Jeudi 21 novembre
I. Les strates du passé : patrimoine et mémoire de Thessalonique
Youyoung Jung, EHESS, Paris
La crise et la reconstruction de la ville médiévale : Thessalonique par Jean Caminiatès.
Tout au long de son histoire, les crises ont joué un grand rôle pour les divers aspects de la ville. La position stratégique par sa localisation géographique ne lui permet pas de rester en paix, paradoxalement ces crises ont contribué à rétablir cette ville comme la deuxième capitale de l’empire et la plus grande ville dans les Balkans médiévaux. En 904, des marins musulmans venus du Levant sous la direction de l’amiral Léon de Tripoli, un musulman d’origine byzantine né en Syrie, ont pris la deuxième capitale de l’empire byzantin, Thessalonique. Parmi les prisonniers chrétiens qui ont été capturés, il y avait Jean Caminiatès, qui a laissé le récit de ce sac et des combats des Thessaloniciens contre leur ennemi. L’une des pires catastrophes de toute l’histoire byzantine, cette chute représente la crise de Byzance au Xe siècle. Pourtant, cette tragédie n’est pas la fin de l’histoire de la ville. Malgré la destruction, Thessalonique a réussi à se reconstruire après cette catastrophe, et la ville est devenue la deuxième capitale de l’empire.
Cette communication porte sur la destruction et la reconstruction de Thessalonique, surtout à travers les témoignages de Caminiatès, et porte aussi sur l’examen de la nouvelle phase de développement de la ville après la catastrophe décrite dans son récit avec des analyses historiographiques. Le récit de Caminiatès, le seul qui parle du grand évènement catastrophique au milieu de la dynastie macédonienne, est une source principale et irremplaçable pour étudier l’histoire de Thessalonique. C’est un témoin historique de la crise de la ville, mais aussi de l’avènement de l’histoire florissante de la ville comme deuxième capitale de l’empire pendant la renaissance macédonienne.
Michał Bzinkowski, Université Jagielloński, Cracovie, Pologne
D'une ville levantine animée, en passant par les ruines jusqu'à la modernité - images de Thessalonique dans les récits de voyageurs polonais des XIXe et XXe siècles.
Dans mon exposé, je présenterai les récits de plusieurs voyageurs polonais qui ont visité Thessalonique à des fins diverses aux XIXe et XXe siècles. J'utiliserai les ouvrages suivants, qui contiennent des descriptions intéressantes de Thessalonique : le « Voyage de dix ans en Orient » (1872) d'Ignacy Pietraszewski (1796-1869), « De l'Olympe à l'Olympe : Impressions et réflexions d'un voyage en Grèce » (1928) de Tadeusz Sinko (1877-1966) et “Au pays des dieux, du soleil et des olives” (1966) des auteurs Artur Grodzicki et Józef Alfred Szczepański. Tous les récits susmentionnés fournissent des informations précieuses sur l'évolution du tissu urbain de Thessalonique et des relations entre les populations sur une période de plus d'un siècle.
Vassilios Sabatakakis, Université de Lund, Suède
La ville de Thessalonique de 1784 dans le journal du pasteur et voyageur suédois Adolf Fredrik Sturtzenbecker (1757-1784).
A. F. Sturtzenbecker, théologien suédois, diplômé de l'université d'Uppsala, spécialiste du grec ancien, du latin, de l'arabe et de l'hébreu, est nommé pasteur de l'ambassade de Suède à Constantinople en novembre 1780. En mars 1784, il se rendit en Grèce, s'arrêtant d'abord à Thessalonique, puis se rendit en Épire, en Thessalie et en Grèce centrale orientale, où il mourut à Livadia. Il est resté quatorze jours à Thessalonique et a fait des descriptions et des observations très importantes sur les bâtiments, les monuments, les lieux de culte, le commerce, la vie et la géographie humaine de la ville.
Dans mon exposé, je présenterai ses impressions sur son journal de voyage très complet, que je publierai en Suède au début de l'année prochaine, en même temps que ses lettres.
© Bernard Pailhès
II. Thessalonique du XIXe au XXe siècle
Alexia Altouva, Université Capodistrienne d’Athènes, Grèce
Repères théâtraux et activité artistique dans Thessalonique ottomane.
Bien que 30 ans se soient écoulés depuis l'observation de Walter Puhner selon laquelle il existe des lacunes importantes dans la recherche théâtrale concernant le théâtre de province, et malgré le grand intérêt observé ces dernières années, principalement dans l'histoire du théâtre local, par des chercheurs novices, très peu de progrès ont été réalisés dans la couverture de la recherche dans ce domaine, y compris à Thessalonique, qui, en tant que co-capitale, est un pôle important de développement de l'activité théâtrale en Grèce.
La communication vise à contribuer à la recherche en élargissant l'enregistrement des données sur l'activité théâtrale et artistique plus large de la ville pendant la période ottomane à la fin du siècle, de la fin du XIXe siècle à la première décennie du XXe siècle, en mettant l'accent sur la période triennale 1897-1900, pour laquelle nous ne disposons pas de données suffisantes à partir des sources jusqu'à aujourd'hui en raison de l'absence d'une presse en langue grecque. En particulier, nous examinerons les questions concernant les lieux de théâtre qui, en tant que points de repère théâtraux, ont contribué au développement culturel de la ville et ont constitué des points de référence pour le tissu urbain, les types de théâtre et les compagnies théâtrales actives dans ces lieux, composant le paysage théâtral de l'époque, la relation des différentes communautés de la ville avec l'art du théâtre (grecque, juive, turque, arménienne, etc.), les canaux de communication avec les médias et les médias. etc.), les canaux de communication avec les centres importants de la diaspora grecque et l'interaction dans ce domaine, autant d'éléments qui ont façonné le caractère culturel de Thessalonique.
Kyriakos Papoulidis, Université Adam Mickiewicz, Poznan, Pologne
La ville de Thessalonique de l'entre-deux-guerres à travers les témoignages d'archives de la communauté polonaise (1919-1939). Esquisse narrative d'un parcours parallèle dans l'espace et le temps.
Cet article vise à présenter un ensemble de témoignages humains (récits) dans un paysage urbain (Thessalonique) caractérisé par des transformations et des développements constants et rapides. Plus précisément, les témoignages humains qui seront présentés à la fois comme des voix de la ville et comme des récits littéraires proviennent de contextes d'archives familiales et commerciales et concernent l'intégration et l'action d'une communauté collective (polonaise) dans un paysage urbain de Thessalonique en pleine mutation. L'évolution parallèle de ces deux paramètres (communauté collective et paysage urbain) constitue un lieu commun de mémoire dans le contexte de l'espace-temps et doit être examinée en fonction du critère d'authenticité. Pour cette raison, le présent document est basé sur des témoignages d'archives inconnues provenant de sources personnelles et institutionnelles ainsi que des archives historiques des journaux ''TO VIMA-TA NEA''.
Alkistis Sofou, Sorbonne Université, Paris
« L’incident de Salonique » et la démythification de la ville.
Le 6 mai 1876, les consuls de France et d’Allemagne, Jules Moulin et Henry Abbott, ont été lynchés à mort à coups de barres de fer, de bâtons et de couteaux, lors des échauffourées.
La mort atroce des deux consuls suscite un tollé de réactions. Les puissances européennes réagissent immédiatement et somment la Sublime Porte d’intervenir, vite et fort. Elles exigent une indemnisation de taille, des funérailles solennelles et des punitions exemplaires pour les coupables. Cette pression internationale, qui reflète la gravité de l’incident, marque un tournant temporaire au changement d'attitude des puissances à l'égard de l'Empire ottoman.
Nous examinerons comment cet incident est perçu par la presse française et l'impact qu'il a eu sur l'image de la ville de Thessalonique.
Sofia Denissi, École Supérieure des Beaux-Arts, Université d’Athènes
Les Apocryphes de Thessalonique (1911) de George Scott : une première tentative de représenter les bas-fonds dans les dernières décennies du XIXe siècle.
L'énorme succès du roman social d'Eugène Sue, Les Mystères de Paris (1842-43), a donné naissance à un nouveau genre de fiction, le « roman apocryphe ». C'est ainsi qu'au XIXe siècle et au début du XXe siècle, une série de romans mettant en scène la misère, la corruption et la criminalité des centres urbains a vu le jour dans toute l'Europe. La Grèce n'a pas fait exception, publiant d'abord des romans traduits du genre, puis des originaux. Dès 1848, un premier essai inachevé est réalisé avec Les Apocryphes d'Athènes, de George Aspridis, et les œuvres suivantes suivront : Les Apocryphe de Constantinople en deux versions différentes (1855, deuxième édition 1866 et 1868-1869), Les Apocryphes de Syros (1866), Un Apocryphe de Zakynthos (1875), à nouveau Les Apocryphes d'Athènes (1884), cette fois complet, Les Apocryphes d'Athènes et les aventures du voyageur anglais John Jacket (1889), Les Apocryphes de Smyrne (1889), Les Apocryphes de Péra (1890), Les Apocryphes d'Égypte (1894). Parallèlement, un grand nombre de romans au contenu social similaire ont été publiés à la même époque, sans porter le terme d'apocryphes ou de mystères dans leur titre, qui est le titre alternatif utilisé par le genre. Malgré le grand nombre d'œuvres originales de cette catégorie de fiction qui tentent de décrire la vie des marginaux dans les centres urbains du royaume libre ou dans les zones d'hellénisme qui sont restées en dehors du nouvel état ou qui faisait partie de la diaspora, aucun roman concernant la vie de l'hellénisme à Thessalonique n'a été identifié à ce jour, compte tenu de l'incorporation ultérieure de la Macédoine au royaume grec et de l'existence d'un petit nombre d'œuvres précoces. Ainsi, le roman épistolaire de George Scott, Les Apocryphes de Thessalonique, œuvre de 1911, qui évoque la co-capitale actuelle au cours du dernier quart du XIXe siècle et donne une image sans précédent de son monde souterrain grec pendant les années de la domination ottomane, est d'un immense intérêt. Le but de cette introduction est d'analyser l'œuvre, de l'intégrer dans les romans apocryphes et d'en extraire des informations précieuses sur un aspect de la vie hellénistique à une époque largement inconnue dans les œuvres littéraires.
© Bernard Pailhès
III. Histoire et Architecture
Maria Moschou, Université Capodistrienne d’Athènes
Thessalonique en tant que «capitale des réfugiés». Identité nationale, milieu résidentiel et transformations de la mémoire collective.
« Autour de Saint Démétrius, ravagé par le feu, tu as conservé d'autres dispositions et tu veux maintenant les dire. A côté de sa cour, il y avait quelques maisons basses en bois. Leur bois est vieux et bruni par les pluies et les soleils. Tu t'en souviens chaque fois que tu vois des photos des quartiers de la ville et que tu entends parler d'incendies. [...] tu as acheté ton premier carnet de notes à un vieil homme qui vendait des produits alimentaires dans une cabane à l'angle de la rue De la Défense Macédonienne et de la rue Saint Démétrios. Il avait un beau papier jauni, jauni par le temps et la cuisson dans la cabane. À cette époque, la cabane a disparu et un manoir a été érigé à sa place. Pensez-vous que ce carnet datait de l'époque de l'occupation turque ? » (Y. Ioannou, Sous les denses rangées d'arbres). À travers la description d'une simple expérience quotidienne, la citation décrit les transformations radicales de l'espace urbain de Thessalonique qui ont été mêlées à l'expérience de la catastrophe d'Asie Mineure et ensuite incorporées dans le discours sur la mémoire des réfugiés et l'identité nationale.
Partant de la définition de la mémoire collective de Maurice Halbwachs et de ses relectures récentes, l'article explore les représentations des réfugiés de Thessalonique dans les textes de Y. Ioannou. Prenant en compte les renégociations du concept de mémoire des réfugiés, il exploite la thèse selon laquelle la constitution de la mémoire collective est liée à l'environnement résidentiel. Tout en examinant l'évolution de l'environnement résidentiel de Thessalonique et les réarrangements qu'elle entraîne dans son anthropogéographie, l'importance critique que Ioannou attribue au lien entre l'identité nationale et le patrimoine byzantin est soulignée (« Un dimanche matin, vous vous êtes levé à l'aube pour lire le livre de Pénélope Delta intitulé “Pour la patrie”. Puis vous êtes allé à Achiropeito, où vous avez assisté à une messe glorieuse. D’une part, les mots du livre, qui résonnaient dans vos oreilles, et d'autre part, les événements de la messe, ont presque soulevé votre esprit. Si les églises byzantines disparaissent, Thessalonique mourra et vous mourrez avec elle. "Laissez-moi mourir!" » (Sous les denses rangées d'arbres). Dans le cadre de l'analyse des transformations de la mémoire collective parallèlement aux changements de l'environnement résidentiel de Thessalonique, les réglementations modernisatrices de l'espace urbain dans le cadre du projet du vénizélisme après l'incendie de 1917 et les données sur les politiques de réhabilitation des logements des réfugiés de 1922 sont présentées.
Peny Koutsou, Michalis Koyias, Université Aristote de Thessalonique et Ministère grec de la Culture
Écrire, effacer et reécrire : Passés successifs et monuments-palimpsestes de Thessalonique.
Les villes ne sont pas seulement des lieux d'habitation ou de cohabitation. Elles sont en même temps des corps urbains et architecturaux sur lesquels des temporalités successives créent différents revêtements spatiaux. En partant de la conception de Genette, nous lisons la Rotonde et l'église de Panagia Achiropeito comme des monuments palimpsestes qui médiatisent et enferment de manière matérielle les passés successifs de la ville (romain, byzantin, ottoman, réfugié). Sur la base de la rencontre entre l'ancienne et la nouvelle écriture, nous discutons de la tentative du stratagème dominant d'imposer la nouvelle identité de la ville, en augmentant finalement les revêtements sur la surface du palimpseste et, par extension, sur le corps de la ville elle-même.
Ariadni Vozani, École Polytechnique d’Athènes
Redessiner des espaces publics et la mémoire : La nouvelle proposition de réaménagement de l'axe et de la place Aristote.
La présentation se concentrera sur l'importance de la mémoire et de l'histoire de la ville dans le réaménagement des espaces publics, à l'occasion du nouveau projet de réaménagement de l'axe et de la place Aristotelous (1er prix du concours international d'architecture / 2021). Cette zone d'étude particulière est l'un des espaces publics les plus centraux de Thessalonique, tel qu'il a été progressivement façonné après l'incendie de 1917. Quels sont les principes de conception suivis par l'avant-projet gagnant du concours pour le réaménagement de l'axe et de la place Aristotelous et comment l'étude a-t-elle évolué par la suite ? Comment ces principes sont-ils liés à la mémoire de la ville et au projet d'Ernest Hébrard, tout en répondant aux conditions et aux exigences contemporaines et futures ?
Bernard Pailhès, urbaniste consultant
Destruction / reconstruction de Thessalonique (1917-1920).
Le samedi 18 août 1917, un incendie se déclare dans le centre de Salonique.
Cet incendie intervient à un instant crucial de l’histoire déjà particulièrement agitée de Salonique. La cité se trouve en effet à cette époque dans un contexte complexe : lieu de naissance de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la république turque, ville conquise quelques années auparavant, en 1912, sur les Turcs lors de la première guerre balkanique, elle est restée neutre au début de la Première guerre mondiale. Mais, par la volonté du Premier ministre Elefthérios Venizélos, elle a accueilli, pour soutenir la Serbie, les 400.000 soldats français, britanniques et serbes de l’Armée d’Orient.
Un an auparavant, le 26 septembre 1916, Elefthérios Venizélos, chassé du poste de Premier ministre, avait quitté Athènes et rejoint Thessalonique. Il y constitue un « Gouvernement de défense nationale » et Thessalonique devient capitale d'une région en révolte. Après l’ « abdication » de Constantin Ier en juin 1917, et Venizélos revenu à Athènes, Thessalonique perd son statut de capitale de la Grèce.
En trente-deux heures, le feu détruit 120 hectares et 9 500 bâtiments, laissant 72 000 personnes sans abri, touchant toutes les communautés, juives, orthodoxes et musulmanes.
Une telle ville, anéantie en deux jours, devait renaître de ses cendres. Le défi est énorme, à la même échelle que la catastrophe. Mais il représente une opportunité pour qu’elle devienne une ville moderne, suivant les nouveaux courants de l’architecture et de l’urbanisme tout en gardant les atouts du passé.
Après l’incendie, l’un de ces soldats de l’Armée d’Orient va jouer un rôle important dans la reconstruction de la ville : Ernest Hébrard. Architecte, prix de Rome en 1904, il a rejoint le Service archéologique des Armées. Arrivé à Thessalonique, il s’intéresse à l’ensemble Arc de Triomphe et Rotonde ; il démontre, preuve à l’appui, la relation des deux monuments entre eux et avec les autres monuments de la ville.
Dès la fin de l’incendie, il propose ses services. Le premier ministre Venizélos le charge de concevoir le nouveau plan de la ville, qu’il veut « moderne ». Le volet urbain s’accompagne d’un volet juridique qui doit traiter du problème épineux des indemnités aux propriétaires et de l’affectation des nouveaux terrains lotis. La loi du 3 mai 1918, dite de « l’application du nouveau plan de Salonique » sera vigoureusement contestée jusqu’à provoquer la chute du gouvernement Venizélos en 1920.
La reconstruction de Salonique représente la plus grande opération de réaménagement urbain jamais entreprise en Grèce. Elle aura des conséquences importantes pour les populations. Si elle éventre la vieille ville largement détruite par l'incendie — en particulier les quartiers juifs du centre — elle fait partie du projet de ré-hellénisation de la ville juive et slave, récemment passée sous l’administration grecque.
Le propos tentera de montrer comment la transformation urbaine, résolument moderne, va contribuer à positionner Thessalonique comme seconde ville de Grèce, pôle universitaire et économique important, qui devra répondre aux enjeux du vingtième siècle.
© Bernard Pailhès
IV. Anthropologie et Ville
Fotini Tsibiridou, Université de Macédoine, Thessalonique
La ville comme atelier de savoir de-colonial. La mise en pratique des anti-tours, un projet d’anthropologie publique dans les quartiers de Thessalonique.
Depuis la Modernité, la ville de Thessalonique est souvent vécue à travers la matrice d’une colonialité/rationalisation/racialisation/ethnicisation patriarcale qui agit sur l’esprit et le corps, et que l’on perçoit dans l’espace public. Avec pour objectif, le renversement des récits et des représentations ethnocentriques, nationalistes et sexistes de la modernité, nous avons recours, sous l’égide du Laboratoire/Culture-Frontières-Genre (BSOS-Université de Macédoine) qui réalise des exercices sur le terrain, aux techniques créatives décoloniales des « assemblages ».
Cette communication s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie publique ayant pour objet de recherche les dominations palimpsestes des sujets minoritaires (voir les réfugiés du passé et les migrants du présent) ou des populations absentes (voir juifs et musulmans), les matérialités et les traces de leurs corps souvent féminins, vus/vécus comme subalternes.
En parcourant des quartiers particuliers de la ville de Thessalonique, c’est-à-dire « Extra/Intra Muros » de Ano Polis ou autour du Fragkomahala, aux alentours du port, on suit ou on invente de manière militante des narrations performatives. A la différence du récit historiographique rationnel, linéaire, eurocentrique, pédagogique et sexiste du passé, on cherche à reconstituer les vides, les absences, les silences et les traumas des corps colonisés, souvent sous-représentés dans l’espace public de la modernité de la ville.
Areti Kondylidou, Ministère grec de la Culture
Islahané: un palimpseste de mémoire.
Cette intervention a comme but de présenter le cas d’un monument ottoman, qui, oublié pendant des décennies, a trouvé un nouveau rôle dans la vie culturelle de la ville. Le “Centre culturel d’Islahané, ex-école des arts et métiers Hamidié” hébergeait auparavant les ateliers techniques de l’orphelinat pour garçons, fondé en 1874, à Thessalonique. A travers le trajet dans le temps, du bâtiment et du quartier - bâtiment reconstitué de manière idéale aujourd’hui par le Ministère de la Culture Grecque - et ses différentes fonctions et ses divers habitants, d’un quartier d’orphelinat et d’ateliers techniques en quartier des réfugiés d’Asie Mineure et lieu de travail industriel, jusqu’ à sa transformation en musée de soi-même, l’Islahané raconte l’histoire récente du quartier et par extension de la ville de Thessaloniki. L’éventail de ses activités aujourd’hui, en tant que musée et centre de manifestations culturelles, sont motivées par les narrations multiples du lieu et du palimpseste de sa mémoire : le patrimoine matériel et immatériel en tant qu’expérience vivante.
Maria Papadopoulou, Roza Eleni Barka, Université Aristote de Thessalonique
La diversité linguistique dans les cimetières contemporaines de la ville de Thessalonique.
Les cimetières de la ville de Thessalonique étaient le lieu de sépulture de personnes de langues et de cultures différentes. Bien qu’ils aient été étudiés en tant qu’éléments significatifs de l’histoire de Thessalonique, les cimetières n’ont pas été analysés comme témoignage du plurilinguisme de la ville. Dans cette communication, nous allons aborder le paysage linguistique des cimetières subsistants de Thessalonique, à la recherche de traces de diversité linguistique. Douze cimetières de la ville et des environs proches de Thessalonique ont été étudiés dans le cadre d'une recherche plutôt exploratoire qu'exhaustive. Ayant comme critère d'analyse la co-occurrence spatiale et/ou temporaire (ou son absence) de différentes langues dans les tombes de l'échantillon, nous étudierons le paysage linguistique des cimetières de la ville comme un reflet, à la fois réel ou trompeur, du développement de la diversité linguistique de Thessalonique depuis la fin du 19e siècle à nos jours.
Olivier Givre, Université Lumière-Lyon 2
Thessalonique, ville laboratoire de la recherche-création dans les Balkans ? Autour du réseau CREABALK (CreativeBalkans).
Cette contribution ne repose pas sur des recherches finalisées mais a pour objectif de présenter le réseau CREABALK-Creative Balkans, basé notamment à Thessalonique, et qui concerne la recherche-création et les rapports entre sciences et arts. Je propose ainsi de profiter de cette manifestation consacrée à Thessalonique pour :
• Présenter ce réseau, ses objectifs et ses premières réalisations.
• Parler d’un projet portant sur les paysages sonores d’Ano Poli, et notamment sa « rivière cachée », en partenariat avec l’Université de Macédoine à Thessalonique, le centre Islahane et l’Institut français de Thessalonique.
• Recueillir des idées, avis, propositions et informations sur ce projet et ce thème de la part des participant.es au colloque.
• Discuter après mon intervention avec des collègues qui pourraient se sentir attirés par ce genre de démarche, partager des idées et éventuellement ouvrir des perspectives futures sur des projets de recherche-création portant sur Thessalonique.
© Bernard Pailhès
Vendredi 22 novembre
© Bernard Pailhès
V. Musiques de Thessalonique
Melina Moschou, Sorbonne Université, Paris
Une synthèse musicale : un poème pour Thessalonique.
Cette communication se propose de tirer de l’oubli et mettre en lumière une œuvre poétique inconnue, qui revêt pourtant une importance capitale tant pour le patrimoine littéraire de Thessalonique que pour celui de l’avant-garde européenne. Il s’agit du recueil poétique de l’intellectuel franco-italien Ricciotto Canudo, un précurseur, théoricien du cinéma S.P. 503 le Poème du Vardar : suivi de La Sonate à Salonique avec une image de l’auteur par Picasso et un frontispice musical de Maurice Ravel (Paris, La Renaissance du livre, 1923). Profondément intéressé par l’intersection entre poésie et musique et inspiré par ses expériences de la Première Guerre Mondiale lors de la campagne de Salonique et sur le front macédonien, Canudo tisse un lien étroit entre le paysage macédonien et des formes musicales qui structurent ses deux poèmes narratifs. Fidèle à son engagement avant-gardiste, il cherche à capturer une expérience symphonique de la vie, de la guerre et de l’art, tout en offrant une nouvelle forme de synesthésie poétique, où chaque paysage se décline comme une note dans une partition plus vaste. Dans ce cadre, Thessalonique, en tant que carrefour culturel entre l’Est et l’Ouest, espace de conflit et lieu stratégique pour les forces alliées pendant la Grande Guerre, joue un rôle central dans l’imaginaire de Canudo. Ainsi, l’objectif de cette étude est d’offrir une présentation approfondie de son recueil poétique en mettant l’accent sur la manière dont sa réflexion sur Thessalonique et sur la guerre s’inscrit dans un projet avant-gardiste marquant, qui cherche à réinventer les modes de représentation poétique en intégrant les arts et en résonnant avec la structure musicale.
Katerina Karra, Université Capodistrienne d’Athènes
L'identité musico-théâtrale de Thessalonique dans l'entre-deux-guerres.
Pendant l'entre-deux-guerres, Thessalonique était au centre de la vie théâtrale. Des compagnies itinérantes, grecques et étrangères, principalement musicales, s’y rendaient et présentaient chaque année leur riche répertoire. La radio de Christos Tsingiridis offrait à ses auditeurs des spectacles de théâtre musical en direct, les protagonistes populaires du théâtre musical grandissaient dans la ville et les conservatoires dispensaient une formation dramatique systématique associant le théâtre à la musique. Le Théâtre royal, bâtiment emblématique de la vie théâtrale de la ville, fut construit et commença à fonctionner avec la représentation de La Chauve-souris par la Troupe Lyrique, nouvellement créée.
L'objectif de cet article est de présenter les résultats d'une recherche sur le caractère des spectacles de théâtre musical dans la ville pendant deux décennies, y compris les quatre années de la dictature de Métaxas, et d'explorer comment ils ont défini l'identité du théâtre musical de la ville telle qu'elle a été façonnée par la suite. L'article présentera le projet en question, tel qu'il a été conçu et mis en œuvre au sein du Département d'Etudes Théâtrales de l'Université d'Athènes dans le cadre du cours d'histoire locale du théâtre.
L'accent sera mis sur la présentation des résultats pour la période de la dictature de Métaxas, une période qui a déterminé les développements dans le domaine de la revue, de l'opérette et de la comédie musicale et qui a contraint les compagnies athéniennes à venir à Thessalonique pour des périodes plus longues afin d'éviter les pressions de la censure, créant ainsi des liens avec la ville et façonnant sa mémoire en matière de théâtre.
Thanos Giannoudis, Université Aristote de Thessalonique
« Le mois de mars à Thessalonique, l’été à Dépôt... » : la forme et le rôle de la ville de Thessalonique dans les vers mis en musique.
Dans le domaine littéraire et poétique, la ville de Thessalonique a été largement entourée de l'opacité et de l'arrière-plan d'un mythe mis en abîme dans son histoire palimpseste et son passé multiethnique. Son image et sa présence dans la chanson populaire mettent fondamentalement l'accent sur certaines formes toutes faites et certains motifs délimités, en insistant sur les axes préfabriqués de la fête, de la folklorisation pure, de la vie authentique et - surtout - sur le contraste avec la ville d'Athènes, ses centres d'intérêt et ses façons de percevoir.
Par la présente communication, nous souhaitons élargir ce spectre étroit, en mettant en lumière la forme et le rôle que joue la ville de Thessalonique dans le lyrisme artistique (qui balance organiquement entre la chanson folklorique pure et la poésie mise en musique) et en retraçant, dans un même temps, l'identité et les résonances lyriques de la ville à une époque de transition, de migration, de reconstruction rapide et, en fin de compte, d'un changement évident de paradigme.
Après avoir examiné la place et le rôle des chansons sur Thessalonique dans le « canon » particulier de la chanson d'art et dans l'œuvre de certains paroliers éminents, nous nous concentrerons sur des descriptions caractéristiques spécifiques de la ville dans les années 1960 et 1970, qui replacent la co-capitale dans le contexte plus large de l'histoire grecque moderne, des conditions sociales et des rapports de classes, du passé et du traumatisme des réfugiés, du phénomène de l'immigration d'après-guerre et de l'expérience douloureuse des sept années de dictature. En même temps, nous tenterons d'interpréter l'empreinte que l'apogée de la chanson art-folk a laissée sur les représentations lyriques ultérieures de la ville de Thessalonique, ainsi que sur son identité.
© Bernard Pailhès
VI. Théâtre
Nikos Barkas, Université Démocrite de Thrace, Grèce
Les espaces de théâtres contemporains de Thessalonique.
L'espace théâtral reflète l'arrangement institutionnel choisi par les classes dirigeantes de chaque époque. Dans les années 1960-1990, le Théâtre National de la Grèce du Nord (ΚΒΘΕ) dominait dans la vie théâtrale de Thessalonique. En même temps, le théâtre Hatzokou accueillait les représentations de compagnies privées d'Athènes et les représentations expérimentales locales avaient lieu aux cinémas Aneton et Amalia. La vie théâtrale moderne est marquée par l'institution de la « Capitale culturelle de l'Europe » : des ressources financières importantes ont été alors allouées pour des infrastructures et des équipements techniques. La décision de privilégier des scènes à l'italienne pour les salles principales a été prise de manière précipitée, sous l'influence des directeurs techniques, alors que toutes les propositions d΄un espace théâtral à configuration variable dans les municipalités régionales ont été rejetées. En parallèle, une indifférence totale a été manifestée à l'égard des petites compagnies et des troupes semi-professionnelles de la ville, qui continuent à être hébergées dans des sous-sols et des entrepôts inappropriés.
Tatiana Liani – Ioulia Pipinia, Université Aristote de Thessalonique
La ville se souvient-elle ? Représentations théâtrales contemporaines sur le passé juif de la ville de Thessalonique.
Les spectacles sur le passé juif de Thessalonique se sont multipliés ces deux dernières années (Luna, 96%, Un peu de nourriture pour la route, etc.). Leur point commun est leur forme hybride et l'utilisation de formes contemporaines de présentation performative (théâtre documentaire, performance in situ, théâtre muséal ou appliqué) qui mettent l'accent sur l'espace urbain, ses transformations et ses altérations, ainsi que sur la participation du public. L'objectif de cet article est de discuter de la manière dont ces performances renégocient l'histoire passée sous silence des Juifs de Thessalonique et reconstruisent l'image de la ville, hier et aujourd'hui, tout en essayant de faire des expériences temporelles et des identités, principalement de l'habitant et du spectateur, des facteurs décisifs dans la gestion de la mémoire.
Mélisande Leventopoulos, ESTCA, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, Nefeli Liontou, HICSA, Université Paris 1 Sorbonne
Cinéma et Occupation nazie à Thessalonique : quelques propositions d’étude autour du projet «Visual Salonica».
À l’occasion du colloque « Destructions, constructions, déconstructions d’une ville : Thessalonique », nous souhaiterions présenter les propositions épistémologiques et les recherches que nous développons dans le cadre du projet « Visual Salonica » inscrit au sein du programme quinquennal de l’École française d’Athènes, et qui nous semblent croiser nombre de questionnements qui sont les vôtres ici.
Dans le cadre du projet « Visual Salonica », nous proposons de regarder les pratiques d’exploitation, de distribution et de réception du cinéma et de les prendre en compte pour écrire l’histoire sociale et culturelle de Thessalonique au cours de la Seconde guerre mondiale. On se situe ici à la fin du processus de mutation urbaine, dans la phase d’hellénisation totale de la ville achevée concomitamment à l’extermination de l’immense majorité de la population juive de Thessalonique par les nazis. Or, l’historiographie de l’Occupation en Grèce ne s’est pas intéressée au cinéma. Nous souhaitons faire dialoguer celle-ci avec l’historiographie internationale du cinéma, qui a également totalement oblitéré le cas de la ville et en outre très peu prêté attention au cas complexe des trois zones d’occupations grecques.
« Visual Salonica » s’intéresse particulièrement, pour le cas de Thessalonique sous l’Occupation, aux collectifs dans les salles de cinéma de même qu’aux relations suscitées par la convergence culturelle des groupes dans le divertissement de masse. Il s’agit d’observer les circulations des regards cinématographiques dans la ville pour tenter de mieux comprendre le bouleversement visuel qui semble s’opérer. Nous faisons l’hypothèse de l’Occupation comme temps de rupture majeure dans la culture visuelle salonicienne.
Après avoir exposé notre cadre hypothétique, nous présenterons des résultats tirés de la recherche. Il s’agira de confronter l’histoire du spectacle cinématographique durant l’Occupation nazie avec la mise en place des mesures antisémites dans la ville de Thessalonique en employant comme pivot la circulation de la production cinématographique allemande et tout spécialement du Jud Süss de Veit Harlan (Le Juif Süss), film dont l’impact sur les représentations a fait couler beaucoup d’encre en Europe, mais qui, en Grèce, demeure totalement oblitéré par l’historiographie. Or, nous chercherons à montrer en quoi sa diffusion constitue un maillon dans l’escalade antisémite, dont la présence sur les écrans prépare à l’acceptation de la ghettoïsation et de la déportation de la population juive de la ville.
© Bernard Pailhès
VII. Ville et Littérature
Sofia Iakovidou, Université Démocrite de Thrace, Grèce
Éros Thessalonicien : la poétique des distances chez Υorgos Ioannou et Thomas Korovinis.
Comme chez tous les écrivains où la ville n'est pas seulement un décor pour l'action, mais est elle-même un levier du déroulement du récit, chez Yorgos Ioannou et son autoproclamé « frère » Thomas Korovinis, la ville révèle, facilite, le développement de la dynamique du narrateur, et en même temps se révèle elle-même. Thessalonique s' « écrit » à travers leurs œuvres et les inscrit en même temps dans la lignée des maillons importants de son histoire littéraire. Il s'agit d'un mouvement qui, bien que son centre focal soit principalement l'espace urbain, consiste essentiellement, comme nous tenterons de le montrer, en une poétique de la distance qui leur est commune. Ces distances sont de quatre types.
Α) Distances entre la ville réelle et la ville littéraire : les autres écrivains de la ville (historiens, chroniqueurs, écrivains) sont quasi présents dans leur écriture, comme des fils qui se tissent et s'entrelacent (dans) leur texte et ses espaces privilégiés. Les distances avec eux sont parfois réduites et parfois accentuées
B) Distances au sein du monde narratif urbain : Ioannou et Korovinis explorent les espaces populaires, voire marginaux, de Thessalonique, s'intéressant à l'authenticité qui s'y exprime et la confrontant aux contradictions morales d'autres milieux sociaux. Ils portent un regard critique sur la mythologie de la "Thessalonique érotique", en privilégiant les "corps suspects" et les "braves" de l'amour (Ioannou, Korovinis).
C) Distances linguistiques : Les deux auteurs mobilisent la richesse verbale de la ville pour restituer la diversité de ses identités socio-culturelles et son héritage linguistique pluriel.
D) Distances temporelles : Considérant Thessalonique comme un "palimpseste de mémoires", Ioannou et Korovinis, tous deux diplômés en histoire-archéologie, explorent les différentes strates temporelles de la ville. Mémoire personnelle et collective, reconstructions urbaines, mutations sociales et gentrification sont autant de thèmes qui nourrissent leur œuvre et témoignent d'un monde en voie de disparition.
Federica Ambroso, Institut Italien d’Études Historiques, Naples
Ville du passé et passé de la ville. Thessalonique dans Μοιραίοι Αντικατοπτρισμοί de Petros Martinidis.
La communication vise à analyser la représentation de la ville de Thessalonique dans le roman Μοιραίοι Αντικατοπτρισμοί de Petros Martinidis, en considérant son rôle à travers le passage du temps et en se concentrant sur la dialectique existante entre ville du passé et passé de la ville.
Dans ce roman, la Thessalonique d’hier, celle du passé récent avant le boom de la construction et évoquée avec nostalgie par l’architecte Nikos Olmezoglou, s’oppose à la Thessalonique d’aujourd’hui, riche en contradictions et avec des idéaux plus modestes, représentant de laquelle est le jeune Alexis, fils de Nikos. La frappante diversité entre paysage urbain passé et présent reproduit le choc générationnel qui se manifeste entre père et fils et l’impossibilité, malgré les tentatives, d’une réconciliation.
De ce fait, la ville joue un rôle important dans le roman ; elle n’est pas seulement un scénario, mais un véritable personnage de l’histoire narrée, qui accompagne le protagoniste, Alexis Olmezoglou, dans ses expériences sentimentales, universitaires (il est un doctorant proche à la discussion de sa thèse), mais aussi dans la nécessité de s’inventer détective. Un rôle difficile, du moment que, parmi les victimes d’un triple assassinat, il y a aussi son père. Ainsi, au moment où il commençait à rétablir un rapport avec son père ˗ qui avait abandonné sa famille pour s’éloigner de Thessalonique telle qu’elle était devenue après la dictature ˗, Alexis doit faire face à un deuxième, définitif abandon de la part du géniteur. Si la première fois Nikos avait abandonné son fils pour abandonner sa ville, maintenant, la réconciliation avec son fils comporte son retour à Thessalonique – la Thessalonique d’aujourd’hui – même en tant que cadavre. L’assassinat de Nikos peut être lu métaphoriquement comme l’irrévocable, violente disparition de la ville du passé, incarnée par le vieil architecte, qui est contrainte de succomber à la ville du présent, aux désirs des jeunes, aux progrès, jusqu’à être définitivement enterrée.
Toutefois, même si l’inévitable disparition de la Thessalonique d’hier, la transformation de la physionomie des édifices et des modes de vie comportent un regard nostalgique de la part de ceux qui ont connu la ville du passé, le passé de la ville parfois survit tacite à travers ses traces éparpillées dans la ville d’aujourd’hui. En effet, il n’est pas possible d’annuler radicalement le passé de la ville, avec lequel on est parfois en dialogue ; les mêmes lieux de la ville prennent, selon les différentes générations, une signification différente.
Thessalonique, métropole au passé culturel et historique important, est un lieu vécu, une ville caractérisée par des éléments hétérogènes et datant des époques plus disparates, mais qui continue à être un palimpseste de mémoires.
Venetia Apostolidou, Université Aristote de Thessalonique
Thessalonique durant l'entre-deux-guerres, une ville en effervescence. De la Grande Place de Nikos Bakolas au Soleil aux baïonnettes de Georges Skabardonis.
Thessalonique entre les deux guerres a déjà fait l'objet d'une représentation littéraire, principalement par Nikos Bakolas et Yorgos Ioannou, dans le cadre de leur relation générale avec la ville et de son empreinte dans leur prose. Le dernier livre de Skampardonis, Soleil aux baïonnettes (2023), basé sur des recherches approfondies dans les journaux de l'époque et, bien sûr, dans les livres historiques, se concentre exclusivement sur la Thessalonique de l'entre-deux-guerres et, en fait, sur un certain moment, la première moitié de l'année 1931. L'article tentera d'aborder ce livre comme un développement, une évolution et un approfondissement de l'image de la ville de l'entre-deux-guerres, en établissant bien sûr les liens nécessaires avec les œuvres antérieures de l'auteur.
© Bernard Pailhès
VIII. De la littérature à l’écran
Georges Kostakiotis, INALCO
Géographie sociale de la ville de Thessalonique chez A. Sourounis et Y. Skampardonis.
La géographie sociale de la ville sera la scène qui permettra de territorialiser la parole de l’écrivain afin de penser à l’inclusion de l’homme dans un lieu aussi bien matériel que mental. Au-delà des rapports existants entre société et espace, nous nous concentrerons sur la relation entre le je du héros et l’être de la ville. Nous envisagerons le texte comme la restitution d’une forme d’expérience des espaces qui permettent à l’écrivain d’agir en géographe. Seulement nous n’inscrirons pas la démarche géographique uniquement dans l’étude dynamique des processus sociaux pour associer la ville aux rapports que les hommes socialisés et politisés nouent avec elle. Nous étudierons la ville comme une expérience intériorisée par le protagoniste. Nous verrons comment l’espace urbain vécu se transforme par le témoignage du narrateur en une référence socioculturelle qui détermine la vie non pas des citoyens mais des héros que les écrivains livrent dans cet espace. Ce sera, par la suite, au héros d’accepter ou non sa condition sociale et donc l’espace qui lui est accordé ou de le refuser et d’essayer d’y échapper.
Martha Vassiliadi, Université Aristote de Thessalonique
Pour une géographie poétique : sur les traces d’une poésie urbaine.
Bien que souvent reléguée dans l'imaginaire collectif au second plan, dans l’ombre de la capitale et toujours deuxième ville du pays, Thessalonique, au sein de la tradition poétique néo-hellénique, déconstruit cette image stéréotypée. Souvent associée à la province ou à une esthétique balkanique, la « nymphe du Nord » s'affirme comme un locus poeticus singulier.
À la différence d'autres cités, indissociables des poètes qui les ont consacrées (l'Alexandrie de Cavafy, le Paris de Baudelaire, le Buenos Aires de Borges), Thessalonique semble, elle, modeler ses propres poètes, leur imposant son organisation spatiale historique et ses propres mythes urbains.
Cette communication analysera le processus mnémonique qui active l'élément autobiographique en poésie et lie le présent poétique au passé le plus sombre de la ville (assassinat de Lambrakis, exécution de Pangratidis, etc.). À travers des exemples puisés dans la poésie d'après-guerre, jusqu'à la poésie urbaine contemporaine de Lex et des faubourgs ouest, il s'agira d'identifier les codes communs de l'autobiographie qui traversent la ville et l’œuvre de ses poètes.
Ioanna Naoum, Université Aristote de Thessalonique
Le Cercle Cinématographique « Art » et la jeunesse agitée de Thessalonique dans les années 1960 : la construction d'une nouvelle vie intellectuelle.
Au cœur de Thessalonique, dans le paysage encore marqué par les stigmates de la guerre civile, un groupe d'intellectuels passionnés a insufflé une nouvelle vie à la scène culturelle en fondant la Société Macédonienne de l’Art en 1952. En quelques années, cette initiative audacieuse a rassemblé plus de 2 500 membres, témoignant d'une soif de renouveau et d'expression artistique.
Parmi les activités phares de la Société, le Ciné-Club, lancé en 1955 sous la direction de Pavlos Zannas, a joué un rôle déterminant. Véritable précurseur du Festival du Film de Thessalonique, il attirait chaque dimanche une foule de jeunes cinéphiles dans des salles combles. Ces projections régulières ont contribué à façonner le paysage culturel de la ville et ont nourri l'esprit d'une génération entière.
Cette communication se propose d'explorer, à travers l'exemple emblématique du Ciné-Club, l'épanouissement culturel remarquable qui a eu lieu malgré les circonstances difficiles de l'après-guerre. Il ne s'agit pas seulement d'un retour nostalgique sur un passé révolu, mais d'une analyse de la manière dont cette effervescence artistique a façonné la "structure du sentiment" de la jeunesse thessalonicienne dans les années 60. Le Ciné-Club, en tant que catalyseur de rencontres et d'échanges, a permis de construire un véritable capital culturel, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.
Ioannis Marcopoulos, Université Aristote de Thessalonique
Les enfants du paradis perdu : Films sur le passage à l'âge adulte réalisés par de jeunes cinéastes de Thessalonique.
Cette communication tente de donner un aperçu des courts métrages de jeunes cinéastes du Panorama cinématographique du département cinéma de l'Université Aristote de Thessalonique (2019-2024), en se concentrant spécifiquement sur les récits filmiques qui se déroulent à Thessalonique et qui traitent du thème de l'âge adulte. À travers des références à des exemples représentatifs, la communication entend explorer, d'une part, la conversation de cet ensemble de films avec les questions clés du genre du passage à l'âge adulte et, d'autre part, le dialogue entre la triple fonction de Thessalonique en tant qu'espace d'action narrative, de production cinématographique et de projection (cinema "Olympion") et un triple processus correspondant de « passage à l'âge adulte » : Les héros cinématographiques qui vivent une expérience transitoire sans précédent, les jeunes acteurs qui tentent, dans des circonstances souvent décourageantes, de réaliser leur travail, et un Panorama nouvellement établi qui acquiert progressivement de la substance et s'enracine dans la ville.