Nord-Cameroun, pays Mafa, Ziver, un terroir agro-pastoral

Photographies aériennes du massif de Ziver en avril 1983 (clichés Alain Beauvilain, droits réservés).

La cuvette de Ziver et ses deux pâturages en janvier 1982 (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).

La cuvette de Ziver, dessin de Christian Seignobos dans Essai de reconstitution des agrosystèmes et des ressources alimentaires dans les monts Mandara (Cameroun) des premiers siècles de notre ère aux années 1930, Revue d'ethnoécologie, 2014, 5.

Un terroir agropastoral dans les monts Mandara : les Mafa de Ziver

d'après Christian Seignobos, Atlas aérien du Cameroun, campagnes et villes. 1983, pp. 14-15.

Le terroir agropastoral de Ziver début 1954 (cliché IGN 1953-54 mission au 1/50.000)

Le sommet du Mont Ziver, 1412 mètres, est le point habité le plus haut des Monts Mandara. Il présente non seulement le terroir mafa (ethnie montagnarde la plus nombreuse) le plus achevé qui soit mais aussi de nombreux traits d'archaïsme.
L'agro-système est dominé par une rotation biennale sorgho-petit mil effectuée par l'ensemble des cultivateurs. Cette rotation, mal expliquée, a été présentée comme une manière de prévenir l'épuisement des sols, pourtant d'autres groupes montagnards cultivent les sorghos des lithosols sans rotation sur des terrasses identiques et sans désagrément. Elle serait plus vraisemblablement une parade à certaines maladies des sorghos de montagne ('tchergué'), en particulier la rouille, pour les massifs les plus humides et les plus brumeux des Monts Mandara (plus de un mètre de pluie par an). Toutefois, cette rotation étant également attestée sur des plateaux d'altitude moindre, elle pourrait simplement témoigner de la juxtaposition de deux agro-systèmes dont l'équilibre se serait pérennisé.
L'année du petit mil est une année maigre si un surplus de sorgho n'a pas été dégagé de l'année précédente et elle s'accompagne d'un maximum de de cultures compensatoires : haricots, oseille de Guinée et même taro. Le complantage est de règle à la différence de l'année de sorgho où seule Eleusine coracana, mise préalablement en pépinières au centre des terrasses, est repiquée.
A Ziver cette rotation ne touche pas les terrasses de la cuvette. Les 'champs en relief' de la zone basse sont réservés au taro, à l'oseille de Guinée, parfois au sorgho ; le petit mil est généralement exclu. La densité des cultures est aussi forte que sur les terrasses et même les canaux portent taro ou riz grâce à un relatif contrôle de l'eau.
  La proximité du 'gay' engendre deux types de cultures : à l'avant, une parcelle de tabac cultivé par l'homme, à l'arrière, les jardins de plantes légumières des femmes.
Les gens de Ziver n'ont pas accès direct à la plaine. Ils vont sur les piémonts de Magoumaz, massif voisin, cultiver l'arachide, unique culture spéculative, et, très secondairement, la patate douce.
L'agro-système et aussi l'enclavement des massifs mafa imposent une conservation plus poussée des grains, ce que reflètent à la fois la structure de la case-magasin et aussi des méthodes de conservation assez élaborées
Dans le système foncier mafa l'héritage va à l'aîné et au benjamin empêchant tout fractionnement important du patrimoine. Chaque parcelle est appropriée, location et vente de terres sous la forme de mise en gage sont généralisées. Le pays de Ziver est de longue date une zone d'émigration, notamment pour les cadets, si bien que la classe des 'kéda' (paysans n'ayant pas le droit de posséder de la terre) semble absente.
  L'élevage, hormis celui du petit bétail, se limite au 'bœuf de case', en fait un taureau emmuré, que l'on égorge lors de la fête du 'maray'. Celle-ci, qui représente le point culminant de la vie religieuse mafa, a lieu tous les deux ans à Ziver. Outre le but de resserrer les liens qui unissent les gens du massif, elle constitue un geste pourvoyeur de matières grasses. Les boules de graisse sont consommées durant toute l'année suivante. Le 'maray' coincide avec l'année du sorgho (nécessaire pour la bière de mil pendant la fête) et celle de culture du souchet (Cyperus esculentis) pour l'obtention de pâte sucrée. Cet élevage 'rituel' est, ici également, en perte de vitesse.

Le terroir agropastoral de Ziver en 1975 (cliché 1152 IGN 75 CAM 126/200 mission au 1/20.000)

La photographie 1152 de la mission IGN 75 CAM 126/200, de 1975, fait apparaître une remarquable densité de peuplement : plus de 300 habitants au Km2 pour la cuvette sommitale et ce en dépit des amas rocheux. Les habitations se répartissent essentiellement au pied des éboulis en situation dominante par rapport aux champs.
Les 'gay' sont très repérables avec leurs unités d'habitation communicantes, avec parfois la case-séchoir faisant face à l'entrée. Le ciselé des terrasses ('médédé') est très visible, elles vont en s'élargissant vers le bas des pentes en véritables champs ('vara'). Des 'champs en relief', sorte de gros billons pérennes, prennent le relai, encadrés par un réseau de rigoles servant de drains ou de canaux d'irrigation et qui convergent vers deux pâturages. Un collecteur suit alors le contour de chacun des pâturages jusqu'à un émissaire qui sort de la vallée haute. La haie qui les entoure sert aussi à renforcer ce fossé dont l'eau peut percoler vers les pâturages.
La faible densité arborée reflète une mise en valeur intégrale du terroir qui se manifeste également par l'exploitation des arbres taillés en têtard, à l'exception des caïlcédrats. Ce sont les Ficus qui dominent : Ficus gnaphalocarpa et Ficus dicranostyla, notamment pourvoyeurs des premiers 'légumes' verts et provende pour le petit bétail. On note également la présence de Diospiros mespiliformis, Vitex spp., Garsinia afzelli, Ziziphus mauritania, Acacia albida....

La mare et le pâturage sud (cliché Alain Beauvilain, juin 1987, droits réservés).

Les deux pâturages sont dépourvus d'arbres. Ils s'ouvrent par des entrées encadrées de haies pour canaliser le bétail. Une source pérenne, légèrement en relief, alimente une mare, qui ne tarit jamais, et irrigue par gravité le pâturage du sud. Ces deux pâtures, qui sont au centre du terroir et couvrent près du quart des terres arables, posent un problème. Ne sont-elles que la clef de voûte de la lutte anti-érosive de cette vallée haute comme semble le suggérer cinq autres enclos à la périphérie de Ziver sur le haut des talweg ? Toutefois leur importance, compte tenu de la 'faim de terre' actuelle dans tous les massifs, laisse à penser qu'elles pourraient être relictuelles et témoins d'une économie montagnarde passée, plus agropastorale.

Pour bien plus de détail voir : Christian Seignobos, 1997, Maîtrise de l'eau et contrôle de l'érosion. L'exemple mafa (Nord-Cameroun), in Jungraithmayr H. (ed.), Barreteau Daniel (ed.), Seibert U. (ed.), L'homme et l'eau dans le bassin du lac Tchad = Man and water in the lake Chad basin, séminaire du Réseau Méga-Tchad, Francfort (DEU), 1993/05/13-14, pp. 351-365.

Le terroir agropastoral de Ziver le 6 avril 2013 (Google Earth)

Le terroir agropastoral de Ziver le 24 novembre 2014 (Google Earth)

Le terroir agropastoral de Ziver le 11 janvier 2019 (Google Earth)

Le terroir agropastoral de Ziver le 29 octobre 2020 (Google Earth)

Le terroir agropastoral de Ziver le 23 avril 2023 (Google Earth)