Si nous pouvions, à l’antenne de notre établissement, déclamer le bulletin météorologique de la journée et les perspectives de la semaine, que dirions-nous ? Comment observerions-nous le ciel pour prédire ce qui va se passer ? Et si nos élèves devaient s’exprimer à ce sujet, comment décriraient-elles ou évoqueraient-ils l’atmosphère qui règne dans leur école ? Entre coups de foudre, coups de tonnerre et coups de soleil... Au sein du corps professionnel, on se dit parfois : « C’est chaud, ces jours ! » Et on sait que l’on ne parle pas de la température extérieure, mais bel et bien de ce qui se passe et ce qui se joue entre les personnes, enfants et adultes. Il ne s’agit pas du temps qu’il fait sur lequel nous n’avons pas prise, mais du temps vécu sur lequel nous pouvons agir. Passons par le grec : chronos définit la durée, soit le temps des cursus scolaires, et kaïros s’inscrit dans l’instant, soit le temps du climat scolaire. Ce mot, inspirant pour notre séminaire, peut se traduire par le bon moment pour agir.
Le choix de la thématique du climat et des violences en milieu scolaire s’aligne sur des faits, des préoccupations émanant de nos établissements et des interpellations politiques relayées notamment au sein de la Commission des partenaires (COPAR) de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). La CLACESO est partie prenante de la COPAR et se sent tout particulièrement concernée par les sujets abordés dans cette commission. Dès lors, comment répondre à ces préoccupations et ces interpellations ? Ces questions nous rejoignent là où nous en sommes, elles convoquent le précité kaïros, ce temps qualitatif qui se situe entre ce qui est et ce qui sera. C’est le moment opportun d’une réflexion renouvelée. Nous réunir pour nous former et échanger, pour nous mettre en projet dans nos écoles et nos cantons, en fonction des besoins et des priorités. J’invite nos membres et nos autorités à une mobilisation collective. Chacun·e doit travailler à son niveau pour que le climat scolaire se renforce positivement et que les violences diminuent.
Quand on lit des textes abordant la question du climat scolaire, il est à l’évidence fort complexe de le définir. Ce concept multidimensionnel est pourtant mentionné plus ou moins explicitement dans nos lois et directives cantonales, nous prescrivant qu’un « bon climat » doit régner dans nos écoles et dans nos classes. Le lien entre un climat empreint de sérénité et des apprentissages de qualité semble être une évidence. Certes, mais le climat ne se décrète pas, il se construit au quotidien au sein de nos établissements et dans leur environnement, y compris dans les collaborations avec les familles de nos élèves. Comment parle-t-on de l’école à la maison et de la maison à l’école ? Quelles représentations avons-nous les un·e·s des autres ? L’anthropologie de l’éducation attire notre attention, à juste titre, sur l’ethnocentrisme de l’institution scolaire. Plus la culture des parents est éloignée de celle de l’école, plus ce paramètre peut être un obstacle dans la relation qui se tisse avec les familles, dès le début de la scolarité. En ce qui nous concerne, force est de constater que nous constituons un corps professionnel présentant une grande homogénéité et nous participons de fait à cet ethnocentrisme (2), parfois limitant. Dès lors, comment nous décentrer pour mieux appréhender la diversité de nos publics et favoriser la meilleure compréhension mutuelle possible ?
Dans un établissement, quand de la violence surgit entre élèves et de surcroît avec des adultes, le corps professionnel est interpellé dans ses responsabilités et quant au climat régnant dans l’école. Olivier Maulini et Sercan Erceylan (3) s’interrogent : « Qui est responsable du climat ? La réponse à cette question fait partie du climat lui-même. D’un côté, on peut tout attendre du ou de la chef·fe de la classe ou de l’école : de son art de gouverner, de son omniscience et de sa parfaite impartialité. D’un autre, on militera au contraire pour la participation, un maximum d’autonomie et de responsabilités partagées. » Entre l’effet produit par chaque individu (effet-maître, effet-direction, etc.) et l’effet engendré par l’action collective et l’environnement (effet-établissement), l’approche systémique aide à penser cette complexité : « [...] le climat d’une classe ou d’une école est plus que la somme des conduites personnelles de ses occupants ; chaque entité est une organisation systémique : les éléments qui la composent sont interdépendants ; la modification de l’un d’eux a un impact sur les autres ; il en résulte une culture locale par définition collective [...] » (ibid.). Nous n’avons pas le choix, pour conduire des actions cherchant à renforcer positivement le climat scolaire, nous devons le faire avec toutes et tous les partenaires qui ont un rôle à jouer.
Après le séminaire de Delémont en 2016, nous collaborerons à nouveau avec notre partenaire Radix, la Fondation suisse pour la santé, dans le cadre de notre Alliance pour la Promotion de la Santé des professionnel·le·s de l’École (PSE). RADIX met depuis deux décennies la question du climat scolaire au centre de la promotion de la santé et de la qualité de vie à l’école, et ce tant pour les enfants que pour les adultes. La Fondation propose différents programmes, notamment « L’école en action » et « MindMatters », qui vous seront présentés en ateliers. Des ressources accessibles en ligne, intitulées SchoolMatters – pour un climat scolaire bienveillant, sont également disponibles. À l’heure actuelle, une heureuse synergie s’est mise en place entre RADIX et plusieurs cantons romands, afin de mettre à disposition des Directions d’école, l’outil d’évaluation du climat scolaire développé dans le cadre du réseau CANOPé de l’Éducation nationale française, notamment par Caroline Veltcheff qui sera l’intervenante principale de notre séminaire. Elle a écrit notamment l’ouvrage Pour un climat scolaire positif (4) où elle propose des pistes d’action en s’appuyant sur des recherches, notamment celles d’Eric Debarbieux et ses équipes. Elle s’exprime en ces termes sur le réseau CANOPé : « Il faut relier la question du climat scolaire à la question de la prévention des violences. Toutes les pratiques de tolérance zéro ont été largement étudiées par la recherche et ont montré leur inefficacité. Les programmes identifiés comme ayant un impact très important sur la réduction des violences en milieu scolaire sont des programmes qui mettent en œuvre un climat scolaire de qualité. Depuis 30 ans, cette notion de climat scolaire a été étudiée par la recherche de façon de plus en plus fine. Aujourd’hui, nous avons identifié les facteurs qui ont un impact sur le climat scolaire. Parmi ces facteurs, les trois plus importants en termes de qualité de climat scolaire sont : la qualité et la stratégie de l’équipe de l’établissement ou de l’école, la justice scolaire c’est-à-dire la façon dont nous faisons appliquer les règles et les normes dans l’établissement ou l’école, une politique volontariste de réduction des violences (discriminations, sexisme, tensions entre les enfants…). » Pour prolonger cette réflexion, nous vous invitons à écouter Caroline Veltcheff en cliquant ici.
En guise de conclusion à ce texte permettant modestement d’introduire la thématique de notre séminaire 2024 sur un thème qui peut vous paraître lourd a priori, j’aimerais vous encourager à lire le petit ouvrage, en taille mais pas en importance, de Marielle Macé cité en épigraphe : Respire. Chaque personne travaillant dans nos établissements, enfants comme adultes, doivent pouvoir respirer. Nous le savons, un mauvais climat crée une atmosphère nocive, voire irrespirable. Nous le savons, certain·e·s de nos élèves venant à l’école avec la boule au ventre, ont le souffle coupé. Je pense que nos petites asphyxies que nous nous imposons ou qui nous sont imposées, nous empêchent trop souvent de vivre sereinement. De quelles respirations avons-nous besoin ? « Que la parole, c’est-à-dire la pensée et la vie qu’on exhale, qu’on met dehors, qu’on plante entre nous et qu’on verse sur le sol, prenne la part qui lui revient dans le partage d’un milieu habitable et l’attention portée à l’immense besoin d’air et de sens qui se fait sentir un peu partout. On parlerait et même parler nous ferait respirer, même parler nous donnerait du souffle, du courage et du monde. » (ibid., p. 109)
Je vous souhaite à toutes et tous un séminaire qui a ce souffle, celui d’une rencontre inspirante. Et pour l’expiration, nous lui souhaitons longue vie...
Pierre-Etienne Gschwind
Président de la CLACESO
(1) Respire, Marielle Macé, Verdier, 2023, p. 13
(2) Qui fait l’école ? L’ouverture de l’institution scolaire à la diversité à l’épreuve de l’homogénéité de ses cadres. Enquête dans une administration scolaire en Suisse. Xavier Conus, Stéphanie Borruat, Tania Ogay et Loyse Ballif, 2020 ; pour lire cet article, cliquer ici.
(3) Que penser... du climat scolaire ? Olivier Maulini et Sercan Erceylan, 2020 ; pour lire cet article, cliquer ici.
(4) Pour un climat scolaire positif, Caroline Veltcheff, Réseau Canopé, 2019
Ressources disponibles :
Brochure Mieux vivre ensemble à l’école – Climat scolaire et prévention de la violence (2019), cliquer ici.