Au fil du temps et de l'eau

Problématique : Quels sont les marqueurs de l'évolution liés au temps dans le village de Geschinen et comment, chargés de leur histoire, répondent-ils à des besoins croissants de la population?

Geschinen: village au fil du temps


Le travail effectué a principalement été réalisé sous forme d'observations et d'hypothèses afin de comprendre le fonctionnement actuel et plus ancien du village. Nous avons guidé nos recherches à partir de cette comparaison entre l'ancien et le nouveau, avec pour date clefs 1959 : l'arrivée de l'eau courante dans les maisons. Ainsi nous avons relevé les principales évolutions du village à travers deux exemples liés à la vie rurale: l'eau et les bâtiments. Quelles sont alors les évolutions du système de distribution des eaux et des techniques de rénovations des bâtiments?

C'est à travers quelques interviews, une analyse photographique, des cartes et des relevés de croquis que nous appuyons nos hypothèses et analyses.


1951

1967- Après l'arrivée de l'eau, une nouvelle route, des nouveaux bâtiments.


SOMMAIRE

A) Notre cas d'étude: une grange écurie

1- Relevé de la grange
1.1 - Croquis
1.2 - Elévations
1.3 - Coupes détaillées

2- Analyse structurelle

B) Evolution du système d'eau et dangers

C) Observations des techniques de rénovation utilisées dans la réaffectation en logements.


A - Notre cas d'étude: une grange-écurie

1 - Relevé de la grange

1.1 - Croquis

Croquis du village alentour, première ébauche de la grange, et croquis élaboré de sa façade nord (partie supérieur de la grange)

1.2 - Elévations

Les façades de cette grange rustique sont d'une logique constructive remarquable. Nous pouvons observer une structure visuellement symétrique sur les quatre faces.




La partie inférieure du bâtiment est destinée au bétail et est flanquée de deux ouvertures aux angles et d'une ouverture centrale pour accéder aux écuries.

















Nous pouvons voir sur les côtés les poutres porteuses du plancher supérieur, ainsi que la ligne de pente du talus.

Le toit est fait de tôle rouge.















La partie supérieure est vouée au stockage et autres matériaux agricoles ou équestres. L'entrée se fait par le haut du talus.
Des éléments de fortune, de type porte d'armoire, sont utilisés en lieu et place des éléments conventionnels tels que les portes et battants de fenêtre. Cela confère un certain charme à la bâtisse.














Nous pouvons observer sur cette dernière façade une sorte de luge, vouée à transporter le foin pour les animaux. Des éléments nouveaux semblent avoir été ajoutés par la suite afin de consolider la façade.

1.3 - Coupes détaillées

Ces coupes montrent distinctement la partie inférieure (pour le bétail) et la partie supérieur (stockage), ainsi que la structure du plancher et des façade.

Croquis de relevés effectués sur site

2 - Analyse structurale du grenier

Structure du plancher du grenier

Structure de la toiture

Flambage/déversement le mélèze

3 - Interventions et modifications de la grande dans le temps

Le bâtiment que nous étudions a longtemps été utilisé, et ce jusqu'à peu. Durant toutes ces années, des modifications et/ou améliorations ont du être mises en oeuvre. A commencer par l'arrivée des pièces métaliques industrielles importées dans la Vallée, mais également les techniques de coupe de bois qui se sont perfectionnées grâce aux nouvelles machines.

Clés originales avec madriers pour stabilisation (photo bâtiment voisin).

Clé mise en place sur notre écurie, coupe très régulière et insatallations avec tiges filetées et écrous.

Les lockets en bois sont remplacés par des serrures et vérous en métal, pièces sûrement disponibles sur le marché à l'époque.

La porte et sa structure sont restées originales, le mécanisme est uniquement fait de bois et apparemment très résistant.

Sur la face arrière, les ouvertures d'accès en hauteur ont sûrement été rénovées car plus claires. L'une d'elle est un ancien volet, preuve que les habitants se servait de la matière qu'il trouvaient pour la réutiliser.

L'ajout inévitable d'un boîtier électrique.

La porte principale est un parfait exemple des modifications apportées dans le temps en fonctions du besoin. La porte originale est toujours là, (voire reproduite car plus claire). Un portail a été mis en place, accompagné du vérou en métal sur la gauche. Une des charnières du portail est récente car même actuelle. On voit encore un ancien gond rouillé plus qui suggère une autre porte extérieur.

B - Evolution du système d'eau et dangers


L'eau est un élément majeur pour la vie. Cette nécessité ancestrale se traduit par une évolution de l'organisation du village, dont il reste encore aujourd'hui des marqueurs que nous pouvons observer afin de retracer le passé.



Sur le terrain, nous avons remarqué énormément de plaques d’égouts, que ce soit en densité à un même endroit comme vous pouvez le voir sur cette photo, mais aussi éparpillées dans le village, ce qui nous a étonné.e.s et questionné.e.s. Nous sommes allé.e.s interviewer des gens dans le village, dont une artiste, Maya Graber, qui nous a renseigné.e.s un peu plus à propos de l’évolution de l’eau, et a émis une hypothèse à propos de la quantité importante de plaques d’égouts.


Il est important de savoir que jusqu’en 1960, il fallait se déplacer à l'une des quatre fontaines du village pour avoir de l’eau, comme nous avons représenté sur cette carte. Nous avons imaginé quatre zones dans lesquelles les habitants et les animaux s'approvisionnaient à la fontaine de la zone en question (petits rectangles bleus), afin de se représenter un peu mieux les flux humains qui pouvaient être engendrés par ce système d'eau.

D'après Mme Graber, c'est vers 1960 que l’eau courante dans le village a été installée à partir de l’une des sources publiques situées en amont du village, dans la région du Trützital (voir la carte Dangers cours d'eau latéraux ci-dessous), ce qui est cohérent avec les données que nous avons récoltées par après (dans les jeux de données de la couche Sources Public pour le canton du Valais disponible sur Arcgis [1] ), que l’on peut voir sur la carte ci-dessous. Le premier prélèvement d’eau date de 1959, alors que celui à sa gauche a été mis en place en 1980. Ceci témoigne d’un besoin en eau plus accru qui peut être dû à plusieurs raisons: au développement du village, même si celui-ci reste très limité, ou à une installation progressive de l’eau dans les maisons, ce qui pourrait expliquer en partie la quantité de bouches d’égouts.


L'hypothèse de Mme Graber quant à la quantité importante de plaques d’égouts était qu’au printemps il y avait la fonte des neiges, ce qui provoquait parfois des problèmes au niveau des inondations, il fallait donc évacuer ce surplus d’eau. Cependant cette hypothèse semble peu probable étant donné que ce n’était pas tant les grilles d’égouts qui étaient nombreuses, mais bien les plaques, comme nous pouvons le voir sur la photo. Nous avons émis une autre hypothèse qui était que l’installation de l’eau s’est faite petit à petit, et qu’il fallait donc alimenter en eau pour ainsi dire une maison après l’autre, et qu’iels ont organisé leur système d’eau au fur et à mesure. Cette hypothèse semble plus vraisemblable, par exemple avec le fait que le deuxième prélèvement à la source s’est fait en 1980.


Un autre élément intéressant à relever et qui a toujours impressionné cette habitante est que l’eau courante a été installée 30 ans plus tard par rapport à Münster, ce qui est un marqueur de richesse et de technologies pour cette commune avoisinante qui est et était la plus grande et la plus riche commune de la vallée de Conches.

Sur ces deux cartes (cartes de dangers) nous pouvons voir les différentes sources d’eau, qu’elles soient privées (en orange), ou publiques (en violet), ainsi que les prélèvements d’eau (triangles jaunes). Le village de Geschinen est la zone violette proche du centre, région que nous avons mise en relation avec les zones à risques engendrées par les cours d'eau latéraux et le Rhône.


Sur ces deux cartes nous pouvons observer que le village est situé dans une zone non exposée, étant placé à l’ouest du cours d’eau descendant des sources (voir ci-dessus), et légèrement en hauteur par rapport au Rhône (voir ci-dessous). Ceci n’est pas dû au hasard, c’est bien pour éviter de faire face à des crues et donc à des inondations.


Sur la carte ci-dessous, on voit que les sources sont situées en aval des nappes phréatiques, ce qui est logique. En réalité, cette zone brunâtre n’est pas à strictement parler la nappe souterraine, mais les zones de protection Au qui « comprennent les nappes d’eaux souterraines exploitables, ainsi que les zones attenantes nécessaires à leur protection. » [2] Elle est donc un peu plus large que la nappe d’eau réelle présente.

Finalement, à la manière des bâtiments marqueurs du temps qui avance, l’eau témoigne de l’évolution des besoins et des techniques du village pour s’approvisionner en eau et se protéger des phénomènes naturels tels que les crues.

C - Observations des techniques de rénovation utilisées dans la réaffectation en logements.

Dans le village de Geschinen, nombreux sont les anciens bâtiments qui ont été rénovés. Plusieurs techniques ont été employées pour respecter le style constructif de la vallée, tout en apportant des techniques de construction récentes. Le plus souvent c'est pour le logement, comme l'a précisé la personne interviewée, sûrement car il y a de la demande et que ces bâtiments sont en zones à bâtir.

Le plus souvent, l'objectif a l'air très clair : rendre habitable et confortable tout en gardant un aspect extérieur très fidèle à l'original, et tout cela en jouant avec les techniques contemporaines. Nous avons observé ces techniques pour essayer de les comprendre.

Ce premier bâtiment, ancienne grange/écurie, est assez représentatif des stratégies employées. La première chose que nous avons remarquée est la mise en place de fenêtres très fines dans le sens des madriers pour rester discrets et peut-être rappeler les aérations pour le foin. Ensuite l'imitation de la pierre au sol par un mur structurel sûrement fait de béton, accompagné d'un drain sous-terrain pour évacuer les eaux claires. Le canal de chéneau est placé dans l'angle comme accueilli par la structure. L'escalier est refait a l'identique, ne comportant aucune pièce en métal mais uniquement des chevilles en bois, fidèle à l'original.


Escalier original

Escalier reproduit

Mur crépi

Drain sous-terrain

Mur contact humide grange originale voisine

Ici une autre grange réaffectée en habitation, sur la droite, une extrusion du toit pour ajouter un volume situé côté extérieur du village pour être discret. On voit aussi le bois qui a été remplacé mais pas peint car il s'agit sûrement également de mélèze, bois de la région qui noircit rapidement avec le temps.

De l'autre coté, la façade est originale, on voit que les portes latérales ont été remplacées par des vitrages, comme pour respecter les ouvertures et éviter d'en rajouter. Pareil pour les petites fenêtres. L'un des escaliers a également été reproduit.

Façade sud

Mur original crépi ?

Cas de rénovation d'un raccard : respect des ouvertures, aménagement dans l'entièreté du bâtiment. Petites ouvertures horizontales pour le respect de la façade et liaison entre les volumes faite par une cage d'escalier qui remplit le quart de la surface de séparation (images ci-dessous).

Ici un cas de réaménagement plus ancien, on reconnait les anciennes portes latérales, qui ont été bouchées en partie et équipées de fenêtres à carreaux. Le mur de sous-bassement est encore en pierre. La poutre verticale de stabilisation est pincée par des pièces en aciers. Certains madriers sont plus régulier au coup de scie, ce qui nous indique des modifications passées.

Les cas suivants sont des techniques constructives ou architecturales de divers autres bâtiments qui nous ont interpelé.e.s.

Cas architectural nettement plus marqué, choix de contraste avec l'architecture bâtie.

Structure en madriers remplacé pas des poutres IPE. Le mur orignal et gardé voir refait et l'étanchéité est donnée par du goudron.

Une fenêtre dans la zone du village initialement habitée, doublée en intérieur pour répondre aux normes de conforts tout en gardant l'aspect extérieur original.

On a toujours rénové et remplacé certaines pièces des bâtiments. À commencer par le remplacement des madriers traversants par des clés avec l'avènement du fer et des vis dans la vallées. Or, à quel point peut-on changer ces bâtiments sans pour autant les dénaturer ?

Le problème des bâtiments à l'abandon touche la Vallée de Conches, car malgré le fait que ces constructions sont anciennes et témoignent de l'histoire de la région, elles ne sont pas insensibles au temps et leur préservation est essentielle pour éviter la ruine. La question qui se pose est de savoir jusqu'à quel point ces rénovations sont tolérables au niveau de la conservation du patrimoine en tant que mémoire, mais restent utilisables de par les habitant.e.s d'aujourd'hui et économiquement intéressante pour les privés.

De nombreuses manières de réaménager ces vieux bâtiments on déjà été mises en place. Le problème de la Vallée de Conches est que ce genre de rénovations pour l'habitation sont uniquement possibles pour les édifices en zones à bâtir. Les innombrables constructions vernaculaires hors zones à bâtir ne peuvent être réaffectées en habitations, mais on se doit de les garder au nom du patrimoine. Faut-il les conserver en les remettant en état par les diverses techniques structurelles vues auparavant ? Ou simplement les laisser s'effondrer car inexploités depuis longtemps ? Faut-il en sélectionner certains car ils sont trop nombreux ?

Ce sont des questions cruciales qui ne cessent de se poser et auxquelles personne n'a une réponse absolue, mais des solutions qui changent en fonction des politiques et des régions.

Conclusion

Si les systèmes de distributions des eaux et les différentes rénovations des bâtiments sont témoins d'évolutions et d'améliorations techniques du village dès 1959, il reflète aussi un changement de la vie rurale de l'époque, de plus en plus industrialisée et délocalisée.

Le frigidaire remplace les greniers, l'eau courante prend le relais des fontaines et le réseau d'eaux souterraines prévoit mieux les risques d’inondations lors la fonte des neiges, bien que ces derniers augmentent rapidement.

Nous nous sommes intéressé·e·s à l'eau et à la construction qui selon nous sont deux enjeux majeurs de nos société, de plus en plus menacés par des situations de stress hydriques et d'épuisement des ressources.

D'un point de vue démographique, le village de Geschinen ne dépend plus aujourd'hui de la vie rurale, ses habitants ont les moyens de travailler dans d'autres secteurs et plus loin, nombreux· ses sont les pendulaires. On assiste également à une demande croissante en résidences secondaires, avec notamment une explosion d'achats lors du semi-confinement dernier. Une population qui n'améliore cependant pas l'activité locale par leur présence trop ponctuelle.

Par quels moyens recréer un système d'activités pour ces villages de montagnes rurales à l'aube d'une crise écologique et porteurs de solutions durables pour l'avenir tout en sauvegardant le plus possible leur histoire?