Certains condamnent l'adoption de sources d'énergie renouvelables par l'Allemagne en prétendant y voir la raison pour laquelle les émissions de gaz à effet de serre et la pollution causées par son système électrique sont élevées.
En réalité ces émissions sont avant tout celles du charbon, dont l'Allemagne ne peut se débarrasser rapidement et que le déploiement des renouvelables chasse efficacement.
La France est plus exemplaire que l'Allemagne sur le plan des fins (décarbonation du système électrique), c'est indéniable, toutefois cela n'implique pas que le principal moyen mis en oeuvre à partir des années 1960 (nucléaire) est à présent le meilleur.
Dans ce document le terme «charbon» désigne le charbon ainsi que lignite, coke et similaires.
Dès les années 1920 la France importait du charbon car ses gisements laissaient à désirer tant au plan quantitatif que qualitatif et de la facilité d'exploitation. C'est pourquoi de nombreux chantiers de grands barrages hydroélectriques furent lancés dès les années 1930. Les efforts visant à s'en détacher furent encore amplifiés dès les années 1950 tandis que nos gisements s'amenuisaient vite puis l'État souhaita officiellement dès 1960 renoncer au charbon.
C'est pourquoi le système électrique a été développé en France avec aussi peu de combustible fossile que possible.
Pour autant la France n'a pu fermer sa dernière mine qu'en 2004, et importe encore du charbon qui produit même parfois de l'électricité (centrales Émile-Huchet et Cordemais). En 2023 7 millions de tonnes importées en France produisirent discrètement 52TWh d'énergie pour l'industrie, et certains critiquent vertement 180TWh obtenus en Allemagne pour l'électricité.
En Allemagne les gisements de charbon étaient beaucoup plus riches et rentables donc elle développa énormément cette filière de 1840 jusqu'aux années 2000, surtout dans la Ruhr et en Allemagne de l'Est (RDA).
En résumé 84 ans furent nécessaires à la France fort mal dotée en charbon pour (presque) s'en débarrasser, et certains espèrent voir l'Allemagne, très bien pourvue et ayant énormément investi, en disposer en quelques années.
EDF lança son premier projet de réacteur industriel en 1955 (un réacteur fonctionnait déjà dans un sous-marin), et il démarra dès 1963. Pour autant la production nucléaire n'augmenta vraiment qu'à partir de 1977 et le fit jusqu'à livraison du plus récent réacteur de ce Plan en 1999 (Civaux-2), 25 ans après le coup d'accélérateur nommé Plan Messmer.
Le nucléaire ne s'est en France substitué qu'à une partie du peu de combustible fossile (bande orangée du graphique) jusqu'à son avènement employé pour produire de l'électricité, et le gros de son apport (bande jaune) est un ajout sans démantèlement d'une filière en place car il augmenta la quantité d'électricité produite de moins de 150 TWh/an en 1970 à 520 TWh/an en 2002 (année de démarrage du plus récent réacteur exploité).
Bâtir une filière de l'industrie lourde satisfaisant surtout un besoin nouveau dans le cas du Plan Messmer, qui a augmenté d'un facteur 3,5 la quantité d'électricité produite et bénéficia d'un contexte favorable quant aux moyens et plus impérieux (plan géostratégique que l'est aujourd'hui la décarbonation) est une chose.
En construire une remplaçant un ensemble existant (cas de la transition en Allemagne remplaçant le charbon) en est une toute autre car implique la réforme de cette dernière, opération extrêmement longue, pénible et coûteuse.
Nous l'avons éprouvé avec certaines de nos filières: textile, chantiers navals, aciéries, charbonnages...
Cette difficile substitution est le cauchemar que vit l'Allemagne avec sa filière charbon dont son économie dépend.
Cet héritage cause le gros de ses problèmes du moment, donc la lenteur de sa transition, car sa filière charbon repose sur d'énormes infrastructures qui seraient perdues et à remplacer immédiatement en cas d'arrêt brutal, et fournit 30000 emplois en 2022. De plus elle produit une énergie peu chère, souveraine car localement obtenue, et perdue si négligée car non exportable (le gros en est du lignite, trop peu énergétiquement dense pour cela).
D'autre part cette comparaison néglige la maturité des moyens, qui détermine pour bonne part l'ampleur des investissements. En 1974 les moyens nucléaires était mûrs: les plus récents réacteurs industriels construits, tels que l'EPR, sont similaires à ceux des années 1960 (architecture, constituants, puissance, rendement...) tandis que les progrès déterminants (rendement, puissance nominale des équipements, industrialisation de la production, recyclage...) depuis l'an 2000 en matière d'éolien et de solaire industriels sont colossaux et doivent beaucoup aux débouchés commerciaux créés par la transition allemande. Les progrès pionniers de l'éolien (semblables à ceux du nucléaire entre 1945 et 1960) datent des années 1980 et débouchent début 2000: le marché «décolle» alors. Ceux du solaire sont tout aussi déterminants (exemple: rendement) doivent beaucoup à la recherche fondamentale et son industrialisation depuis 2010 est indéniable.
En France le déploiement du nucléaire exigea donc 25 ans selon l'évaluation la plus favorable alors qu'il bénéficiait d'un contexte propice, et certains critiquent la transition menée en Allemagne, lancée vers 2005 (lors du début de l'industrialisation de l'éolien et du solaire), beaucoup plus difficile et malgré cela rapide.
L'Allemagne se débarrasse de son charbon, et ses efforts de décarbonation (malgré l'arrêt de son nucléaire) ne sont pas moins efficaces que les nôtres car malgré un PIB plus élevé (55/48), une industrie plus développée (30%/20% du PIB), un climat plus froid... solaire et éolien chassent efficacement le charbon:
L'Allemagne décarbone son électricité:
L'Allemagne, depuis sa décision d'arrêter au plus vite son nucléaire prise en 2011 (après Fukushima), décarbone son économie proportionnellement aussi vite que la France:
Il lui est plus facile de réduire ses émissions puisqu'elles sont plus élevés, toutefois l'impact de son système électrique donc l'écart toutes émissions considérées n'est pas aussi important que souvent affirmé en France. Les émissions d'un Allemand sont environ 1,5 fois celles d'un Français (plutôt que 10 fois, comme beaucoup le croient):
L'Allemagne aurait pu décarboner plus vite en conservant son nucléaire, mais dans une proportion faible car il n'a produit en Allemagne, à son maximum (en 1999), que 31% de l'électricité (elle-même moins de 25% de l'énergie consommée), et dès 2011 il en produisait moins de 18% (donc 4,5% de l'énergie consommée).
Le nucléaire ne pouvait remplacer le charbon car sa production la plus élevée était (en 2001) de 171 TWh, tandis que la plus faible du charbon avant arrêt du nucléaire (en 2009) était de 253 TWh (source). L'écart réel est plus élevé car une centrale à charbon est plus apte au suivi de charge.
Dès le début des années 2000 même si l'Allemagne avait voulu conserver tout son nucléaire actif il n'aurait pu remplacer le gros du charbon (surtout le lignite, très émetteur de CO2) qui est brûlé pour produire de l'électricité dans les zones de l'ex Allemagne de l'Est, dépourvues de nucléaire depuis 1995 (réacteurs soviétiques arrêtés dès 1990 car trop peu sûrs), donc tous les réacteurs actifs se trouvaient en Allemagne de l'Ouest, et il n'y a pas de ligne à haute tension capable d'acheminer leur production vers l'Est. Décider d'en déployer vers l'Est aurait distrait des ressources nécessaires au difficile déploiement de lignes lancés en 2009 sur l'axe Nord (produisant de l'électricité et en consommant peu) - Sud (consommant beaucoup d'électricité), et immédiatement ruiné le secteur du charbon, gros employeur dans les Länder de l'Est où le taux de chômage était très élevé (le parc de renouvelables était alors modeste donc ne le menace que progressivement). De plus ces lignes auraient parcouru certains de ces Länder (Brandebourg, Saxe), qui y décident de leur implantation donc auraient renâclé.
Par ailleurs à l'Est de l'Allemagne des centrales à charbon produisent depuis longtemps de la vapeur à haute pression pour des réseaux de chaleur (industrie et chauffage de nombreux locaux), ce que ne peut fournir un réacteur distant.
Maintenir ce nucléaire aurait causé coût et dépendance supérieurs puisqu'il se serait substitué à une partie du charbon dont l'Allemagne dispose à demeure alors qu'elle n'a pas de gisement d'uranium exploitable.
Prétendre que l'Allemagne arrêta ses réacteurs sans raison (après Fukushima...) ou que seule une minorité d'écologistes en décida est mensonger.
Certains attribuent les progrès au gaz (méthane). Cela ne tient pas car la consommation en est stable (hors COVID) depuis 2008. L'Allemagne apprécie les équipements correspondants (turbines) parce qu'ils sont nécessaires au backup (suivi de charge et pointes), comme en France, et parce qu'ils sont à présent adaptables (par rénovation) à l'hydrogène vert.
Même la dépendance relative de l'Allemagne à celle de la France diminue depuis 20 ans, et les dépendances absolues de ces deux nations convergent.
Lorsque l'Allemagne manque d'électricité elle en importe, ce qui augmente son cours dans de petites nations voisines donc le prix acquitté par leurs citoyens, c'est pourquoi Suède et Norvège mettent en pause leurs interconnexions avec cette nation. C'est causé non par un défaut intrinsèque des renouvelables mais par le déploiement insuffisant du système nécessaire conjugué à la disproportion (consommation allemande considérablement supérieure à celles de ces voisines).
La transition de l'Allemagne ne la contraint pas à produire moins d'électricité car il en va ainsi quasi partout en Europe dans des nations aux profils de transitions très variés, pour diverses raisons heureuses ou non (crise, efficacité...):
Le regretté D. Salel constata que certains veulent créer une association solaire et éolien = Allemagne = gaz/charbon.
Lorsqu'il est question de la transition en Allemagne ils répondront: «Et le charbon?», ou produiront un instantané des émissions en clamant «Regardez, ça ne marche pas!», négligeant les progrès (et la solution).
C'est fondamentalement vicié car pour évaluer les progrès d'une transition énergétique (donc de filières de l'industrie lourde) examiner une mesure ponctuelle est inutile, il faut plutôt mesurer les écarts entre suffisamment de mesures de ce genre distantes dans le temps. En Allemagne la diminution de la consommation de charbon et la stabilité de celle du gaz montrent l'inanité de la condamnation des renouvelables. D'autre part la France, toute nucléaire qu'elle est, brûle du fossile afin de produire de l'électricité donc quantités et tendance sont déterminantes.
Ces instantanés sont présentés comme autant de preuves de l'incapacité des renouvelables, comme s'ils révélaient les raisons pour laquelle l'électricité allemande est sale. En réalité ils ne prouvent rien à ce titre, et la principale raison de ces émissions est que cette nation ne peut réformer rapidement sa filière charbon donc n’a pas installé suffisamment d'énergies bas carbone. Il est plus objectif d'analyser l'évolution de critères pertinents (part de chaque type de combustible fossile, émissions...) par unité de quantité d'électricité produite.
Comme souligné par D. Salel l'approche allemande n'est pas la seule possible et donner le nucléaire pour garantissant une bonne vitesse à la décarbonation de l'électricité n'est pas étayé par la réalité car les progressions de diverses nations ne sont pas corrélées à leur nucléaire: Portugal, Danemark et Irlande n'ont pas de réacteur, pour autant leurs transitions cinglent et y lire succès du seul hydraulique ne tient pas.
Le Royaume-Uni est parfois donné pour un succès du nucléaire. En réalité cette nation, comme la France, commença tôt à se débarrasser de sa filière charbon parce que ses gisements s'étiolèrent. Son pic de production date de 1913, et beaucoup de mines fermèrent dès les années 1950, donc cette filière décrocha au début des années 1960 et celle de l'Allemagne la devança dès lors.
Par ailleurs les apports respectifs des renouvelables et du nucléaire sont révélateurs:
Propagandistes et naïfs condamnent abusivement les renouvelables en arguant de la transition de l'Allemagne mais aucune critique officielle ne s'élève car pollution comme émissions causées par les 80TWh/an d'électricité criminellement obtenue en Allemagne dans des centrales au charbon ne sont pas aussi décisifs que prétendu face, par exemple, aux combustibles fossiles brûlés en France qui en obtient 1200TWh/an.
Même l'honni «gaz russe» (brûlé dans des centrales à gaz allemandes) connaît son équivalent en France, qui importe de grandes quantités de gaz de schiste , aux émissions catastrophiques au plan du climat (très sous-estimées) et dont l'obtention y est interdite (loi de juillet 2011), ainsi que du gaz russe (lire ci-après).
Une autre thèse fait de l'Allemagne, de par ses choix en matière d'énergie la contraignant à acheter à la Russie, la plus coupable des complices de cette nation agressant l'Ukraine tandis que le nucléaire nous épargnerait cela.
La réalité est ici encore fort différente car l'Allemagne a officiellement mis fin aux importation par gazoduc (notamment via Nord Stream 1 et 2) à partir de juillet 2022, et en matière de gaz naturel liquéfié (LNG: liquefied natural gas, transporté par des navires) la France maintient des contrats à long terme avec la Russie donc est l'un de ses principaux clients européens, en un paradoxe connu (même si peu éclairé en France) et commenté.
27% du LNG importé en France est ré-exporté ( 123 / (173 + 271) ), entres autres vers l'Allemagne, mais tout en est payé et brûlé donc Ukraine et climat souffrent tandis que V. Poutine s'esclaffe.
En 2023 les hydrocarbures constituaient 55% de la valeur des exportations de la Russie (un revenu supérieur à 230 milliards de dollars US). Une part de la forte réduction de la part acquise par l'Europe est trompeuse car diverses redirections s'établirent, par exemple via l'Inde (source).
2025
octobre: France, the third-largest buyer within the EU ((209 mn, all of which was LNG))
septembre: France, the third-largest buyer within the EU ((153 mn, all of which was LNG))
août: France, the third-largest buyer within the EU ((157 mn, all of which was LNG))
juillet: France, the second-largest buyer within the EU ((EUR 239 mn, all of which was LNG))
juin: France, the third-largest buyer within the EU ((EUR 232 mn, all of which was LNG)), and over half of Russian seaborne oil exports were transported on G7+ tankers in June, a 6 percentage point increase from May. Since January, the G7+ share in Russian oil transport has increased from 36% to 56%
mai: France, the fourth-largest buyer within the EU ((EUR 164 mn, all of which was LNG)), and G7+ tankers regaining hold on Russian oil
avril: France was the second-largest importer of Russian fossil fuels within the EU ((EUR 371 mn, Hungary was the first with EUR 373 mn)).
mars: France was the second-largest importer of Russian fossil fuels within the EU ((EUR 314 mn, Hungary was the first with EUR 412 mn)).
février: LNG: The EU was the largest buyer, purchasing 50% of Russia’s LNG exports. France was the largest importer of Russian fossil fuels within the EU. Its imports, which included Russian LNG, totaled EUR 399 mn.
janvier: Russian crude oil revenues rise 13% despite marginal rise in volumes, while France’s Russian LNG imports rose to 12 month high. 25% month-on-month rise, even as the country’s total imports grew by a mere 0.5%. Over a third of France’s total LNG imports in January came from Russia and were the highest import volumes in 12 months. LNG: The EU was the largest buyer, purchasing 49% of Russia’s LNG exports.
2024 (résumé: Europe bought a record amount of liquefied natural gas from Russia)
décembre: Russia was the largest exporter of liquified natural gas (LNG) to France. While there was a 7% month-on-month increase in France’s imports of LNG, Russian LNG imports grew by a massive 30%
novembre: France, the second-largest buyer within the EU (252 millions d'€ pour ce seul mois, +4%)
octobre: France was the largest importer of Russian fossil fuel
juin: France imported exclusively LNG from Russia (le LNG est du "liquefied natural gas", gaz naturel liquéfié)
may: Russian LNG comprised 41% of France’s total LNG imports
avril: France was the EU’s fifth-largest importer of Russian fossil fuels
mars: France was the EU’s fifth-largest importer of Russian fossil fuels
2023
août: the EU – Spain, Belgium, France – was the largest buyer (purchasing 34% of Russia’s LNG exports)
Le coût de la transition en Allemagne est parfois donné pour 300, 500 ou même 1500 milliards d'€.
Ces assertions sont sans valeur car aucune source digne de ce nom ne publie de somme assortie du périmètre (certains pans des investissements nécessaires au réseau électrique ne dépendent pas du type de source d'énergie) et d'au moins une échéance.
Il s'agit en réalité de prévisions publiées par diverses sources portant sur des échéances lointaines (2050...) et sur l'ensemble du système électrique (y compris ce qui ne relève pas des renouvelables)
RWE, deuxième producteur d'électricité en Allemagne, s'est prononcé début 2025 «contre la relance de l'atome et la construction de nouvelles centrales, jugée trop risquée financièrement». En France une mise en garde de la Cour des comptes correspond à cette analyse quant aux nouveaux réacteurs proposés.
Donner la transition énergétique pour impossible parce que J.-B. Fressoz l'aurait montré est abusif.
Il rappelle: «transition en 30 ans avec conservation du niveau de vie: c'est de la science-fiction».
Il n'affirme pas que la transition est impossible, mais bien que l'accomplir en 30 ans toutes choses égales par ailleurs l'est. Des commentateurs et son éditeur même (sur le bandeau du livre) ont résumé en distordant, vraisemblablement afin de susciter de l'intérêt.
Achever la transition énergétique avant 2050 implique une forte réduction de notre niveau de vie ou une rapide évolution majeure similaire à la Révolution Industrielle, peu probable (donc relevant de la science-fiction, de l'utopie, d'un technosolutionnisme outrancier...) car les révolutions de cette ampleur sont par définition rares.
La culture ambiante serine «la transition est en cours, comme d'autres par le passé» alors que la réalité est «hors évolution majeure ou douloureuse sobriété la transition sera en 2050 très insuffisante».
Un autre argument, selon lequel nous serions les premiers à abandonner un type de source d'énergie... est faux car, comme rappelé par N. Goldberg, les moteurs ont remplacé la traction animale.
Auteur: https://x.com/natmakar , https://bsky.app/profile/natmaka.bsky.social