FAUT-IL SAUVER OTOM ?
Le week-end dernier, les 21 et 22 janvier 2022, dans les locaux du « 109 », lieu culturel et artistique de la Ville de Nice, se tenait une exposition-vente d’œuvres d’art, sobrement intitulée « Save Otom », rassemblant quantité d’artistes niçois renommés dont Ben.
Sourire aux lèvres dans un opportun reportage de BFM TV réalisé pour l’occasion, les artistes et les proches d’Otom vantent sa gentillesse, sa générosité, disent qu’ils leur manquent et qu’ils souhaitent son retour. Le but de cette exposition « Save Otom » ? « Sauver » l’artiste-graffeur Thomas Debatisse, alias Otom. Mais le sauver de quoi ? A-t-il été kidnappé par des malfaiteurs ? La maffia est-elle à ses trousses ? Est-il sous le coup d’une fatwa ? Est-il en danger de mort ? Il s’agit, toujours selon BFM TV, de le sauver du drame qui a fait basculer sa vie en avril 2021. Très bien. Mais de quel drame ? A-t-il été blessé ? S’est-on attaqué à sa famille ou à ses biens ? De sombres individus sans foi ni loi ont-ils attaqué lâchement son honneur et sa dignité ? Et qui a pu avoir l’impudence de s’en prendre à l’enfant chéri de la ville de Nice, celui que l’assistante culturelle du maire Christian Estrosi qualifie de « garçon adorable, très gentil, apprécié de tous » ? Celui que Robert Roux, adjoint à la culture de Christian Estrosi, encense pour avoir peint « les palissades du chantier du tramway de la ville de Nice », et qui toujours selon lui a fait un « parcours incroyable » en « changeant les mentalités à Nice » (rien que ça) sur les « tags » et « la liberté d’expression » ? Celui avec lequel son ami artiste Brian Caddy peint « depuis quinze ans après avoir travaillé avec lui » et qui selon ses termes « a toujours tout fait pour partager l’art, rassembler, transmettre beaucoup d’amour » ? Mais qui a bien pu s’en prendre à Saint Otom, à cet intouchable et brillant Thomas Debatisse, au point de lui gâcher la vie et de provoquer cet élan de solidarité tout en salade niçoise et en paillettes ?
Personne. Personne ne s’en est pris à Thomas Debatisse / Otom. Personne. Non, personne. La vie de quelqu’un a bien basculé et s’est éteinte pour toujours le soir lugubre du 27 avril 2021, mais ce n’est pas la sienne. Une famille et des amis pleurent en silence et tout en dignité depuis le 27 avril 2021, mais ce ne sont pas les siens. Des proches sont en deuil depuis le 27 avril 2021 en face d’une perte irréparable, mais ce n’est pas la sienne. Des sourires se sont éteints peut-être pour toujours le 27 avril 2021, mais ce ne sont apparemment ni les siens ni ceux de ses « soutiens » qui pérorent devant les caméras et se répandent dans les médias en interviews et en commentaires, et font des selfies joyeux en accrochant des tableaux sur les murs du « 109 » un week-end ensoleillé de janvier 2022 pour fêter le retour espéré du fils prodigue. Une personne est morte le 27 avril 2021, un beau rayon de soleil s’est froissé le 27 avril 2021, mais ce n’est pas lui. Une vie s’est effroyablement brisée le 27 avril 2021 mais ce n’est pas la sienne. Non. C’est celle de la jeune Emmanuelle Badibanga, 32 ans, belle et rayonnante comme le jour, fauchée à jamais ce soir funeste du 27 avril 2021. Quel rapport avec Otom ? Apparemment aucun, puisque le nom de cette jeune femme n’est même pas évoqué par les proches d’Otom ni dans l’évènement « Save Otom ». Ça ne doit pas être important, non ? Et pourtant cette jeune femme, Emmanuelle Badibanga répétons-le puisqu’on ne juge même plus nécessaire de la nommer et qu’elle est devenue invisible et inaudible, cette femme qui est morte, c’est, c’était la compagne d’Otom. Et quel rapport avec Otom donc ? Oh, presque rien, Thomas Debatisse/Otom est juste la personne formellement inculpée pour le meurtre d’Emmanuelle Badibanga, et même plus précisément suspectée d’avoir déguisé son meurtre en suicide, et doit passer en jugement devant la Cour Suprême des Seychelles le 3 février prochain. Un détail sans doute, puisque la personne qu’il s’agit de sauver, c’est Otom, non ?
On en est donc là à Nice en 2022 : une personne formellement inculpée de meurtre ou plus précisément de féminicide sur sa compagne, une personne accusée officiellement d’avoir déguisé un féminicide en suicide fait l’objet des louanges des huiles de la ville de Nice et du petit milieu artistique consanguin niçois, qui ont décrété son innocence avant même la tenue de son procès. Le suivi de l’affaire par la presse est un modèle de rigueur, d’objectivité et d’esprit critique : timidement évoquée au début, l’hypothèse du meurtre est très rapidement abandonnée par la presse, les articles se faisant au contraire les chantres de l’hypothèse du suicide, et décrivant une jeune femme « au caractère dépressif », donc elle-même responsable finalement de toute l’affaire. La boucle est bouclée : la victime est son propre bourreau, et par un renversement sidérant, le possible bourreau devient la victime, puisqu’il faut désormais déchoir Badibanga la dépressive mais « sauver Otom » le modèle de vertu en écartant ne serait-ce que la possibilité que les charges qui pèsent sur lui puissent conduire à sa condamnation. Selon que vous soyez puissant ou misérable, artiste reconnu ou anonyme …
Peu importe que la famille d’Emmanuelle Badibanga, si digne et si sobre dans sa retenue et son silence, ait fini malgré tout, devant tant d’indécence et de propos colportés sur sa fille, avec le point d’orgue de l’exposition « save Otom » de faire entendre sa vérité. Peu importe que ses proches témoignent de sa joie de vivre, de ses projets, de son caractère tout sauf dépressif et suicidaire. Peu importe que l’enquête de police mentionne une dispute avérée au sein du couple avant le drame. Peu importe que la famille affirme que les choses n’étaient ni toutes roses ni toutes belles aux Seychelles et même en général entre Emmanuelle et son compagnon. Oui, peu importe. Après tout, que vaut la vie d’une femme en face du destin brisé de Saint Otom ? Que vaut la voix des sans-voix devant celle des célèbres et des puissants ? Que vaut la « fake-justice » des Seychelles en face de la « true-vérité » possédée par ceux que la lumière d’Otom a touchés de sa grâce artistique ? Ne faut-il pas sauver Otom ?
Collectif Save Justice Nice, le 26 janvier 2022
POUR AIDER LA FAMILLE D’EMMANUELLE BADIBANGA
Une cagnotte pour aider sa famille à assumer les frais de justice et les déplacements a été créée le 5 janvier 2022. Elle n’a permis de récolter pour l’instant (26 janvier) que 2455€. Inutile de dire à quel point cela est insuffisant. A titre de comparaison, la cagnotte pour « sauver Otom » a récolté à ce jour 19371€, auxquels s’ajouteront bien sûr les sommes de la vente d’art à son profit. No comments. Lien vers la cagnotte Leetchi pour la famille d’Emmanuelle : https://cutt.ly/gI5vBaI
QUI SOMMES-NOUS ET POURQUOI CETTE PRISE DE POSITION ?
C’est en tant que défenseuses et défenseurs et militant.e.s féministes qui luttons chaque jour à notre petit niveau pour les femmes que nous nous exprimons. Notre identité n’est pas importante et nous ne souhaitons pas la mettre en avant, c’est pourquoi notre texte n’est pas signé, surtout quand on considère l’omerta et la polarisation qui règnent à Nice, des militant.e.s ayant déjà été intimidé.e.s ou agréssé.e.s dans notre ville. Tous les faits et propos relatés dans notre texte sont sourcés et vérifiables (voir la revue de presse chronologique plus bas). Nous ne connaissions pas personnellement ni Emmanuelle Badibanga ni Thomas Debatisse/Otom. Nous les avions simplement croisés lors d’événements artistiques, nous n’avions pas eu l’occasion d’échanger plus que cela. Cela ne nous empêche pas de nous sentir extrêmement peiné.e.s par la mort d’Emmanuelle Badibanga. Et, nous avons été extrêmement choqué.e.s par l’indécence et l’impudeur de l’événement « Save Otom ». Nous regrettons également le parti pris quasi systématiques des articles en faveur de l’accusé. Nous ne comprenons pas le silence des médias au niveau national. Nous nous posons beaucoup de questions. Nous ne sommes pas juges et savons qu’une enquête est en cours, que le procès aura lieu dans quelques jours. Nous espérons que justice soit faite et que nous aurons des réponses, et en premier lieu pour la famille, ses ami.e.s et qu’elle puisse enfin repose en paix. Nous ne déterminons donc pas le fait qu’Otom soit auteur du meurtre de sa compagne et qu’il l’aurait effectivement maquillé en suicide, mais relevons que ce sont les termes de son inculpation. Nous respectons donc la présomption d’innocence mais nous n’oublions pas qu’elle peut aussi déboucher au terme du procès sur la culpabilité.
RAPPEL DES FAITS RELATÉS DANS LA PRESSE PAPIER ET INTERNET HEXAGONALE DEPUIS LE DRAME (voir la revue de presse chronologique plus bas pour les sources)
Le 27 avril 2021, la jeune Emmanuelle Badibanga, âgée de 32 ans, belle et gaie comme un rayon de soleil, est retrouvée morte dans sa chambre d’hôtel aux Seychelles dans l’hotel Club Med de Sainte-Anne. Elle était venue séjourner dans l’une des 119 îles de l’archipel avec son compagnon Thomas Debatisse, graffeur niçois, invité par la direction de l’hôtel pour repeindre certains murs. Le soir du drame, c’est son compagnon qui la retrouve, pendue selon ses dires à un porte-serviette de la salle de bains, affirmant que sa compagne s’est suicidée. Il aurait essayé seul de la ranimer en vain. Une infirmière venue à l’aide appelle les secours, qui constatent la mort de la jeune femme. Laissé libre immédiatement après le drame, Thomas Debatisse, ou encore Otom, est pourtant interpellé quelques jours plus tard par les autorités locales, car l’autopsie réalisée sur le corps de la victime a révélé des « marques de strangulation », qui font peser de lourds soupçons sur le compagnon d’Emmanuelle Badibanga, et dessinent la possibilité selon ces mêmes autorités d’un « meurtre déguisé en suicide », un crime passible de la réclusion à perpétuité en vertu de l’article 194 du Code pénal seychellois. Entendu le 8 juin 2021 devant la Cour suprême des Seychelles, qui devait apprécier si les charges prononcées contre lui étaient suffisantes pour juger et lancer de nouvelles enquêtes, Otom n’est pas relâché de sa détention provisoire mais formellement inculpé pour le meurtre de sa compagne, la justice seychelloise estimant nécessaire de le maintenir en détention et de procéder à une enquête approfondie, en vue d’un procès qui aura lieu le 3 février 2022.
Parallèlement à cette procédure ordinaire de la justice aux Seychelles, le Ministère des Affaires étrangères informe de l’affaire le Parquet de Paris, qui saisit à son tour le 7 mai le Procureur de Nice, qui ouvre une « enquête pour homicide volontaire par conjoint » sur Thomas Debatisse et saisit le 12 mai la police judiciaire de Nice pour mener des investigations. L’autopsie du corps, rapatrié en France plus d’un mois et demi après la mort d’Emmanuelle Badibanga ne fait pas état de tous les éléments initialement relevés par les autorités des Seychelles sur place peu de temps après la mort, notamment cette autopsie ne fait pas état de traces incontestables de strangulation et ferait pencher vers la thèse du suicide. Cependant, le Procureur de la République de Nice émet des réserves sur ces conclusions : « On ne retrouve pas un certain nombre d’éléments qui ont été actés aux Seychelles, indique le procureur de la République de Nice, sollicité mercredi par 20 Minutes. Il faut rester prudent car l’autopsie réalisée en France est intervenue un mois et demi après le décès et le corps a pu se dégrader, mais aucune trace de coups n’a été retrouvée. » Plus précis encore, il affirme que « les traces sur le cou ne peuvent ni infirmer ni confirmer une strangulation » (20 minutes du 22 octobre 2021).
REVUE DE PRESSE CHRONOLOGIQUE
Article du 4 juin 2021 paru dans Var-Matin, mentionnant le premier rapport d’autopsie, ainsi que la dispute du couple la veille du drame, la fait qu’Otom aurait laissé sa compagne pour aller « diner avec un ami » le soir du drame, l’hypothèse de la police seychelloise d’un « meurtre déguisé en suicide » et l’hypothèse d’un autre suspect en fuite
Article du 6 juin 2021 paru dans France News Live, mentionnant le premier rapport d’autopsie attestant de « marques de strangulation » et avançant la thèse d’un « meurtre déguisé en suicide »
Reportage de France 3 du 8 juin 2021 : « les autorités ont d’abord cru au suicide mais l’enquête révèlera qu’il s’agissait d’une pendaison » + autopsie demandée par la famille en France + seconde enquête pour « mort volontaire par conjoint » ouverte à Nice
https://www.youtube.com/watch?v=ylmwsGWD948
Article de Var Matin du 8 juin 2021 expliquant la procédure judiciaire, expliquant qu’Otom a d’abord été laissé libre après le drame, puis «interpellé et incarcéré une fois que la justice a pris connaissance du rapport d’autopsie » + que « les autorité judiciaires locales considèrent ce décès comme ‘’fortement suspect’’ » + le procureur de la République de Nice a « ouvert à son tour une ‘’enquête pour homicide volontaire par conjoint’’, ayant été « saisi le 7 mai de ces faits par le parquet de Paris, lui-même informé par le ministère des Affaires étrangères », le procureur ayant saisi le « 12 mai la police judiciaire de Nice ».
https://www.pressreader.com/france/var-matin-la-seyne-sanary/20210608/281612423335854
Article paru dans le Parisien le 18 octobre 2021, mentionnant que l’enquête française conclut à la « non implication » d’Otom dans la mort de sa compagne
Article paru dans 20 Minutes le 22 octobre 2021, faisant état de la seconde autopsie menée en France, qui montrerait l’absence de traces de strangulation et donc accréditerait le suicide + mention des « témoignages » du « caractère dépressif » d’Emmanuelle Badibanga … MAIS le procureur de Nice lui-même émet des réserves : «On ne retrouve pas un certain nombre d’éléments qui ont été actés aux Seychelles, indique le procureur de la République de Nice, sollicité mercredi par 20 Minutes. Il faut rester prudent car l’autopsie réalisée en France est intervenue un mois et demi après le décès et le corps a pu se dégrader, mais aucune trace de coups n’a été retrouvée. » Selon leurs premières analyses, les experts hexagonaux sont également moins catégoriques sur les causes de la mort que le médecin légiste intervenu sur place : « Les traces sur le cou ne peuvent ni infirmer ni confirmer une strangulation », précise Xavier Bonhomme.
Plus précis encore, des examens anatomopathologiques réalisés à Marseille, qui démontrent également « qu’il n’y a pas de traces de violences sexuelles », viennent même « confirmer une pendaison et pas de strangulation », explique encore le magistrat. + famille qui souhaite que l’affaire suive son cours
Article du 23 octobre 2021 paru dans Le Quotidien, mentionnant les faits connus et l’hypothèse que le suicide serait causé par une pendaison à … « une patère de salle de bains » (= porte-serviette !)
Article du 18 janvier 2022 de Nice-Matin, totalement à décharge d’Otom, le présentant comme un prisonnier modèle (un peu à la Bertrand Cantat …) + graffs peints sur les murs de la prison (Mandela !) avec « le poème préféré d’Emmanuelle » + la mention de « l’aide de l’adjoint à la culture de la Mairie de Nice » + photos d’Otom « l’invincible »
Reportage de BFM TV du 23 janvier 2022 sur l’expo vente en faveur d’Otom, qui réussit l’exploit de ne jamais évoquer le contradictoire de l’enquête, ni le nom de la victime, et qui à la fin affirme tranquillement que la vie d’Otom a basculé le jour où sa compagne est morte !!!
Article de Nice-Matin du 25 janvier 2022, relatant incomplètement la défense de la famille d’Emmanuelle Badibanga
Article de 20 Minutes du 25 janvier 2022 relayant la riposte de la famille d’Emmanuelle Badibanga (sa mère) qui affirme qu’elle n’était « ni dépressive ni suicidaire » + qui souligne que la dispute la veille du drame est « avérée », et que « Ça n’a pas été tout beau tout rose là-bas. Ni là-bas ni en général d’ailleurs, malgré les apparences » + « sa personnalité était pleine de joie, elle était dynamique », rectifie la mère, décidée à ne « pas laisser ainsi ternir [l'] image » de sa fille + le fait que « colère » de la mère de « voir tous ces articles » qui disent l’inverse