècle, l'évolution des législations européennes en vigueur a laissé place à un contexte écologique favorable au retour de l'espèce (reforestation, augmentation de la densité de proies, protection de l’espèce). Comme dans d'autres régions d'Europe de l'ouest où un retour naturel apparaissait compromis voire impossible, un programme de réintroduction a été organisé dans le Massif des Vosges entre 1983 et 1993 (Kempf, 1982 ; Kempf et al., 1983 ; Herrenschmidt & Vandel, 1990 ; Stahl et al., 2000 ; Vandel et al., 2006). Au total, 21 individus (9 femelles et 12 mâles) ont été lâchés. Finalement, suite à la disparition de 9 lynx (destruction illégale, malnutrition, cause indéterminée) et à la recapture de 2 individus trop familiers, seuls 10 lynx ont participé à l’établissement du noyau de population vosgien (Vandel et al., 2006). De plus, au cours de ce programme, des tensions sont apparues entre les différentes parties prenantes du fait notamment d'un manque de communication et de concertation accompagnant le retour de l’espèce (Herrenschmidt, 1988, 1990). L'acceptation du retour du Lynx dans le Massif des Vosges ne faisant initialement pas l'unanimité, elle en est sortie d'autant plus fragilisée.

Aujourd’hui, l’état de conservation du Lynx dans le Massif des Vosges est critique. En effet, après s’être maintenue durant les années qui ont suivi les lâchés et avoir atteint une aire de présence régulière maximale avoisinant les 2 000 km2 en 2004, l’aire de présence régulière du Lynx dans le massif ne cesse de diminuer depuis 2005 (Marboutin et al., 2011 ; Laurent et al., 2012 ; Marboutin, 2013 ; L’équipe animatrice du Réseau, 2014). Cet état des lieux s’appuie sur le suivi opportuniste assuré par les correspondants du Réseau Loup - Lynx depuis 1988 (Herrenschmidt & Vandel, 1989), complété dès 2011 par différents protocoles de suivis scientifiques mis en place pour préciser la situation de l’espèce dans le massif (hivers 2012-2013 à 2015-2016, 4 sessions intensives de piégeage photographique ; hiver 2011-2012 et 2012-2013, 2 sessions intensives de pistage hivernal ; CROC, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018 ; Germain, 2014a, b ; Germain et al,. 2015, 2016 ; Marboutin, 2013). En 2016 (année du lancement de la rédaction du PRA), l’aire de présence régulière du Lynx dans le Massif des Vosges avoisinait les 100 km2. Après une augmentation en 2017 où l’aire de présence régulière atteint 500 km2 (l’équivalent de la superficie observée dans les années 90 ; L’équipe ONCFS d’animation du Réseau Loup - Lynx, 2018), elle diminue à nouveau en 2018 avec 400 km2 répartis sur trois secteurs (Vosges du sud, Vosges moyennes, Vosges du Nord ; Source : ONCFS / Réseau Loup - Lynx, Schwoerer M.-L., comm. pers., 24/06/2019).

Or, le Lynx est une espèce protégée et menacée d’extinction sur le territoire français (Loi n°76-629 relative à la protection de la nature, article L.411-1 du Code de l’Environnement, arrêté ministériel du 17 avril 1981 mis à jour le 23 avril 2007, arrêté ministériel du 27 mai 2009). Il est classé « En danger » sur la liste rouge UICN des espèces menacées en France (UICN France et al., 2009, 2017). La population vosgienne-palatine est quant à elle considérée « En danger critique » (Liste rouge UICN / CR ; Kaczensky et al., 2013 ; Kaczensky, 2018). Depuis 2017 (un an après le lancement de la rédaction du PRA), le Lynx figure sur la liste des espèces prioritaires pour les politiques publiques en France (Savouré-Soubelet & Meyer, 2018). Il devient une espèce retenue pour les PNA « sa situation appelant à la mise en place d’un plan d’actions coordonné » (UICN France et al., 2017). Le Lynx est également inscrit sur plusieurs listes internationales (Convention de Washington, Convention CITES) et européennes (Directive Habitat Faune Flore, Convention de Berne) justifiant la nécessité d’une protection ou la mise en place de mesures de conservation sur l’ensemble de son aire de répartition. A titre d’exemple, dans les pays de l’Union Européenne (UE), les populations de lynx sont strictement protégées par la Directive Habitat Faune Flore (CEE 92/43 du 21 mai 1992 ; Kaczensky et al., 2013).

Dans le Massif des Vosges, le Schéma Interrégional du Massif des Vosges à l’horizon 2020 cite le Lynx comme espèce à enjeu dans le cadre de l’utilisation du territoire par les différents usagers de la montagne (Commission permanente du comité de massif & Préfecture de la région Lorraine, 2015). Également, le renforcement des populations de lynx et de son acceptation par les habitants locaux au sein de la réserve de biosphère transfrontière des Vosges du Nord-Pfälzerwald figure dans les objectifs de projet de territoire à l’horizon 2025 de la Charte du PNR des Vosges du Nord (PNR Vosges du Nord, 2013). Dans le cadre de sa commission nature et paysages, le PNR des Ballons des Vosges a quant à lui confirmé son soutien à l’élevage et se propose d’accompagner la recherche d’une meilleure coexistence avec les grands carnivores (Michel, 2016). Par ailleurs, les SRCE de Lorraine, d’Alsace et de Franche-Comté intègrent le Lynx en tant qu’espèce patrimoniale, phare, emblématique ou de cohérence (selon les régions) inféodée aux milieux forestiers de plaine et de montagne (Conseil Régional de Franche-Comté & DREAL de Franche-Comté, 2014 ; Conseil Régional de Lorraine & DREAL de Lorraine, 2014 ; DREAL Alsace & Conseil Régional d’Alsace, 2014). Ces SRCE sont en cours d’évolution vers les SRADDET, ce qui représente un enjeu majeur pour l’aménagement du territoire (Morand, 2016).

La présence du Lynx dans le Massif des Vosges constitue enfin un enjeu qui va bien au-delà des limites de ce territoire. C’est la viabilité à long terme d’une métapopulation ouest-européenne de lynx (Jura, Vosges, Palatinat, Forêt-Noire) qui est en jeu. En effet, localisé entre la forêt du Palatinat en Allemagne où le programme LIFE Luchs Pfälzerwald de réintroduction (20 lynx d’ici 2021) est en cours (Kurtz, 2015 ; Schwoerer & Scheid, 2016 ; Stiftung Natur und Umwelt Rheinland-Pfalz, 2015, 2016a) et le Massif du Jura qui accueille le cœur de la population française de lynx (Marboutin et al. 2011), le Massif des Vosges occupe une position stratégique au niveau ouest-européen en matière d‘échanges entre populations. Toutefois, bien que la colonisation naturelle de lynx par le nord ou par le sud du massif soit possible (Chenesseau & Briaudet, 2016 ; Hurstel & Laurent, 2016a, b ; Stiftung Natur und Umwelt Rheinland-Pfalz, 2017e), la connectivité écologique entre ces massifs est actuellement loin d’être optimale (Zimmermann & Breitenmoser, 2007 ; Assman, 2011 ; Blanc, 2015 ; Morand, 2016).

Ainsi, au regard de (1) l’état de conservation critique du Lynx dans le Massif des Vosges (espèce patrimoniale et à présent retenue pour les PNA) et (2) de l’enjeu pour les échanges entre les populations occidentales de lynx, l’objectif à long terme du PRA est de rétablir le Lynx dans un état de conservation favorable dans le Massif des Vosges en travaillant prioritairement sur la coexistence avec les activités humaines (chasse et élevage) ainsi que sur l'habitat et la connectivité écologique (Jura, Vosges, Palatinat, Forêt-Noire). D’autres enjeux ont été identifiés comme la réduction de la mortalité d’origine anthropique (collision et destruction illégale), la consolidation du réseau d’observateurs et le développement de coopérations (régionales et transfrontalières) pour un meilleur suivi et une meilleure protection du Lynx, la diffusion de connaissances sur l’espèce et la sensibilisation sur les enjeux liés à sa conservation.