Témoignages, interviews

Interview de Bernard This, le 3 mai 2012, par Marie-Noelle Faucher, Accueillante à la Maison Verte, La Baroulette, Membre de l’ACF Aquitania


« Il faut faire rêver les humains » disait-il !


Accueillante à La Maison Verte de Rochefort, je suis allée rencontrer Bernard This, à

son domicile, le 3 mai 2012. 

Sa disparition, le 20 septembre 2016, a été l’occasion de reprendre l’enregistrement de ses paroles. Nous lui rendons hommage et le remercions. 

Bernard This est venu nous voir plusieurs fois. Il avait un style, celui qui donne le goût d’accueillir, le désir de ré-enchanter le quotidien : « S’attacher aux mots qu’on adresse aux enfants à naître, aux bébés, aux tout-petits, s’intéresser à leur corps et à leurs souffrances sans pour autant négliger leur santé, à la façon dont on les porte et les supporte, mais aussi à leurs parents, toute sa vie, Bernard This a fait ça. »

En 1979, Bernard This, Pierre Benoit et Françoise Dolto ont fondé La Maison verte : « Ici, c’est bête comme chou : on s’assied et on cause » (F. Dolto, Libres enfants de la maison verte, Retz, 1987, p. 43. hebdo Blog 83)


« En un temps marqué par le culte de l’objectivité de la norme et des chiffres, et l’occultation de la fonction de la parole, ses travaux s’inscrivent à contre-courant, en affirmant que la valeur d’une existence ne se démontre pas, ne se chiffre pas mais s’éprouve. » 

C. Alberti présidente de l’ECF Hommage à Bernard This


Bernard This, est avec Françoise Dolto et Pierre Benoit, à l’origine des Lieux d’accueil enfants-parents. Ce fut un passeur, aux intuitions inventives, aux paroles vives : « Il faut faire rêver les humains » disait-il !

Ainsi La Maison Verte de Rochefort/sur/Mer, fut créée dans les années 90, à l’initiative de l’équipe du CMPP, autour de Françoise Martin (1) : « Les enfants que nous recevions arrivaient déjà trop tard. Nous désirions accueillir les enfants en difficulté dès leur plus jeune âge et même avant que les difficultés n’apparaissent. »

Quelques dix années plus tard et de nombreux déménagements, La Baroulette a pris sa pris sa place dans la cité.

Nous avons invité Bernard This en 2008, pour une conférence, lors de la parution de son livre La maison Verte, créer des lieux d’accueil (2), puis en 2009, lors de notre colloque : « Que dit-il cet enfant ? Des troubles de conduite aux inventions singulières... » Un défaut d’enregistrement fut notre chance, celle de demander à Bernard This, de le rencontrer à nouveau. Il nous accueillit chaleureusement, à son domicile, Dominique (3) et moi, en mai 2012.

Un moment fort pour nous ! Sa présence charismatique, son regard bleu, intense et joyeux, son enthousiasme ! Ce fut une transmission. Il nous parla des principaux moments de sa vie, de ses études de médecine, ses étonnements, ses questionnements, ses choix, la découverte progressive d’un désir décidé pour l’accueil de l’enfant, l’enfant-sujet, la place du père, la mère, la psychanalyse, ses contrôles avec Lacan, sa fidélité à Lacan, « son Lacan ».

Ce que nous a dit Bernard This en Mai 2012 :

« J’ai fait la découverte progressive d’une autre manière d’être médecin, car j’ai été mené littéralement dans un champ d’observation.

- Dans mes études, on ne m’avait pas parlé du mot amour, du mot homme, du mot esprit. Il n’y avait que le corps mesurable, sécable, c’était de la scientificité... On ne m’avait pas parlé de Freud. Cela devint mes lectures, ce sont mes lectures.

- Quand j’étais externe, dans le service de pédiatrie, une petite fille avait une paralysie de la main. On prétendait qu’elle avait une tumeur cérébrale…J’avais simplement pris en note le fait qu’elle avait déjà eu une paralysie, à l’époque où elle avait une composition de latin. Chaque fois qu’elle avait une composition de latin, elle recommençait. Donc c’était hystérique ! Je me suis dit : « ça, ça doit disparaître facilement ! »

L’accouchement sans douleur, l’accueil mère-enfant : la découverte d’un autre monde.

- Jeune médecin, en stage d’obstétrique, j’ai connu des naissances traumatisantes, violentes, des hurlements. Je n’avais vu à l’hôpital que l’horreur : des femmes qui souffraient ! Au début des années 1950, Ferdinand Lamaze est rentré d’URSS. La presse  parlait de son travail. Alors tout de suite, je suis allé le voir à la clinique des Bleuets. Il se lançait dans l’aventure de l’accouchement sans douleur, des pratiques étonnantes, des salles d’accouchement silencieuses, des femmes apprenant ce qu’elles ont à faire au cours de leur grossesse et au moment du travail, des maris pouvant assister à l’accouchement - tout cela représentait une sorte de révolution obstétricale. Et là, j’ai vu des couples qui vivaient.

Dans mes études, c’était le chien de Pavlov qui expliquait tout. Alors que pour moi, le chien de Pavlov n’explique rien de la psychologie de la femme enceinte. Je l’ai dit à un congrès à Strasbourg, on m’a coupé la parole immédiatement. C’était mon premier congrès. Ce n’était pas tolérable. Donc j’ai vu qu’il ne fallait pas dire n’importe quoi ! Mais au bout d’un certain temps, je ne pouvais plus me taire.

En 1955, entrevoyant le sadisme de certaines institutions hospitalières, je me demandais comment inviter les soignants à découvrir un autre monde et les aider à transformer ce climat « hospitalier » pour qu’il trouve une hospitalité digne de ce mot ? J’ai vu une femme qui, à quatre heures du matin, entend sa fille qui hurle dans la nurserie. Alors elle entre, la nurse dormait. Elle s’occupe de l’enfant, elle le nourrit. Et puis comme l’enfant gloussait de plaisir, ça a réveillé la nurse qui a fichu la mère dehors. Elle s’est laissé faire. Elle n’a pas porté plainte. C’est scandaleux, les parents n’avaient pas le choix. Donc au bout d’un certain temps, j’ai poussé les parents à la révolte : « c’est votre intérêt, c’est l’intérêt de votre enfant, vous n’avez pas à vous soumettre à qui que ce soit ! » J’étais devenu pour vous dire, un révolutionnaire.

C’est aussi dans le même temps, lors de mon premier remplacement, que j’ai découvert qu’un accueil différent de la mère et de l’enfant était possible, grâce à une jeune femme accourue dans la nuit. Elle allait accoucher, m’appela « au secours ». Elle désirait que je la transporte à la maternité, mais j’ai d’abord voulu l’examiner...Alors que ma main sentait déjà la tête de l’enfant, je l’invitai à descendre de la table d’examen, lorsque, encore debout, le premier cri du bébé se fit entendre, et je l’accueillis, tout simplement. Je n’oublierai jamais l’aisance de cette naissance et l’apaisement de ce nouveau-né au creux de mes mains. J’ai vu qu’un enfant pouvait ne pas crier. Il est arrivé dans mes mains. Je venais de découvrir une autre manière d’être médecin.


L’accueil de l’enfant, les débuts de la Maison Verte.

Je suivais un fil, écouter le sujet, me laisser surprendre, être étonné, poser des questions, témoigner aussi. Les enfants qui venaient, étaient les amis de mon fils, puisque que ma femme avait rencontré des femmes enceintes dans le quartier à Boulogne, à l’époque. Elles se retrouvaient les jours de pluie, avec des enfants du même âge. Celles que j’avais suivies en préparation à l’hôpital Foch et qui habitaient le quartier, je les présentais à mon épouse. Donc elles étaient contentes de se retrouver. Les jours de pluie, ça se passait chez les uns, chez les autres…C’était le début de la Maison Verte ! J’en ai parlé à Françoise Dolto, elle disait : « voilà ce qu’il faut faire dans tous les quartiers de Paris. »

En effet, je sentais que j’allais tout mettre en œuvre pour contribuer à créer une dynamique d’accueil de l’enfant dans notre société, dès la maternité. Dans le même temps ma formation d’analyste s’affirmant, les patientes me demandaient de plus en plus souvent des entretiens individuels, voire une psychothérapie.

J’allais écouter Lacan. Puis j’ai voulu le rencontrer. En septembre 1953, je sonne chez Lacan, il me tend la main, il m’installe, il me regarde et me dit : « vous voulez un contrôle ? » je lui dis que je ne peux pas car je viens d’acheter un appartement, je suis couvert de dettes. « Votre prix sera le mien » me répond Lacan, « A mardi ! » Voilà, c’est cela mon Lacan. J’étais dans une relation avec lui.

Lacan avait introduit le père, au début dans la relation avec l’enfant et la mère. C’est dans cela que j’appréciais Lacan. Il a bien senti ça : la relation que l’enfant établit et avec son père et avec sa mère est essentielle. Quand il n’y a pas un père, que c’est fusionnel, mère-enfant, cela mène à la confusion. La sécurité est dans la relation en triade. La relation au père permet à l’enfant de ne pas rester dans l’orbe, le cercle du désir maternel. C’est ainsi que s’est imposé à moi le rêve d’un autre accueil possible de l’enfant et de ses parents, en dehors de toute médicalisation. »

(1) La Maison Verte de Rochefort/sur/Mer, fut créée dans les années 90, à l’initiative de l’équipe du CMPP, autour de Françoise Martin, psychiatre, psychanalyste, membre de l’ACF Aquitania : « les enfants que nous recevions arrivaient déjà trop tard. Nous désirions accueillir les enfants en difficulté dès leur plus jeune âge et même avant que les difficultés n’apparaissent. »

Françoise Martin, « L’histoire de la création de La Baroulette », Actes du Colloque 2009.

(2) Bernard This, « La Maison verte, Créer des lieux d’accueil » Editions Belin, 2007 et « Déjà père avant la naissance – Rencontre entre un psychanalyste et un obstétricien », This Bernard et Belache R. Editions Belin, 2011

(3) Dominique Merrheim, accueillante à la Baroulette