Vers un Etat climatiquement impuissant ?

Les stratégies d’atténuation, d’adaptation ou encore de préservation de la diversité biologique nécessitent une ingénierie pluridisciplinaire de haut niveau permettant d’allier les approches scientifique, technique, environnementale et sociale, dans les domaines de l’aménagement durable des territoires sous toutes ses facettes (ville durable, maîtrise de l’artificialisation des sols, prévention des risques, évolution des normes de construction, transition énergétique, mobilité durable, …).

Si l’adaptation est nécessairement conçue au niveau local, des liens doivent exister avec les niveaux supérieurs, pouvant intervenir en position de facilitateur, fournisseur de méthodes, pourvoyeur d’accompagnement technique et d’appui financier.

Le Haut-Conseil pour le Climat souligne, dans la partie de son rapport 2021 visant à préconiser d’engager l’adaptation que « chaque échelon territorial a un rôle à jouer. Les instruments et leviers sont multiples et doivent reposer sur un lien renforcé entre aménagement et adaptation, dépasser les approches en silos et se projeter à différentes échelles temporelles et spatiales. »

La complexité des questions d’aménagement durable du territoire en lien avec les défis posés par le dérèglement climatique nécessite une forme de stabilité dans la conduite des politiques publiques afférentes et, par voie de conséquence, du cadre qui permet que ces politiques soient élaborées et portées.

Si les qualifications et compétences à mobiliser pour la puissance publique dans ces domaines sont en constante évolution, il n’en demeure par moins que la pérennité de la capacité de celle-ci à réellement agir passe par la construction, en continu et en son sein, des compétences collectives nécessaires. Ce, afin de couvrir l’ensemble de ses besoins, sur tout le territoire de la République et à tous les niveaux d'intervention.

La construction et le développement de cette compétence collective autour des sujets hautement techniques devrait passer par la proposition d'un cadre permettant le développement de parcours techniques cohérents, qui contribuent collectivement à l'enrichissement de l'expertise, mobilisable par tous les acteurs publics concernés.

L’État devrait en être un des promoteurs. Pourtant, les constats sur la dégradation des capacités à maintenir et développer la compétence technique se multiplient.

"Selon une enquête de l’Institut du management public portant sur la suppression de l’ingénierie publique d’État dans le domaine de l’eau, il est constaté que plus de 52% des structures concernées estiment que les initiatives des collectivités locales ne sont pas parvenues à prendre le relais de l’ingénierie d’État. Le retrait des services de l’État ne s’est pas compensé symétriquement du côté des collectivités locales." "Le retrait de l’ingénierie d’État depuis une quinzaine d’années semble tel que certains territoires considèrent qu’elle a disparu et se sentent « abandonnés » par les services de l’État"

"Plusieurs intervenants et intervenantes ont souligné que les compétences techniques de l’État s’étaient dégradées par rapport à l’époque où il gérait l’ensemble des infrastructures de réseau. De nombreux ingénieurs et techniciens sont passés chez les constructeurs ou exploitants d’infrastructures. L’État et les collectivités locales peuvent, de ce fait, se retrouver en position de faiblesse face à ces derniers, faute de personnel qualifié en nombre suffisant." "Le CESE incite l’État et les collectivités territoriales à se doter des compétences techniques les mettant a minima sur un pied d’égalité avec les opérateurs privés"

"Le ministère a « détruit » 609 emplois de catégorie A [cadres] au-delà des cibles entre 2014 et 2020 [...] La Cour appelle à nouveau l’attention sur l’incidence que cette mesure peut avoir, à terme, sur l’exercice des missions du ministère [...] Elle recommande, depuis 2018, l’établissement d’un plan ministériel de gestion prévisionnelle des ressources humaines."

Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2020 pour la Mission Écologie, Développement et mobilité durables (p34)

Cour des Comptes

Il est peu de dire que les conditions d'attractivité ne sont plus réunies à cet effet au ministère de la Transition Écologique, qui n'arrive plus à pourvoir tous ses postes, malgré un plafond d’emplois toujours en baisse et l'a priori potentiellement positif de venir contribuer au nom de l'intérêt général à l'un des défis majeurs de notre temps.

Source : france info, publié le 05/07/2021

Source : Reporterre, publié le 06/04/2021

Source : Environnement Magazine, publié le 30/09/2019

En cause, la gestion des ressources humaines mise en place depuis 2017 au ministère de la Transition Écologique, en application directe du programme gouvernemental Action Publique 2022, qui a considérablement dégradé l'attractivité de la filière scientifique et technique là où ce pôle ministériel était pourtant pionnier dans la gestion de ses recrutements et des perspectives professionnelles offertes ; cela, sans parler du sentiment de mal-être grandissant généré par des réorganisations qui n'ont d'autres finalités qu'elles-mêmes et semblent n’avoir jamais de fin.

La listes des signaux d’alerte s'allonge, devant une administration restant mutique ; pour exemple, parmi les derniers en date :

  • passage sous le SMIC de la rémunération des futurs cadres (Bac+5) en charge de la transition écologique

  • fermeture de l'école de formation des techniciens du développement durable

En l’absence d’inflexions fortes, cette poursuite forcenée de contre-réformes, s'accompagnera de conséquences sur la capacité de la puissance publique à agir concrètement.

Se départir des compétences scientifiques et technique, y compris à de hauts niveaux de responsabilité ou d'expertise, pourrait s’avérer particulièrement critique dans cette période où l’urgence à agir contre le dérèglement climatique est désormais caractérisée.

Si tous les acteurs publics et privés ont bien évidemment chacun un rôle à jouer pour assurer les nécessaires transitions pour la société, l’État ne peut rester absent ou démuni pour relever ce défi majeur.

Nous n'en prenons pas le chemin.