Le manifeste en jeu

L’enjeu du manifeste

MOT DE L’ AUTEURE

Malheureusement, il n’y a que moi, ici, qui peut parler de notre ouvrage, à Jeanne Demers et à moi. Jeanne est décédée, Jeanne m’a convaincu d’écrire ce livre avec elle, c’était mon post-doctorat, il me fallait un tuteur et un sujet, ce fut Jeanne et ce fut le « manifeste » comme genre littéraire. Il y a de cela quelques années, nous avons écrit ce livre à deux sous la poussée toute amicale et professionnelle de Jeanne qui, généreusement, avait souhaité travailler avec une étudiante de presque trente ans; elle en avait plus ou moins cinquante. Vingt ans nous séparait. Qu’importe, on s’amuserait. Et ce fut le cas, longtemps après la parution de notre essai, jusqu’à sa mort. Comme je m’ennuie d’elle…

Le manifeste était le dada de Jeanne, alors professeur au département d’Études françaises de l’Université de Montréal. Jeanne Demers a toujours travaillé sur des genres ignorés par la « bonne littérature » soit, les manifestes, le conte, les devinettes, les graffitis. Les modes de discours, tous les modes de discours la passionnait. J’emboitai le pas avec quelques réserves et fut vite emballée par la nouveauté de ce que nous écrivions. Il n’existait alors aucun livre sur le genre manifestaire. Disons ouvertement que nous étions des pionnières dans le genre, à l’époque.

Jeanne Demers a continué de creuser le sujet avec maints articles dans des revues savantes. Moi, j’ai emprunté de nouveau le sentier de la 'Pataphysique, mon dada à moi avec en bouche, le goût de l’essai. Transmis par ma grande amie Jeanne Demers. C’est alors que j’entrepris de convertir ma thèse de doctorat sur la Pataphysique, en « essai ». Ce qui donna: Quatre leçons et deux devoirs de Pataphysique. Encore maintenant, l’essai m’intéresse et l’expérience acquise avec Jeanne m’apparaît d’autant plus précieuse. Je l'en remercie vivement.

De Jeanne Demers et Line Mc Murray. Éditions Le Préambule, 1986, 156 pages.

EXTRAIT

... Texte excessif par définition le manifeste est jeu de vie et de mort. Il n'existe que dans la simulation d'une énergie sans bornes et la dissimulation des forces de destruction qui l'habitent. Dissimulation-refoulement paranoïaque susceptible de donner le change et de garantir une survie toujours risquée: la mort du genre n'est-elle pas inscrite dans chacune de ses actualisations ? Elle l'est déjà dans l'obligation qu'a tout manifeste de renouveler ses façons de surprendre, ses modes d'impact. Tromper l'horizon d'attente constitue en effet la condition même de sa réussite, du succès de son "coup", du moins lorsqu'il s'oppose au système. Et n'a-t-il pas une lutte constante à mener contre les nombreux processus de récupération qui le guettent ?...