Nord-Cameroun,
la ville de Maroua

Maroua : dynamisme d'une ville précoloniale

d'après Alain Beauvilain, Atlas aérien du Cameroun, campagnes et villes. 1983, pp. 105-107.

La ville de Maroua en 1952 (montage de photographies de la mission C.D.P.)

Au cœur de l'un des trois foyers les plus peuplés du Cameroun, Maroua est l'une des rares villes précoloniales du pays. Admirablement située au contact des monts Mandara, à l'ouest, et de la plaine du Logone, à l'est, entre les pays de la Bénoué, au sud, et les yaérés, au nord, elle est installée sur un site depuis très longtemps occupé par l'homme et que les Peul enlevèrent aux Guiziga et aux Zoumaya peu avant 1800 pour en faire la capitale d'une chefferie importante.
Les premiers administrateurs français évaluent la population en octobre 1916 à environ 25.000 habitants avec près de 100.000 personnes dans un rayon de vingt kilomètres, son marché attirant 7 à 8000 personnes chaque semaine. Ce chiffre de population est maintenu pendant une décennie avant qu'une série de crises, épidémies et disettes, ne ramènent les recensements administratifs à des chiffres plus modestes : 16.606 habitants en 1940, 17.269 en 1954. Depuis la ville ne cesse de croître : 31.422 habitants en 1963, 62.600 au recensement général de 1976 (quatrième ville du Cameroun), au point qu'en 1982 le schéma directeur d'urbanisme en prévoit, en hypothèse basse, 400 à 500.000 pour l'an 2000. Dans les faits, la ville compte 123.450 habitants au recensement de 1987, 201.371 à celui de 2005 et plus de 300.000 estimés en 2022.
Son importance démographique ne lui a pourtant jamais donné le premier rôle politique. Les Allemands lui ont préféré Mora et Garoua avant que les Français n'installent le chef-lieu de la région Nord à Garoua. Maroua se contente d'être un chef-lieu de circonscription, puis d'une région très limitée, avant que l'indépendance n'en fasse un chef-lieu de département dont l'emprise territoriale ne cesse de se réduire. Ses habitants ont attendu le 23 août 1983 pour voir sa promotion en chef-lieu d'une province de l'Extrême-Nord (l'appellation "province" est remplacée par celle de "région" par décret du 12 novembre 2008) qui est la troisième la plus peuplée du pays.
La photographie 512 de la mission C.D.P. de 1952 montre une ville très traditionnelle située principalement au nord du mayo Kaliao et comprise entre les bureaux de la subdivision, l'école, la douane et quelques boutiques européennes à l'est et un ensemble administratif (Région, P.T.T., hôpital, prison, résidences,...) à l'ouest. L'avenue Takkataré, de la Région au marché, est l'axe de la ville africaine ; quelques voies lui sont perpendiculaires.
La ville est alors peu différente de celle traversée par André Gide en mars 1926 : "L'agglomération des cases indigènes entre le fleuve et la montagne, repoussée par les roches du poste, franchit le fleuve d'or, puis le refranchit à nouveau, pour reparaître plus loin. Le poste lui-même est dominé par une montagne pelée, de couleur cendreuse, très belle. De loin en loin, d'autres impatience du sol : brusques sursauts dans la plaine immense. Un des paysages les plus nobles qui se puissent voir ; l'un des plus éloquents, des plus désolés" (Le retour du Tchad, Gallimard, 24 mars 1926).
En dehors des bâtiments administratifs, de quelques cases chez le lamido et certains notables, l'habitat est très traditionnel, cases rondes à toit de chaume. Au sud, sur la rive droite du Kaliao, à Domayo, l'habitat est plus lâche, demeuré presque rural avec des surfaces importantes consacrées à l'agriculture et à la stabulation du bétail. Une piste, le boulevard de Djarengol, limite cette zone au sud avant de rejoindre le pont de Founangué alors en construction.

La ville de Maroua en 1962
(photographies 12 à 16 de la mission IGN AE 200/125).

   En 1962 la ville a acquis son allure actuelle. De nouvelles voies, au tracé géométrique, ont enfin été percées ; un bon nombre figuré déjà sur un plan de 1918. Domayo a été structuré. Partout l'habitat s'est densifié, a changé de nature avec la multiplication des cases rectangulaires et tôlées, mais les cases rondes restent majoritaires.. La population recensée a presque doublée en dix ans.

La ville de Maroua en 1972
(photographies 3 à 5 de la mission IGN 72 CAM 050/200).

En 1972 la physionomie des quartiers centraux n'a pratiquement pas changé mais l'extension urbaine au-delà des terrains administratifs de l'est (quartier Douggoy) et de l'ouest (quartier Djarengol) est spectaculaire, allongeant encore la ville. Toutefois, au nord-est, celle-ci envoie un appendice vers le nord le long de l'ancienne piste de Mora tandis qu'à l'ouest, au-delà de l'hôpital, la concession des services de l'élevage bloque la ville. Malgré l'absence d'industries (sauf l'huilerie et les unités d'égrenage de la SODECOTON), mais grâce à un artisanat actif, la ville est un intense foyer d'immigration même si l'aire d'attraction est limitée à la région proche. La ville, autrefois largement dominée par les Peul, devient un creuset où fusionnent les différentes ethnies de la région qui, toutes, tentent de s'apparenter et de copier le modèle peul.
  De 1962 à 1975 la population a encore pratiquement doublée. La structure de l'habitat a encore évolué : densification accrue, passage de la case ronde à la case rectangulaire tôlée (voir ci-dessous un agrandissement de la photographie de 1962 et, pour le même quartier l'agrandissement de la photographie de la mission IGN CAM 126/200). Par contre les bâtiments officiels sont les mêmes qu'en 1962, et parfois bien avant. Seuls, à l'est de la ville, le lycée et, tout récemment, la commune rurale et la sous-préfecture sont dotés de bâtiments neufs. Un cinéma couvert et la mosquée sont en 1983 en construction.
Autre fait notable de 1962 à 1972, un important effort de boisement a été entrepris par la plantation de neem (Azadirachta indica ou margousier) en complément des quelques caïlcédrats (Khaya senegalensis) déjà existants. Depuis, vieillissants, utilisés pour leur écrse dans la préparation de la bière de mil, le nombre de caïlcédrats a fortement diminué.

La ville de Maroua en janvier 1980 (assemblage de photographies d'Alain Beauvilain).

   Du haut de sa modeste colline, résidence du préfet, André Gide ne verrait plus qu'une oasis de verdure au milieu d'une campagne dénudée par la culture des sorghos désaisonnés et par l'approvisionnement en bois de la ville.