Historique

«L'électricité est peu chère en France» ne tient qu'en considérant son prix plutôt que son coût total, comprenant l'argent public dépensé.

En réalité et comme exposé ci-après, le contribuable paie, fort cher, une bonne part du système électrique.

Après la deuxième guerre mondiale EDF est, en un cadeau royal, créée par des nationalisations d'entreprises et obtient d'emblée un monopole.

Les réacteurs des années 1950 consommaient davantage d'énergie qu'ils en produisaient et ce n'était pas un problème car il ne s'agissait alors, en réalité, que d'obtenir du plutonium pour la bombe atomique. L'énorme R&D nécessaire, à laquelle le nucléaire civil doit tout, a surtout été payée par l'armée et par la recherche publique, donc par le contribuable. Même la Cour des comptes n'a pu en établir le coût total. Dans son rapport «Les coûts de la filière électronucléaire» de 2012, page 35, une note infrapaginale pose que Le champ d’analyse ne couvre pas les dépenses de recherche relevant du domaine militaire, ni celles se rattachant à la recherche fondamentale.

Ce flou perdure après l'avènement du nucléaire civil, comme précisé page 36: il n'existe pas de classification normalisée des dépenses de recherche électronucléaire stable dans le temps et reconnue par tous les opérateurs. Il est donc difficile de suivre dans le temps ou de manière consolidée les montants consacrés à un thème précis, puis Dans les premières années d'existence du CEA, la distinction entre applications civiles et militaires et entre recherche fondamentale et appliquée est largement arbitraire. Ainsi les montants engagés pendant ces années pionnières ne sont-ils pas pris en compte dans les calculs ci-après. La page 37 offre un exemple: EDF ne paya que 10% du coût (1,2 milliards d'€, valeur 2010) du réacteur Phénix.

Bien malin qui peut déterminer ce qui est imputable au nucléaire, ce qui devrait ou non l'être, et l'importance relative de ce qui a été négligé.

En sus EDF obtient de l'argent public (page) 31: Les fonds propres d’EDF ont été consolidés par des dotations en capital effectuées de manière régulière par l’État jusqu’à la fin des années 70.

Page 32: En 1996, EDF estimait que le programme nucléaire avait été financé à 50 % par autofinancement et à 8 % par les dotations en capital de l’État, la couverture des 42 % restant étant assurée par l’endettement. Cet autofinancement est en réalité la manne obtenue grâce aux nationalisations et au monopole, et les 42% empruntés étaient accordés par les prêteurs à l'État car EDF n'aurait pu les obtenir seule: l'État était garant-caution et cela coûtait car enchérissait sa propre capacité à emprunter par ailleurs.

Certains évoquent l'argent pris à EDF par l'État, la réalité (p. 33) est que la rémunération des dotations en capital de l’État, de 3 à 6 % représente une faible rémunération réelle, sensiblement inférieure aux taux théoriques de 8 ou 9 % hors inflation prévus, à l’époque, par le Commissariat général au Plan pour les entreprises publiques. Ici encore... des cadeaux!

Pis: le versement de maigres dividendes est parfois annulé ou reporté (2015, 2016, 2017, 2019), ou partiellement effectué sous forme d'actions EDF («en titres», par exemple entre 2016 et 2022) donc en monnaie de singe car cela ne renfloue pas les caisses publiques sur le moment ni plus tard: EDF est très endettée et le gros de ses actifs (des centrales nucléaires) invendable.

Les renflouements, y compris récents et post-renationalisation, ne manquent pas et la presse ne peut taire toutes les actions officiellement lancées par diverses institutions (exemple en 2002), ainsi que les «tentatives de petits arrangements comptables».

Il est notoire que l'État assure gratuitement le risque d’accident nucléaire.

Privilèges, cadeaux, subventions et subsides plus ou moins directs, dettes négligées... le nucléaire est coûteux.

Par une étrange coïncidence fortuite(?) le lancement du Plan Messmer (1974) marque le début de la forte accélération de l'augmentation des prélèvement obligatoires, qui perdure. En 2021 le taux de recettes fiscales était en France de 48,4% du PIB et de 39,6% en Allemagne. 

EPR

Les énormes surcoût de tous les chantiers de réacteurs menés par des entreprises françaises depuis l'an 2000 sont endossés par le contribuable.

L'EPR en Finlande coûta au moins 9,5 milliards d'€ plus 1 milliard d'€ de pénalités (rapport de la Cour des comptes publié en janvier 2025, page 36), et le client le paya 3,3 milliards au forfait.

Le chantier des deux EPR au Royaume-Uni connaît une augmentation considérable des coûts accompagnée de retards (rapport de la Cour, page 39).

Les deux EPR en Chine coûtèrent 60% de plus que prévu pour une rentabilité douteuse selon un rapport de la Cour de 2020 (page 13) qui ne tenait pas compte de l'incident de 2021 après lequel le taux de charge de l'un des réacteurs s'effondra tandis que celui de l'autre reste médiocre.

L'EPR tête de série en France ne forme pas une exception.  Son chantier démarra en 2007 et il devait lancer... une série. Son chantier, lancé en 2007, a d'emblée puis constamment connu des problèmes, donc la série n'a pas été lancée... à qui la faute? 

Avenir

Aujourd'hui, malgré privilèges et manne, EDF est exsangue (dette économique ajustée début 2025: 87,6 milliards d'€) et l'État en est devenu actionnaire unique donc une fois de plus le contribuable paiera, en croyant bénéficier d'une électricité peu chère.

De plus pour connaître le coût total du nucléaire il faudra attendre que le dernier déchet de la dernière centrale démantelée soit refroidi, dans quelques milliers d'années. Avant cela un énorme surcoût (causé par accident, déchet divagant, démantèlement dantesque, difficulté d'approvisionnement en uranium contraignant à réduire la production donc menaçant la rentabili des investissements, effet de la prolifération d'armes nucléaires...), difficile à imaginer dans le cas de l'éolien ou du solaire, reste possible. Selon la filière même un accident majeur pourrait coûter plus de 430 milliards d'€.

La «bonne affaire» du nucléaire, qui n'a de toute évidence pas sauvé notre industrie, est tout aussi douteuse que notre capacité à la faire perdurer. La filière est puissante (emplois, infrastructure en place...) donc aucun élu ne souhaite la réformer et elle devient en France ce qu'est celle du charbon en Allemagne.

... et les renouvelables?

La R&D relative aux «renouvelables», elle, manque de moyens, malgré la loi de 2015 reflétant volonté des électeurs. Les projets visant à réduire les impacts de sa variabilité («intermittence») tels que stockage, smartgrid... sont eux aussi à la peine, alors même qu'ils profiteraient à tout type de source, nucléaire compris.

En 2018 le nucléaire obtenait 635 millions d'€, l'éolien 5 millions d'€, le solaire 51, le stockage 25. En 2019 13% des budgets de la recherche publique sur l'énergie portaient sur les renouvelables.

2020 devait enfin les voir augmenter vertigineusement... Non! 761 millions pour le nucléaire (+ 126M de "recherche fondamentale"), solaire 76M, éolien 15M, stockage 48M. Une progression de 11% est donnée pour extraordinaire et le gros n'en est pas consacré à l'éolien marin, alors que le potentiel pertinent de la France est gigantesque.

En 2023: 1,23 milliards d'€ au nucléaire, 78 millions au solaire, 18 millions à l'éolien.

Le déploiement des renouvelables est lui aussi en berne en France, seule nation de l'Union Européenne ayant manqué ses propres objectifs en la matière, et pour cela mise à l'amende.

L'exécutif décide

En 2025 le gouvernement veut officiellement laisser le «pouvoir réglementaire» fixer les objectifs chiffrés du déploiement de renouvelables. Ce pouvoir, c'est l'exécutif, autrement dit lui-même.

Donc au plan constitutionnel les représentants du peuple décident par voie législative, par exemple de déployer des renouvelables, toutefois selon cette approche il ne fait que proposer, et le gouvernement dispose.

Que vaut une Loi établissant que nous voulons des renouvelables si seul l'exécutif décide des déploiements?

Le Plan Messmer

English version

Le Plan Messmer déploya rapidement à partir de 1974 des réacteurs nucléaires électrogènes industriels est sur le plan de la décarbonation un coup de chance plutôt que l'effet d'une superbe vision stratégique, car elle n'était alors pas un objectif.

Il était alors jugé nécessaire, urgent et possible parce que la France:

De plus, et c'est déterminant, le nucléaire était alors la seule option apparemment réaliste.

L'indépendance et réelle souveraineté espérées n'ont pas été atteintes et s'éloignent, faute d'uranium exploitable sur le sol national comme de surgénération industrialisée.

D'autre part le Plan Messmer négligea démantèlements et déchets (le site théoriquement pertinent, nommé Cigéo, n'est pas encore terminé en 2025 et même son coût total reste incertain), cela reflète sa genèse à la volée.

Cette trajectoire ressemble étrangement à une autre, antérieure.

Effet dangereux

Un Plan n'existe qu'au prix d'une continuité entre objectifs et effets.

Il est trompeur de penser « J'ai en 1945 décidé de construire une bombe atomique, et les moyens pour cela réalisés (des réacteurs cuisant de l'uranium afin d'obtenir du plutonium militaire) m'offrirent un moyen d'amortir une crise énergétique, puis par chance un effet de ce moyen est une réduction de l'empreinte carbone de la production d'électricité à présent utile, par conséquent j'ai bien planifié et dispose de tout le nécessaire pour renouveler à volonté cet exploit, y compris relever pleinement le défi du dérèglement climatique! ». 

De plus cette réduction est loin de suffire car, contrairement à ce que certains clament, le nucléaire en place n'est pas suffisant: environ 2/3 de l'énergie consommée en France est produite par du combustible fossile (lire la section «Uranium») donc le plus gros des émissions perdure.

Un autre effet de ces Grands Plans est l'inertie intellectuelle induite: l'avenir de l'électronucléaire est compromis (construire donc vendre des centrales est difficile, et leur approvisionnement en uranium incertain) mais la France a toutes les peines du monde a en tenir compte. Les industriels impliqués durant le déploiement connurent exactement cela car perdirent le contact avec le marché.

Notre performance quant à la décarbonation, couplée à de la propagande, imprime chez trop de nos concitoyens des opinions fausses et dangereuses:

Le fait que la décarbonation soit un effet non intentionnel du Plan Messmer n'est pas inquiétant.

Ce qui l'est est la préconception naïve selon laquelle il montrerait la qualité de notre vision et notre aptitude à relever rapidement un défi urgent.

La transition énergétique est un marathon. Nous sommes le lièvre assoupi sur ses lauriers nucléaires, obtenus grâce à une coïncidence fortuite. Nous nous félicitons de notre avantageuse posture aujourd'hui au km 10, négligeant que cette avance voile notre trop faible accélération donc modeste capacité à produire davantage d'électricité propre et à décarboner l'ensemble de l'économie (faute de R&D, de réindustrialisation, de déploiement adéquat de renouvelables...).

Le nucléaire a réduit les émissions du système électrique en France. En conclure (même implicitement) qu'il reste le moyen le plus adéquat après l'avènement des renouvelables industrielles (éolien, solaire) survenu durant les années 2000 est inepte. À Paris généralisation puis rationalisation de l'exploitation des fiacres, vers 1855, a résolu une bonne part des problèmes de transport. Faut-il en déduire qu'il était optimal d'en déployer davantage en 1910, après apparition de l'automobile?

Le bilan du nucléaire ne sera connu que tous coûts et impacts éclairés, et le dernier «déchet chaud» devenu inoffensif (prévoir un délai). Il pourrait être déplaisant.

Organisation

En 1974, à l'aube du Plan Messmer, la Commission Péon implique un groupe d'industriels depuis 1955: Schneider, Framatome (Schneider et Merlin Gerin, associés à Westinghouse), Péchiney-Ugine-Kuhlmann, Thomson-CSF, Alsthom, Saint-Gobain Pont-à-Mousson, Hispano-Alsacienne, Compagnie Électro-Mécanique...

C'est à ce groupe que le gouvernement d'alors confie la tâche de réaliser, puis laisse les coudées franches.

Ces industriels jugeaient relever ensemble un défi et ouvrir ainsi des marchés au groupe qu'ils formaient donc coopéraient, l'État se contentant de fixer les grands objectifs («déployez des centrales nucléaires!»).

Après le succès du Plan Messer, au plus tard dans les années 1980, des dissensions nées de difficultés rencontrées lors de la maturation des modèles de réacteurs et, semble-t-il, de visions peu compatibles quant à l'avenir de la filière opposèrent les grands membres de la filière du secteur public (Framatome, Cogema, CEA Industrie, EDF), et leurs guéguerres s'intensifièrent.

La réorganisation de 1999 (création d'Areva) visait vraisemblablement à restaurer de la coopération en enrayant les espoirs de prééminence caressés par certains acteurs, et en intégrant toute la direction afin d'épargner au gouvernement le pilotage direct.

Il s'agissait de transmuter les guéguerres en facteur de motivation par la compétition (coopétition), ce qui impliquait de réduire l'autonomie du groupe, dont des membres éminents ne savaient plus s'entendre.

Les centrales actives exhibaient la maturité technique de la filière donc certains jugèrent possible de bien décrire (spécifier) ce que chaque participant à un projet de construction doit réaliser et par conséquent d'en «contractualiser» chaque élément puis de le concéder via un appel d'offre, plutôt que de laisser coopérer les membres d'un groupe préétabli.

Toutefois cette contractualisation mène chaque entreprise à percevoir son intervention comme forfaitaire (visant à livrer un sous-ensemble défini) plutôt qu'en une participation à un projet devant construire un ouvrage, donc refuse de mener toute action jugée hors de son périmètre sans se soucier du reste, et agit avant tout afin d'être apparemment sans reproche... Plus le coeur de l'activité de l'intervenant est loin de la filière, moins il s'exposera afin de la soutenir.

L'intense sous-traitance et la forte proportion de travailleurs circulant entre entreprises concurrente donc moins bien intégrés aux équipes opérationnelles pèsent aussi sur la coopération et augmentent le taux de renouvellement du personnel (turnover), réduisant le niveau d'expertise et de capacité à disputer des consignes jugées inadéquates.

Conduite de projet comme communication d'informations cruciales entre équipes distinctes en pâtissent et tout imprévu devient une bombe à retardement, d'autant que cette approche augmente le risque en environnement imparfaitement exploré: seules des spécifications et un protocole de recette exhaustifs et intangibles permettent de contractualiser ainsi.

Les plans de l'EPR, lors du lancement de ses premiers chantiers, étaient loin de la maturité nécessaire et cela amplifia les effets de l'inadéquation de l'organisation (le qualificatif «agilité», à laquelle «confiance» est nécessaire, est pertinent).

L'approche 'SMR' (modules produits en usine puis assemblés sur site) réduit le risque induit par la contractualisation mais ne pourra surmonter d'autres défis.

Mobilisation de compétences

La loi de 2015 limitant apparemment le développement du nucléaire (comme exposé ci-après elle est à présent abrogée et n'a pas d'effet connu) n'est pas la cause des déboires de la filière parce qu'elle est très postérieure à leur apparition. 

D'autre part le gros des problèmes ne porte pas sur les fondamentaux du nucléaire mais sur des spécialités techniques (béton, soudage...) pour lesquelles de nombreux professionnels d'autres secteurs peuvent recevoir la formation complémentaire.

En résumé l'impact de la désindustrialisation est à ce titre beaucoup plus déterminant mais n'est pas la seule cause car la maintenance du parc de réacteurs exploités nécessite celle de certaines de ces compétences.

Par ailleurs un chantier de réacteur est préparé longuement à l'avance, en théorie avec le plus grand soin (compte-tenu de la dangerosité), comment croire que la filière a vendu des projets sans s'assurer de pouvoir les mener correctement à bien? Richement dotée, elle n'a su qualifier les compétences nécessaires aux chantiers, et motiver (salaires, primes...) puis si nécessaire former des spécialistes (salariés ou sous-traitants)?