Il me semble étrange de procéder à un inventaire de ce qui a formé le Fleuve, puisqu’il faut considérer cet univers comme un tout en évolution et non comme un paradigme définitif. La chronologie lâche et la géographie inconstante démontrent l’impossibilité de savoir si le récit suivant ne viendra pas, d’une manière soudaine, invalider le tout. Écrire dans le monde du Fleuve, consiste à se livrer à une perpétuelle incertitude, celle-là même qui conduit la Nef des fous et les personnages qui l’occupent. Difficile, à partir de ce constat de parler d’une fondation alors que sa création se trouve en évolution constante.
En définitive, et en dépit de mon injonction toute relative de se livrer à une lecture « chronologique », je pense que la fréquentation de cet univers revient à un jeu d’adresse où le moindre relâchement risque de faire basculer l’édifice. Cette joute avec l’incertitude se révèle stimulante et peut-être paralysante, dans le sens où je dois maintenir une tension narrative. D’où le choix de la nouvelle pour l’affronter. Ces ondes prennent certes leurs sources autant dans la jouvence vernienne que dans celle de Gracq et ses Eaux étroites, ou la médiation d’autres écrivains, mais l’enjeu consiste la plupart du temps à tenter de s’en abstraire, de guetter mes productions inconscientes afin de susciter l’apport du rêve. Admettons alors que cet héritage agit comme un courant porteur, au moment où l’état de veille accuse sa faiblesse. Le Fleuve naît dans cette zone incertaine, vite oubliée si je ne me résous pas à fixer ces images. Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas de se livrer à une auto-psychanalyse. Je laisse ce genre de médication aux névrosés des pages littéraires. Par ailleurs, si le débouché du rêve pouvait relever du procédé, cela reste sincère : avec soi, avec ce que l’on écrit, avec le lecteur. Le Fleuve, même s’il occupe une grande partie de mon travail, ne se résume pas qu’à lui. Je pense toutefois que je n’ai pas achevé son parcours.
Ce que nous avons trouvé dans le cylindre
Le Fleuve rassemble autour de ses rives une suite de récits qui se situent dans le même univers. Certaines de ces histoires ont été rassemblées en volume, d'autres feront sûrement l'objet d'un nouveau recueil. Le premier récit, Une partie de pêche, a été publié en 2010. D'autres sont en attente de publication ou en rédaction. Cette liste est une indication pour l'ordre de lecture. On peut tout aussi bien aborder cette série par n'importe quel titre. Cette succession peut être remise en cause par l'adjonction d'une nouvelle histoire. La plupart de ces récits ont été illustrés par Céline Brun-Picard.)
Cette plaquette à tirage limité prend place entre Les enfants mort et Vers la fin du Fleuve.