Nous connaissons la version allemande grâce à l'excellent travail réalisé par les historiens Marc Doucet et David R. McLaren.
En 1996 et 1997, alors qu'Internet n'était qu'à ses balbutiements, nos historiens ont réussi à trouver dans les archives fédérales allemandes un rapport sur le seul tir revendiqué par la batterie antiaérienne stationnée à Blois, un P47 Thunderbolt tombé à Molineuf le 15 juillet 1944.
Leur article initial, basé sur la version américaine des événements, a été publié dans la revue 13 du bulletin annuel de la Vallée de la Cisse.
Un an plus tard, la version allemande qu'ils avaient trouvée et analysé a été publiée dans la revue 14.
Les deux revues sont disponibles ici : Vallée de la Cisse.fr
Le rapport allemand dans son intégralité est répertorié sous le numéro RL5/429, et il est disponible dans le Bundesarchiv
La batterie anti-aérienne de deux canons Hotchkiss de 25 mm est installée au sud de la Loire à Blois.
Elle a été placée sur la levée offrant une vue dégagée vers le nord-ouest afin de pouvoir défendre le pont routier contre les attaques. Image 2023 Géoportail.gouv.fr
Les documents suivants proviennent des archives conservées au Bundesarchiv, seules les pages les plus importantes sont affichées. La traduction de Nathalie GAUTHIER se trouve à coté de chaque document.
Batterie Anti-aérienne légère 36/VII (L) Hébergement local, le 17.7.1944
Nota: O.U. = Ortsunterkunft = Hébergement local pour masquer le lieu d'expédition réel dans des lettres postales sur le terrain
Rapport de combat
Unité de tir : Batterie Anti-aérienne légère 36/VII (L)
Heure de tir : 19h29
Type d'avion abattu : Thunderbolt
Localisation et carré du quadrillage : Feuille Blois, n° 108, 1:80 000, r= 516200, h=287350 (quadrillage Lambert) Nota: Projection de Gauss-Krüger ou UTM Universal Transverse Mercatorr = Rechtswert = Y = Latitude h = Hochwert X = Longitude
Réseau de signalement des chasseurs : 040N F C 81
Méthode de destruction de l'ennemi : impact avec un angle prononcé ou semi-vertical
Autres informations :
Le 15 juillet 1944, à 19h03, un ordre fut donné par le service anti-aérien léger 673(v). (basé à Orléans), à la Batterie Anti-aérienne légère d’être prête à tirer suite à l'observation d'une formation Thunderbolt d'une trentaine d'avions survolant la région de Blois depuis le nord-est.
Dans un premier temps, les avions ont fait des rondes au dessus de l'aéroport auxiliaire du Breuil , situé à 15 km au nord-ouest de Blois sur la route de Vendôme. De là, 4 appareils ont viré et volé vers Blois, en suivant la Loire, à 1800 m d’altitude.
A 19h25, les avions se trouvèrent dans la zone de tir effective de la batterie anti-aérienne 36/VII(L), déployée pour protéger le pont de la Loire. Le commandant du peloton a donné le feu vert aux deux canons et ils ont soudainement ouvert le feu. Les premiers tirs étaient un peu trop bas, mais la deuxième rafale et les suivantes furent très bonnes. Les Thunderbolt ont immédiatement réagi en défensive, en remontant et en tournant du nord vers l'ouest.
Cependant, l'un des 4 Thunderbolt était déjà touché et s'est dirigé vers l'ouest avec une traînée de fumée noire, où il s'est ensuite écrasé verticalement à 19h29 à 9km à l'ouest de Blois près de Molineuf. Pendant le combat, les deux canons se trouvaient sous le feu des armes embarquées.
Consommation de munitions : 2 canons 25 mm Hotchkiss 86 tirs.
Le tir a été effectué avec un viseur anti-aérien.
Il n’y avait aucun chasseur ami dans la zone pendant les combats. Pendant le combat, certains combattants n’étaient pas présents sur le lieu.
Conditions météo : 10/10 couvert, visibilité dégagée, base nuageuse 3500m.
Signé STADLER
Premier lieutenant et commandant de la flak locale
F.d.R.d.A. Lieutenant et adjudant
Plus d'informations sur le déploiement de la batterie anti-aérienne à Orléans qui a informé la batterie de Blois peuvent être consultées ici : Leicht-Flakabteilung 673(v)
Notez les conditions météorologiques décrites ici, base nuageuse à 3 500m . Dans la version américaine, une attaque de bombardement en piqué réussie a été réalisée sur l'aérodrome du Breuil à 2400m.
Déclaration de témoin d'Erich GAYKO, commandant du Flieger-Regiment 91
GAYKO Erich Hébergement local, 17 juillet 1944
Premier lieutenant et commandant de bataillon.
L53 700, Paris
Rapport de témoin oculaire
Lors de la visite du lieu du crash de l'avion américain (Thunderbolt) en Forêt de Blois près de Molineuf, les Français présents, dont le Français Eugène SOURIOUX, habitant Buxeuil (Indre), qui a vu l’incident depuis la rue Beauvoir à Blois, ont été interrogés sur le crash.
SOURIOUX a déclaré : "Après la deuxième rafale, l'avion a fait un virage brusque et s'est rapidement écrasé." Cette affirmation a été confirmée par plusieurs Français.
Le pilote mort a reçu une grave blessure par balle à la cuisse droite, qui semble avoir été causée par un explosif, constaté par moi et le chef docteur Schmidt.
Premier lieutenant et commandant de bataillon GAYKO.
Sur le lieu du crash, Gayko a interviewé Eugène SOURIOUX, Zeuge 1 (témoin 1) sur la carte allemande. Il est rue Beauvoir qui est située assez haut sur la colline du centre de Blois, c'est une des premières rues qui n'a pas été détruite lors des bombardements de 1940. Tous les bâtiments situés plus bas sur la colline ont été détruits donc il avait une bonne vue sur le pont, la batterie anti-aérienne et les avions. SOURIOUX aurait été presque directement en dessous de l'endroit où l'avion a été touché.
Déclaration de BAASKE, capitaine du Flieger-Regiment 91
BAASKE, Hauptmann Hébergement local, 18 juillet 1944
1./Flieger-Regiment 91
L 53 700, Paris
À I./Flieger-Regiment 91
Des chasseurs Thunderbolt ont fait une approche de Blois le 15 juillet 1944, peu après 19 heures. Le canon anti-aérien de 25mm posé sur le talus de la voie ferrée a ouvert le feu sur les chasseurs qui volaient à environ 1700 m d’altitude. Les tirs de la Flak étaient très bons.
Pendant les tirs anti-aériens , j'ai observé qu’un avion a viré vers la gauche avec une forte poussée latérale puis a effectué un virage serré à droite pour éviter les tirs anti-aériens. Il m’a été impossible de continuer à observer l’avion car sa vue m’a été cachée par de grands arbres.
Sur la carte suivante, BAASKE est représenté comme « Zeuge 2 » (témoin 2), sur la route principale D766 en direction de Molineuf, au croisement avec l'Allée de Bégon. C'est à la sortie ouest de Blois que commence la forêt et comme il le dit, sa vue aurait été rapidement bloquée. C'est 2,5 km après que l'avion aurait heurté le sol mais aucune fumée n'est encore visible car il vole au-dessus de lui. À 480 km/h, il fallait 19 secondes pour parcourir la distance.
BAASKE décrit également que les canons anti-aériens se trouvaient sur un talus ferroviaire plutôt que sur une digue. Le chemin de fer auquel il fait référence est le Tramways Electriques de Loir et Cher, il était hors d'usage depuis 1934.
Croquis de la trajectoire du Thunderbolt abattu le 15.7.44
Cette carte est la carte française N°108, mise à jour en 1940. Croquis de la trajectoire du Thunderbolt abattu le 15.7.44
Les 4 avions sont représentés en approche par le nord-est (soit en direction d'Orléans) à 19h23. Ils sont visés par la batterie anti aérienne à 1800m, la note parle d'une rafale de 5 secondes de 68 tirs (les autres documents parlent de 86 tirs) à 19h25. On voit deux avions rebrousser chemin rapidement vers le nord-est. Un avion vole plein ouest où il s'écrase à 19h29. Il est accompagné d'un autre qui fait une grande boucle avant de bifurquer vers le nord-est pour rejoindre les deux autres.
Zeuge : Témoin
19,25h : 19h25
68 Schuss : 68 Tirs
5 Sek : 5 Secondes
2,5cm : 25mm
Alarmzug : Défense anti-aérienne
Département de la défence anti-aérienne légère 673(V) Poste de commandement 22 juillet 1944.
Déclaration du commandant sur la destruction en vol du 15 juillet 1944
Le 15 juillet 1944 vers 19 heures, un groupe de 30 Thunderbolts a survolé la région de Blois et a tourné autour de l'aérodrome auxiliaire du Breuil, au nord-ouest de Blois. Quatre de ces appareils ont quitté la formation et se sont dirigés vers l'est en suivant la Loire en direction de Blois.
À 19h25 ces quatre appareils atteignirent la ville de Blois où ils furent visés par les tirs destructeurs de la Batterie Anti-aérienne légère 36/VII (L). Immédiatement après les tirs, les Thunderbolts ont effectué des manœuvres défensives en remontant vers le ciel et en tournant vers l’ouest pour se diriger vers le nord.
Cependant, l'un des avions a été touché et il a continué à voler avec une épaisse fumée noire vers l’ouest, où il s'est écrasé verticalement à 19h29 à Molineuf, à 9 km à l'ouest de Blois.
Sur la base des faits cités ci-dessus, je suis d'avis que ce chasseur ennemi a été impeccablement abattu par le tir bien placé de la Batterie Anti-aérienne légère 36/VII (L)
Le rapport ici, à la page 9, vient du major Weissig. Son unité, à Orléans, est celle qui dit à la batterie de Blois d'être prête à tirer. Il se trouvait à 55 km de Blois et n'a donc pas pu voir ce qui s'est passé. Il se trompe sur la direction du vol, d'ouest en est plutôt que d'est en ouest dans tous les autres documents. Il est le chef des batteries anti-aériennes de la région et sa déclaration n'a en réalité pour but que d'ajouter du poids au dossier qui a été envoyé à Berlin pour approbation. Une autre demande d'approbation par le supérieur hiérarchique est jointe à la page 10, mais elle ne fait que répéter les informations déjà vues et vient encore une fois de quelqu'un qui n'a pas vu l'événement.
Le dernier document que je montre du Bunderarchiv est la page 1, c'est une photo du Thunderbolt dans la forêt. La queue est intacte mais le reste est constitué de débris brûlés reposant sur le sol forestier. Il y a eu un incendie et les inscriptions ont été brûlées sur la queue mais les Français ont quand même pu lire le numéro puisqu'il est inscrit sur son acte de décès comme 276578. Deux Allemands sont visibles, dont un officier (peut-être Erich GAYKO). En arrière-plan, une famille (vraisemblablement) française regarde ce qui se passe. L'arbre cassé est un pin mais les arbres en arrière-plan sont d'une espèce différente. La fumée de l’accident flotte toujours dans l’air entre les arbres.